Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Mali: quelle(s) justice(s) transitionnelle(s)?
Sylvain N’Guessan
La Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Mali, trois pays voisins d’Afrique de l’Ouest ont été fortement secoués par le vent de l’instabilité politique ces dernières années. Ces crises ont des origines diverses. Chaque pays essaie, tant bien que mal, de trouver des voies et issues en vue d’une paix durable.
Ces trois tentatives de passage d’un État connaissant de graves violations des droits humains à un État de droit sont marquées par des dynamiques internes qui varient (naturellement) d’un pays à l’autre. Dans un tel contexte, les différents piliers de la justice transitionnelle (droit à la vérité, droit à la justice, droit aux réparations, les garanties de non répétition) peuvent avoir une importance notable et varient d’un pays à l’autre.
La Côte d’Ivoire entre la Cour Penal Internationale (CPI) et les réparations
En Côte d’Ivoire, la victoire des troupes du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) a permis l’installation du président Alassane Ouattara au palais du Plateau dans des conditions particulières. Il lui a fallu protéger ceux qui se sont constitués en bouclier humain autour de lui au Golf Hôtel et livrer à la justice ceux qui ont défendu le clan de son adversaire, l’ancien président Laurent Gbagbo. Bien évidemment, le risque est énorme. La distinction entre le “Nous” et le “Eux” est vite perceptible. C’est tout naturellement que l’opposition, las des coups, dénoncera “la justice des vainqueurs”. Les conditions d’accession au pouvoir ont donné à la gouvernance du président Ouattara des allures de chef de clan et de leader régionaliste malgré sa bonne foi.
Pour l’heure, la stratégie du gouvernement semble reposer sur une reprise économique qui devrait cicatriser diverses plaies et l’allocation d’un budget considérable à l’indemnisation des victimes.
Le président Ouattara a dégagé de grands moyens pour des activités en vue de la réconciliation nationale. Pour quels résultats? Sur cette question, en lieu et place d’un bilan qualitatif, on verra les principales structures et leurs détracteurs se livrer à une guerre de chiffres. Le Programme national de cohésion sociale (PNCS), l’Autorité pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration (ADDR), la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR)…vont étaler leurs dépenses et leurs budgets comme si la quête de la cohésion sociale était une simple affaire de lignes budgétaires.
Pour l’heure, la stratégie du gouvernement semble reposer sur une reprise économique qui devrait cicatriser diverses plaies et l’allocation d’un budget considérable à l’indemnisation des victimes. La Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes des crises venues en Côte d’Ivoire (CONARIV) et le PNCS sont à pied d’œuvre. Le souhait est que l’on évite un zèle inutile qui viserait à marquer une différence entre les victimes des ex-parties en conflit. Ces indemnisations suffiront-elles à faire oublier les atrocités commises lors de la crise post-électorale ?
Au niveau de la Haye, aux Pays-Bas, le procès du président Laurent Gbagbo et de son ancien ministre de la jeunesse et chef des jeunes patriotes Charles Blé Goudé devrait occuper une bonne partie de l’année 2016. Ce procès a commencé et devrait durer des années. Quel est le nouvel agenda de la CPI pour la Côte d’Ivoire? Accusée de s’en prendre exclusivement au camp Gbagbo, la CPI va-t-elle ajuster et équilibrer ses comptes?
Au plan interne, alors que des bouleversements sont annoncés du côté du palais présidentiel, quelle sera la nouvelle posture du président Ouattara ? Quelle Côte d’Ivoire laissera-t-il en 2020 ? Mieux, quels Ivoiriens laissera-t-il dans cette Côte d’Ivoire ? Des Ivoiriens réconciliés ou une compartimentation rigide des habitants de ce pays ? Quelle stratégie pour l’horizon 2016-2020 en vue de la consolidation de la paix ? Cette question alimente les analyses et autres échanges chez nos cousins burkinabé.
Le Burkina Faso entre des dossiers historiques et le quotidien
Refusant de se contenter de vagues émotions, le brave peuple burkinabé a pris ses responsabilités en octobre 2014 quand le clan du président Blaise Compaoré a essayé de se maintenir au pouvoir. Le reste relève de l’histoire. Ce même peuple a pris ses responsabilités un an plus tard quand le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) tenta de donner une certaine tournure au cours de l’histoire.
Notons que la justice transitionnelle dans ce pays est marquée par divers évènements : le devoir de vérité (notamment sur les Affaires Sankara et Zongo), le droit à la justice (le mandat d’arrêt délivré contre Compaoré), des réformes institutionnelles (dissolution du RSP) et surtout la procédure d’exclusion des principaux acteurs de la réforme constitutionnelle d’octobre 2014 à la course à la présidentielle de novembre 2015.
Et maintenant, que fera le nouveau président Kaboré? Après un an de transition marqué par un certain ralenti économique, les préoccupations de plusieurs citoyens Burkinabé est d’ordre physiologique et sécuritaire : se nourrir le mois entier, avoir de l’eau potable, trouver un abri dont les frais sont supportables, un emploi, la sécurité physique et matérielle…Il faut craindre l’impatience de la rue qui devrait vite se faire entendre si des éléments de réponse ne sont pas trouvés face à ces préoccupations.
Autre question hautement stratégique : le cas Compaoré. Ce dossier semble inséparable des relations (économiques) entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Les autorités ivoiriennes pourraient peser de toute leur force en vue de garder de bonnes relations avec le pays des hommes intègres tout en sauvant les meubles. Dans ces négociations qui ont bel et bien débuté, ‘’les armes de dissuasion’’ se peaufinent de part et d’autre.
Notons que les autorités burkinabé ont toutes les « boites noires » entre leurs mains. Il leur revient d’ouvrir celles qu’elles jugent utiles à la bonne marche de leur pays. Tel semble être le cas des autorités maliennes.
Le Mali entre terrorisme et … large autonomie du nord
Entre la lutte contre le terrorisme (qui engloutit une bonne partie du budget national) et la scission pure et simple de l’État du Mali, les échanges n’en finissent pas dans les rues bamakoises. L’attaque sanglante de l’hôtel Radisson Blu le 20 novembre 2015 a démontré la fragilité de la sécurité du Mali. Le pays semble encerclé par les groupes terroristes et Bamako a du mal à trouver des éléments de réponse durables à cette crise.
Le Mali aura-t-il les moyens de financer les divers projets au Nord car une bonne partie du budget national est dorénavant consacrée à la lutte contre le terrorisme?
Alors que le Mali déroule son processus de justice transitionnelle, l’accent semble être mis un peu plus sur le traitement du dossier de « l’Azawad ». Il faudra signaler les espoirs suscités par la signature de l’Accord de paix du 20 juin 2015 avec la Coalition des mouvements de l’Azawad (CMA) tardent à se matérialiser. Alors que le financement et le calendrier de mise en œuvre de l’accord ont été adoptés le 21 juillet 2015, les attaques sur le terrain continuent.
En outre, comment pourraient se traduire, dans les faits, certains points clés de cet Accord? Comment peut se matérialiser ‘’la reconnaissance de l’Azawad comme entité juridique, géopolitique et culturelle’’? A cela s’ajoute l’épineuse question de la réinsertion des éléments des troupes du Nord. Le Mali aura-t-il les moyens de financer les divers projets au Nord car une bonne partie du budget national est dorénavant consacrée à la lutte contre le terrorisme? Si les moyens financiers empêchent Bamako de respecter ces points, comment réagiront les groupes se réclamant de l’Azawad? L’État du Mali ne va-t-il pas simplement donner une suite favorable aux velléités sécessionnistes d’une partie des populations du Nord qui, déjà en mai 1958 (soit deux ans avant les indépendances), avaient demandé leur autonomie à la puissance coloniale d’alors, la France?
D’autres dossiers trainent sur la table des autorités maliennes. En bonne place, le procès de l’auteur du putsch de févier 2012, le général Amadou Haya Sanogo. Sera-t-il gracié ? Il ne faut pas oublier le procès des militaires maliens accusés de violations des droits de l’homme lors de cette crise. En outre, où en est le Mali avec les réparations à accorder aux victimes de ces crises ?
La justice transitionnelle comme ensemble de mécanismes judiciaires et extra judiciaires à dérouler en vue du passage d’un Etat caractérisé par la survenue de graves violations des droits de l’homme à un État de droit mérite une attention particulière dans un contexte post conflictuel. Il urge toutefois de faire des études sérieuses sur les dynamiques internes en vue de la cohésion sociale. L’objectif final n’est-il pas d’empêcher la reprise des conflits?
En instance de soutenance d’une thèse en théorie politique à l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan, Sylvain N’Guessan est Consultant en Gouvernance et Justice transitionnelle. Il est également membre de WATHI.