Défis politiques et incertitudes sécuritaires à la veille des élections présidentielle et législatives au Niger
Kilo Lidawo
Le 21 février 2016, les électeurs nigériens se rendront aux urnes pour désigner leur président et leurs députés. A moins d’un mois de cette première échéance électorale de l’année en Afrique de l’Ouest, la tension monte. L’activité politique de ce pays est l’une des plus agitée de la sous-région. Le Niger a connu quatre coups d’États depuis son indépendance en 1960. Les services de sécurité ont affirmé avoir déjoué une tentative de coup d’État en décembre 2015. De plus, l’arrestation en novembre 2015 de l’un des candidats à ce scrutin, l’ancien président de l’Assemblée nationale Hama Amadou, accusé d’avoir participé à un trafic de bébés, augmente la tension.
Le Niger fait face à un environnement régional instable. Le climat sécuritaire reste précaire à cause des attaques terroristes. Le contexte préélectoral actuel soulève deux questions d’importance qui font l’objet de la présente analyse. Elles portent sur les défis politiques et les incertitudes sécuritaires qui planent sur le processus électoral.
Les défis de ce scrutin peuvent être déclinés en quatre axes, à savoir la capacité et la neutralité des institutions impliquées dans l’organisation, le renforcement de la démocratie et de l’État de droit, l’amélioration de la gouvernance ainsi que la représentativité des femmes dans les instances décisionnelles.
En premier lieu, la bonne organisation de ces deux élections dans le contexte nigérien dépend de la neutralité et de la capacité des institutions impliquées dans le processus, notamment la Commission électorale nationale Indépendante (CENI), la Cour constitutionnelle mais aussi des médias. La CENI est composée en grande partie de représentants des partis politiques, des ministères et de l’administration qui pourraient être tentés de défendre les intérêts de leurs structures au mépris de la règle de l’impartialité.
Les experts de l’Organisation internationale de la Francophonie ont audité le fichier électoral, sur l’insistance de l’opposition, et recommandé à la CENI de sécuriser ce dernier. La CENI a commencé la distribution des cartes d’électeurs le 21 janvier 2016 et continue cette opération jusqu’au 20 février 2016. La réussite de cette distribution et le déploiement effectif du matériel électoral dans tous les bureaux de vote détermineront les chances d’une organisation satisfaisante du scrutin.
S’agissant de la Cour constitutionnelle, les partis de l’opposition lui reprochent sa « partialité » et son positionnement en faveur du président sortant. Et pourtant, c’est à elle qu’il revient de gérer le contentieux électoral et de proclamer les résultats définitifs. Elle doit inspirer davantage confiance à tous les acteurs.
Quant aux organes de presse, les résultats d’une enquête publiée en octobre 2015 par l’institut Afrobaromètre indiquent que « les Nigériens apprécient leur efficacité mais demandent la régulation de l’État ». Cette opinion doit être prise en compte par l’autorité en charge du secteur afin que la contribution des médias au scrutin renforce la démocratie et de l’État de droit.
Deuxièmement, les élections prochaines serviront de test pour apprécier le renforcement de la démocratie et de l’État de droit après la transition en 2011. La récente affaire de trafic de bébés, dans laquelle Hama Amadou et l’une de ses épouses sont accusés, a laissé une image controversée de la justice au Niger. Pour l’opposition, la justice fait preuve de partialité. La Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a rejeté la demande de mise en liberté déposée par les avocats de Hama Amadou. Elle juge légale la procédure devant les juridictions nigériennes. Les autorités issues des élections devraient s’atteler à renforcer l’indépendance de cette justice.
Le jeu des partis politiques et des alliances a, depuis de nombreuses années, une influence perceptible sur le développement du pays. Formée au lendemain des élections législatives de 2011, la Mouvance pour la renaissance du Niger (MRN) était composée de quatre partis politiques. Il s’agit du Parti nigérien pour la démocratie et le Socialisme (PNDS) du président sortant Mahamadou Issoufou, du Mouvement démocratique nigérien (MODEN), de l’Alliance nationale pour la démocratie et le Progrès (ANDP) et de l’Union pour la démocratie et la République (UDR). Cette mouvance visait à aider l’actuel président à gouverner mais elle s’est vite effritée suite au départ du MODEN.
Les leçons tirées de cette situation doivent guider les acteurs politiques nigériens dans la formation des futures alliances. De même, l’existence d’une opposition parlementaire stable et capable, qui dépasse les luttes anciennes de pouvoir et le jeu des partis politiques, s’avère importante. Elle va servir de contrepoids dans la future Assemblée nationale pour impacter sur les grandes décisions pour le bien-être des populations.
Le contexte régional marqué par les attaques terroristes ne rassure pas quant au bon déroulement des opérations de vote le jour du scrutin.
Troisièmement, selon le dernier classement de l’indice de développement humain publié par le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD), le Niger occupe le 53ème rang au plan africain en 2015 et le 188ème au niveau mondial. Le revenu national brut par habitant était de 410 dollars en 2014 (http://donnees.banquemondiale.org/pays/niger ). L’amélioration de la gouvernance est indispensable.
L’accès aux services de base tels que l’eau potable, l’électricité, l’éducation et la santé ainsi que la réduction du coût de la vie, du chômage et de la corruption doivent rester au centre des préoccupations des futures autorités du Niger pour contrer la menace terroriste. L’implication accrue des femmes dans la gestion publique constituera un atout.
Quatrièmement, ces élections soulèvent justement la question de la représentativité des femmes dans les institutions étatiques. Selon les chiffres du dernier recensement général de la population et de l’habitat de 2012, la population du Niger était de 17 129 076 habitants, dont 8 461 444 hommes (49,4%) et 8 667 632 femmes (50,6%) (http://www.stat-niger.org/statistique/file/rgph2012.pdf).
Cependant, aucune femme ne figure parmi les quinze candidats en lice pour l’élection présidentielle à venir. Le fait que l’ancienne législature comptait seulement quinze femmes sur les 113 députés prouve que les mesures prises ne sont pas suffisantes pour promouvoir leur participation dans la gestion publique. En outre, cette faible représentativité témoigne que l’équité genre n’est pas une priorité des autorités actuelles du Niger.
Les incertitudes ont trait à la sécurisation du processus électoral, aux comportements des forces politiques et à la conduite des forces de défense et de sécurité. Le contexte régional marqué par les attaques terroristes ne rassure pas quant au bon déroulement des opérations de vote le jour du scrutin. Le Niger se trouve à la jonction de trois sources d’insécurité: le Nord du Mali, le Sud de la Libye et la frontière sud avec le Nigéria.
Les insurgés de l’État islamique en Afrique de l’Ouest, ex-Boko Haram avaient perturbé les opérations de recensement dans la région de Diffa qui est frontalière avec le Nigéria. Le groupe terroriste nigérian s’oppose à tout ce qui s’apparente à la culture occidentale. Il pourrait donc planifier des attaques durant le processus électoral comme ce fut le cas au nord-est du Nigéria à l’approche des élections générales de février 2015.
Une autre menace terroriste provient du groupe Al-Mourabitoune de Moktar Belmoktar, qui a revendiqué les récentes attaques terroristes meurtrières à Bamako et à Ouagadougou. Des dispositions sécuritaires idoines doivent être prises au Niger, particulièrement à proximité de tous les hôtels et des lieux qui vont accueillir les meetings de la campagne électorale.
Les tensions sont perceptibles entre les partis politiques de l’opposition et de la majorité. La détention de Hama Amadou, l’un des principaux candidats, peut perturber la campagne. Il est difficile d’envisager le comportement de ses partisans durant la période de campagne surtout s’ils ne parviennent pas à mobiliser la population derrière leur candidat emprisonné à Flingué. On ne peut également augurer du comportement des militants du parti au pouvoir et de l’opposition surtout après la proclamation des résultats sachant que l’opposition reproche déjà à la Cour constitutionnelle sa partialité.
Enfin, les forces de défense et de sécurité se sont immiscées à quatre reprises dans les affaires politiques depuis l’indépendance du Niger en 1960. Elles sont souvent accusées à tort ou à raison de soutenir les hommes politiques. Si les résultats du premier tour sont violemment contestés par les formations politiques, rien ne permet de déterminer l’attitude des forces de défense et de sécurité. Les récentes manifestations des familles qui réclamaient la libération de militaires accusés d’avoir pris part à la tentative de coup d’État annoncée par les autorités en décembre 2015 ne concourent pas la sérénité.
Diplômé de l’Université de Kara (Nord du Togo), Kilo Lidawo est un juriste togolais. Il a travaillé comme chercheur junior à la division « Prévention des conflits et analyse des Risques » (CPRA) à l’Institut d’Études de Sécurité (ISS) basé à Dakar. Passionné des questions de gouvernance et de système électoral, il travaille avec le Centre de recherches et d’études pour la sécurité et le développement (CRESED) basé à Lomé. Il est aussi en lice pour le volontariat national.
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Belle analyse et très succincte. Bien qu’il y a eu de l’évolution depuis le lancement de la campagne, on constate que le climat est relativement apaisé par rapport à ce qu’on a pensé.
On remarque aussi dans les programmes, aucune mesure concrète n’a été prise pour revaloriser la place de la femmes dans les différentes instances de prises de décision. Mais elles sont utilisées par tous les candidats car elles sont considérées comme les électeurs fidèles.
Il est vrai qu’aucun pays n’est a l’abri des menaces terroristes, il faut que la sécurité soit renforcée autour des cibles potentielles des terroristes. Par contre la campagne initiée par certains organes est salutaire pour les élections apaisées au Niger, c’est par exemple le CSC (https://www.youtube.com/watch?v=HALE0IwTjd8&feature=share), ONED, etc… (https://www.youtube.com/watch?v=xQRS_ISGzYM) (https://www.facebook.com/omar.seydou/videos/969015666485293/?pnref=story)
Salut mon cher Kilo !
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ton article ! En tant que sahélien passionné des questions de gouvernance et de prévention de conflits , je salue à sa juste valeur la pertinence de cet article ! Je t’encourage à persévérer !
Tu as tout mon soutien et partagerai certains articles d’opinion sur ces questions !
Amitiés