Dans deux semaines, nous dit-on, le « peuple » de Guinée sera convié à se prononcer sur le projet d’une nouvelle constitution porté par le président Alpha Condé. Or, les énormes contestations populaires auxquelles fait face ce projet et les violences extrêmes qui lui sont consécutives plongent la société guinéenne dans une inquiétante et paralysante situation. Pour une population déjà malmenée par une écrasante précarité et une tyrannie du besoin, cette situation conflictuelle ne représente qu’une pierre de plus dans l’énorme édifice de la misère qui abime tant de vies en Guinée.
De même, on ne voit pas a priori de quelle utilité ce projet d’une nouvelle constitution et les violentes manifestations qu’il suscite seront pour l’édification politique et sociale de la Guinée. Dans un pays où la culture politique souffre d’un déficit démocratique et où les institutions politiques manquent de légitimité, on se demande si l’urgence ne se trouve pas ailleurs, justement dans une interrogation non complaisante sur la construction d’une société comprise comme une communauté d’intérêts.
C’est pourquoi nous, signataires de cet appel, demandons un moratoire sur le projet de la nouvelle constitution et une cessation des manifestations publiques, le temps de se questionner sur les conditions éthiques et politiques de la vie commune. Parce qu’une constitution est le résultat d’une interrogation sur le modèle de société et les formes d’organisation effectives du pouvoir, nous appelons les acteurs politiques, les représentants de la société civile et les intellectuels à conduire une délibération collective sur la fondation politique de la Guinée. Ce serait une première après soixante ans d’indépendance.
Si la fondation politique de la Guinée représente, à nos yeux, l’urgence de l’heure, c’est parce qu’à l’examen de la condition des vies des Guinéens, toutes ethnies confondues, la condition de la société guinéenne est moralement injustifiable et politiquement inacceptable. Ainsi nous, signataires de cet appel, appelons un Devoir de violence, pour reprendre le titre du célèbre roman de Yambo Ouologuem. Celui-ci qui consistera à une remise en question profonde de nos manières de faire la politique et de concevoir l’exercice du pouvoir. Seule cette interrogation sur soi nous permettra de prendre conscience de notre échec moral et politique qui nous permettra de poser les questions que les Guinéens ne se sont jamais posées :
- Comment voulons-nous vivre ensemble ?
- Comment organiser politiquement un pays multiculturel, divisé géographiquement en des régions culturellement distinctes ?
- Quelles conceptions du pouvoir et de l’État seraient à même de consacrer la justice sociale et la représentativité politique des différentes régions culturelles et ethniques qui composent la Guinée ?
- Comment penser la légitimité du pouvoir politique, son organisation et sa redistribution afin de prévenir la domination et la confiscation du pouvoir ?
Toutes ces questions reviennent à penser les conditions sociopolitiques favorables à l’épanouissent de la vie humaine, car s’il est un défi qui attend les Guinéens, ce ne sont pas d’abord le projet d’une nouvelle Constitution ou les élections de 2020, mais l’épanouissement d’une culture humaniste capable de donner sens à l’idée d’intérêt général.
Nous pensons que le président Condé pourrait transformer les tensions actuelles en opportunité historique. Parce qu’il n’a pas trouvé un État mais un pays, comme il aime à le répéter, nous lui demandons de surseoir son projet et d’inviter l’ensemble de la société guinéenne à penser les conditions favorables à l’émergence d’un État qui serait un agent de justice et d’égalité.
Crédit photo : Dakar actu
Signatures :
Barry, Amadou Sadjo, professeur de philosophie, Canada.
Diallo, Abdourahamane, Adra, Chercheur au CDPIAC/Toulouse France
KLamo, Léandre, Côte d’ivoire
Diallo, Alpha Oumar, Ingénieur des mines la Rochelle, France
Milliminou, Joachim Baba, Guinée
Cissé, Oumar, France
Barry, Tafsiratou, Maroc
Diallo, Mamadou Sadjo, Mauritannie
Touré, Jacques, Enseignant, Canada
Bah, Mohamed, États-Unis
Kanté, Nakany, Assistante de direction Toulouse, France
Cissé, Mohamed Lamine, informaticien, Grenoble, France
Jalloh, Mohamed, Belgique
Condé, Barka Mohamed, Guinée
Barry, Amad, Maroc
Barry, Thierno, Canada
Camara, Baba Camus, Sociologue, Toulouse
Sylla, Mamady, Agent de promotion culturelle, Marseille, France
Barry, Thierno Amadou Foula
Bah, Mamadou Falilou, Économiste, Toulouse, France
Bah, Mamadou Lamarana, gestionnaire de projet Toulouse France
Diallo, Abdourahamane, juriste d’affaire Toulouse, France
Diallo, Fatima, Infirmière, Canada
Diallo, Kadiatou, Analyste en Audit et Certification, Deloitte, Canada.
Keita, Abdoulaye, Juriste, Grenoble, France
Diallo, Chérif Boubacar, Royaume-Unis
Sow, Thierno Sadou, France
Touré, Amara, ingénieur génie informatique, France
Baldé, Hawa, banquière, France,
Diallo, Marliatou, Ulis, France
Bah, Mariama Diouldé, Canada
Kanté, Kaba, finance, France,
Barry, Mohamed, Global public et Private procurement specialist, Belgique
Diallo, Mamadou Saliou, Développeur Logiciel, Canada
Diallo, Lamine, Ingénieur Civil, Canada