Babacar Kanté
Biographie :
Doyen honoraire de la faculté des sciences juridiques et politiques de l’université Gaston Berger de Saint Louis, Babacar Kanté a été vice-président du conseil constitutionnel du Sénégal de 2002 à 2008. Il préside depuis 2013 le Conseil scientifique de la Revue Africaine du Droit Public et est également membre du Conseil de rédaction de la Revue Africaine de la Démocratie et de la Gouvernance. Il est actuellement chercheur associé (Senior Fellow) au Centre for Global Cooperation Research, de l’Université de Duisburg-Essen (Allemagne). Il est aussi membre de l’association WATHI.
Extraits :
Nous aurions dû avoir les présidents les plus faibles en Afrique
« Je ne connais pas de texte fondateur qui ne soit pas une réaction à une situation donnée… Nous aurions dû, nous en Afrique, avoir les présidents les plus faibles. Parce que nous avons connu deux fléaux. Je suis toujours étonné que cela ne soit pas reflété dans nos constitutions : nous avons connu l’esclavage et la colonisation. Nous aurions dû tirer les expériences de cela pour savoir comment nous allons formater nos constitutions pour que cela soit une réponse à notre situation passée et pour que nous puissions nous projeter dans l’avenir ».
« Je suis toujours étonné de voir que dans nos constitutions le président a un rôle prééminent parce que si nous devions tenir compte de notre contexte historique, des valeurs positives de la culture africaine, nous aurions un régime parlementaire»
« Nous avons pris de notre histoire ce qui arrange l’élite, et ce qui ne les arrange pas a été abandonné. Il y avait dans les royautés, les empires, un système de contre-pouvoir qui était parfois très efficace ».
Une constitution est un processus et un contenu
« Il nous faut des consensus forts… ce que j’appelle des consensus fondateurs. La conception qu’on se fait de la constitution est biaisée. Une constitution, ce n’est pas comme on a l’habitude de le dire, la charte fondamentale qui régit l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs. Si on considère la constitution du point de vue de son contenu comme étant la synthèse des valeurs qui constituent le socle de notre société, si on considère la constitution comme étant notre code de conduite qui s’impose à nous tous, si on considère la constitution comme ayant dégagé des valeurs de moralité publique, pas d’ordre moral, nous sommes en train d’avoir une conception plus moderne de la constitution…
« La constitution au sens moderne c’est deux choses. C’est d’abord un processus. Il faut qu’on s’entende sur la manière dont on élabore nos constitutions. Il faut de la vraie consultation, de la vraie concertation… Quand je vois des constitutions qui sont soumises à référendum, qui n’ont été portées à l’attention du public que dix jours avant le référendum, et qui sont adoptées à 70, 80 ou 90%, je me demande si ce processus a été démocratique…
Deuxièmement, la constitution, c’est aussi un contenu. Des contenus qui sont en rapport avec la citoyenneté…Il faudrait qu’on rompe avec cette habitude qui consiste à dire que la constitution c’est les rapports entre le président et le Premier ministre, les rapports du Premier ministre à l’Assemblée nationale. La constitution c’est d’abord un texte qui confère des droits et des obligations à chacun d’entre nous et qui soumet l’autorité politique à cette constitution-là. »
« Il faudrait que nous ayons le courage d’innover. Nous parlons toujours d’innovation technologique. On a besoin en Afrique d’innovation sociale. Nous sommes interpellés par des défis et nous passons tout le temps à ouvrir des ouvrages de droit constitutionnel, régime présidentiel, régime parlementaire, etc…
« Moi je n’ai pas de solution. Je dis simplement innovons, osons innover, créons, inventons. Pourquoi nous enseignons toujours à nos étudiants que les Etats-Unis, c’est un modèle rigide de séparation des pouvoirs mais en attendant, le vice-président préside le sénat. Quand le président des Etats-Unis s’adresse au Congrès, le vice-président n’est pas parmi les membres du gouvernement, il est au perchoir. C’est une image qui nous échappe».
« Il faudrait que nous puissions faire un diagnostic de notre situation, savoir quelles sont les tendances lourdes, quels sont nos besoins, d’où nous venons et où nous voulons aller, à partir de là nous pouvons maintenant bâtir un modèle de constitution. »
« Il me semble qu’une des solutions les moins mauvaises consiste à stabiliser une constitution avec quelques principes généraux, ne pas aller dans les détails. Il appartiendra au juge, un juge extrêmement fort, indépendant, de donner une âme à cette constitution, de donner un souffle à cette constitution ».
Il n’y a pas de modèle pour assurer l’indépendance du juge constitutionnel
« Il faudrait que le juge donne des gages, des raisons de croire à son indépendance… Il y a l’éthique et une forme de comportement. Faites le test au Sénégal. Je suis absolument certain que huit Sénégalais sur dix ne savent pas que le Conseil constitutionnel ne présente pas des vœux au président de la République…
Parce qu’il y a un homme à la tête du Conseil constitutionnel qui s’appelait Keba Mbaye. La première fois après la création du Conseil constitutionnel, lorsque les cartes d’invitation sont arrivées pour aller présenter des vœux au chef de l’Etat, lui-même (Keba Mbaye), il me raconte son histoire…
Il me dit “j’ai passé des semaines et des semaines à négocier avec le protocole de la présidence de la République pour leur expliquer : est-ce que vous pensez qu’avec la nouveauté du conseil constitutionnel, avec notre état de maturité politique, est-ce que vous pensez que les Sénégalais comprendrons que nous qui sommes chargés de recevoir le serment du président de la République que nous allions être tellement gentils, souhaiter une bonne année, faire nos hommages à son épouse… est-ce que les Sénégalais le comprendront ?”
Jusqu’à ce que le président Abdou Diouf dise au président Keba Mbaye vous m’avez convaincu, je vous comprends. Voilà comment, sans que les Sénégalais s’en rendent compte, on a réglé ce problème-là, le fait que le Conseil constitutionnel n’ira pas présenter des voeux. C’est une question de leadership ».
Photo : WATHI
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La question des voeux du conseil constitutionnel au PR c’est plus pour illustrer le leadership que devrait incarner le juge afin d’asseoir son indépendance que pour démontrer celle ci
Dans l’ensemble l’argumentaire tient la route encore que le seul fait que le Conseil constitutionnel ne presente pas ses voeux au President de la Republique me semble bien mince pour étayer son infeodation vis – à – vis de l’Exécutif qui a bien de pouvoirs en mains pour museler à sa guise tous les organes de l’ Etat.
Deux pistes à mon avis devraient être défrichées par nos hommes de droit à savoir :
1) Comment contrôler les pouvoirs exhorbitants du chef de l’Exécutif par des contre -pouvoirs credibles et viables?
2) Comment libérer le President des lobbies de son propre Parti politique et ceux de toutes sortes qui gravitent autour du premier cercle du Pouvoir ?
Pour la seconde question c’est le laboratoire de l’imaginaire du professeur Sow de l’Ucad qui le premier a proposé l’idée d’un mandat unique même pour dix ans d’emblee , testé à merveille et comme lettre à la poste, j’ajoute , par des pays comme le Costa – Rica et qui a l’avantage de liberer le Pr de la hantise du second mandat et ses consequences sans dire qu’il serait ainsi plus facilement ” au – dessus de la mélée “en plus de l’economie que cela creerait pour les caisses de l’Etat ( parce que une election cela coûte cher ) ; bref ; je ne dis pas que nous avons là les solutions à tous nos problemes mais tant qu’on n’orientera pas avec courage et lucidité autour de ces axes longtemps on continuera à pédaler dans le vide !
Enfin comment rendre perennes certaines dispositions constitutionnelles de manieres qu’elles ne soient pas remises en question à chaque fois qu’un nouveau chef arrive au sommet de l’Executif comme ce que l’on constate infailliblement ainsi qu’ une ritournelle !