Auteur (s) :
Rémy Heitz
Magistrat, Ministère de la Justice de la République française
Le législateur s’est efforcé, au cours des vingt dernières années, de limiter le recours à l’emprisonnement, en offrant au juge la possibilité de prononcer, dans le respect du principe de personnalisation et d’individualisation de la sanction, des peines autres, dites alternatives ou encore peines de substitution. Ce mouvement a été amorcé dans les années 1970, pour se poursuivre durant les trente dernières années. Les premières peines alternatives ont été instituées par la loi du 11 juillet 1975, qui a créé différentes peines privatives ou restrictives de droit.
La loi du 10 juin 1983 a marqué une étape importante en introduisant dans nos textes le travail d’intérêt général, qui constitue la peine alternative la plus connue. Le développement des alternatives s’est inscrit dans un contexte de hausse de la population carcérale, devenue difficilement supportable. Avec environ 58 000 détenus pour un peu plus de 50 000 places, la France connaît aujourd’hui encore des difficultés à cet égard. Si l’effort de diversification des sanctions s’est imposé sous le poids de la nécessité, il a également été porté par une nouvelle approche sociale de la sanction pénale. L’objectif de resocialisation est apparu comme une véritable priorité, sous l’influence notamment d’un mouvement de pensée, “la défense sociale nouvelle” (Marc Ancel).
La fonction d’amendement de la peine a peu à peu, dans les esprits, pris le pas sur la fonction rétributive, même s’il est encore admis que la fonction intimidatrice et éliminatrice de la peine d’emprisonnement doit dans certains cas, les plus graves, jouer son rôle. 59 903 peines alternatives ont été prononcées en 1998 (dont 13 250 TIG et 31 916 suspensions de permis de conduire) pour un total de 537 353 peines de toute nature. C’est beaucoup et peu à la fois, si l’on relève que 287 044 peines d’emprisonnement ont été prononcées.
Je souhaiterais, au cours de cette brève intervention, atteindre deux objectifs :
Tout d’abord présenter succinctement ce que sont nos alternatives à l’emprisonnement, en dépassant le cadre du prononcé de la peine pris en tant que tel pour aborder également les alternatives à l’incarcération dans le cadre de l’instruction préparatoire et de l’exécution de la peine. Puis, dans un second temps, effectuer un bilan aussi objectif que possible sur nos solutions alternatives, en mettant l’accent sur les conditions de leur réussite et aussi sur les limites parfois rencontrées dans leur mise en œuvre.
Rapide panorama des alternatives à l’emprisonnement
Il convient au préalable de préciser que sont principalement concernés les délits. S’agissant des contraventions, il existe des alternatives à l’amende (comme par exemple la peine de jour – amende) que nous ne présenterons pas ici.
Les alternatives aux poursuites
La première véritable alternative a vu le jour en 1970, lorsqu’a été créée l’injonction thérapeutique (loi du 31 décembre 1970), qui permet au procureur d’enjoindre à une personne ayant illégalement consommé des produits stupéfiants de suivre un traitement médical. Plus généralement, le ministère public peut décider, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation de l’opportunité des poursuites (art. 40 du code de procédure pénale), de mettre en œuvre des mesures s’inscrivant dans ce que l’on appelle en France “la troisième voie”, voie médiane entre la poursuite devant une juridiction répressive et le classement sans suite sans réponse, lequel est mal accepté par la société et notamment par les victimes. Ces alternatives sont les suivantes :
– Le rappel à la loi,
– Le classement sous condition, la médiation,
– La réparation pour les mineurs.
Ces mesures alternatives ont été considérablement développées ces dernières années par les parquets et ont été facilitées par le développement du traitement en temps réel des procédures pénales. Le traitement en temps réel repose sur deux principes :
– Toute affaire doit faire l’objet d’un compte-rendu téléphonique immédiat au parquet par le service enquêteur,
– Toute affaire dont il est ainsi rendu compte doit faire l’objet d’un traitement immédiat par le parquet.
Ces modalités de travail ont facilité le développement de la troisième voie, en ce qu’elles ont permis d’accélérer le jugement des affaires pénales et de réduire le nombre de jugements rendus par défaut. 101.341 mesures alternatives ont été mises en place en 1997, chiffre à comparer à celui du nombre de poursuites (602.933). En 1998, ce chiffre a connu une évolution spectaculaire de 32,6 %: 134.367 mesures alternatives ont été prononcées sur un total de 611.312 poursuites.
L’alternative à la détention provisoire : le contrôle judiciaire
Le juge d’instruction chargé d’une information judiciaire peut placer la personne mise en examen sous contrôle judiciaire plutôt qu’en détention provisoire et mettre à la charge de celle-ci différentes obligations tendant notamment à s’assurer de sa représentation en justice. Au titre des diverses obligations susceptibles d’être fixées au mis en examen et prévues à l’article 13 8 du code de procédure pénale :
– S’abstenir d’aller dans certains lieux, de rencontrer certaines personnes, verser un cautionnement,
– Se soumettre à des mesures de soin, etc…
Le contrôle judiciaire est en hausse (24.528 en 1997 pour 22.202 en 1993), conséquence logique de la baisse du nombre de détention provisoire (26.435 en 1997 pour 28.240 en 1993). Il convient de rappeler que le législateur s’efforce depuis 15 ans à rendre plus difficile le placement en détention provisoire (loi du 6 juillet 1989 et loi du 30 décembre 1996), en limitant les cas dans lesquels il peut être décidé (relèvement des seuils de peine encourue, obligation de motivation renforcée au regard de critères plus strictement définis).
Les peines correctionnelles alternatives
Il existe principalement deux sortes de peines alternatives (nous n’évoquerons pas ici l’ajournement et le sursis simple qui constituent cependant aussi des solutions alternatives).
Les peines privatives ou restrictives de droit
Elles sont au nombre de 11 et sont énumérées par l’article 131.6 du code pénal. Elles affectent différents droits : le droit de conduire, de détenir une arme, d’exercer une activité professionnelle ou sociale “dès lors que les facilités que procure cette activité ont été sciemment utilisées pour préparer ou commettre l’infraction”. L’article 131-9 précise que l’emprisonnement ne peut être prononcé cumulativement avec une des peines privatives ou restrictives de droits prévues à l’article 131-6 ni avec la peine de TIG.
On observe d’ailleurs que dans la rédaction du nouveau code pénal, le législateur n’a pas souhaité présenter ces peines comme des alternatives, des peines de remplacement, mais comme de véritables peines à part entière. La circulaire d’application du code pénal du 4 mai 1993 est, à cet égard, explicite : “Le Parlement a souhaité ainsi mettre clairement en évidence que l’emprisonnement ne devait plus être considéré comme la peine de référence mais n’était qu’une peine parmi d’autres, susceptibles, elles aussi, d’être prononcées à titre principal”.
Le travail d’intérêt général
Peine alternative la plus emblématique, le TIG connaît une vitalité certaine. Son instauration et son développement ont contribué à ouvrir la justice pénale sur l’extérieur, en associant les partenaires de l’institution judiciaire à l’exécution d’une sanction, dont le caractère pédagogique et utile est reconnu par tous. Prononcé par un tribunal correctionnel ou un tribunal de police pour les contraventions les plus graves, cette peine, inspirée par les expériences de “community service”, consiste, pour le condamné, à effectuer un travail non rémunéré au profit de la collectivité, pour une durée variant entre 40 et 240 heures, dans un délai de 18 mois au plus. Le code pénal a simplifié, en 1994, les conditions de prononcé et de mise en œuvre du TIG, qui peut être prononcé dans trois cas :
– A titre de peine principale,
– Dans le cadre d’un sursis avec obligation d’accomplir une telle mesure,
– A titre de peine complémentaire pour certains délits ou certaines contraventions.
En 1997, 13 250 TIG ont été prononcés à titre de peine principale, et 12 307 dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve, soit plus de 25 000 mesures.
Le sursis avec mise à l’épreuve
Le sursis avec mise à l’épreuve est une peine intermédiaire entre le sursis et l’emprisonnement ferme. Le condamné se voit fixer différentes obligations, dont le respect sera suivi par les services de probations de l’administration pénitentiaire. Le sursis avec mise à l’épreuve, qui peut être total ou partiel, est prononcé pour une durée maximale de 5 ans, le délai d’épreuve ne pouvant être supérieur à 3 ans. Les obligations sont variées: soins, obligations de travailler, d’indemniser les victimes… Le prononcé d’un sursis avec mise à l’épreuve n’est pas, à l’inverse du sursis simple, conditionné par l’absence de condamnations antérieures à une peine d’emprisonnement.
La peine de suivi socio-judiciaire
Introduite dans notre droit par la loi du 17 juin 1998, la peine de suivi socio-judiciaire, destinée aux délinquants sexuels, consiste dans l’obligation pour le condamné de se soumettre à des mesures de surveillance ou d’assistance, sous le contrôle du juge de l’application des peines, pendant une durée fixée au maximum à 10 ans pour un délit, à 20 ans pour un crime. S’il n’observe pas ces obligations, le condamné est passible d’un emprisonnement dont la durée est fixée au moment du prononcé de la peine et qui est de 2 ans au maximum pour un délit, de 5 ans pour un crime. Les mesures de surveillance, auxquelles peut être adjointe une injonction de soins, sont proches de celles du sursis avec mise à l’épreuve. Cette peine repose sur un suivi médical renforcé. Une fonction de médecin coordonnateur a été créée afin d’assurer une meilleure liaison entre les autorités judiciaires et le milieu médical. Le médecin se trouve délié du secret pour informer le juge du suivi du traitement.
Les alternatives à l’incarcération dans le cadre de l’exécution de la peine
Même lorsqu’une peine d’emprisonnement est prononcée, il existe des possibilités d’aménager cette peine afin d’éviter les effets désocialisant d’une incarcération de trop courte durée, voire parfois d’une détention trop prolongée. On peut citer le mécanisme de l’article D.49-1 du code de procédure pénale, qui prévoit la saisine du juge de l’application des peines avant la mise à exécution des condamnations à une peine égale ou inférieure à un an. Le juge de l’application des peines peut alors décider de mesures d’individualisation, tels que: la semi-liberté (le condamné peut quitter l’établissement pénitentiaire le temps nécessaire à l’exercice des activités ayant motivé la mesure), le fractionnement de la peine.
Le temps d’exécution de la peine peut également être réduit, par le mécanisme des réductions de peines, de la grâce, ou de la libération conditionnelle. Il peut être aménagé par le placement extérieur, ou l’octroi de permissions de sortir. La libération conditionnelle peut être définie comme une libération anticipée du condamné sous condition d’une bonne conduite pendant le temps séparant la date de sa libération de la date d’expiration de la peine.
Elle est prévue aux articles 729 et suivants du code de procédure pénale. Elle est octroyée par le juge de l’application des peines pour une détention inférieure ou égale à 5 ans, et par le Garde des Sceaux pour les condamnés subissant une peine d’une durée supérieure. Pour en bénéficier, le condamné doit avoir accompli au moins la durée de la peine lui restant à subir et présenter des “gages sérieux de réadaptation sociale”. (Pour les réclusions à perpétuité, la libération conditionnelle ne peut intervenir qu’à l’expiration d’un temps d’épreuve de 15 ans).
Le bénéficiaire d’une libération conditionnelle est soumis à un régime de contrôle. Il bénéficie de mesures d’assistance dont le suivi est assuré par le juge de l’application des peines avec l’assistance du service pénitentiaire d’insertion et de probation ( S.P.I.P ). La libération conditionnelle peut être révoquée par le juge de l’application des peines ou par le Garde des Sceaux. Enfin, on peut citer le placement sous surveillance électronique (loi du 19 décembre 1997 – articles 723-7 à 723-14 du code de procédure pénale), prévu dans la loi pour l’exécution des courtes peines d’emprisonnement, mais qui n’est pas encore en vigueur en pratique.
La pratique des alternatives : succès et difficultés rencontrées
Le dispositif législatif apparaît riche et diversifié. Il offre au juge, comme nous avons pu le voir, une gamme de sanctions permettant d’apporter des réponses adaptées, personnalisées et individualisées. Et pourtant, le recours aux peines de substitution connaît encore une limite, puisque celles-ci ne représentent qu’un peu plus de 10 % du total des condamnations prononcées (11, 1 % en 1997). De surcroît, elles paraissent davantage mordre sur le champ de la liberté – en se substituant notamment à la peine d’amende – que sur celui de l’emprisonnement. Le développement des solutions alternatives à l’incarcération nécessite donc que l’on s’attache à les rendre efficaces et crédibles.
L’efficacité des alternatives
Les juridictions ont parfois le sentiment que les sanctions alternatives sont inefficaces, les sursis avec mise à l’épreuve sont peu ou mal suivis par les services de probation, il n’y a pas de retour sur l’accomplissement des TIG, les interdictions sont mal respectées… Ce sentiment n’est pas toujours infondé. Si l’emprisonnement est par définition exécuté de façon autoritaire, l’exécution d’une mesure alternative repose beaucoup sur l’adhésion du condamné, dont la situation personnelle et professionnelle a une influence directe sur la manière dont il pourra accomplir sa peine. L’efficacité des mesures alternatives, condition essentielle pour qu’elles soient prononcées, suppose des modalités de traitement des procédures et d’exécution des peines adaptées à cet objectif
Le traitement des procédures
Pour que des peines alternatives soient prononcées, il importe que la situation personnelle et professionnelle des prévenus soit bien connue du tribunal, et que cette situation n’ait pas changé entre le moment des faits et la comparution de l’intéressé devant la juridiction. Cela implique : – Un audiencement des affaires dans des délais relativement brefs, afin que la sanction ait un sens pour l’intéressé (quel sens peut avoir un TIG prononcé 18 mois après les faits ?), – Le développement des enquêtes de personnalité. Plus que les traditionnelles notices remplies par les services enquêteurs, ces enquêtes, qui sont obligatoires en France pour les majeurs de moins de 21 ans avant toute réquisition de placement en détention provisoire (art. 41 du code de procédure pénale) permettent aux juridictions d’adapter et d’individualiser la sanction.
L’exécution des peines
L’immédiateté, ou en tout cas la rapidité de l’exécution après le prononcé de la sanction, plus encore que l’accélération des poursuites, est de nature à accroître l’efficacité des peines alternatives. Cela implique – De recourir fréquemment à l’exécution provisoire qui permet, avant l’expiration du délai des voies de recours, de mettre en œuvre immédiatement la sanction, – De prévoir les moyens de cette exécution immédiate, en organisant par exemple une permanence du comité de probation et d’assistance aux libérés pour la prise en charge des condamnations à des TIG, des sursis avec mise à l’épreuve, – De mettre en œuvre le plus rapidement possible les dispositions de l’article D.49-1 (saisine du juge de l’application des peines) afin que soient tout de suite examinées les modalités d’exécution de la peine.
La crédibilité des alternatives
La défiance parfois ressentie par les citoyens à l’égard de leur justice tient parfois à ce que les décisions des tribunaux correctionnels sont ressenties comme insuffisamment sévères (la sévérité étant encore mesurée à l’aune de la durée de l’emprisonnement). Or, une politique pénale allant trop à l’encontre des aspirations de la société est à terme vouée à l’échec. Les juridictions s’efforcent donc de développer leur action dans deux directions.
La prise en compte des victimes
Le succès des alternatives aux poursuites (médiation – classement sous condition) et plus précisément de l’ensemble des solutions alternatives (sursis avec mise à l’épreuve – libération conditionnelle) repose sur une bonne prise en compte des intérêts des victimes. Il convient ici de souligner le rôle important joué par les associations de victime, réunies en fédération (CLCJ / INAVEM).
Ces associations interviennent souvent à un double titre, en assurant une aide aux victimes d’infraction et en réalisant, sur mandat du parquet, des médiations ou des classements sous condition. Elles perçoivent des subventions publiques. Les associations sont à cet égard un relais efficace des autorités judiciaires pour expliquer aux victimes le sens d’une réponse judiciaire, et pour leur faire comprendre que, souvent, le recours à une solution alternative rejoint leur intérêt dans la mesure où il facilite leur indemnisation.
Le développement d’une politique de communication en faveur des alternatives
L’autorité judiciaire doit non seulement lutter, par les réponses qu’elle apporte, contre la délinquance et à l’insécurité, mais elle doit également lutter contre la représentation que les gens s’en font. Cela suppose un effort de communication, d’information, qui pèse principalement sur les parquets au plan local. Le développement des actions partenariales avec par exemple le milieu scolaire, les offices de HLM ou des associations de commerçants permet à la Justice de faire comprendre le sens de son action, au parquet le sens de sa politique pénale.
Cette politique de communication permet aussi de susciter au sein de la population un intérêt pour ces mesures et donc de faciliter la collaboration avec les partenaires de l’institution (création de postes de TIG – accueil de mineurs pour des mesures de réparation… . Au-delà cette communication locale, une communication nationale, sur un thème donné, peut permettre de promouvoir les alternatives. Ainsi, la grande manifestation organisée en France au mois de mars 1994 à l’occasion des 10 ans du TIG a permis de redynamiser cette mesure.
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