Le LMD dans les universités africaines au sud du Sahara
Auteur (s) :
André Nyamba
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Quelques points de repères
Un état des lieux des universités africaines au sud du Sahara fait ressortir deux périodes distinctes : celle de la domination coloniale d’avant les indépendances des années 1960 (suivie de “l’après-indépendance”) et celle de l’après 1975. La première période se caractérise par l’émergence d’un enseignement supérieur, quasi exclusivement construit sur le modèle de celui de l’Occident judéo-chrétien. La création des universités de Dakar (1949), de Kinshasa (1954), de Lubumbashi (1955), d’Abidjan et de bien d’autres a participé de cette logique qui décalquait, de façon plus ou moins réussie, les modèles d’enseignement supérieur français ou belge, tant du point de vue des contenus des programmes que des systèmes de gestion.
La deuxième période commence en 1975 et se prolonge jusqu’à nos jours. Elle est marquée par des turbulences politiques et des remous sociaux à répétition (grèves incessantes, “années blanches”) qui continuent de remettre en cause les structures actuelles d’enseignement et qui interpellent l’incapacité des universités à répondre aux attentes des secteurs productifs. De façon paradoxale, cette période mouvementée, scandée par des crises et par les interventions de plus en plus fréquentes des institutions financières internationales, a correspondu à une forte demande de formation supérieure.
L’exemple de l’Université de Ouagadougou : un difficile cheminement vers le LMD
Le contexte d’entrée à l’Université et le déroulement du temps des études sont des repères importants dans la vie d’étudiant. Parmi les critiques qui reviennent le plus souvent de la part des étudiants, il y a principalement celles qui portent sur le système de formation même, avec ses contenus et les moyens matériels et humains qui l’accompagnent ; il y a aussi les critiques qui concernent les interrelations sociales qui se nouent dans l’espace universitaire : entre les étudiants eux-mêmes, dans le cadre des associations diverses et multiformes ; entre les étudiants et l’autorité universitaire, dans le cadre de l’administration de la vie universitaire.
À partir de là, pour bon nombre d’étudiants, l’Université se ramène à un système de clientélisme qui se construit et qui tend à s’ériger en stratégie de réussite dans l’espace académique. L’analyse de telles situations, vues du côté étudiant, fait prendre la mesure des difficultés de l’Université de Ouagadougou et de la nécessité de son ouverture sur le marché libéral du travail. Mais il faut comprendre que c’est cette “perversion” progressive de l’Université qui l’a conduite lentement à ne plus être ce qu’elle devrait être : par lassitude, maints étudiants se tournent vers l’enseignement privé où ils retrouveront d’ailleurs à peu de chose près les mêmes difficultés. Mais l’option affirmée du privé pour le Lmd leur laisse encore quelques illusions sur les débouchés.
L’émergence d’un enseignement supérieur privé au Burkina Faso : alternative crédible ou opportunité mercantile ?
Bref aperçu de l’enseignement supérieur privé
Quoi qu’il en soit, ces nouveaux acteurs privés de l’enseignement supérieur se donnent automatiquement le label « Lmd ».
Les chiffres fournis par nos enquêtes montrent que l’enseignement supérieur privé est en pleine croissance ; depuis une dizaine d’années, des établissements supérieurs privés viennent renforcer l’offre d’enseignement supérieur. Ces établissements, au nombre de vingt aujourd’hui, se rencontrent pour la plupart dans la capitale, Ouagadougou. Ils se caractérisent par une sélectivité toujours plus importante, faisant de l’accès à l’enseignement supérieur un domaine de privilégiés, et de l’enseignement supérieur privé, un espace réservé à une certaine catégorie de personnes. N’y accède pas qui veut.
Parmi ces vingt établissements privés de formation supérieure, dix-sept sont des établissements laïcs, les autres étant des établissements confessionnels où l’organisation de la formation est assurée par des ordres religieux ; ces derniers dispensent les mêmes types de formation que dans les établissements laïcs. Le coût moyen de la formation y est de 300 000 francs Cfa par an, alors que les frais de scolarité dans les universités publiques sont fixés à 15 000 francs Cfa pour les étudiants, et 35 000 francs Cfa pour les « étudiants-travailleurs » nationaux. L’un des problèmes de ces établissements privés est la disponibilité, en nombre suffisant, d’un corps professoral permanent, autonome et qualifié.
Malgré son déficit d’enseignants, l’Université de Ouagadougou met à la disposition de ces établissements privés ses « rares » compétences en matière d’enseigne-ment et de formation. Cette perspective de partenariat à laquelle s’obligent les enseignants universitaires met en évidence les mauvaises conditions de vie et de travail qui sont les leurs : « Ils arrondissent les fins du mois », dit-on.
La représentation du LMD pour les établissements privés d’enseignement supérieur
De l’avis de certains responsables d’établissements privés et étatiques, il y aurait un manque d’informations sur le système Lmd, sur le corps professoral et sur son utilité sociale, ce qui conduirait certains, soit à « naviguer à vue » dans l’application du système Lmd, soit à refuser de l’appliquer. Les débats de fond sur la question sont rares, et cela renforce l’idée selon laquelle le Lmd ne serait qu’une préoccupation de façade, pour afficher une « modernité ».
Leurs recours automatique au label « Lmd »se présente le plus souvent comme une publicité. Le nouveau système y apparaît plutôt affirmé qu’appliqué réellement avec toutes ses exigences, dans le contexte de la libéralisation de l’enseignement supérieur.
Mise en œuvre du LMD dans les universités publiques africaines : difficultés et perspectives
Les principales causes des dysfonctionnements des universités africaines au sud du Sahara sont les problèmes matériels et de financement ; mais tout aussi important est le fait que le système éducatif en général et universitaire en particulier reste déconnecté des besoins réels des pays concernés : absence d’un tissu industriel et économique pouvant stimuler les demandes de compétences, ou encore manque d’intérêt pour les recherches au sud du Sahara.
La recherche à l’Université constitue aussi un problème dans la mesure où elle nécessite des contacts (coûteux) avec d’autres chercheurs. De plus, une réorientation des recherches s’impose : à cet effet, Jean-Marc Ela (2005, 35) propose de renverser les tendances actuelles de la recherche sur le développement en Afrique : faire une recherche « avec » au lieu d’une recherche « pour » ; c’est-à-dire orienter ces recherches vers la lutte contre la misère, l’exclusion sociale, la faim, l’ignorance, la corruption, la reconnaissance effective de la place de la femme dans la société, etc. Cela obligerait à travailler « avec » les populations, et non à s’enfermer dans des recherches « pour » des finalités et des résultats éloignés, présentement, des préoccupations quotidiennes des populations.
Qu’offrirait le système LMD aux universités africaines ?
Il est néanmoins possible d’évaluer ce qu’apporterait effectivement le système Lmd sur le plan académique. Selon Abdoulaye Niang (2004), il s’agirait surtout d’harmoniser la circulation des savoirs et des modèles pédagogiques. Le Lmd offrirait aux apprenants un complément de formation pour favoriser leur entrée sur le marché du travail. Il permettrait ainsi de répondre aux défis de la formation générale et de la formation professionnelle : aptitude à créer des emplois, aptitude à la mobilité et acquisition d’outils importants tels que les langues et l’informatique. En dernière instance, il aiderait les universités à participer pleinement au processus de développement, notamment en revalorisant la formation des adultes.
La mise en place de « crédits » pour l’évaluation de tous les enseignements, au niveau de toutes les universités, implique que ces crédits soient cumulables et transférables d’une université à une autre. De plus, le système Lmd en appelle à une certaine régulation pédagogique dans le cadre d’une recomposition négociée des enseignements. Une telle recomposition entraînera nécessairement la disparition de certains enseignements et l’émergence de nouvelles formations, ainsi qu’un arbitrage dans l’affectation des crédits, qui devrait se faire dans un cadre institutionnel approprié, au niveau de chaque Ufr et de chaque département.
« Entrer dans le Lmd » veut dire aussi se conformer à l’idée que le nombre de diplômes universitaires soit réduit de sept à quatre, du baccalauréat au doctorat. Théoriquement, ceci a pour avantage, non seulement de faire baisser le coût des études universitaires, mais aussi de concourir à l’allègement de la charge pédagogique, pour les étudiants comme pour les enseignants. Une autre exigence est la concordance, à l’échelle mondiale, des calendriers académiques (dates d’ouverture et de fermeture des universités), toute chose qui favorise la mobilité des enseignants et des étudiants sans aucun préjudice pédagogique.
Dans le contexte des universités africaines, les défis existaient déjà, avant même l’option d’entrer dans le Lmd. Issa Shivji a constaté que, dans les universités du Tiers-monde, la forme de connaissance transmise est essentiellement portée par des hypothèses et des paradigmes de l’Europe occidentale, « l’européen » devenant alors « l’universel ». L’univers académique africain serait donc confronté au décalage entre ce qui y est enseigné et le quotidien des populations. Cela traduit son incapacité à rompre le “cordon” colonial, mais aussi celle de reformuler un projet de société, par les Africains et pour les Africains, dans lequel l’université serait un instrument pouvant aider à réussir. Le premier défi à relever est l’harmonisation des programmes de formation, à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest.
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