Désiré Y. Ngom
Les élections générales (présidentielle et législatives) du 07 Mars 2018 en Sierra Leone ont montré une fois de plus que ce pays d’Afrique de l’Ouest – de 7.4 millions d’âmes (http://bbc.in/1uiNfRe)- sait relever les grands défis. La légère avance du leader de l’opposition au premier tour Maada Bio, candidat du Sierra Leone People’s Party (SLPP), n’est pas seulement le signe d’un rendez-vous démocratique honoré par le peuple sierra-léonais. Elle est également une manifestation de la volonté populaire de poursuivre le processus de stabilisation lancé depuis la fin de la guerre civile en 2001, et plus récemment depuis la crise d’Ebola en 2014.
Devançant le candidat du parti au pouvoir, Samura Kamara, qui a obtenu 42,7% des votes, Maada Bio avec un score de 43,3% se place devant les 15 autres candidats au fauteuil présidentiel. Lui et son parti n’ont décidemment pas souffert de la défection de bon nombre de leurs leaders, dont la plupart se sont regroupés autour de la National Grand Coalition (NGC) de Kandeh Kolleh Yumkella (KKY) arrivé troisième avec 6,9% des voix. Ce dernier est suivi par l’ancien vice-président et non moins ancien membre du parti au pouvoir, Samuel Sam-Sumana, qui a obtenu 3,5% des voix.
Pour une première participation sous la bannière de leurs propres formations politiques, ces deux derniers candidats ont obtenu des résultats qui paraissent faibles mais qui sont significatifs dans la perspective du second tour
L’histoire électorale sierra-léonaise a toujours été marquée par deux principaux partis : le SLPP et l’All People Congress (APC). Ces dernières élections générales sont la preuve que cette donne n’a pas encore évolué, même si elle a subi un léger changement avec l’avènement de Yumkella et dans une moindre mesure de Sam-Sumana, qui se positionnent comme des alternatives au bipartisme. Pour une première participation sous la bannière de leurs propres formations politiques, ces deux derniers candidats ont obtenu des résultats qui paraissent faibles mais qui sont significatifs dans la perspective du second tour. D’ores et déjà, ils se placent en quasi « faiseurs de rois », pouvant affecter positivement le score d’un des candidats du second tour en donnant une consigne de vote au niveau de leur région de solide implantation. Ces élections générales ont aussi confirmé que le caractère ethnique et/ou régional reste un facteur important du jeu politique en Sierra-Leone. De ce fait Sam Sumana est mieux placé que le candidat du NGC pour donner une consigne en faveur du candidat Maada Bio, car il lui sera facile de compter sur ses électeurs qui étaient contre son exclusion de l’APC.
Quant à Yumkella, il aura quelques difficultés à orienter le vote de ses électeurs du Nord en faveur de sa formation politique d’origine qu’est le SLPP. Mais aussi et surtout, le candidat du NGC risque-t-il de froisser un électorat qu’il a pu acquérir grâce à un discours nouveau sur la gestion du pays affectée par ce bipartisme qui n’a que trop duré. Quant aux candidats restants, les 15 000 voix qui séparent les qualifiés pour le second tour font de leurs faibles scores de précieux moyens d’échanges, qui pourront engendrer des alliances fructueuses avec le parti qui gouvernera le pays après le 27 mars 2018, date du second tour.
Rien n’est encore gagné pour le brigadier à la retraite Maada Bio, ni perdu pour l’ancien ministre des Affaires étrangères et candidat de l’APC, Samura Kamara. Par contre, il faudra que chacun d’eux puisse largement remporter son fief régional et minimiser l’écart dans le fief de l’adversaire. L’APC aura le défi de reconquérir toute la partie septentrionale, surtout le bastion de Yumkella à Kambia (Nord-Ouest) où le parti au pouvoir a concédé une défaite cuisante et historique. Quant à Maada Bio, l’heure est au maintien des voix et aux alliances utiles, mais aussi doit-il tout faire pour reproduire la belle percée de son parti dans le Nord. Le SLPP qui a obtenu 13,9% des votes dans cette partie du pays devra persévérer notamment pour puiser dans l’électorat de Yumkella plus enclin à voter pour cette formation politique à forte coloration sudiste.
KKY une troisième place … pas si confortable !
Celui qui était pressenti pour remplacer le président sortant, Ernest Bai Koroma, a dû tomber du haut du nuage sur lequel il était perché durant toute la période de la campagne électorale. En voyant ses faibles résultats obtenus dans le sud du pays, cet ancien membre du SLPP ne s’imaginait pas subir une telle débâcle dans le fief de sa formation politique d’origine, signe d’un rejet total des Sudistes.
Fort heureusement pour le natif de Kambia, il a détrôné l’APC dans cette partie du Nord-Ouest avec 42,6% des voix contre 39,91% pour le parti de Samura Kamara. Mieux, cet ancien fonctionnaire des Nations unies a pu remporter des voix, en obtenant plus de 12% des votes dans trois autres districts du Nord que sont : Port Loko (12,10%), Falaba (16,22%) et Koinadugu (15,44%). Ces résultats présageraient un avenir meilleur à Yumkella dans cette province du Nord, cependant tout dépendra de l’attitude qu’il aura adoptée d’ici le second tour.
Ainsi un retour au sein de sa formation politique d’origine semble risqué pour KKY, car non seulement ceci équivaudrait à un retour à la case-départ et une mort politique quasi-certaine assurée par ses anciens collaborateurs, notamment Maada Bio himself
Donc entre une mort douce au sein du SLPP et une perte de la confiance naissante de ses électeurs notamment ceux du Nord, la meilleure alternative qui s’offre au candidat du NGC semble être la neutralité, laissant ainsi à son électorat leur libre choix
Mais aussi un retour au SLPP lui causerait la perte de son électorat au Nord du pays et ne manquera pas d’affaiblir sa position dans ce parti, dans la mesure où il ne disposerait plus de base politique qui tienne. Yumkella dans son choix à venir devrait se rappeler du cas de Charles Margai du People’s Movement for Democratic Change (PMDC). Ce dernier, arrivé en troisième position pendant la présidentielle de 2007 avec 12,56% des voix, a été victime de son très mauvais choix. Il avait fait faux bond à son voisin du Sud et candidat du SLPP, Solomon Berewa, et avait soutenu le candidat de l’APC – Bai Koroma. La conséquence a été une dégringolade durant les premiers tours de l’élection présidentielle de 2012 avec 0,24% des voix et 1,27 % en 2018.
Outre ses « électeurs affectifs », en soutenant le SLPP, Yumkella pourra aussi dire adieu à son électorat jeune qui ne le voyait pas encore comme un « opportuniste » en politique. Donc entre une mort douce au sein du SLPP et une perte de la confiance naissante de ses électeurs notamment ceux du Nord, la meilleure alternative qui s’offre au candidat du NGC semble être la neutralité, laissant ainsi à son électorat leur libre choix. Toute alliance qu’il aura nouée, pourrait avoir de lourdes conséquences sur le reste de sa carrière politique, notamment l’espoir de représenter avec son parti le Nord.
Sam-Sumana Samuel… Le pardon vaut-il mieux que la revanche ?
Un retour de cet ancien vice-président au sein de l’APC serait signe d’une réelle amnésie de sa part et même du syndrome de Stockholm. Excommunié, chassé et humilié, le candidat de la « Coalition for Change » a tout de même réussi à gagner son district de Kono (à l’est du pays) avec 49,69% des votes, suivi du candidat du SLPP qui en obtient 21,86%. Son pari gagné, il a l’occasion de donner le coup de glaive à son ancien parti, qui pourtant s’en est bien sorti avec un score de 20,94%, et d’offrir ainsi une victoire assurée au SLPP dans cet ex-bastion de l’APC.
Le soutien affectif qu’il avait reçu de certains membres du SLPP lors de son exclusion du parti au pouvoir et de la vice-présidence du pays en 2015 pourrait lui servir de motif pour offrir gracieusement Kono à Maada Bio. Ce dernier a partiellement gagné son pari dans ce district d’où est issu son colistier candidat à la vice-présidence, le docteur Mohamed Juldeh Jalloh. Ainsi Bio et Juldeh Jalloh pourraient compter sur une réponse favorable des électeurs de Sam-Sumana à l’appel au regroupement derrière un autre fils de Kono.
Bio et Juldeh Jalloh pourraient compter sur une réponse favorable des électeurs de Sam-Sumana à l’appel au regroupement derrière un autre fils de Kono
En fin de compte, ces élections générales se disputeront comme à l’accoutumée, entre le SLPP et l’APC et, dans une grande mesure, entre le Nord et le Sud. L’avantage d’être sorti en tête au premier tour, même avec une très courte avance, procure un certain avantage à Maada Bio qu’il pourrait conserver en s’adjugeant les voix des électeurs de Sam-Sumana dans la partie orientale de la Sierra Leone.
Même stratégie du côté du parti au pouvoir, notamment dans le Nord-Ouest où l’heure du rassemblement de toutes les forces de l’APC devient une impérieuse nécessité. En plus de l’est du pays, l’APC doit conserver la Western Area Urban District, y compris la capitale Freetown, et la Western Area Rural District. Le SLPP a fait de bons scores dans ces parties du territoire, en y obtenant successivement 33,36 % et 34,69% des voix.
Sources :
Sierra Leone Open Election Data Platform
Crédit photo : Deutsche Welle
Désiré Y. Ngom est diplômé en Droits de l’Homme et Droit international humanitaire de l’Université Evry Val d’Essonne (France). Il est intéressé par les affaires politiques, électorales et par la prévention et la gestion des conflits armés.
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Très bonne analyse au total. Elle aurait gagné de façon substantielle à réfléchir davantage sur les programmes des partis, les chances et opportunités réelles de voir et les partis et leurs leaders, une fois élus, faire face aux besoins dramatiques des populations dans les domaines de santé, d’education, de l’eau et des infrastructures minimales dans et entre les provinces.