Cadre d’Analyse de la Gouvernance Foncière au Sénégal
Initiative prospective agricole et rurale (IPAR), 2013
Lien vers le document original [Fr] [En]
Avancées importantes dans les dispositions des textes en vigueur concernant l’accès des femmes à la terre
La Constitution du 22 janvier 2001 affirme l’égal accès des hommes et des femmes à la terre. L’article 15 dispose que « le droit de propriété est garanti par la présente Constitution. Il ne peut y être porté atteinte que dans le cas de nécessité publique légalement constatée, sous réserve d’une juste et préalable indemnité. L’homme et la femme ont également le droit d’accéder à la possession et à la propriété de la terre dans les conditions déterminées par la loi».
L’autonomie de gestion des biens est garantie par l’article 19 de la Constitution qui stipule qu’une femme mariée a droit à sa propriété et à la gérer personnellement. La Loi sur le domaine national de 1964 n’introduit aucune discrimination dans l’accès au foncier. Elle se caractérise par le fait que tous les citoyens ruraux, homme comme femme, peuvent prétendre à une affectation de terres. Les conditions nécessaires sont : i) faire une demande ; (ii) être membre de la communauté rurale (individu ou groupe) ;iii) avoir la capacité (seul ou avec la famille) de mettre en valeur la terre demandée.
Conformément aux dispositions du Code la famille, la femme peut demander à hériter de terres ou d’une partie des terres d’un parent défunt : « à son décès (affectataire), ses héritiers (hommes/femmes) bénéficient d’une priorité d’affectation s’ils sont en mesure de mettre en valeur ». Si ces textes en vigueur donnent ainsi aux femmes des droits d’accès à la terre égaux à ceux des hommes, dans les faits elles ne bénéficient pas d’un accès équitable à la terre. En effet, l’adoption de la loi sur le domaine national n’a pas détourné les populations rurales des pratiques coutumières qui créent des situations d’inégalité dans l’accès à la terre au détriment des femmes.
Persistance d’une grande vulnérabilité foncière des femmes rurales
Les femmes rurales sont victimes d’une grande vulnérabilité foncière à cause de deux facteurs principaux : (i) la prééminence de fait des régimes fonciers coutumiers sur le droit moderne (ce qui tend à limiter la portée de la consécration du principe juridique de l’égalité des sexes) ; et (ii) les pesanteurs socioculturelles. « La quasi-totalité des femmes n’a pas accès aux droits fonciers formels. Et cette exclusion fragilise la capacité des femmes à investir dans l’exploitation de leurs terres » (Diop et al., 2012).
Les femmes surtout en milieu rural sont lésées dans le processus d’affectation des terres, au sein des exploitations familiales. Pour l’essentiel, elles accèdent au foncier par des legs ou de manière collective par le biais des regroupements féminins qui sont généralement affectataires de superficies réduites par les conseils ruraux. Comme mentionné plus haut, théoriquement, la loi sur le domaine national n’exclut pas les femmes de la transmission des droits d’affectation aux ayants droits. En réalité, elle entérine les discriminations à l’égard des femmes du fait de son adossement à la tenure coutumière qui offre de façon privilégiée l’accès à la terre aux membres de la communauté rurale, dans un contexte où les conseils ruraux sont composés, pour l’essentiel, des propriétaires coutumiers et/ou leurs alliés.
La femme ne devenant chef de ménage qu’accidentellement (essentiellement en cas de veuvage), c’est l’homme qui contrôle la force démographique familiale qui est mobilisée dans les exploitations agricoles. Par conséquent, c’est l’homme qui détient la capacité de mise en valeur qui est un critère déterminant dans l’accès au foncier dans le cadre de la Loi sur le domaine nationale.
A la faiblesse du statut de la femme, s’ajoute comme le montrent des travaux récents (Diop et al., 2011), la méconnaissance par la grande majorité d’entre elles, des lois qui pourraient leur permettre de faire valoir leurs droits. Même lorsqu’elles connaissent la législation, elles n’osent pas remettre en cause les règles sociales, en particulier les rapports entre hommes et femmes.
Ainsi, les femmes rurales accèdent à la terre de façon indirecte. Cet accès résulte d’une autorisation temporaire de cultiver des parcelles. Toute femme qui se marie et rejoint le domicile de son époux reçoit une parcelle. Lorsque la famille du mari ne dispose pas de suffisamment de terre, elle entreprend des démarches pour bénéficier d’un prêt de terre qu’elle alloue par la suite à la nouvelle mariée.
En cas de divorce, la femme qui revient au domicile de ses parents peut se faire attribuer une parcelle. L’accès des femmes à la terre est le plus souvent fonction de leurs liens parentaux avec des hommes. Faye (2003) souligne des exceptions chez les diolas où certaines rizières de mangrove sont transmises de mère à fille.
Des situations contrastées selon les zones agro-écologiques et les couches sociales
Il existe des différences dans le niveau d’accès à la terre selon les zones éco-géographiques et suivant les différentes couches sociales. L’étude réalisée par Diop et al. (2011) révèle que 71,55 % des chefs de ménages ont accès à la terre, tandis que ce sont seulement 43,08 % de l’ensemble des femmes interrogées dans le cadre des investigations qui déclarent posséder des terres de culture. Cette recherche a mis en exergue l’émergence du phénomène « femmes chefs de ménages », qui est apparu comme une des principales mutations des structures familiales.
« La proportion des femmes chefs de ménages qui possèdent une terre varie considérablement, selon les zones éco-géographiques. Elle est de 8,91 % dans la vallée du fleuve Sénégal, 8,48 % dans la zone sylvo-pastorale et 8,36 % dans la Casamance. Cette proportion reste en revanche relativement faible dans les Niayes (4,20 %), au Sénégal Oriental (3,21 %) et dans le bassin arachidier (2,51 %). Ces disparités entre les zones, même si leurs différences statistiques ne sont pas très grandes, renseignent sur la variété des situations. Elles s’expliquent aussi par la situation matrimoniale des femmes chefs de ménage au sein de ces zones » (Diop et al. 2011).
Le second niveau d’analyse qui a été développé dans le cadre de cette recherche porte sur l’accès des individus à la terre. « Pour l’ensemble des zones éco-géographiques, 85 % des individus interrogés déclarent disposer au moins d’une terre au sein de leur ménage. Sur l’ensemble des propriétés individuelles, 28,20 % appartiennent aux femmes. On trouve les plus importants taux de possession dans la moitié Sud du pays et, les plus faibles au Nord.
Parmi les femmes qui déclarent accéder à la terre, 22,32 % résident au Sénégal Oriental, 22,68 % en Casamance et 23,78 % dans le Bassin arachidier, 11,71 % dans la Vallée du fleuve Sénégal, 10 % dans les Niayes et 9,51 en zone sylvo-pastorale » (Diop et al.,opcit.). Les résultats de l’étude réalisée par ENDA/PRONAT en 2011 montrent clairement que les femmes n’ont pas un accès facile au foncier dans plusieurs régions du pays18 :
- sur 100 femmes interrogées dans la zone des Niayes, 42 femmes déclarent posséder des terres ;
- sur 100 femmes de la zone de la vallée du fleuve Sénégal, 23 femmes possèdent des terres ;
- sur 100 femmes de la zone de Tambacounda, 4 femmes possèdent des terres.
Les femmes sont victimes des dispositions coutumières en général et des règles successorales en particulier. Deux tiers des hommes disent avoir hérité de leurs parents les terres qu’ils possèdent. En ce qui concerne les femmes, cette proportion est de moins d’un cinquième. « Les pratiques foncières actuelles sont héritées de la tradition. Une femme ne peut pas hériter des terres laissées par ses parents. Ces terres reviennent à ses frères.
On pense que la femme est appelée à se marier et par conséquent à rejoindre une autre famille. C’est pour cette raison qu’elle ne peut avoir des terres dans sa famille d’origine. C’est très mal vu par la communauté qu’une femme réclame sa part d’héritage en ce qui concerne la terre ou bien qu’elle en vienne à se disputer avec des hommes pour avoir des terres. En revanche, si elle veut cultiver, elle peut demander une parcelle aux hommes. Cette pratique n’est pas liée à la religion, mais plutôt à la tradition».
Les femmes organisées en association et/ou présentes dans les fédérations paysannes semblent avoir plus de facilités que celles qui n’appartiennent pas à des cadres organisationnels. Sur 100 femmes qui sont membres des organisations et associations communautaires de base, 27 possèdent individuellement des terres, contre 73 qui n’en possèdent pas. Si l’on considère 100 femmes qui ne sont pas membres d’une structure organisationnelle, 22 possèdent individuellement des terres, contre 78 qui n’en possèdent pas.
Les inégalités qui frappent les femmes sont en partie liées au fait qu’elles ont une connaissance limitée du système foncier en vigueur dans le pays. Les femmes ont surtout accès à l’information véhiculée dans les langes nationales par la radio. Le poids de la pression sociale et des idéologies véhiculées à travers le système éducatif amène les femmes à déclarer que l’iniquité en matière foncière et la vulnérabilité qui les frappe sont en soi quelque chose de normal.
En résumé, c’est par le biais des groupements féminins et plus récemment, des groupements d’intérêt économiques (GIE), que les femmes obtiennent des droits formels sur la terre. En effet, dans la plupart des communautés rurales du pays, les élus affectent aux groupements féminins des terres qu’elles aménagent généralement en petits périmètres irrigués ou en jardins maraîchers et fruitiers. Seulement ces affectations ne tiennent aucunement compte du nombre de membres de ces groupements. On constate que les parcelles affectées aux femmes sont si réduites qu’en cas de partage, chaque se retrouve avec 10 à 50 m², soit une superficie dont les résultats économiques insignifiants les maintiennent dans une situation de dépendance vis-à-vis des hommes.
A y regarder de près, l’insécurité foncière n’affecte pas de la même manière toutes les femmes rurales du pays. Elle touche plus durement celles qui appartiennent aux ménages ruraux les plus pauvres, notamment ceux qui éprouvent des difficultés d’accès à la terre ou aux intrants (parcelle exiguë, perte de terre par vente ou mise en gage des parcelles, etc.) .
En revanche, certaines femmes aisées parviennent à accéder à la terre par la location ou l’achat de parcelles. Ces femmes font partie d’une catégorie assez nantie ou bénéficient d’une considération identique à celle des hommes (femmes issues de familles maraboutiques, femmes de notables, etc.).
1 Commentaire. En écrire un nouveau
J’encourage toute l’initiative mettant en valeur la terre. En faisant référence à l’histoire de l’Egypte Antique, nous ferrons que leur force était réposée sur l’agricule à travers la vallée du Nil. Nos femmes sont altruistes encourageons-les.