Pourquoi le Bénin étonne-t-il autant?
Godefroy Macaire Chabi
Il y a dans ce pays quelque chose d’étonnant. Chercher à en percer le fond n’est pas impossible mais pas forcément facile non plus. Ou du moins, les pistes de réponses qui s’offriront aux curieux qui s’y frotteraient pourraient être bien loin de la réalité apparente ou des trivialités souvent avancées.
Beaucoup de personnes ont dû probablement se poser encore une kyrielle de questions après le palpitant dénouement de la dernière présidentielle au Bénin. Des comparaisons ont sans doute été faites avec d’autres pays où des consultations similaires se sont moins bien passées dans la même période.
Depuis plus de 25 ans, 26 ans plus précisément, le Bénin est particulièrement suivi par ses voisins africains et le reste du monde. Ceci démontre l’importance de la proximité comme baromètre ou étalon pour jauger l’espoir démocratique encore en déliquescence dans de nombreux contextes africains. En d’autres termes, les succès et les échecs du Bénin pouvaient servir de viatique ou d’indication dans d’autres pays au point de nourrir l’espoir que le renouveau est possible.
Le Bénin étonne. Sa vie politique a été jusque-là marquée par des soubresauts de tous genres, au point de provoquer doute et espoir chez ses voisins. Comment ne pas rappeler qu’en moins de trois décennies, deux menaces potentielles de révision de la constitution ont été agitées puis maîtrisées. Plusieurs tentatives de coups d’État ont également été évoquées depuis que le vent du renouveau démocratique souffle dans ce pays sans qu’on en ait les preuves. Certains faits obscurs tels que des disparitions d’acteurs politiques ont assombri le décor. A cela s’ajoute la corruption pathologique de l’appareil administratif et politique qui a fortement parasité tout le système et a risqué de mettre à mal la stabilité sociale. Mais le Bénin tient toujours debout. Surprenant!
Qu’est-ce qui peut bien expliquer qu’à chaque fois que tout semble s’écrouler ou vaciller et que les risques d’un éclatement apparaissent, ce pays évite le pire? Du moins en apparence.
C’est la société, idiot! Ce n’est pas le génie
Avant toute tentative de compréhension, il pourrait être nécessaire de sortir de la position cultuelle longtemps évoquée d’un génie béninois qui le différencierait des autres peuples africains. Il le placerait même au-dessus dans sa capacité à rechercher des solutions. S’interdire de décomposer une telle idée pourrait pousser à bâtir dans les esprits deux entités: l’une, faite de peuples ingénieux et l’autre, celle des sociétés dénuées d’inspiration.
La particularité du Bénin est en partie liée au fort enracinement sociologique auquel ses habitants sont attachés et qui « oblige » les acteurs sociaux à se montrer prudents et à éviter toute situation de chaos.
Le Bénin, dans ce scénario appartiendrait au premier groupe car il regorge de personnes intelligentes (ce qui n’est pas faux) ayant des solutions à tout. Elles sont dotées d’un sens de la profondeur hors du commun et d’une capacité d’analyse et de discernement que les autres peuples peuvent à peine imaginer. Il est vrai que dans ce qui caractérise ce pays, il y a forcément les éléments précités comme participant à la compréhension du phénomène. Seulement, ces complémentarités ne sont pas uniquement le résultat d’un quelconque génie distinctif.
La particularité du Bénin est en partie liée au fort enracinement sociologique auquel ses habitants sont attachés et qui « oblige » les acteurs sociaux à se montrer prudents et à éviter toute situation de chaos. Nul ne veut se faire étiqueter comme celui par qui le mal est advenu. Ce constat transversal est valable en politique comme dans tous autres secteurs au Bénin. Les mères déconseillent ainsi constamment à leurs enfants de se rendre sur les lieux de manifestation publique.
Plusieurs jeunes racontent qu’ils s’interdisent de participer à des scènes belliqueuses en pensant à ces conseils. C’est surtout un réflexe qui s’explique par une multitude de facteurs dictée par la nature des interactions sociales elles-mêmes, lesquelles sont conservées et transmises dans une logique intergénérationnelle pure. La permanence d’une telle réalité dépasse alors les seules velléités des individus et provoque un effet de contagion sociale qui envahit toutes les couches.
En 2011, les discours irrédentistes tenus par l’opposition politique à la suite de la proclamation des résultats du premier et unique tour de la présidentielle donnant la victoire à Yayi Boni ont laissé croire à chacun que le pays allait à la dérive. Mais les nuages se sont rapidement dissipés dans le ciel du « jusqu’au-boutisme » de bien des acteurs politiques. Il y a quelques semaines encore, la présidentielle de 2016 était perçue comme celle de tous les dangers au regard des enjeux et surtout des figures et forces en présence.
Aucune élection présidentielle au Bénin n’est réellement calme et se déroule comme une simple formalité. Chaque consultation génère une montée d’adrénaline. On serait proche de la réalité en constatant qu’à chaque fois, ce qui est déterminant, voire décisif, pour repousser le chaos n’a rien d’ingénieux, d’exceptionnel ou de construit.
Le fait que le Bénin, connu sous le nom de Dahomey sous la colonisation, ait pu à un moment de son histoire bénéficier du somptueux voire pompeux titre de « quartier latin de l’Afrique » en raison de l’intellectualisme de ses fils n’explique absolument rien dans cette trajectoire, comme plusieurs personnes peuvent être tentées de le faire croire. Trouver les signes du passé dans le présent est la confusion à éviter à tout prix.
Pourtant une certaine facilité a souvent conduit à expliquer les succès du pays par la justesse présumée de ce sobriquet. Les zélateurs de cette appellation en arrivent parfois à oublier que c’est moins le nom qui entraîne les résultats mais l’attitude. D’ailleurs, à quelques exceptions près, le titre de « quartier latin de l’Afrique » n’a pas forcément permis au pays de faire des pas qualitatifs dans son évolution.
À l’analyse, force est d’observer que si le génie humain permettait d’éviter le pire, les première et seconde guerres mondiales ne se seraient probablement pas produites. Le même génie aurait sans doute permis aux gens intelligents et surdoués d’éviter le génocide au Rwanda et plus loin en Arménie. Il est aussi évident que le même génie qui pousse à concevoir des armes sophistiquées aurait permis de s’en abstenir pour le bien de l’humanité. Les personnes à l’origine de ces situations avaient bien du génie. Il existe des exemples à l’infini. La préservation de la culture, de la paix et du dialogue nécessite bien plus que le génie et met en lumière des contingences sociales parfois insaisissables, aux interconnexions inextricables mais déterminantes. Les saisir est fondamental et très bénéfique pour le maintien de l’équilibre socio-politique.
On ne le dira jamais assez. La pierre angulaire d’un État démocratique est aussi la qualité de l’éducation de ses citoyens.
L’exercice du jeu politique au Bénin s’appuie sur l’état d’âme de la société dans son quotidien. Les options des principaux acteurs et animateurs vont-elles s’appuyer constamment sur l’émotion et les sentiments des citoyens? C’est peut être aussi à cause de cette proximité aveugle entre ces différents champs que la politique manque encore de profondeur dans ce pays. Autrement dit, elle ne s’autorise pas un vrai recul et un véritable questionnement sur les solutions qu’elle offre, se contentant juste d’un contact social dans une démarche relativement populiste. À quelque chose malheur est bon. C’est probablement aussi pour les mêmes raisons qu’il y a une telle sensibilité de la classe politique béninoise aux aspirations de quiétude du peuple.
Attention à ne penser qu’à la quiétude
Sauf qu’à vouloir uniquement être attentifs aux seules préoccupations de paix des populations, les politiciens ont aussi démontré leur incapacité à les écouter sur d’autres enjeux qui leur tiennent tout autant à cœur. Des enjeux aussi basiques que ceux liés à leur subsistance par exemple. Il est ainsi à redouter qu’un mauvais règlement de la dernière préoccupation compromette continuellement les chances de garantir la quiétude tant souhaitée.
De nombreux exemples illustrent cette réalité dans l’histoire ancienne et contemporaine. C’est pourquoi le contrat social entre l’élite et la base doit être redéfini pour intégrer des éléments qui contribuent à élever le niveau de satisfaction des populations. Ce contrat doit cesser d’être uniquement une donnée incontournable dans la circulation des pensées politiques, et entrer dans le concret en commençant par soutenir la volonté d’autoréalisation du peuple.
La tolérance de la diversité des points de vue, socle important de la construction des étapes du développement à tous égards et de la facilitation du vivre ensemble représente encore un grand défi.
On ne le dira jamais assez. La pierre angulaire d’un État démocratique est aussi la qualité de l’éducation de ses citoyens. Nous ne réduisons pas ici l’éducation à l’instruction. Si le Bénin espère encore améliorer son image, il pourrait être bénéfique de mobiliser les populations sur cette prise de conscience du primat de l’éducation. Des progrès capitalisés dans cette voie peuvent forcément aider le pays à se donner des occasions d’enracinement de la culture démocratique tout en expurgeant du débat des discours paralysants et parfois grotesques qui peuvent représenter des facteurs de dérives et de risques.
La tolérance de la diversité des points de vue, socle important de la construction des étapes du développement à tous égards et de la facilitation du vivre ensemble représente encore un grand défi. La preuve de sa fragilité a été démontrée à la faveur des débats, des nombreuses excitations et écarts de langage entourant la dernière élection présidentielle aussi bien dans les réseaux sociaux que dans la rue. La réalité rappelle que pour conserver des acquis encore fragiles, il y a nécessité d’éviter de pousser le cochonnet trop loin pour maintenir le jeu dans ses limites autorisées. C’est uniquement de cette façon que le Bénin continuera d’étonner.
Photo: http://www.lemonde.fr
Godefroy Macaire Chabi est journaliste. Actuellement à Radio-Canada, il a d’abord travaillé au Bénin. Son expérience internationale en matière de journalisme l’a amené à collaborer, entre autres, dans divers médias comme la BBC Afrique et la Deutsche Welle. Ses centres d’intérêts englobent, sans être exclusifs, la science, les nouvelles technologies, le développement durable et les sujets d’actualité. Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas celles de Radio-Canada.