Oswald Padonou
Les députés burkinabè ont beau avoir adopté à l’unanimité des 122 parlementaires présents ou représentés sur les 127 que compte l’Assemblée nationale, la loi portant institution de Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) le jeudi 23 janvier 2020, il est improbable que le corps de Volontaires civils qui sera levé et formé en 14 jours puisse parvenir à changer la donne sécuritaire et à rétablir la paix au pays des Hommes intègres.
Depuis 2016 où le Burkina Faso est en proie à l’intensification des activités criminelles des Groupes armés terroristes (GAT), les solutions pensées et mises en œuvre en termes de mobilisation des effectifs, sont passées du déni de la menace à l’accroissement des groupes d’auto-défense. Les fameux Koglweogo, ces «gardiens de la forêt» en langue mooré, se sont consolidés à partir de la volonté de combattre cette « insécurité institutionnalisée » et ont prospéré dans un contexte de faible maillage du territoire et d’incapacité structurelle des forces de défense et de sécurité.
Ces solutions pensées en périphérie de l’État et de ses institutions ne produisent qu’invariablement le même résultat. Une insécurité en progression. Des morts et des invalides qui se comptent par milliers, des réfugiés et déplacés en désarroi, une population en sursis et une armée sursollicitée et au bout du rouleau. Dans ce contexte, les VDP constituent davantage une offre politique à la demande et au besoin de changement de cap face à un sentiment d’immobilisme généralisé des pouvoirs publics, partagé par une bonne frange de la population.
Les fameux Koglweogo, ces «gardiens de la forêt» en langue mooré, se sont consolidés à partir de la volonté de combattre cette « insécurité institutionnalisée » et ont prospéré dans un contexte de faible maillage du territoire et d’incapacité structurelle des forces de défense et de sécurité.
Sauf que logiquement, là où les forces de défense et de sécurité peinent à faire face au rouleau compresseur des djihadistes et autres bandes criminelles, ce ne sont pas les volontaires civils qui peuvent faire la différence. Et, sur le plan opérationnel, les rivalités préjudiciables ne sont pas à exclure avec les Koglweogo qui bénéficient d’un ancrage certain, notamment dans les zones rurales mais d’une légitimité variable.
Le seul «avantage» du modèle adopté par le Burkina Faso semble être le coût financier de l’initiative qui est tout à fait maîtrisé, puisque ces Volontaires ne sont pas rémunérés durant la période de mise en œuvre du contrat signé avec l’État. En dehors des coûts de formation et d’équipements, la loi ne prévoit que leurs indemnités de démobilisation et une assistance financière à leurs familles en cas de décès dans l’exercice de leurs responsabilités.
Ces solutions pensées en périphérie de l’État et de ses institutions ne produisent qu’invariablement le même résultat. Une insécurité en progression. Des morts et des invalides qui se comptent par milliers, des réfugiés et déplacés en désarroi, une population en sursis et une armée sursollicitée et au bout du rouleau
Pourtant dans d’autres pays, des modèles d’auxiliaires de sécurité ont fait leurs preuves et auraient pu inspirer le gouvernement et le législateur burkinabè. Le Sénégal fait, avec succès, l’expérience de la sécurité de proximité avec 10.000 jeunes non armés, recrutés dans leurs communautés, payés, soignés, accompagnés dans leurs projets d’insertion professionnelle post-engagement, et qui représentent de solides relais du service public de la sécurité en étant de précieux atouts pour la police et la gendarmerie nationales.
Outre ce modèle de service civique à double vocation : prestations de service de sécurité de proximité et amélioration de l’employabilité des jeunes, des expériences de réserve opérationnelle ont également fait leurs preuves ailleurs et méritent d’être explorées et adaptées aux enjeux actuels au Sahel, car les réponses qui doivent être apportées aux défis doivent être principalement des réponses structurelles.
Il est donc temps que les pays de l’Afrique de l’Ouest pensent à se doter de réserves opérationnelles et à rétablir le service militaire, plus coûteux certes, mais bien plus efficaces pour contenir la menace et prévenir l’affaissement de l’État. L’Égypte, première puissance militaire du continent, en dispose. De même que l’Algérie, le Maroc et l’Afrique du Sud.
Le Sénégal fait, avec succès, l’expérience de la sécurité de proximité avec 10.000 jeunes non armés, recrutés dans leurs communautés, payés, soignés, accompagnés dans leurs projets d’insertion professionnelle post-engagement
Même la France dont s’inspirent certains de ces États, en dispose et a même créé une garde nationale, qui contrairement au Mali, au Niger et au Bénin qui s’en dotera prochainement avec le nouveau statut des forces armées en étude au parlement, est uniquement constituée de réservistes de la défense et de la sécurité intérieure qui viennent en appui régulier et encadré aux forces armées et de sécurité publique et directement à la population suivant les situations.
La réserve opérationnelle présente de nombreux avantages. En général, elle est constituée de jeunes volontaires, d’anciens militaires engagés ou de carrière. Dans certains pays ayant encore recours à la conscription, on distingue alors un service militaire actif et un service de réserve, avec des périodes de passage de jeunes «sous le drapeau» ainsi que des périodes régulières d’intégration des réservistes à l’armée d’active.
Les réservistes sont donc aussi bien formés que les militaires d’active dans les domaines où ils sont employés et sont susceptibles d’être mobilisés sur court préavis, pour le fonctionnement des armées et de la police ainsi que les opérations y compris extérieures, notamment celles qui se déroulent en ce moment même au Sahel. La réserve est donc un réservoir d’effectifs et de compétences et elle constitue un élément essentiel du lien Armée-Nation, comme c’est le cas en Allemagne par exemple.
Il est donc temps que les pays de l’Afrique de l’Ouest pensent à se doter de réserves opérationnelles et à rétablir le service militaire, plus coûteux certes, mais bien plus efficaces pour contenir la menace et prévenir l’affaissement de l’État
En Amérique du Nord, les réserves sont une composante à part entière des forces armées dont elles représentent une partie importante. Aux États-Unis, elles représentent 39% de l’ensemble des forces armées et au Canada, on compte presque autant de réservistes opérationnels que de militaires d’active dans l’armée de terre.
Pourquoi donc réinventer la roue ? Pourquoi, au Burkina Faso et dans d’autres États d’Afrique subsaharienne, ne pas s’inspirer de ce qui marche ailleurs et qui peut être adapté au contexte local et aux moyens disponibles au lieu de continuer à développer des pseudos-capacités de réponse en périphérie des institutions, en marge des forces nationales et en perpétuation des logiques informelles qui font tant de mal à nos sociétés? Pourquoi ?
Crédit photo : Humanite
Docteur en Science politique et président de l’Association béninoise d’études stratégiques et de sécurité (ABESS), Oswald Padonou est enseignant-chercheur en relations internationales, études stratégiques, politiques de défense et de sécurité. Il est spécialiste de l’Afrique de l’Ouest et est l’auteur de plusieurs publications sur les dynamiques politiques et sécuritaires de la région.
4 Commentaires. En écrire un nouveau
un article pertinent et original
l’Afrique ne manque pas de ressources humaines. Mais les décideurs rechignent a les consulter et préfèrent l’expertise étrangère.
quel gâchis!
Bel article qui permet aux décideurs d’explorer une piste capable d’apporter une solution à la guerre contre le terrorisme à laquelle fait face les pays du sahel.
Article très pertinent au moment où effectivement les États Ouest africains sont en train d’explorer d’autres voies et moyens pour contenir l’insécurité. Les systèmes en place ont montré leurs limites, et il faudrait repenser la sécurité en donnant davantage de place aux populations locales.
Très belle analyse avec des aspects pertinents. Au delà de tout ceci, le vrai défi n’est sécuritaire mais il est humain. Nos pays ne sont pas des nations et nos leaders ne bâtissent pas des nations, car si nos pays étaient des nations, il y a longtemps que certains leaders ne seraient plus élus ou réélus. De tout ce que j’ai lu sur les enjeux d’insécurité, il faut noter que la source est toujours des problèmes de développement. Depuis 1960, des régions entières ont été exclues de nos pays, ont été exclues des politiques publiques. Aujourd’hui nos pays paient le prix fort de notre inconséquence à unir les forces d’une même nation. Les africains ne sont pas confrontés à des défis de djihadisme comparables à ceux de l’Irak, de la Syrie et autres. Le djihadisme n’est qu’un prétexte pour répondre à l’exclusion organisée et entretenue par une partie de l’élite de nos pays. Le terrorisme en Afrique de l’Ouest est une vengeance sociale des oubliés, des exclus et des marginalisés. En Europe les djihadistes sont des jeunes issus de la classe moyenne, ils ont un travail, ils ont fréquenté les écoles de la république, parfois les meilleures écoles de la république. Mais en Afrique, c’est tout à fait le contraire. Ce sont ceux à qui on a jamais offert l’opportunité d’aller à l’école, de se soigner, de se vêtir et de se nourrir. En retour, ils prennent les armes pour se venger. Facilement manipulés par une élite, elle aussi écartée, s’accroche à une prétendue religion, pour se faire entendre. Le terrorisme en Afrique est un terrorisme de pauvreté, de misère et de révolte contre l’injuste, le népotisme et le favoritisme dont sont victime 80% de la population.