Babacar Ndiaye
Ce mois d’octobre 2020 voit la tenue de deux élections présidentielles cruciales en Afrique de l’Ouest. Depuis plusieurs mois, ces scrutins ont fait couler beaucoup d’encre et ont fait l’objet de beaucoup d’analyses. En réalité, la crainte de l’issue de ces deux élections est redoutée tant les derniers mois ont été tendus en Côte d’Ivoire et en Guinée.
Le point commun de ces deux élections est la participation des deux présidents sortants Alpha Condé et Alassane Ouattara qui n’ont pas résisté à la tentation du troisième mandat. Ils ont expliqué largement dans les différents médias les raisons qui justifient cette candidature à un «nouveau premier mandat» après les changements constitutionnels. L’organe constitutionnel, dans les deux pays, a estimé que la constitution renouvelée remet les compteurs à zéro.
Le président Ouattara qui avait annoncé en grande pompe son retrait de la vie politique après son “second mandat” justifie sa candidature comme un sacrifice qu’il doit au peuple ivoirien après le décès brutal de «son candidat désigné» l’ancien Premier ministre Gon Coulibaly. Le caractère inattendu de ce décès le pousse à briguer un nouveau mandat et il ne pouvait pas refuser la demande de son parti.
Cette explication triviale montre à souhait qu’au sein de son parti, seuls deux personnes peuvent conduire les destinées de la Côte d’Ivoire en l’occurrence lui et son ancien «dauphin». En 2020, il est dommage d’entendre de tels propos d’une personnalité qui est active dans la vie politique depuis quatre décennies.
À 82 ans Alpha Condé, premier président guinéen élu démocratiquement en 2010 emboite le pas au président ivoirien. Ce dernier n’a pas su refuser l’appel de son parti à briguer un nouveau mandat et donc dans les deux contextes, nous avons «deux hommes providentiels» qui pensent qu’ils ont un devoir de continuer leurs missions à la tête de leurs pays pour le bien de leurs populations. Au-delà de la question du troisième mandat, ils partagent une présence marquée dans la vie politique de plusieurs décennies.
En Guinée, la décision de la Cour Constitutionnelle et le risque d’accélération de la flambée de violence
En Guinée, l’élection présidentielle s’est tenue le 18 octobre et sans surprise le président Alpha Condé a été proclamé vainqueur dès le premier tour. Après les violences préélectorales, place maintenant aux violences post-électorales. Alpha Condé se maintient au pouvoir au terme d’un processus électorale fortement contesté depuis plusieurs mois. Au lendemain du scrutin, le candidat de l’opposition Cellou Dalein Diallo s’est déclaré vainqueur avec un score de 53, 84 %, ce qui lui a valu une surveillance policière de sa résidence. Sa stratégie de mettre la pression sur le pouvoir en faisant une telle annonce n’a pas semblé ébranler le camp présidentiel.
Toutes les conditions sont réunies pour que la Guinée sombre dans une escalade de la violence. Il faut en appeler à la responsabilité des acteurs politiques ét au premier chef le président Condé. La quête d’un «troisième mandat» vaut-elle plus que la vie des Guinéens?
Le samedi 24 octobre, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a proclamé la victoire d’Alpha Condé dès le premier tour. Depuis l’annonce des résultats, les violences ont fait une trentaine de morts et plusieurs centaines de blessés dans le pays. Le scénario tant attendu se déroule sous nos yeux et le dernier recours pour le candidat de l’opposition reste la Cour Constitutionnelle qu’il a décidé de saisir pour contester les résultats.
Dans certaines villes de Haute-Guinée, bastion du président sortant, les scores frôlent les 100 %. Le parti de Cellou Dalein Diallo a dénoncé des chiffres «gonflés» qui ne reflètent aucunement le choix des électeurs. Depuis la proclamation de la victoire du président Condé, le candidat de l’UFDG tente d’imposer un rapport de force. Il appelle les populations à se mobiliser pour contester la victoire du président sortant.
Quelle sera la posture des partisans de Cellou Dalein Diallo si le Conseil Constitutionnel confirme la victoire de Condé ? En Afrique de l’Ouest, l’organe constitutionnel tranche généralement en faveur du pouvoir de manière quasi-systématique. Il serait étonnant qu’il désavoue la CENI dans le contexte guinéen. Toutes les conditions sont réunies pour que la Guinée sombre dans une escalade de la violence. Il faut en appeler à la responsabilité des acteurs politiques et au premier chef le président Condé. La quête d’un «troisième mandat» vaut-elle plus que la vie des Guinéens ?
Côte d’Ivoire, un chaos inéluctable…
En Côte d’Ivoire, au moins une vingtaine de morts sont répertoriés ces derniers jours dans le pays. Le conseil constitutionnel a validé le 14 septembre 2020 quatre candidatures sur les 44 déposées pour la présidentielle. Celles de Laurent Gbagbo et Guillaume Soro ont été rejetées. Les positions se sont durcies face à un Alassane Ouattara qui semble inébranlable et décidé à aller au vote ce samedi 31 août.
Le président Ouattara ne peut pas oublier les 3000 personnes et plus qui ont perdu la vie en 2010-2011 lors de l’élection présidentielle qui l’a porté au pouvoir. Il faut refuser que l’histoire se répète deux fois
L’opposition s’est liguée contre le président Ouattara mais surtout contre la tenue du scrutin présidentiel. Le boycott, la désobéissance civile et même l’empêchement de la tenue du scrutin sont les stratégies adoptées par les candidats Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan, « vieux routiers » de la vie politique.
Le président Ouattara ne peut pas oublier les 3000 personnes et plus qui ont perdu la vie en 2010-2011 lors de l’élection présidentielle qui l’a porté au pouvoir. Il faut refuser que l’histoire se répète deux fois. La vie des Ivoiriens est plus précieuse qu’un «troisième mandat» qui risque de replonger le pays dans un cycle de violence. Que peut-il faire de plus qu’il n’a pas fait durant ces deux mandats ? Si le pays sombre dans le chaos, il devra assumer la plus grande responsabilité. En cas de troubles le jour du vote, quelle sera la posture des forces de sécurité dans les situations de maintien de l’ordre public?
L’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo est sorti de son silence depuis son arrestation en avril 2011 et son emprisonnement à la Cour pénale internationale (CPI) pour rappeler que seules des discussions pouvaient permettre d’éviter la catastrophe annoncée en Côte d’Ivoire.
Dans ce « ciel obscur » ivoirien, une voix est venue de Bruxelles pour demander un dialogue et des négociations. L’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo est sorti de son silence depuis son arrestation en avril 2011 et son emprisonnement à la Cour pénale internationale (CPI) pour rappeler que seules des discussions pouvaient permettre d’éviter la catastrophe annoncée en Côte d’Ivoire. D’ailleurs, la CPI a publié un communiqué pour mettre en garde les acteurs sur la situation en Côte d’Ivoire.
A 24 heures du scrutin, il est difficile de savoir si cette voix sera entendue tant les positions sont tranchées dans les deux camps. Le chaos semble inéluctable et nous aimerions être surpris par une situation de calme le jour du scrutin et les semaines à venir en Côte d’Ivoire.
Crédit photo : ORTB
Babacar Ndiaye est diplômé en Sciences politiques et relations internationales de l’Université d’Auvergne Clermont 1 (France). Il travaille sur les questions de sécurité et de gouvernance en Afrique de l’Ouest.