Enquête sur les politiques migratoires en Afrique de l’Ouest
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Rédigée par l’International Centre for Migration Policy Development, et l’Organisation internationale pour les migrations (Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre).
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Introduction
L’Afrique de l’Ouest se caractérise – entre autres – par une croissance démographique rapide et une urbanisation en augmentation constante. Ces facteurs affectent les modèles migratoires dans la région et exigent une réponse collective des États d’Afrique de l’Ouest1 engagés dans le processus d’intégration régionale initié il y a près de quarante ans dans le cadre de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Les données disponibles aujourd’hui ne permettent pas d’avoir une vue globale des politiques et pratiques existantes en matière de migrations en Afrique de l’Ouest ni des instruments et des mécanismes destinés à leur mise en application. Cette étude, qui se propose de combler en partie ce manque de connaissances et de données, devrait permettre de mieux comprendre les politiques migratoires des pays de la région et de mettre en lumière certaines incohérences. Elle se veut également un outil pour aider les États à définir leurs orientations futures et à trouver un terrain d’entente dans le débat sur les questions migratoires aux niveaux international, régional et national.
Données et tendances clés sur les migrations dans la CEDEAO
Contexte socio-économique et géopolitique
L’Afrique de l’Ouest se caractérise par une croissance démographique soutenue et un dynamisme économique associé à un contexte socio-économique morose. Depuis 2005, la population régionale augmente rapidement, atteignant en 2010 301,4 millions d’individus, avec une moyenne d’âge de 18 ans.
Par ailleurs, le taux de chômage y demeure inquiétant : entre 10% et 20% en 2010 selon les estimations de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) (2013). En outre, une grande partie de la population exerce une activité précaire (79% en 2009) et travaille dans le secteur informel.
La région connaît une insécurité et une instabilité récurrentes. Ces dernières décennies, l’Afrique de l’Ouest a été le théâtre de plusieurs conflits armés (Côte d’Ivoire 2002-2007, Liberia 1999-2003, Mali 2012-aujourd’hui, Nigeria 1996, Sierra Leone 1991-2002) et, selon le Failed States Index 2013 [Liste des États en déliquescence], la plupart des pays de la CEDEAO (à savoir : Burkina Faso, Guinée, Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Liberia, Niger, Nigeria et Sierra Leone) présentent des risques de conflit ou d’effondrement.
Systèmes nationaux de collecte de données sur les migrations
Tous les pays recueillent des statistiques sur l’immigration au travers des recensements de la population et de l’habitat. Hormis dans quelques-uns d’entre eux, Ghana et Guinée-Bissau notamment, ces enquêtes ne comportent pas de questions sur l’émigration. Signalons aussi que quelques pays ont réalisé des sondages sur les conditions de vie et les migrations qui nous apportent des informations complémentaires.
L’avantage des recensements généraux de la population et de l’habitat est qu’ils fournissent des données sur tous les immigrants, indépendamment de leur statut juridique. Leur principal désavantage, en revanche, est qu’ils sont irréguliers : les derniers recensements réalisés au Bénin et au Sénégal datent de 2002.
Les chiffres relatifs à la population émigrante présentés dans les chapitres pays proviennent de sources diverses et notamment de rapports de recherche et de données non publiques fournies par les représentations diplomatiques et consulaires ou les autorités nationales. L’origine de ces données n’est pas toujours claire mais il s’agit souvent des registres consulaires ou électoraux
Modèles et tendances migratoires
La majorité des mouvements de population sont de nature intra-régionale. Les chiffres montrent que 84% des flux migratoires en Afrique de l’Ouest ont pour destination un autre pays de la région ; un chiffre sept fois plus élevé que celui des flux vers les autres régions du globe. Seuls quatre pays ont un pays de l’OCDE comme première destination d’émigration : le Portugal pour le Cap-Vert, l’Espagne pour la Gambie, le Portugal pour la Guinée-Bissau et les États-Unis pour le Nigeria.
Autres flux migratoires
Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), en 2013, le Mali était le premier pays d’origine des réfugiés et des déplacés internes en région CEDEAO22. En 2010, la Guinée-Bissau était le pays avec le ratio immigrants/population nationale le plus élevé, suivi de la Sierra Leone et du Liberia (respectivement 40.7%, 16.9% et 13.8%).
Le trafic illicite de migrants ouest-africains dans la région est rare en raison de la libre circulation qui y prévaut, mais souvent signalé le long des routes migratoires passant par l’Afrique du Nord ou les Canaries pour rejoindre l’Europe occidentale.
Les données récentes montrent cependant un recul de la migration irrégulière entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe et une évolution des routes migratoires sous l’effet des opérations menées par FRONTEX. Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 9.35% (17 665) des migrants irréguliers interpellés en Europe en 2011 venaient de pays ouest-africains, une diminution de 33% par rapport aux chiffres de 2010.
Selon de Haas, les migrants irréguliers africains migrent en majorité seuls, avec l’aide de petits réseaux de passeurs et non de grandes organisations criminelles internationales30. Toutefois, il arrive souvent que la traite31 et le trafic illicite se recoupent ; les migrants commençant leur périple de leur propre initiative avec l’aide de passeurs et finissant victimes de la traite.
Les macrodonnées de la Banque mondiale sur les migrants de la région montrent un équilibre au niveau du genre – quel que soit le pays, l’immigration féminine avoisine les 50% en 2010. Les données des recensements citées dans les chapitres pays et le tableau ci-dessous indiquent, elles, une pré- dominance de l’immigration masculine qui s’explique probablement par le fait que ces données sont parfois obsolètes et que la participation des femmes dans les migrations a augmenté depuis le dernier recensement. Au niveau des immigrants CEDEAO (les chiffres précités se référant aux immigrants en général), une récente étude publiée par l’Observatoire ACP sur les migrations et basée sur les recensements nationaux montre une prédominance d’hommes dans tous les pays où les données étaient disponibles (Cap-Vert, Ghana, Liberia, Sierra Leone, Togo) hormis le Burkina Faso. Au Cap-Vert, la proportion d’hommes parmi les immigrants CEDEAO est très élevée avec 87.2%38.
Les flux migratoires impliquent tant des travailleurs qualifiés que non qualifiés. Toutefois, les migrants de la CEDEAO ont généralement un niveau d’éducation faible. Un pourcentage très haut des Maliens et Nigériens résidant au Burkina Faso n’ont pas été scolarisés (respectivement 83.2% et 71.7%. La migration hautement qualifiée vise principalement les pays industrialisés (voir encadré ci-dessous) mais est également présente à l’intérieur de l’espace CEDEAO avec les enseignants béninois au Gabon43 et les Togolais parmi le personnel éducatif au Nigeria et au Ghana, notamment
Les initiatives diplomatiques sur la migration de travail ont progressé dans la région. Près de la moitié des États ont conclu des accords bilatéraux en matière d’emploi qui facilitent l’accès de leurs ressortissants aux marchés des pays partenaires extérieurs à la CEDEAO (Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Gambie, Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Sierra Leone). Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo ont signé la Convention CIPRES, une convention régionale de sécurité sociale
Migration et développement
Des projets favorisant le retour temporaire d’émigrants sont menés dans la plupart des pays afin de contrebalancer les effets de la fuite des cerveaux (Bénin, Cap-Vert, Ghana, Niger, Mali, Nigeria, Séné- gal, Sierra Leone et Togo et, au moment de la rédaction de cette étude, la Guinée-Bissau s’apprêtait à mettre en place un projet similaire). En outre, la majorité des pays ont des programmes de réinsertion des migrants de retour (Bénin, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Mali, Sénégal, Sierra Leone et Togo) mais, faute de moyens suffisants, ils sont généralement mis en œuvre avec l’aide d’organisations internationales ou d’ONG.
Protection des migrants
Partout dans la région, la mise en œuvre des politiques de protection à l’égard des nationaux à l’étranger ou des candidats-migrants semble freinée par des problèmes financiers. Quelques pays ont lancé des initiatives visant à informer les candidats-migrants sur les différents aspects du processus d’émigration, les possibilités de migration légale et les conditions de vie/travail à l’étranger (Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée, Mali, Sénégal, Sierra Leone et Togo). Le Nigeria prévoit de créer des centres d’information pour les migrants et de lancer des campagnes d’information pré- départ. Les initiatives de protection des migrants menées par les représentations diplomatiques et consulaires sont peu nombreuses.
Recommandations
Institutions publiques
- Promouvoir la mise à niveau de la législation nationale régissant l’entrée et le séjour des étrangers sur le territoire national de manière à achever la transposition du Protocole de 1979 sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement et de ses protocoles additionnels dans le droit national.
- Renforcer la coordination intra-gouvernementale entre acteurs clés des migrations via la création de comités interministériels permanents.
- Garantir la convergence entre la politique de gestion des migrations et d’autres politiques sectorielles en intégrant les migrations dans les plans nationaux pour le développement et en renforçant la coordination entre acteurs clés aux niveaux central et local.
- Garantir une approche centrée sur les migrants dans toutes les stratégies et initiatives menées dans le domaine des migrations, en respectant les droits humains des migrants tout au long du cycle de migration avec une attention particulière pour les migrants vulnérables.
Organisations internationales
- Allouer des ressources aux projets qui renforcent les liens transnationaux entre les diasporas et leurs pays d’origine à d’autres niveaux que les thématiques habituelles que sont les transferts de fonds et la fuite des cerveaux.
- Financer la recherche sur le sujet et diffuser les rapports à un large public de manière à alimenter le débat sur les migrations au niveau mondial et régional.
- Promouvoir la cohérence politique dans le cadre des dialogues mondiaux et régionaux sur les migrations afin de garantir la convergence entre les politiques économiques, commerciales et d’aide au développement et les politiques migratoires.
Organisations de la société civile
- Soutenir la mise en réseau et la coopération entre les organisations spécialistes des migrations et les agences de développement, ainsi qu’entre les organisations de la diaspora et les structures locales de développement. Apporter une visibilité à ces initiatives de manière à inciter les gouvernements à faire de même.
- Mettre en place des processus de consultation avec les représentants de la diaspora pour leur permettre de participer et d’exprimer leurs points de vue sur la planification du développement national.
- Aider les initiatives de sensibilisation et de plaidoyer des organisations de la société civile qui visent la promotion d’approches holistiques des migrations et la protection des droits des migrants.
- Renforcer les capacités des organisations de la société civile dans tous les domaines utiles pour leur donner les moyens d’exploiter et de participer pleinement aux dialogues nationaux, régionaux et mondiaux sur les migrations.
Universités et chercheurs
- Renforcer la collecte et l’analyse des données sur les migrations, en particulier sur la diaspora, pour permettre l’élaboration de politiques d’émigration solides, adaptées aux besoins du pays.
- Renforcer les interactions entre la recherche et les agences gouvernementales afin de susciter de nouvelles approches des migrations et l’élaboration de politiques éclairées.
- Intensifier la recherche sur les effets négatifs et positifs des migrations sur le développement pour alimenter le débat actuel sur les politiques de développement.
Intensifier la recherche sur les besoins du marché du travail national afin de garantir l’adéquation des politiques de migration de travail avec les besoins du pays.