Les deux visages de l’Afrique
Mustapha Harzoune, 2010
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Les clichés sur l’Afrique et les Africains prospèrent. Le moindre n’est pas celui qui consiste à globaliser un vaste continent, à réduire des peuples et des cultures différents à une masse informe, sans histoire et parfois sans avenir. Du cliché à la peur, il n’y a qu’un pas. Ce pas, celui de l’ignorance ou des simplifications, conduit à voir l’Afrique comme un continent rongé par la misère, la violence et la corruption qui déverse sur un Occident paradisiaque des hordes de miséreux. La peur de l’invasion est d’abord une peur de l’invasion africaine.
L’Africain a deux visages, celui du sans-papiers indésirable, pas suffisamment entré dans l’Histoire et celui capable de tendre la main pour aider l’autre.
Si l’identité doit se coltiner avec l’altérité, alors l’altérité africaine révèlerait quelques faiblesses des sociétés occidentales, à tout le moins des “écarts”, quant à ses relations humaines. Certes, la solidarité à la sauce africaine – au nord comme au sud du Sahara – peut devenir trop corsée (et corsetée) pour la liberté individuelle, mais au moins est-elle censée ne laisser personne à sa solitude.
Solidarité africaine en France
Pourtant, selon un célèbre discours, les Africains seraient insuffisamment entrés dans l’Histoire. Il faut croire que tel n’est pas le cas des Africains de France. Du moins des quelque 6 000 sans-papiers, dont une majorité d’origine africaine, qui se sont mobilisés pour faire valoir leurs droits.
“La régularisation pour motif professionnel, [n’étant] pas appliquée de la même façon d’un salarié à l’autre et d’une préfecture à l’autre” (AFP, 28 mai), les travailleurs sans-papiers et leurs soutiens (CGT, associations Droits Devant, etc.) se sont mobilisés “pour des critères clairs et objectifs de régularisation des travailleurs sans-papiers” (Le Monde, 13 mai).
L’accord du 18 juin ou la fin d’un dogme
“Les travailleurs sans papiers sortent de l’ombre” et le mouvement de grèves et d’occupations touche tous les secteurs : restauration, bâtiment, aide à la personne, nettoyage, etc. Le Monde du 13 mai note que “ces mouvements ont fait apparaître au grand jour que de nombreux secteurs en manque de bras, notamment certaines bonnes tables de la capitale, des grands chantiers de BTP, des fournisseurs de grandes entreprises comme la RATP, le secteur de l’aide à domicile, employaient de la main-d’œuvre démunie de titre de séjour”. Pour L’Humanité (29 juin), “après des mois d’occupation, 3 000 grévistes obtiennent leur carte de séjour ‘salariés’”. Pour Le Monde du 30 mai, “la CGT a obtenu la régularisation d’environ 2 500 personnes”.
Pour Le Monde, “le gouvernement […] en desserrant l’étau qui pèse sur les travailleurs clandestins, affiche mezzo voce son pragmatisme. Toute l’histoire de la politique migratoire le prouve: il vaut mieux, pour un gouvernement, se doter d’un dispositif solide de régularisation continue plutôt que de devoir accepter tous les dix ans et sous la pression sociale des campagnes de régularisation ‘massive’ aux multiples effets pervers – désorganisation de l’administration, afflux de candidats à la régularisation venus de pays voisins. N’en déplaise à la politique de coups de menton sur l’immigration clandestine, l’accord du 18 juin semble signer le ralliement de Nicolas Sarkozy à un certain principe de réalité.” (7 juillet)
Deux fois victimes
[…]selon les derniers chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), il y a une baisse des arrivées de bateaux aux abords des rives européennes comprise, selon les destinations, entre 50% et 95% sur la période 2009-2010” (Le Monde, 24 juin).
“La baisse est spectaculaire en Italie, notamment sur l’île de Lampedusa”. En 2006, “22 000 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes depuis l’Afrique du Nord. En 2007, ils n’étaient plus que 19 900 et en 2009, seulement 8 700”. En Espagne, “la baisse est aussi conséquente.
“Parmi les causes de ces revirements, il y a Frontex, l’Agence européenne aux frontières extérieures. Les patrouilles navales n’ont cessé d’augmenter en nombre et en efficacité ces dernières années, notamment du fait d’accords bilatéraux avec les pays dits ‘sources’ de migrants. La crise économique est aussi passée par là.” Et de souligner que “l’un des acteurs clés de ce bilan reste toutefois la Libye.
“Tous ces chamboulements redessinent la carte des migrations méditerranéennes. Les flux se sont décalés vers l’Est et la nouvelle grande porte d’entrée en Europe est désormais la Turquie.
Difficile de savoir s’il s’agit d’un ‘report’ migratoire. Les migrants qui arrivent en Turquie sont souvent afghans, somaliens ou érythréens et non pas originaires d’Afrique de l’Ouest. D’après les ONG, nombreux sont ceux coincés au Maghreb dans l’attente de jours meilleurs.”
Et oui, la solidarité version africaine n’est pas non plus sans taches… En Algérie, les sans-papiers africains sont non seulement arrêtés et placés en détention provisoire comme ces 35 migrants du côté de Batna en juillet dernier, mais ils sont aussi gratifiés de quelques préjugés
Finalement ces migrants africains sont deux fois victimes et subissent une sorte de double peine : lorsqu’au prix de leur vie ils décident de s’exiler, ils sont pourchassés, internés et pour les plus “chanceux” obligés de survivre en clandestins surexploités.
“Une politique des visas-imbéciles”
Les considérations relèvent de l’angélisme pour les dirigeants français. Le pragmatisme et la responsabilité commandent de dresser des murs et d’ériger des barrières face aux menaces d’invasion. Comme rien n’est laissé au hasard (il est vrai que la majorité des immigrés entre en France légalement), la CIMADE, dans un récent rapport, confirme le fait qu’“obtenir un visa relève du parcours de combattant” (Nouvelobs.com, 31 mai).
Le vrai problème est la politique malthusienne, et il faut bien le dire criminelle dans ses conséquences, de la France et du reste de l’Union européenne dans le domaine de l’immigration depuis les années quatre-vingt. La France autodétruit son audience et son capital de sympathie en Afrique par sa politique de visas imbécile, qui coupe systématiquement tous les liens humains entre l’Hexagone et l’Afrique, y compris en empêchant de facto les unions matrimoniales entre Français et Africains. Cette politique est une machine à produire de l’exclusion et du racisme. C’est, naturellement, une autre façon de parler de régression.”
“Non seulement il y a exclusion, mais aussi humiliation. Les propos de membres éminents de la majorité comme Brice Hortefeux et Gérard Longuet sur le problème supposé que posent l’Islam et les musulmans à la République française sont des gifles données au jour le jour à l’Afrique” (Nouvelobs.com, 27 mai).
Quand les émigrés rapportent !
Le Monde (10 juin) rappelle que “l’Afrique représente le plus gros volume d’envois de fonds de la France vers l’étranger, se classant même devant l’Asie. Selon MoneyGram, le pays qui arrive en tête des transferts est le Maroc, suivi du Sénégal, du Cameroun et de la Côte d’Ivoire. Le Mali, en revanche, dont la diaspora est pourtant très nombreuse, est moins bien placé. La faute, selon l’opérateur, au ‘trafic informel’. Et c’est là tout l’enjeu et la limite de ce marché des transferts d’argent des migrants. Plus de la moitié des envois échapperait aux réseaux officiels, passant de la main à la main ou via le système de ‘hawala’ (qui permet l’échange de fonds sans mouvement interbancaire).”
Enfin, pas un immigré ne regimbera contre le paiement de son titre de séjour. Il vient allégrement de passer de 70 €à 110 pour son renouvellement et de 300 €à 340 €pour la taxe de primo-délivrance. Mais, la France s’est aussi se montrer magnanime… Ainsi apprend-on que tous les soldats des ex-colonies pourront prétendre à la carte de combattant (Le Monde.fr, 23 juillet). “Le Conseil constitutionnel a censuré, vendredi 23 juillet, une disposition qui empêchait certains des soldats des ex-colonies françaises ayant servi sous le drapeau français d’obtenir la carte de combattant, estimant qu’elle était contraire au principe d’égalité. Jusqu’ici l’attribution de la carte de combattant ‘aux membres des forces supplétives françaises’, c’est-à-dire aux combattants des ex-colonies françaises, était subordonnée à la condition que ces combattants possèdent la nationalité française ou soient domiciliés en France à la date de leur demande. Le Conseil constitutionnel a estimé que ‘ces conditions liées à la nationalité et au domicile’ étaient ‘contraires à la Constitution’.”
Dur d’être un sans-papiers français
Revenons aux sans-papiers. Sont-ils nécessairement africains ? Imagine-t-on un Français pur sucre sans-papiers ? Difficile d’associer, spontanément, l’image négative du sans-papiers à la gloriole du coq gaulois ; fût-il en vadrouille loin de sa basse-cour… Et pourtant, le 21 mai dernier, sur le site France-amérique.com, on pouvait lire un long papier sur “ces clandestins français qui veulent l’Amérique à tout prix”. Il serait entre 10 000 et 15 000 soit “10% des citoyens français résidant de manière illégale aux États-Unis, selon le Bureau américain de l’immigration”. Ils gagneraient entre 25 000 et 40 000 dollars par an soit “près de quatre fois moins que le salaire d’un expatrié travaillant pour une entreprise française. La différence de revenus entre ces résidents légaux et illégaux explique aussi pourquoi les deux mondes ne se mêlent pas”. La solidarité nationale a ses limites…