Brice Dier Koue
Les frontières ne sont que fictives, la réalité est que les populations africaines restent fortement liées par le biais de la culture. Si le trait d’union entre les peuples est parfois la danse ou le dialecte (wolof pour la Gambie, le Sénégal et la Mauritanie), d’autres éléments constituent aussi le cordon ombilical entre les peuples. En guise d’exemple : le thé vert.
Les interactions sociales occupent une place importante dans le vécu de l’Homme africain, et elles vivent à travers des mécanismes qui existent depuis fort longtemps. C’est dans ce contexte qu’existent par exemple au Sénégal, les « grands places », ces lieux où se regroupent les jeunes entre eux et les vieux entre eux pour des discussions/débats sur tous les sujets de la vie quotidienne. Ils s’y retrouvent lors des pauses rythmant les travaux champêtres et/ou de bureau.
Ces espaces qui permettent aux jeunes d’oublier l’oisiveté causée par le chômage ou les vacances sont également des sphères de socialisation où l’apprentissage par les pairs prend tout son sens. Les jeunes se regroupent entre eux pour discuter des sujets qui les intéressent, les femmes échangent astuces et procédés et discutent de la famille alors que les hommes échangent sur leurs activités, jouent et se racontent leurs exploits et mésaventures.
C’est au cours de ces échanges au niveau des « grands places » que tous les sujets importants de la communauté sont discutés, et la plupart des problèmes résolus. Ils s’articulent tous autour d’un élément incontournable : le thé ou « ataya » en wolof. Cette boisson occupe la même place dans le quotidien des mauritaniens pour qui les journées sans thé semblent moroses.
Au-delà du caractère ludique et savoureux du thé, il constitue un véritable élément de brassage culturel entre les peuples sénégalais et mauritaniens.
La boisson est servie en trois séquences, communément appelées « trois normaux » : « Lewël » (tiré de l’arabe al awal), « deuxième » et « troisième ». Un adage mauritanien dit à ce propos : « Le premier thé est amer comme la mort, le deuxième est fort comme la vie et le troisième est sucré comme l’amour ». Cela illustre la spécificité de chaque séquence car, le premier verre est d’habitude moins sucré et plus corsé.
Le thé est plus doux et plus sucré lors du deuxième et du troisième service. Certains, plus amateurs que d’autres au Sénégal, ne se limitent pas aux trois verres conventionnels. Ils en arrivent au « tarkhiss » (glisser en wolof) c’est-à-dire vont jusqu’à un quatrième, voire un cinquième service en fonction du temps restant aux uns et aux autres pour le regroupement ou simplement en fonction des envies.
Le thé vert découle de l’importation
En Mauritanie et au Sénégal, le thé vert est consommé en très grande quantité. Cela peut laisser croire qu’il existe une forte production locale. Pourtant, la réalité est tout autre. Le thé est importé principalement de pays asiatiques, plus précisément de la Chine. Il y a donc, une situation de dépendance vis-à-vis de ce produit, cela n’empêche pas qu’il constitue un véritable élément de cohésion sociale en Mauritanie et au Sénégal.
Le thé, un élément de cohésion sociale
Au-delà du caractère ludique et savoureux du thé, il constitue un véritable élément de brassage culturel entre les peuples sénégalais et mauritaniens. Il participe à la « téranga » (hospitalité) qui est une valeur commune aux deux pays. A la réception d’un invité, il est de coutume au Sénégal et en Mauritanie de proposer un plat copieux à l’hôte, puis de lui servir du thé pour « faciliter la digestion ». C’est autour du thé que Mauritaniens et Sénégalais se retrouvent le mieux. Ils discutent, réglent leurs différends et font mieux connaissance autour de cette boisson qu’ils affectionnent tous.
Au-delà de l’interaction sociale, les séances de « ataya » sont de véritables moments de solidarité.
Au Sénégal comme en Mauritanie, les réunions de famille, les regroupements et les différentes festivités sont animés par la distribution des verres de thé aux amateurs présents pour l’occasion. C’est un fort moment de convivialité et de partage.
Au-delà de l’interaction sociale, les séances de « ataya » sont de véritables moments de solidarité. Il n’est pas onéreux mais, la plupart du temps, les gens qui se retrouvent autour de ce « rite » participent tous d’une manière ou d’une autre. Ils contribuent soit pour l’achat des ingrédients, soit pour la préparation du thé, ou encore par leur simple présence durant cette préparation. Ce partage démontre que chacun est utile d’une manière ou d’une autre.
Le thé, un élément culturel à conserver
Il est important de souligner qu’en Afrique, la plupart des actes ont une portée symbolique. Nous devons vivre et entretenir cet imaginaire social qui fait notre humanité. Bien de décisions ont été prises autour du thé, bien de conflits minimes ont été évités autour du thé. Il est un élément culturel liant fortement les populations sénégalaises et mauritaniennes en interne et entre elles. Cette pratique doit être conservée afin de promouvoir davantage les interactions sociales qui font la force de nos peuples à tradition typiquement orale.
Photo: http://fr.cctv.com
Diplômé en Management des Ressources Humaines, Brice Dier KOUE est passionné de sciences politiques et de lecture. Il est stagiaire au sein de WATHI
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L’article est très intéressant .Je pense que personne ne pourrait dire mieux que toi sur ce sujet, qui ne suscite pas souvent beaucoup de réflexions.
Tu as un peu fait une révolution de la maniere dont on concevait le thé. Loin d’être un simple passe-temps,il est, selon tes développements, est source de paix sociale et de mariage entre le Sénégal et la Mauritanie.