Document de travail du rapport état de la migration dans le monde 2013
Une étude pour le compte de l’OIM
Auteurs : Geertrui Lanneau et Alexia Scarlett
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Contexte général de la migration en Afrique de l’Ouest
Tout au long de son histoire, l’Afrique a connu de nombreux mouvements migratoires, les uns forcés, les autres volontaires, lesquels ayant ainsi contribué à façonner le paysage démographique actuel du continent. En 2010, le Département des Affaires Economiques et Sociales des Nations Unies (DAES-ONU) estimait à 214 millions le nombre de migrants internationaux dans le monde, soit 3,1 % de la population mondiale (DAES-ONU, 2011)3. Toujours selon les mêmes sources, on compte 30 millions de migrants originaires d’Afrique, soit 14 % de la population totale de migrants internationaux. Les flux migratoires intra-régionaux y seraient également importants et liés à l’emploi (OIM, 2011).
Toujours selon les mêmes sources, on compte 30 millions de migrants originaires d’Afrique, soit 14 % de la population totale de migrants internationaux.
Concernant la région d’Afrique de l’Ouest, les mouvements migratoires s’effectuent majoritairement au sein de la région et non vers l’extérieur. Selon les calculs réalisés à partir des recensements de la population, la région abriterait 7,5 millions de migrants originaires pour la plupart d’un autre pays ouest ou centre africain, soit près de 3 % de la population régionale (OIM, 2011). Ces migrations intra-régionales continuent de prédominer en raison de l’existence de cadres légaux favorisant la libre circulation des personnes (Union Économique et Monétaire Ouest-africaine (UEMOA), Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), etc.), de la proximité culturelle, linguistique, voire ethnique des populations frontalières mais également du fait du durcissement des politiques migratoires dans les pays développés et notamment l’espace Schengen.
Le bien-être des migrants en Afrique de l’Ouest : étude de cas de quatre pays d’accueil dans la région
Dans la partie qui suit, nous examinerons différents aspects liés au bien-être des migrants dans quatre pays qui constituent des pays de destination importants dans la région: la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria et le Sénégal. Chaque étude de cas permettra de porter l’attention sur une composante bien précise du bien-être des migrants.
Les effets des crises politiques sur les communautés de migrants : l’exemple de la Côte d’Ivoire
Dès le lendemain de son indépendance, la Côte d’Ivoire a adopté une politique d’ouverture avec une valorisation de la main d’œuvre étrangère. Cette politique d’ouverture, libérale et hospitalière a été entérinée dans des accords de libre circulation et d’échanges économiques, notamment dans le cadre de la CEDEAO. Plusieurs nationalités se sont retrouvées dans le pays, à savoir des burkinabés, des guinéens, des libériens mais aussi des ressortissants européens et libanais. Cette population étrangère était majoritairement installée à la campagne et souvent implantée depuis plus d’une génération dans le pays.
L’intégration sociale était moins évidente que l’intégration économique et c’est notamment le concept « d’ivoirité », accentuant la distinction entre les étrangers et les natifs, qui a été à l’aune de la crise politique de 2002. A partir des années 1995, ce débat sur la nationalité trouva écho dans la population et entérina la séparation entre le sud et le nord du pays. La crise économique de l’époque cristallisa également les hostilités vis-à-vis des étrangers, qui furent alors considérés par les nationaux comme la cause de leur précarité et chômage.
La Côte d’Ivoire, qui dès son indépendance avait opté pour une politique migratoire ouverte, s’est retrouvée dès les années 2000 jusqu’en 2010 dans une crise cyclique sur fond de nationalisme et d’ivoirité. Les migrants ont été très affectés de la situation du pays du point de vue économique mais aussi social par le rejet de leur appartenance à la patrie.
En 2010 la Côte d’Ivoire a traversé une nouvelle crise avec les élections présidentielles dont l’issue sera favorable au président actuel de la République de Côte d’Ivoire (M. Alassane Ouattara). Bien que les répercussions économiques et sociales soient plus qu’évidentes, il n’existe quasiment pas d’études sur la situation des migrants et les effets de cette crise sur ces derniers.
La Côte d’Ivoire, qui dès son indépendance avait opté pour une politique migratoire ouverte, s’est retrouvée dès les années 2000 jusqu’en 2010 dans une crise cyclique sur fond de nationalisme et d’ivoirité. Les migrants ont été très affectés de la situation du pays du point de vue économique mais aussi social par le rejet de leur appartenance à la patrie. La situation de ces migrants, si elle est diverse après la crise de 2002 selon les pays d’origine, reste difficilement définissable après la crise de 2010.
L’intégration des migrants au Ghana : la vie précaire des immigrants dans les zones urbaines
Au Ghana, la question du bien-être est étroitement liée à l’intégration sociale. Pour mettre en exergue ce fait, nous allons essentiellement nous intéresser à la question de l’intégration sociale des immigrants dans les zones urbaines.
La littérature sur la vie sociale des immigrés dans les villes urbaines au Ghana montre que les migrants ruraux ne font pas usage de la notion d’amitié comme moyen d’intégration sociale dans les villes (Meier, 2005), les villes d’Accra et de Tema en constituent de parfaites illustrations. De nombreux migrants hésitent en effet à initier et encourager des relations d’amitié avec d’autres migrants de même origine ethnique par crainte de mauvaise réputation. C’est pourquoi, dans les cas où l’amitié se forge, beaucoup choisissent leurs amis parmi des groupes distincts et de préférence ceux d’origines ethniques différentes.
Le cas du Ghana présenté ici confirme bien la difficulté que les immigrants ont à s’intégrer dans la société locale. Ceci va créer deux situations distinctes; soit les migrants se rejettent mutuellement afin de d’avoir une chance d’être acceptés par la société d’accueil, soit ils s’isolent pour former une communauté souvent stigmatisée dans des bidonvilles.
Si l’intégration est un échec, cela peut pousser les immigrants à retourner vers leurs pays d’origine. En outre, le ressentiment et l’opposition peuvent contraindre les immigrants à rechercher ou à créer des enclaves, des ghettos, qui à leur tour facilitent la discrimination à leur égard. Les habitants des bidonvilles comprennent trois groupes principaux: les pauvres peu éduqués, les femmes et les immigrants. Les habitants des bidonvilles sont exclus du « droit de vote, le droit d’entrer et de profiter de tous les quartiers de la ville, le droit d’utiliser les équipements sociaux et culturels et les lieux, le droit d’accéder aux services de base, et divers autres droits qui permettent efficacement de limiter leur pleine jouissance du droit à la ville » (ONU-Habitat, 2010).
Le cas du Ghana présenté ici confirme bien la difficulté que les immigrants ont à s’intégrer dans la société locale. Ceci va créer deux situations distinctes; soit les migrants se rejettent mutuellement afin de d’avoir une chance d’être acceptés par la société d’accueil, soit ils s’isolent pour former une communauté souvent stigmatisée dans des bidonvilles. Il y a donc un besoin urgent de prise en charge par les autorités de l’aspect social de la migration.
Les effets des attentats de Boko Haram sur les immigrés au Nigéria
Le Nigeria est l’un des principaux pays d’accueil de la région CEDEAO et le stock d’immigrants augmente de manière constante chaque année. Les vagues d’immigration concernent autant les femmes que les hommes et pour la plupart le principal moteur de cette migration reste économique. Le cas du Nigeria est intéressant dans la mesure où il est illustratif des retombées qu’ont eues les attentats du groupe Boko Haram en termes d’expulsions.
Les crises engendrées par Boko Haram ont permis de justifier en partie les expulsions effectuées par le gouvernement. L’insécurité est le principal motif évoqué dans le cadre de ces expulsions, alors que les migrants sont vus comme des risques potentiels pour la tranquillité du pays.
Le cas du Nigeria révèle plusieurs facteurs qui affectent le bien-être des migrants. Les crises engendrées par Boko Haram ont permis de justifier en partie les expulsions effectuées par le gouvernement. L’insécurité est le principal motif évoqué dans le cadre de ces expulsions, alors que les migrants sont vus comme des risques potentiels pour la tranquillité du pays. Enfin, notons toutefois que la précarité de la situation des migrants au Nigeria a eu pour seul effet positif une entraide effective entre migrants. Le président de l’association des congolais de RDC affirme dans un témoignage qu’il fait le tour des commissariats de Lagos pour libérer des compatriotes parfois arrêtés arbitrairement par la police pour motif de situation irrégulière. Cette situation a créé une solidarité très forte entre les communautés de migrants, et ceux qui sont en difficulté au Nigeria apprécient de retrouver des compatriotes.
Le Sénégal : La situation des migrants de retour
Le Sénégal comprend une importante part de migrants de retour, qu’il soit volontaire ou forcé. Les migrations de retour de sénégalais ont toujours existé mais n’ont pas été suffisamment documentées. Dans le cas du Sénégal, la migration de retour forcé ne présente pas les mêmes perspectives que la migration de retour volontaire.
L’État dispose d’un service opérationnel spécialisé dans le rapatriement des Sénégalais de l’extérieur : il s’agit d’un comité d’aide et d’assistance aux réfugiés et rapatriés logé à la Présidence de la République et présidé par le Chef d’état-major particulier du Chef de l’État. Ce dernier, à plusieurs occasions, a mis à contribution des moyens subséquents pour le rapatriement de Sénégalais. Concernant l’organisation du retour et la réinsertion socioéconomique des travailleurs migrants sénégalais et des membres de leurs familles, le Ministère des Sénégalais de l’extérieur – conformément à sa lettre de mission – est habilité, en collaboration avec tous les départements et services techniques de l’État, à créer les conditions favorables à ce retour. Ainsi, la création et le renforcement d’un Ministère des Sénégalais de l’extérieur est un pas très important dans la mise en œuvre d’une politique d’organisation des émigrés pour leur meilleure contribution au développement du pays, leur protection et leur gestion dans le cadre d’un retour régulier et d’une réintégration réussie.
Ainsi, la création et le renforcement d’un Ministère des Sénégalais de l’extérieur est un pas très important dans la mise en œuvre d’une politique d’organisation des émigrés pour leur meilleure contribution au développement du pays, leur protection et leur gestion dans le cadre d’un retour régulier et d’une réintégration réussie.
Concernant les retours assistés, le Sénégal figure en 2009 en bonne place parmi les pays bénéficiaires des projets de réinsertion financés par la France dans le cadre du programme co-développement. On signale à ce titre 592 projets développés la même année en faveur de ressortissants de divers pays dont 53 ont été implantés au Sénégal. La plupart des politiques visant à encourager le retour des migrants sont préoccupées par le souci de promouvoir la durabilité de cette décision et de limiter ainsi les velléités de ré-émigration. Ce défi conduit en conséquence à envisager des programmes d’accompagnement et de soutien aux initiatives des candidats au retour, notamment à travers le soutien à la réintégration socioprofessionnelle et l’éducation financière, entre autres des stratégies destinées à promouvoir une réinsertion réussie. La gestion de ce volet de la migration nécessite le plus souvent d’être inscrite dans des approches globales à travers des actions programmatiques impliquant – en plus des partenaires au développement et des porteurs de projets de réinsertion – les administrations sectorielles, les organisations de la société civile et, de plus en plus, le secteur privé.
Conclusions et recommandations
La situation des immigrés dans les pays d’Afrique de l’Ouest est quelque peu mal renseignée. Les études et les données statistiques sur les immigrés dans la région sont parcellaires, voire pour certains pays quasi-inexistantes. Cet état de fait résulte en grande partie de l’inexistence, tant de mécanismes institutionnels en charge de l’examen des questions relatives à l’intégration des immigrés, que de programmes et projets spécifiquement dédiés à cette cible.
Par ailleurs les peu de données disponibles indiquent que la situation des immigrés, globalement, n’est pas entièrement satisfaisante. Majoritairement peu instruits et clandestins, les immigrés ont un accès limité à des emplois qualifiés et rémunérateurs. Si les cas de réussite individuelle ne sont pas rares, en particulier dans l’artisanat ou la restauration (cas des immigrés sénégalais en Côte d’Ivoire) ou encore les activités de pointe pour les plus qualifiés, il n’en demeure pas moins que la majorité des immigrés d’Afrique de l’Ouest ont des conditions de vie globalement peu satisfaisantes tel que l’illustre l’exemple du Ghana. En effet, au même titre que les populations qui les accueillent, les immigrés sont en butte au chômage, au sous-emploi, et connaissent des difficultés significatives d’accès aux services sociaux de base (éducation, santé, logement, eau, assainissement, etc.).
Ce constat suggère que la question de la mise en conformité des normes législatives et réglementaires des pays de la région aux normes régionales et internationales en vigueur, et leur application effective – tout comme celle relative à la mise en œuvre de programmes et projets spécifiquement destinés à lever les contraintes qui restreignent l’accès des immigrés à de meilleures conditions de vie dans les pays d’accueil – doivent être posées. Toutefois, ces mesures impliquent au préalable que des études destinées à améliorer les connaissances.