Auteurs : Elise Bernard et d’Olivier Vallée
Organisation affiliée : Europa Nova
Type de publication : Article
Date de publication : 10 mai 2020
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Introduction
Selon les chiffres publiés par le Centre pour la prévention et le contrôle des maladies de l’Union Africaine, la pandémie de Covid-19 progresse sur le continent africain. Si, au niveau local, la population peut se mettre d’elle-même en quarantaine sans attendre les consignes officielles du fait de la forte expérience du continent dans la lutte contre les pandémies et du confinement, la réponse est beaucoup moins évidente dans les grandes villes. Ainsi, les pouvoirs publics ont pris des mesures d’urgence conformément à leurs constitutions et droits nationaux dès l’apparition des premiers cas de Covid-19 en Afrique.
De l’Égypte en passant par le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la R.D Congo et l’Afrique du Sud, l’état d’urgence sanitaire fait appliquer un confinement graduel ou total, d’autres un couvre-feu. Ces mesures ont une incidence directe sur les libertés publiques ainsi que sur la situation socio-économique du fait de la place centrale de l’économie informelle, difficile à quantifier par nature. Le secteur informel occupe une place centrale dans toutes les sociétés africaines et fonctionne comme un amortisseur social.
Il correspond notamment à une vision particulière des rapports humains et, du fait des mesures de distanciation, son rôle sera neutralisé et pourrait entraîner 27 millions d’Africains dans une situation de pauvreté extrême. Face à la vulnérabilité de l’Afrique au Covid-19, l’Union européenne peut apporter une aide nécessaire pour faire face aux conséquences graves de la pandémie. Si les moyens existent, il convient toutefois de promouvoir de nouveaux mécanismes.
En effet, face aux tumultes de la guerre commerciale États-Unis/Chine/Union européenne, du MERCOSUR et du Brexit, l’Afrique est loin d’avoir constitué une priorité dans l’agenda européen en maintenant des schémas qui s’avèrent non suffisamment efficaces, en particulier face à la crise liée à la pandémie. Ceci est regrettable alors que nos deux continents entretiennent d’étroites relations, historiques, culturelles, économiques et humaines, et sont voués à en développer davantage. L’Europe et l’Afrique s’inspirent sans cesse, même si, a priori, certains Etats membres sont plus concernés que d’autres.
Dans un contexte postcolonial marqué par les désaccords sur la nature des relations que la Communauté Économique Européenne (CEE) peut avoir avec les anciennes colonies de ses États membres, le continent africain s’est imposé comme l’un des premiers avec lequel la toute jeune communauté sui generis a commencé à tisser des relations extérieures. La CEE, avec la Convention de Yaoundé de 1963, s’est montrée capable, à travers ses outils économiques et financiers, d’aller au-delà des relations bilatérales traditionnelles. Le pragmatisme néo-fonctionnaliste des pères fondateurs a donc contribué à faire émerger une action internationale européenne commune distincte de celle des États.
1- Territoire et personnalité juridique : l’incohérence mettant à mal la transparence
Les espaces endogènes de l’Europe et de l’Afrique ne se recoupent pas. L’UE ne rassemble qu’une partie du continent européen mais compte quelques territoires ultra-marins sur d’autres continents – et a pu assister au départ de deux îles « et demi » -. Face à elle, chaque État africain – de naissance – a vocation à devenir membre de droit de l’Union africaine (UA).
Plus précisément : l’article 27 dispose que « tout État membre de l’OUA peut adhérer à l’Acte Constitutif après son entrée en vigueur en déposant ses instruments d’adhésion auprès du président de la commission » ; et l’article 29 précise que « tout État africain peut, à tout moment après l’entrée en vigueur de l’Acte, notifier au président de la commission son intention d’être admis comme membre de l’Union ». C’est dans le cadre de cette Organisation qu’a été décidée la création d’une Task Force ayant pour objectif de mobiliser le financement international qui permettra au continent africain de relever les défis économiques provoqués par la pandémie de Covid-19.
Les relations entre les continents africain et européen ne peuvent se réduire aux rapports UE-UA. S’il est encore trop tôt pour déterminer comment « le paquet d’aides financières destinées à l’Afrique », pour reprendre les termes de Josep Borrell, sera réparti, rien n’indique pour l’instant qu’il le sera au niveau de l’UA mais plutôt en suivant une logique bilatérale. En effet, le maintien des relations euro-africaines d’ordre bilatéral ne s’explique pas uniquement du fait de l’absence de superposition « territoire-personnalité juridique »
Toutefois, contrairement à l’UE, l’acte constitutif de l’Union africaine ne contient aucune disposition visant à imposer le respect de règles fondamentales pour la cohérence de l’organisation et pour l’avancée de l’intégration. Consécutivement, les États africains cumulent les appartenances à des organisations intergouvernementales sous-régionales différentes, dans leurs références géographiques, et empilent des objectifs multiples.
On peut relever par exemple le cas des compétences monétaires et économiques envisagées avec une logique territoriale. D’un côté, se trouve l’adhésion du Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo à l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). De l’autre, l’appartenance du Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone et Togo à la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) poursuit l’objectif de réaménager l’espace économique de l’Afrique de l’Ouest, sans se limiter aux communautés de langage. En effet, l’accord signé à Lagos le 28 mai 1975 constitue la première grande réalisation faisant éclater le clivage entre pays anglophones et francophones, en Afrique.
Le problème est que les niveaux de discussion et les modes d’intervention de l’UE se sont calqués sur cette multiplication d’instances africaines, ajoutant – et entretenant – encore un peu plus de bureaucratie à ces milieux que l’on considère trop bureaucratiques. Sans parler du fait qu’ils sont largement considérés comme des opportunités de « postes d’attente » entre deux mandats électifs, ceci nous amène à la conclusion que les relations entre les continents africain et européen ne peuvent se réduire aux rapports UE-UA.
S’il est encore trop tôt pour déterminer comment « le paquet d’aides financières destinées à l’Afrique », pour reprendre les termes de Josep Borrell, sera réparti, rien n’indique pour l’instant qu’il le sera au niveau de l’UA mais plutôt en suivant une logique bilatérale. En effet, le maintien des relations euro-africaines d’ordre bilatéral ne s’explique pas uniquement du fait de l’absence de superposition « territoire-personnalité juridique ».
2- La multiplication des représentations contrevenant à la direction poursuivie par la stratégie
La délégation de l’UE auprès de l’UA, à Addis Abeba, a été créée en janvier 2008, afin d’assurer la mise en œuvre de la Stratégie conjointe Afrique-UE, adoptée à l’issue du deuxième Sommet UE-Afrique, à Lisbonne en 2007[18]. La délégation de l’UE auprès de l’UA opère dans un environnement composé des 55 États-membres de l’UA, de la Commission de l’UA et plusieurs de ses organes – telles que le Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA – ainsi que des États-membres de l’UE et des autres partenaires internationaux et gouvernementaux de l’UA.
Afin, si l’on en croit la stratégie, d’aborder les questions d’intérêt commun conformément aux principes fondamentaux que sont : l’unité de l’Afrique ; l’interdépendance entre l’Afrique et l’Europe ; la maîtrise de leur destin par les intéressés et la responsabilité commune ; ainsi que le respect des droits de l’Homme, des principes démocratiques et de l’État de droit, et le droit au développement.
Malgré les déclarations d’intention tenant à renforcer la cohérence et l’efficacité des accords, des politiques et des instruments en vigueur, personne ne semble pourtant remettre en question la présence de l’UE au travers de ses Délégations de l’UE (DUE) auprès des institutions nationales. Pour illustrer notre propos, on relèvera que dans la zone UEMOA/CEDEAO précitée, on compte une vingtaine de DUE.
Chaque DUE est présentée comme responsable de la programmation européenne à l’échelle nationale, et du dialogue politique et stratégique de l’UE avec les autorités locales, les gouvernements nationaux et les organisations régionales. Responsables en matière d’allocation des fonds européens et de gestion des subventions de l’UE, elles publient et gèrent les appels à projets et supervisent la sélection des propositions retenues. Chaque DUE est donc l’acteur clef, à la fois auprès des institutions nationales et auprès des organisations de la société civile locale.
3- L’exclusion de l’espace méditerranéen ; ou l’absence de trait d’union entre les deux continents
Les bordures de la mer Méditerranée sont traditionnellement présentées comme une coupure entre les pays du « Nord », européens, et les pays du « Sud », africains et asiatiques. Ces dernières années, cet espace est de plus en plus perçu comme un « intermédiaire » entre l’Europe du Nord-Ouest, foyer d’immigration, et l’Afrique saharienne, subsaharienne et du Moyen-Orient, terres d’émigration. Animé de dynamiques internes intenses, d’une certaine autonomie, tout en étant lié à l’UE dans le cadre d’un partenariat euro-méditerranéen, il convient d’admettre que les objectifs de ce dernier ne sont malheureusement pas plus clairs que ceux qui motivent les relations euro-africaines.
L’axe intégré entre l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe – réclamé en particulier par le président de la République française et le roi du Maroc – comme soutien des actions remettant en cause la polarisation du monde, ne fait pourtant pas partie des priorités politiques de l’UE. Il est toutefois promu et étudié par l’Institut de Prospective Economique du monde Méditerranéen (IPEMED) au travers du concept dit de la Verticale AME.
Selon Jean-Louis Guigou, président de l’IPEMED, les chaînes de valeurs mondiales sont de plus en plus régionales et équilibrées, l’espace méditerranéen pensé ainsi ne peut que favoriser une redistribution Nord/Sud du système productif er faire de l’Afrique une zone créatrice de valeur et non plus seulement exportatrice de matières premières. Au-delà, il est capital d’en faire un système productif « écologisé » et inclusif, donnant au monde l’exemple d’une responsabilité économique, sociale et environnementale, pour en faire une alternative solide face aux nouvelles Routes de la soie.
La tâche s’avère ardue, sans même s’aventurer sur le cas de l’État à l’origine de l’UA, car depuis trop longtemps, l’espace méditerranéen fait l’objet d’un cruel manque de volonté politique, de la part de l’Europe, on l’a vu, mais aussi en son sein. En effet, l’Accord d’Agadir signé en 2001 par le Maroc, la Tunisie, l’Egypte, le Liban, la Palestine et la Jordanie, et entré en vigueur en 2007, visant à créer une zone de libre-échange euro-méditerranéenne et à augmenter les capacités d’exportation vers l’UE, met surtout en exergue des économies en concurrence.
Certes, en janvier 2017, l’adhésion du Maroc à l’UA est venue rectifier la politique de la chaise vide qui avait conduit Rabat à se retirer de la précédente OUA. Cependant, son absence lui a empêché de participer à la refondation de l’organisation, en 2001, et surtout de faire partie d’initiatives comme le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD).
Une piste cependant semble se dégager avec l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) distincte de l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires dans la Caraïbe (OHADAC). Si la première est une organisation internationale confortée et largement promue – avec son Code et sa Cour – la deuxième est toujours au stade du projet de coopération. Elles ont toutes deux l’avantage de sortir la réflexion relative à la coopération et la sécurité juridique en dehors de l’espace « ACP » traditionnel et vont jusqu’à inspirer l’UE et un futur Code européen des affaires.
4- Une notion d’investissement à repenser
L’autre difficulté qui se pose est celle de faire coïncider les agendas et les ensembles concernés en matière d’investissements. Par exemple, l’UA veut faire ratifier aux 54 Etat membres l’African Continental Free Trade Area (ZLEC) dont le président Kagamé est un ardent militant. La ZLEC a pour objectif de supprimer, progressivement, les barrières douanières existantes – et toute contrainte nuisant aux échanges commerciaux – entre les membres de l’UA.
Le projet rappelle largement celui posé à Rome en 1957 mais dans une perspective beaucoup plus vaste. En effet, pour tout l’espace recouvert par les membres de l’UA, sont envisagés une libéralisation de 90 % des produits, sur une période de 5 à 10 ans. Est annoncée sur la ZLEC, une croissance de plus de 50 % du commerce intra-africain, sachant qu’actuellement il ne dépasse pas les 20 %. L’objectif annoncé à Niamey le 7 juillet dernier a laissé de côté plusieurs de sujets délicats avant de parvenir à harmoniser l’ensemble des dispositifs préexistants.
En effet, le continent africain est actuellement découpé en huit communautés économiques régionales (CER), aux niveaux de progression et d’intégration très inégaux. En effet, si le COMESA peut être qualifié d’avancé, la CAE est encore balbutiante et l’UMA à l’arrêt. Ceci n’augure rien de bon, côté africain, si l’objectif est de créer un vaste marché de libre-échange à l’échelle du continent.
Côté européen, les accords de partenariat économique (APE) conclus entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique sont présentés comme contribuant à créer des conditions propices au commerce et aux investissements. Cet objectif peut être atteint grâce à : l’ouverture totale du marché de l’UE aux importations provenant des pays ACP ; l’encouragement de l’amélioration des infrastructures, de l’administration et des services publics ; et en renforçant le dialogue politique en tant qu’élément central des relations UEACP. Au-delà, les APE prévoient l’ouverture immédiate et totale du marché de l’UE, tandis qu’ils accordent aux pays ACP un délai de 15 à 25 ans pour ouvrir leur marché aux importations européennes. Il existe actuellement quatre APE dont 2 relatifs à l’espace africain : l’APE-Afrique orientale et australe (Madagascar, Maurice, Seychelles, Zimbabwe et les États membres de l’UE) ; et l’APE de la SADC (Botswana, le Lesotho, Mozambique, Swaziland, Namibie, Afrique du Sud et les États membres de l’UE). On ne peut que regretter l’absence de concordance entre APE et CER.
A l’heure où 66% des avions de ligne sont arrêtés du fait de la pandémie de Covid-19, explique Alain Bernard, responsable du projet « Rendre le désert habitable », il convient de réfléchir à des solutions permettant à la fois de limiter la surpopulation et d’envisager le développement de zones que l’on considère hostile, alors qu’elles pourraient être des refuges… là se trouve bien le sens du terme oasis.
Ceci passe par le développement de solutions ne nécessitant pas d’infrastructures routières et du développement de la fibre optique dans les zones désertiques comme cela est déjà le cas dans les océans. Investir dans la recherche et l’innovation revient à investir dans l’avenir de l’Europe et de l’Afrique. Ces investissements doivent être vus comme un moyen pour l’Europe à la fois d’être compétitive et d’améliorer le quotidien des citoyens en Europe et dans le monde, en contribuant à résoudre certains des plus grands problèmes sociétaux.
5- Une stratégie exhaustive européenne risquant d’être trop limitée
Appeler une stratégie exhaustive de l’UE pour l’Afrique – non encore adoptée – est apparu comme étant une des préoccupations de la présidente de la Commission européenne. « Pour nous, pour l’Union européenne (UE), vous êtes plus qu’un voisin », déclare Mme Von der Leyen, en décembre dernier, après avoir rencontré le président de la commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat. Jean-Claude Juncker, avant elle, à l’occasion de son discours sur l’état de l’Union, en septembre 2018 avait déclaré : « L’Afrique n’a pas besoin de charité, elle a besoin de partenariat équilibré, d’un vrai partenariat.
Et nous, Européens, avons besoin au même titre de ce partenariat. La Commission propose aujourd’hui une nouvelle alliance entre l’Afrique et l’Europe, une alliance pour des investissements et des emplois durables. » Selon le commissaire chargé de la coopération internationale et du développement de l’époque : « Cette Alliance consiste à mobiliser les investissements privés et à exploiter les immenses possibilités qui peuvent procurer des avantages aussi bien à l’économie africaine qu’à l’économie européenne. Il s’agit de renforcer notre partenariat et de peser de tout notre poids pour soutenir les initiatives africaines, comme la zone continentale africaine de libre-échange.»
l’UE apparaît encore malheureusement trop éloignée de la réalité des citoyens et incapable de mener une réflexion globale sur le monde contemporain. Donner du crédit, promouvoir et encourager les actions portées par l’expertise de la société civile, combiner les actions des ONG originaires de l’UE et d’Afrique apparaît comme étant l’innovation nécessaire aux relations euro-africaines
La Commission européenne a ainsi pu proposer une nouvelle « Alliance Afrique – Europe pour des investissements et des emplois durables », visant à dynamiser les investissements privés en Afrique, à renforcer les échanges, à créer des emplois et à investir dans l’éducation et les compétences. Le paquet adopté reposant sur les engagements pris lors du sommet Union africaine – Union européenne d’Abidjan de novembre 2017. Il expose – encore de nouveaux – principaux volets d’action en faveur d’un programme économique renforcé pour l’UE et ses partenaires africains.
De leur côté, la chancelière allemande plaide pour le déploiement d’un Plan Marshall pour l’Afrique et, le président Macron s’est engagé à consacrer 2,5 milliards d’euros aux start-ups et PME africaines d’ici 2022, dans le cadre de l’initiative « Choose Africa ». On peut se poser la question de savoir si ces déclarations d’intentions sont porteuses d’un réel new deal avec la ZLEC. Toutefois, l’objectif est bien d’accélérer l’investissement et d’améliorer ses conditions mais au-delà des apports financiers, dans la téléphonie ou les services urbains, le défi à relever est celui de l’augmentation de la chaîne de valeur dans les pôles d’accumulation.
On peut se réjouir de telles initiatives. Force est de constater qu’elles apparaissent comme bien plus claires que toutes les grandes annonces institutionnelles ; l’UE apparaît encore malheureusement trop éloignée de la réalité des citoyens et incapable de mener une réflexion globale sur le monde contemporain. Donner du crédit, promouvoir et encourager les actions portées par l’expertise de la société civile, combiner les actions des ONG originaires de l’UE et d’Afrique apparaît comme étant l’innovation nécessaire aux relations euro-africaines.
6- Le défi démographique et migratoire à penser dans sa globalité
Trois topiques sous-tendent l’émergence d’un nouvel équilibre de la relation entre deux camps du monde à la fois si proches et si différents. Caricaturalement, on peut présenter : l’un comme abondant de riches retraités mais connaissant un déficit de nouveaux travailleurs pour assurer la perpétuation de leur financement ; l’autre monde comme produisant de nombreux jeunes demandeurs d’emploi qui auront de moins en moins de dépendants mais de plus en plus de mal à gagner leur vie. La pandémie de Covid-19 ne remettra peut-être pas ce schéma en cause mais il est évident que le continent en souffrira plus que tous les autres, en termes de pertes humaines et économiques.
Le continent africain compte aujourd’hui environ 1 milliard d’habitants contre 670 millions en 2000. D’après les prévisions de la Banque africaine de développement, la population atteindrait 1,3 milliard d’individus en 2030 et 2,5 milliards en 2050. Cette croissance démographique résulte d’une baisse des taux de mortalité combinée à une baisse, proportionnellement plus lente, de la fécondité.
A noter que l’Afrique australe enregistre actuellement des taux de fécondité inférieurs à trois enfants par femme, alors qu’en Somalie, Niger ou Nigeria les taux sont actuellement supérieurs à six enfants par femme. Coté UE, la Fondation Schuman s’alerte : « quel silence assourdissant face au suicide démographique de l’Europe à l’horizon 2050 ! ». Sujet présenté comme tabou « on préfère (à Bruxelles) produire des rapports sur les révolutions technologiques, le développement durable ou la transition énergétique. ».
Ainsi, contrairement à l’Amérique du Nord qui verrait sa population augmenter de 75 millions d’habitants, l’Europe pourrait stagner autour de 500 millions d’habitants et – surtout – perdre 49 millions de personnes en âge de travailler. Plus précisément, l’Allemagne en perdrait 11 millions ; l’Espagne et l’Italie 7 à 8 millions d’actifs potentiels, sans même s’aventurer sur les conséquences de la pandémie actuelle.
Face à ces déséquilibres démographiques asymétriques, on ne peut que remettre en question la pertinence de ce qui semble constituer la stratégie de confinement de l’UE, sans vouloir faire de mauvais jeu de mots au regard de la crise pandémique actuelle. En effet, depuis cinq ans on lit régulièrement l’expression « forteresse Europe » ; terminologie désignant le renforcement des frontières extérieures, tout en offrant une plus grande liberté à ceux qui sont légalement liés à ce territoire.
Concrètement, les efforts se sont focalisés sur la restriction des mouvements des non-citoyens UE vers et au sein de l’Europe. Sans entrer dans les détails, ces mesures témoignent d’un recul des droits fondamentaux, incohérentes par rapport aux défis qui s’annoncent pour les trente prochaines années. Dans ce contexte, l’universalité des droits fondamentaux est doublement remise en question ; soit on considère que les gens renoncent à leurs droits quand ils décident de migrer, soit les ordres juridiques étatiques ne reconnaissent pas les droits humains de groupes particuliers.
Difficile de penser une relation euro-africaine enrichissante pour les deux continents, sur cette base et cela se ressent à partir du moment où les élans de solidarité euro-africains, en ces temps de crise pandémique, sont totalement invisibles alors qu’ils existent. Au-delà, ces réactions sécuritaires distraient les ressources destinées à la paix, l’investissement ou à la santé.
7- Les indispensables « 3D » – Diplomatie, Défense et Développement – les manques mis en exergue par l’actualité du Sahel
L’espace guerrier de l’UE au Sahel ne peut être isolé des bassins démographiques et du bouleversement des circulations comme des mobilités sociales qui ont induit de vastes insurrections. Celles-ci interagissent avec la déradicalisation et l’installation de camps de rétention en Libye et au Sahel. Les déclarations d’intention de l’UE existent bel et bien : « le Sahel constitue une priorité stratégique pour l’UE et ses États membres », selon les conclusions du Conseil européen de mai 2019.
Malheureusement, l’intervention armée engagée par la France au Mali, en janvier 2013 ne semble avoir eu pour effet que de démontrer la progressive remilitarisation, après un relatif équilibre mondial, comme si l’interventionnisme des puissances européennes « s’inscrivait dans une périodicité cyclique, révélatrice du rapport durable de domination entre la métropole et la périphérie ».
Dans un ouvrage sorti récemment, une interprétation est donnée à l’« embouteillage sécuritaire » que constitue actuellement le Sahel, où l’antiterrorisme serait devenu une « rente financière et diplomatique pour les régimes corrompus de la zone. ». En effet, les mouvements djihadistes trouvent, selon l’hypothèse défendue par l’auteur, d’abord leur origine dans les dynamiques locales, se sentant exclues de tout intérêt diplomatique et économique.
Au-delà, la présence de soldats européens au Sahel et l’élargissement de ces conflits pourraient conduire certains de ces groupes à chercher à se venger par des attentats en Europe. Rapidement, les mouvances djihadistes mondiales se sont exprimées au sujet de la pandémie de Covid-19 afin d’en exploiter le déroulement et les effets sur le mode coutumier de la vengeance.
D’aucuns ayant un regard fébrile sur l’évolution de la démographie du continent africain devraient davantage considérer le possible lien positif entre santé et développement et ne pas se limiter au cadre de la sécurité. Tout simplement parce que des enfants en bonne santé sont un facteur de régulation de la natalité tout comme une meilleure éducation, l’augmentation du niveau de vie, des droits fondamentaux et donc réduire les risques de radicalisation.
8- La place des valeurs et droits fondamentaux
Dans l’arrière-salle de la conférence de Lisbonne, les institutions de l’UE ont signé avec l’UA et ses États membres “A Joint Africa-EU Strategy (JAES)” sans abandonner le fétiche des accords de Cotonou de 2000 avec les 79 États membres ACP. Le but de cette stratégie est de valider un consensus alors qu’il semble ordinairement que le partenariat vise à aboutir à tomber d’accord sur des priorités. La sémantique de cette déclaration est certainement claire pour les concepteurs de cette stratégie mais pour les citoyens européens et africains que signifie que « les deux continents vivent côte à côte en paix, dans la sécurité, prospérité, la solidarité et la dignité de l’homme » ?
On regrette de n’y trouver ni architecture institutionnelle opérationnelle, ni adhésion à des valeurs réelles de part et d’autre. En quoi la dignité de l’homme est servie par les migrants morts dans le Sahara, maltraités au Maghreb et noyés en Méditerranée qui fut un temps un foyer de civilisation commune et diverse ?
Ceci peut s’expliquer par les désaccords entre États membres de l’UE. Depuis 2018, tout particulièrement, la mission de l’UE EUNAVFOR Med, connue sous le nom d’opération Sophia – théoriquement envisagée comme contribution européenne – a été combattue, entravée et finalement, rendue absurde par le retrait de tous ses navires. On n’aura donc retenu de l’opération que l’UE envisageait une mission navale, sans marine. Au niveau institutionnel, la procédure peut aisément être qualifiée de complexe lorsqu’il est question de décider d’une mission relevant de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC).
Il convient cependant d’admettre que l’opération Sophia a contribué au sauvetage de près de 49 000 personnes. Là où le bât blesse, c’est que durant le mandat actif de la mission, les garde-côtes et les organisations humanitaires italiens en ont sauvé au moins deux fois plus que la supposée action européenne. De retour dans le cadre des réunions des ministres de l’Intérieur de l’UE, à Zagreb fin janvier 2020, les issues ne s’annoncent guère positives tant que EUNAVFOR Med reste l’otage de différends politiques des exécutifs européens, ces derniers portant essentiellement sur les migrations et non sur la Libye[74]. Sans entrer dans le détail de l’horreur des camps et de leur éventuelle utilité, relevons qu’ils constituent une cible d’attaque aisée pour ceux ayant pour objectif de semer la terreur.
Si ce legs de la période coloniale constitue le fondement de la crise de la dette africaine, à l’heure d’imaginer une association ambitieuse et égalitaire de nos deux continents, l’opportunité se présente de solder la dette des anciens colonisateurs européens par le biais d’une annulation de la dette publique africaine. Ceci afin d’aller plus loin depuis le premier signe que l’on peut relier à ce problème laissé – trop longtemps – en suspens : la fin du Franc CFA.
9- La politique monétaire en suspens
L’atout monétaire de l’UE, à savoir un système de banques centrales lié à la BCE et à l’euro, n’est absolument pas valorisé en Afrique. Cela constitue pourtant une réalité. À sa création en 1945, franc CFA signifiait « franc des colonies françaises d’Afrique ». Après les indépendances, devenu « franc de la Communauté financière africaine », pour les huit pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), ce nom reste largement perçu comme un symbole post-colonial.
Au-delà, la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) dépose la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France. Or, depuis la fin de l’année 2019, il est prévu qu’à l’avenir, la BCEAO n’aura à l’avenir plus d’obligation particulière concernant le placement de ses réserves de change ; elle sera libre de placer ses avoirs dans les actifs de son choix.
Au-delà, si l’on en croit les objectifs annoncés par l’Élysée, la France va se retirer des instances de gouvernance de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA) où elle était présente. La France ne nommera plus aucun représentant au conseil d’administration et au comité de politique monétaire de la BCEAO, ni à la commission bancaire de l’UMOA. C’est ainsi que huit pays francophones d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), qui utilisent le franc CFA, ont annoncé leur décision de remplacer leur monnaie commune par l’eco.
Face à eux, six Etats de la Zone monétaire ouest-africaine (WAMZ) se préoccupent de la déclaration visant à renommer unilatéralement le franc CFA en eco. La WAMZ – composée du Nigeria, du Ghana, du Liberia, de la Sierra Leone, de la Gambie et de la Guinée – estime que cette action n’est pas conforme aux décisions de la CEDEAO visant l’adoption de l’eco comme nom de la monnaie unique de toute la région, dont l’idée est débattue depuis bientôt trente ans.
Malgré ces incertitudes – qui s’expliquent encore par la multiplication des espaces et des décisionnaires – un acquis semble faire consensus ; la parité fixe avec l’euro du franc CFA, sera maintenue. Sur cette question aussi, le régime dominant de la contradiction des niveaux de compatibilité et des espaces de cohérence s’impose malgré la revendication perpétuelle, dans la rhétorique de la Commission, d’une démarche de priorité et de complémentarité.
10- Une Commission européenne à repenser en matière extérieure
Ainsi, si l’on peut considérer que la prise en considération des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance constitue un souci de développement économique en Afrique, Reagan Intole estime que l’espace OHADA, est actuellement le mieux placé pour accroitre la sécurité juridique et l’attractivité économique. Selon le chercheur de l’université Panthéon-Assas, l’harmonisation de l’espace africain et l’action de l’UE en conséquence devraient pouvoir s’inspirer de ce raisonnement dit ‘ESG’.
D’abord parce que l’approche environnementale renvoie à l’idée d’incorporer dans la conception, la production, la commercialisation ou la distribution des produits, biens et services des pratiques relatives à la prévention, au contrôle ou à la gestion des impacts environnementaux. Ensuite parce que l’approche sociale renvoie aux pratiques innovantes de gestion des ressources humaines, à la contribution aux causes d’intérêt général et local (développement social), au respect des droits de l’homme ou encore des droits fondamentaux au travail, ainsi que l’amélioration des conditions de travail en tenant compte de la santé, la sécurité et le bienêtre au travail.
Enfin, l’approche gouvernance renvoie aux pratiques des entreprises visà-vis de leurs actionnaires et des représentants des salariés (respect du droit des actionnaires, promotion de l’indépendance et de la compétence des administrateurs, transparence de la rémunération des cadres dirigeants). Cette vision pouvant être étendue aux comportements sur les marchés et vis-à-vis des clients et fournisseurs.
Face à la crise actuelle, la Haute cour de l’organisation communautaire, garante de l’application uniforme du traité et de ses actes uniformes, a adapté ses procédures. Si en pratique la pandémie empêche les organes de gouvernance des sociétés commerciales, aussi les entrepreneurs ou commerçants de se réunir, l’acte uniforme révisé sur le droit des sociétés prévoit certaines dispositions anticipatives.
En effet, l’acte uniforme des sociétés révisé en 2014 a introduit la possibilité d’utiliser des techniques numériques de communication à distance pour la convocation (courriel) et la tenue des réunions des organes sociaux (visioconférence). La Commission européenne devrait donc penser ses stratégies extérieures vers l’Afrique à la fois en termes de domaine et d’espace, afin de favoriser ceux qui, comme l’OHADA, assureront au mieux un résultat effectif et visible.
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