Sylvain Félix Semilinko
L’ouverture de l’espace audiovisuel africain a été une des grandes avancées de la vague démocratique des années 90. Elle a vu l’apparition d’un florilège de diffuseurs radio et télévision dans une grande partie des pays du continent, mettant à rudes concurrences les chaines de service public.
Le service public, non pas perçu comme au service du public, des populations ou de l’intérêt général des populations, mais bien souvent comme relais des pouvoirs politiques en place, si ce n’est d’ailleurs pas un instrument des dirigeants et autres pères fondateurs.
Certains ont poussé leur mainmise sur cet audiovisuel public en domiciliant leurs installations au sein des palais présidentiels. Il est vrai, qu’en ces temps-là, il suffisait de prendre le contrôle de la radiotélévision nationale pour sécuriser un coup de force.
La libéralisation des ondes fut alors une soupape ouverte pour le pluralisme des opinions, l’essor d’un journalisme indépendant et une contribution à la floraison de mille cultures et divertissements. Cependant, au regard de l’étroitesse des marchés et le faible niveau des recettes publicitaires, les différentes chaines nouvelles ont connu des fortunes diverses.
Certaines ont basculé dans l’escarcelle des politiques ou « hommes d’affaires », la rigueur programmatique et éditoriale a commencé à échapper peu à peu aux promoteurs et aux professionnels. Un des corollaires de cette déviance a été l’entrée du Dieu argent dans les médias : grosse et petite corruption, « coupage », « gombos » « transports …etc.) sont quelques-uns des échantillons inventés pour soutirer de l’argent aux usagers afin de compléter un salaire insuffisant voire inexistant.
La libéralisation des ondes fut alors une soupape ouverte pour le pluralisme des opinions, l’essor d’un journalisme indépendant et une contribution à la floraison de mille cultures et divertissements
Pourtant il existe dans la plupart de ces pays des conventions dites collectives et une grille salariale conventionnée. Un peu plus cyniques, certains promoteurs ou agents de médias ont recours à des pratiques peu recommandables, tel le chantage ou des montages compromettant des hommes et de femmes supposément fortunés. Bref, « le printemps » de la presse a tourné par endroits à un brumeux harmattan sans fin.
Et la libéralisation s’ouvra aux opérateurs extérieurs
Parallèlement, la libéralisation ou la dérégulation, c’est selon, a connu l’arrivée des opérateurs extérieurs. C’était le temps de la course aux fréquences pour capter une audience dite « aspirational » pour ne pas dire les néo-assimilationnistes à l’affût de la « vérité » venue par-delà les océans.
Certains États y ont opposé quelque résistance plus ou moins molle avant de se plier aux douces pressions diplomatiques, vu que le coût du ticket d’entrée n’était pas négligeable en ces temps difficiles : une redevance, une fourniture d’équipements techniques la contribution voire la fourniture de l’énergie aux partenaires puis pour d’autres des formations in situ pour les professionnels nationaux. Seuls les États du Maghreb et certains géants de l’Afrique, comme le Nigéria et de l’espace, ou encore l’Afrique du Sud et certains de l’espace SADCC (Southern Africa Development Community Countries) ont opposé leurs conditions aux offres venues des opérateurs extérieurs.
L’Afrique francophone subsaharienne n’a pas marchandé son aplatissement légendaire. Le taux de pénétration, l’accoutumance et le succès de ces opérateurs ont été spectaculaires chez « les peaux noires, masques blancs ». Tant et si bien qu’un sevrage si bref soit-il, est assimilable à la censure.
Pendant ce temps, les manœuvres diverses et les pratiques managériales peu orthodoxes ont eu raison de la seule chaine de radiodiffusion à vocation, disait-on, panafricaine. Africa Numéro 1 a perdu sa voix panafricaine, alors que l’expansion et la prospérité des chaines étrangères sont au firmament. Il est fort appréciable pour l’Afrique d’accéder ou de se voir inonder par des centaines de chaines dans un univers médiatique mondialisé.
Au moins se gardera-t-on de dénoncer la fracture numérique, même si les coûts d’abonnement sont prohibitifs pour la majorité ! Mais quid des contenus proposés au public africain ?
Lorsque vous passez 24 heures à « slalomer » d’une chaine à l’autre, vous vous rendrez très vite compte que les contenus d’intérêt pour les populations de ce continent sont encore insuffisants, pauvres, inappropriés : quelques séquences d’informations souvent biaisées ,manipulées sur fond de conflits, de misères et « occidento- centrées », beaucoup de musiques et de distractions, des feuilletons de série B voire moins, de larges plages publicitaires, des réclames à la réalité en déconnection totale avec la culture et les habitudes des consommateurs de ces pays.
Des plages publicitaires, parfois en contravention des recommandations des instances internationales, comme sur certains médicaments, du lait infantile, ou encore des boissons alcoolisées. Pis, certains opérateurs extérieurs en viennent à siphonner le maigre marché publicitaire national aux dépens des médias locaux qui peinent à boucler leurs budgets !
Par-delà tout ce qui précède, c’est l’absence de médias panafricains réellement indépendants et crédibles qui soulève l’indignation
Question : Que font les organes de régulation sur le continent ? Passivité ou complicité pour la recolonisation culturelle et la prédation des maigres ressources publicitaires pour l’asphyxie des médias des pays ?
Par-delà tout ce qui précède, c’est l’absence de médias panafricains réellement indépendants et crédibles qui soulève l’indignation. C’est encore ici nos incapacités collectives à construire des entités panafricaines ou sous régionales viables qui sont en cause. Pourquoi les hommes d’affaires et mécènes d’Afrique ne songent-ils pas à donner à voir et à parler aux Africains avec des instruments et un prisme africain ?
A l’heure des réseaux sociaux et des Fake news, l’Afrique gagnerait sans doute à compter sur ses propres plateformes médiatiques pour cesser de subir les perceptions et flagellations venues d’ailleurs. Comment expliquer qu’une fondation renommée, respectée et pointilleuse comme celle de Mo Ibrahim, ne parvienne à prendre le lead d’une initiative de médias panafricains, crédibles, indépendants, multi modulaires et multilingues ?
Et pour en finir, je cite le célèbre prix Nobel nigérian Wole Soyinka qui, avec la verve qu’on lui connaît, écrivait récemment « Il ne faut attendre aucun salut, ni aucune compassion d’un système fondé depuis le 15ème siècle sur le pillage de l’Afrique et l’asservissement ou l’infériorisation de ses descendants… Ne pas attendre d’un système qui a intérêt à vous oppresser, qu’il vous reconnaisse comme pair, battez-vous pour le dominer ». A méditer et en tirer de la graine.
Crédit photo : pressafrik.com
Sylvain Félix Semilinko est journaliste. Il est l’ancien directeur de BBC Afrique et de la Radio des Nations-Unies en Côte d’Ivoire.