Au cours de l’année académique 2014-2015, l’Université d’Abomey-Calavi (UAC) a été secouée par une grave crise qui a mis en opposition les étudiants et les enseignants de la Faculté des lettres, arts et sciences humaines (FLASH). La pomme de discorde est la suppression de l’examen de rattrapage décidée par les enseignants et qui devrait entrer en vigueur au cours de cette année académique. Mais il suffit de creuser un peu pour comprendre que la racine de la crise est le surpeuplement de certaines facultés et ses corollaires auxquels la mise en œuvre du système Licence-Master-Doctorat (LMD) s’est greffée.
Effectif pléthorique des amphithéâtres, source de plusieurs problèmes
- Quelques chiffres sur les effectifs
À la FLASH on distingue des départements à gros effectifs comme les départements de géographie, d’anglais, des sciences de l’éducation… et les départements à « effectifs réduits » tels que ceux de lettres modernes, philosophie, linguistique… Le cas du Département de Géographie (qui est à quelques nuances près comparable aux autres départements à gros effectifs) mérite d’être présenté.
Au cours de l’année académique 2014-2015, le seul Département de Géographie a enregistré 14 614 étudiants (plus de 40 % de l’effectif total des étudiants de la FLASH) inscrits. L’encadrement pédagogique et/ou scientifique de cette masse d’étudiants est assuré par 29 enseignants permanents seulement (titulaires d’une thèse au moins et régulièrement recrutés par la fonction publique). L’administration du département est assurée par un chef et un chef adjoint élus parmi les enseignants permanents, aidés d’un secrétaire administratif.
- Charges de moins en moins supportables pour les enseignants
Le ratio brut enseignant/étudiant affiche 1 pour 504. Il y a donc un seul enseignant pour assurer l’encadrement pédagogique et/ou scientifique de plus de 500 étudiants. Cela a des implications sur le nombre de copies à corriger et d’étudiants à encadrer (en licence ou en maîtrise). Par exemple, un enseignant se retrouve couramment avec plus de 10 000 copies à corriger par examen et 150 mémoires de licence et maîtrise à encadrer.
Le ratio brut enseignant/étudiant affiche 1 pour 504. Il y a donc un seul enseignant pour assurer l’encadrement pédagogique et/ou scientifique de plus de 500 étudiants.
On peut imaginer l’ampleur du travail abattu par l’administration du département qui, outre les activités courantes, doit superviser les travaux du secrétariat des examens. Finalement, une session d’examen dure au moins deux mois malgré les efforts des enseignants et des membres du secrétariat. Il faut préciser que cette période serait encore plus longue si les enseignants titulaires des cours ne mobilisaient pas les doctorants pour les corrections.
- Conditions de cours très pénibles pour les étudiants
Pour faire face aux gros effectifs d’étudiants, et ce dans les limites de la possibilité offerte par l’effectif des enseignants, les amphithéâtres de 1ère et 2ème année sont divisés en deux groupes pédagogiques sur le campus d’Abomey-Calavi. Chaque groupe pédagogique compte 2 300 et 1 500 étudiants respectivement pour la 1ère et 2ème année. Le problème est que les amphithéâtres disponibles ont une capacité de 500 à 750 places (il n’y a qu’un seul amphithéâtre de 1 000 places à l’UAC). En conséquence, les amphithéâtres sont surchargés et seuls les premiers arrivés ont de la place à l’intérieur. Les briques et les morceaux de bois sont alors utilisés en lieu et place des bancs.
Il faut ajouter à cela que dans le cadre de la mutualisation de la gestion des infrastructures à l’université, les étudiants en géographie (comme tous les étudiants de la faculté), suivent les cours toutes les deux semaines. Les cours sont dispensés sous forme de séminaires, ce qui permet à l’enseignant d’épuiser sa masse horaire (douze à vingt heures) en une semaine.
Toujours dans le souci de maximiser l’utilisation des amphithéâtres, les étudiants du même groupe pédagogique sont amenés à faire cour de 7 heures à 18 heures, du lundi au samedi. L’assimilation des cours reste difficile malgré la mise à disposition de fascicules par les enseignants pour les étudiants. En dehors de la semaine de révision prévue (et dont les enseignants ne profitent pas pleinement en raison du nombre limité des salles disponibles), les étudiants n’ont pas la possibilité de discuter avec leurs enseignants sur les différents aspects des cours dans un cadre formel.
- Modalités d’évaluation du niveau de connaissances sujettes à caution
Le système d’évaluation à la FLASH est initialement celui du contrôle continu, ce qui suppose des exposés et/ou devoirs notés (qui représentent au moins le tiers de la moyenne finale) et l’examen final sous forme écrite et/ou orale. En raison cependant de la pléthore d’effectifs, les enseignants n’osent pas organiser de devoirs et l’examen final est devenu depuis plusieurs années l’unique modalité d’évaluation. Outre les conditions difficiles dans lesquelles les cours sont dispensés, aucune chance n’est offerte aux étudiants de donner le meilleur d’eux-mêmes.
En définitive, le surpeuplement des départements pénalise à la fois les enseignants et les étudiants, mais également le personnel administratif et de soutien. Toute la communauté universitaire en est affectée.
Système LMD, source supplémentaire de difficultés ?
La mise en œuvre de ce système est récente à la FLASH. Elle ne remonte en effet qu’à l’année académique 2012-2013. Une des exigences du système LMD est l’organisation des cours en six semestres pour la licence. Les examens écrits sont organisés à la fin de chaque semestre contrairement à l’ancien système où ils se déroulaient à la fin de l’année.
Il est également prévu que les effectifs d’étudiants par groupe pédagogique dans ce système ne dépassent pas 250 afin de garantir un bon suivi et surtout une évaluation par des contrôles continus (devoirs, exposés, travaux de groupes) qui permettrait de juger avec plus d’objectivité le niveau de connaissance des étudiants.
Enfin, la remédiation donne l’opportunité à certains apprenants qui n’ont pas pu passer l’examen au terme d’un semestre de le faire au suivant. Cependant, en raison des effectifs trop importants d’étudiants, le LMD est appliqué avec une formule adaptée. D’aucuns parlent de la tropicalisation du LMD. Il existe ainsi des groupes pédagogiques de plus de 2 000 apprenants, ce qui rend impossible la mise en œuvre du système de contrôle continu et de remédiation.
La formule dite du rattrapage a été trouvée au cours des deux premières années de mise en œuvre du LMD. Le rattrapage est une session d’examens organisée pour les apprenants qui n’ont pas pu valider les crédits pour une ou plusieurs unités d’enseignements (UE). Il inclut les matières des deux semestres de l’année.
La goutte qui a fait déborder le vase … et une réponse peu rassurante
En deux ans de pratique, la formule du rattrapage a montré ses limites. Comme indiqué plus haut, une session d’examens dure au minimum deux mois. Dans le contexte du LMD, six mois au moins sont consacrés aux examens (semestre 1, semestre 2 et session de rattrapage) contre cinq mois en tout pour les activités pédagogiques. Il y a là une tendance insoutenable dans la mesure où les enseignants sont épuisés par la correction de milliers de copies et le personnel administratif est très sollicité, ce qui entache la crédibilité de la formation et des diplômes délivrés. Il n’est donc ni dans l’intérêt des enseignants ni dans celui des étudiants de poursuivre sur cette voie.
Les enseignants sont épuisés par la correction de milliers de copies et le personnel administratif est très sollicité, ce qui entache la crédibilité de la formation et des diplômes délivrés.
Pour ces raisons, les enseignants ont décidé de supprimer la session de rattrapage pour allouer plus de temps au déroulement des activités pédagogiques. Cette décision n’a malheureusement pas été bien accueillie par les étudiants qui ont en réponse organisé des mouvements de grève avec des dérapages comportementaux.
Après plusieurs séances infructueuses de négociations, une porte de sortie a été trouvée à l’issue d’une rencontre au palais de la République en présence du chef de l’État, du Premier ministre et du Vice-Premier ministre également chargé de l’Éducation nationale. Jusqu’ici, aucun acte officiel ne retrace les principales conclusions de cette séance, mais les cours ont repris avec une présence impressionnante des forces de l’ordre sur le campus. Les étudiants crient victoire alors que les enseignants affirment avoir concédé la session de rattrapage pour la dernière fois.
Dans la foulée, vingt enseignants ont été recrutés dont huit en géographie. Sur ce dernier point, l’effort du gouvernement mérite d’être reconnu. Cependant, l’ampleur des besoins pousse à penser qu’il s’agit là d’une goutte d’eau dans la mer. Si aucune mesure d’envergure n’est prise, cette crise pourrait ressurgir d’une manière ou d’une autre au cours des années à venir.
Quelques pistes d’avenir
Il apparait clairement que le problème de fond qui est posé est celui de la gestion des effectifs dans les facultés classiques des universités au Bénin. Malgré la création de nouvelles universités, l’UAC reste surpeuplée et les effectifs des facultés classiques comme la FLASH restent pléthoriques. Tant qu’une solution concertée n’est pas trouvée, les crises seront toujours latentes dans les universités.
Les efforts en matière d’infrastructures d’accueil et de recrutement significatif de ressources humaines méritent d’être poursuivis. On pourrait penser à créer des départements à gros effectifs dans toutes les universités nouvellement créées mais en y mettant les moyens nécessaires. Le secteur privé pourrait également être invité à participer à la recherche de solutions aux problèmes les plus pressants de l’enseignement supérieur.
Source photo : journaluniversitaire.com
Titulaire d’une thèse de doctorat option climatologie et systèmes agraires, Ibouraïma Fidèle Yabi est enseignant-chercheur au Département de Géographie et aménagement du territoire (DGAT) de l’Université d’Abomey-Calavi (Bénin). Il est également membre de WATHI.