Diary: Ebola
Paul Farmer, October 2014
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FRANÇAIS
La nature extrêmement virulente du virus ainsi que les croyances culturelles et les comportements des personnes vivant dans les villages du Liberia ont été proposés comme explication de la propagation rapide d’Ebola. Il semblerait plutôt que le manque de personnel médical et d’équipement (tel que les solutions de réhydratation par voie orale, les solutés intraveineux et les produits sanguins, mais aussi les tenues, les gants et les masques) soient à l’origine des dizaines de milliers de morts engendrées par Ebola.
Le virus Ebola est terrifiant parce qu’il contamine la plupart de ceux qui s’occupent des personnes déjà infectées et parce qu’il tue la plupart de ceux qui tombent malades. C’est du moins l’idée reçue. Il est vrai que de nombreux personnels de santé ont succombé à la maladie. L’épidémie de 1976, par exemple, a commencé dans un hôpital ou des sœurs religieuses belges travaillaient comme infirmières auprès de Congolais. À ce moment-là déjà, il était clair que le virus se transmettait à cause du non respect des règles de contrôle moderne des infections : les infirmières réutilisaient les aiguilles et ne portaient pas de gants, de tenues appropriées ou de masques, des éléments qu’il était difficile de se procurer.
Même sans un traitement antiviral spécifique, les soins pour un choc hypovolémique – qui se produit lorsque le cœur ne dispose pas d’assez de sang à pomper dans le corps, le résultat final de plusieurs infections bactériennes et de quelques virus hémorragiques – se limitent à une réanimation liquidienne énergique. Pour ceux qui sont capables d’absorber des fluides par la bouche, le choc peut souvent être évité par des solutions de réhydratation par voie orale. Les patients qui souffrent de vomissements ou qui sont délirants sont soignés grâce à des solutés intraveineux ; les symptômes d’une hémorragie sont traités par des produits sanguins. N’importe quelle salle d’urgence aux États-Unis ou en Europe offre ce type de soins. Il y est également possible de traiter les patients dans des quartiers d’isolement.
Les infirmières tout autant que les docteurs sont rares dans les pays les plus affectés par Ebola. Avant même que la crise actuelle ne tue plusieurs spécialistes de la santé libériens, le système de santé publique comptait moins de 50 médecins dans un pays de plus de quatre millions d’habitants, dont une majorité vivant en dehors de la capitale. Ceci équivaut à un médecin pour 100 000 habitants, comparé à 240 pour 100 000 aux Etats-Unis et 670 à Cuba. Les hôpitaux bien équipés sont encore plus rares que le personnel médical, et c’est le cas dans tous les pays affectés par Ebola. Tout aussi rare est l’équipement de protection individuelle (EPI) : tenues, gants, masques, écrans faciaux etc. Au Liberia il n’y a ni le personnel, ni le matériel, ni l’espace pour stopper la transmission d’infections par fluides corporels, notamment par le sang, l’urine, le lait maternel, la transpiration, le sperme, le vomi et la diarrhée.
Les systèmes de santé défaillants, et non pas la virulence sans précédent ou un mode de transmission auparavant inconnu, sont responsables de la propagation rapide d’Ebola. Ces systèmes de santé défaillants sont aussi responsables du taux de létalité élevé de l’épidémie actuelle causé par la souche Zaire du virus. L’inverse de ce fait – et c’est un fait – est le fait que la propagation du virus peut être stoppée en associant un meilleur contrôle de l’infection (en protégeant les personnes non-infectées) à une amélioration du traitement médical (en sauvant les personnes affectées). Un diagnostic d’Ebola n’est pas forcément une peine de mort. En tant que spécialiste des maladies infectieuses, je pense que si les patients sont rapidement diagnostiqués et bénéficient de soins intensifs – y compris une réanimation liquidienne, des électrolytes de remplacement et des produits sanguins – la grande majorité (environ 90%) pourraient survivre.
Ebola est plus le symptôme d’un système de santé défaillant qu’autre chose. Mais jusqu’à ce qu’on s’accorde sur ce diagnostic, plusieurs autres explications plus exotiques continueront d’être avancées. La palabre (« palaver » comme le disent les Libériens) entraine de nombreuses discussions sur les « croyances culturelles et comportements » censés favoriser la propagation de l’épidémie. Cette liste inclut généralement des activités qui ne sont pas vraiment des « comportements », comme la chasse ou la consommation de viande de brousse, la participation à d’étranges pratiques funéraires, ainsi que les rituels bizarres des « sociétés secrètes » telles que les Poro ou les Aniotas. Malgré le penchant des anthropologues pour les récits de ce type de pratiques, ces rites n’ont vraisemblablement pas joué un rôle majeur lors des épidémies au Congo, en Ouganda et au Soudan survenues lors des quarante dernières années. Les habitants des côtes ouest-africaines ont mangé de la viande de brousse depuis des siècles et ont préparé les morts pour l’enterrement sans précaution particulière pour stopper la transmission d’une pathogène comme Ebola.
Qu’est ce qui explique la propagation d’Ebola de Guéckédou à Monrovia, à Freetown, et enfin à Dallas? Comme le dit Larry Brilliant, qui a travaillé pour l’éradication de la variole il y a bientôt 40 ans lorsqu’Ebola fut découvert et qui dirige aujourd’hui le Skoll Global Threats Fund, les épidémies sont inévitables, les pandémies sont optionnelles. Manger de la viande de brousse n’expliquent pas une flambée épidémique, mais les grotesques inégalités en termes d’accès aux soins qui continuent de s’accroitre – dans un contexte d’économie politique mondialisée – le font. Les efforts réalisés pour traiter les patients atteints d’Ebola au sein d’un système de santé défaillant – ou même à la maison – ont été fortement associés à la transmission du virus. Dans plusieurs hôpitaux ouest-africains, Ebola a pesé sur le staff médical : professionnels de la santé, assistantes-infirmières ou encore employés de morgue. A court de personnel et de ressources, les travailleurs de santé de première ligne ont de bonnes raisons d’être effrayés. Nous qui désirons les aider, même si nous sommes mieux équipés, sommes également effrayés.
ENGLISH
The extremely virulent nature of the virus as well as the cultural beliefs and behaviours of people living in rural Liberia have been advanced as reasons for the rapid spread of Ebola. But rather than these speculations, it seems it is the lack of medical staff and equipment (such as oral rehydration salts, intravenous fluids and blood products but also gowns, gloves and masks), which is responsible for the thousands of deaths caused by Ebola.
The Ebola virus is terrifying because it infects most of those who care for the afflicted and kills most of those who fall ill: at least, that’s the received wisdom. But it isn’t clear that the received wisdom is right. It’s true that many of those who have died were medical professionals. The 1976 epidemic, for example, started in a mission hospital where Belgian nuns worked as nurses alongside Congolese colleagues. But even then it was known that the virus could be transmitted as the result of a failure to follow the rules of modern infection control: the nurses reused needles and did not wear gloves, gowns or masks, which were all in short supply. Nor did the nurses, still less their patients, receive what in Brussels, Boston or Paris would count as modern medical care.
Even without a specific antiviral therapy, the treatment for hypovolemic shock – which occurs when there isn’t enough blood for the heart to pump through the body and is the end result of many infections caused by bacteria and some caused by haemorrhagic viruses – is aggressive fluid resuscitation. For those able to take fluids by mouth, shock can often be forestalled by oral rehydration salts given by the litre. Patients who are vomiting or delirious are treated with intravenous fluids; haemorrhagic symptoms are treated with blood products. Any emergency room in the US or Europe can offer such care, and can also treat patients in isolation wards.
Both nurses and doctors are scarce in the regions most heavily affected by Ebola. Even before the current crisis killed many of Liberia’s health professionals, there were fewer than fifty doctors working in the public health system in a country of more than four million people, most of whom live far from the capital. That’s one physician per 100,000 population, compared to 240 per 100,000 in the United States or 670 in Cuba. Properly equipped hospitals are even scarcer than staff, and this is true across the regions most affected by Ebola. Also scarce is personal protective equipment (PPE): gowns, gloves, masks, face shields etc. In Liberia there isn’t the staff, the stuff or the space to stop infections transmitted through bodily fluids, including blood, urine, breast milk, sweat, semen, vomit and diarrhoea.
But the fact is that weak health systems, not unprecedented virulence or a previously unknown mode of transmission, are to blame for Ebola’s rapid spread. Weak health systems are also to blame for the high case-fatality rates in the current pandemic, which is caused by the Zaire strain of the virus. The obverse of this fact – and it is a fact – is the welcome news that the spread of the disease can be stopped by linking better infection control (to protect the uninfected) to improved clinical care (to save the afflicted). An Ebola diagnosis need not be a death sentence. Here’s my assertion as an infectious disease specialist: if patients are promptly diagnosed and receive aggressive supportive care – including fluid resuscitation, electrolyte replacement and blood products – the great majority, as many as 90 per cent, should survive.
Ebola is more a symptom of a weak healthcare system than anything else. But until this diagnosis is agreed on, there’s plenty of room for other, more exotic explanations. The palaver (as Liberians say) includes a lot of talk about the ‘cultural beliefs and behaviours’ said to propagate the outbreak. The list usually includes activities that are not really ‘behaviours’, such as hunting and eating bush meat, taking part in strange funerary practices or the bizarre rituals of ‘secret societies’ like the Poro or the Human Leopard Societies. […] Despite anthropologists’ fondness of recounting such practices, these rites are not suspected of having played a major role in outbreaks of Ebola in Congo, Uganda and Sudan over the last forty years. The inhabitants of coastal West Africa have eaten bush meat for centuries and they have prepared the dead for burial without taking precautions to stop transmission of a pathogen like Ebola.
What accounts for Ebola’s spread from Guéckédou to Monrovia and Freetown and now to Dallas? As Larry Brilliant, who helped to eradicate smallpox almost forty years ago, just as Ebola was being discovered, and now heads the Skoll Foundation’s Global Threats Fund, has observed, ‘Outbreaks are inevitable. Pandemics are optional.’ The eating of bush meat can’t possibly explain the epidemic, but grotesque and growing disparities in access to care – in the context of a globalised political economy – can. The attempt to treat Ebola patients in a weak health system – or at home – has been strongly linked to the transmission of the virus. In several West African hospitals, Ebola has ripped through the professional staff: health professionals, nurses’ aides, morgue attendants. Understaffed and undersupplied, front-line health workers in West Africa have good reason to be afraid. We who aim to help them, though better equipped, are afraid too.