Isis Noor Yalagi ancienne manager culturel, activiste panafricaine, écologiste et permacultrice
Partie III : Dans le vécu quotidien en Afrique, la femme est le socle de la société
L’équipe de WATHI a reçu dans ses locaux Madame Isis Noor Yalagi le 21 mars 2017 lors d’un séjour à Dakar. Cette rencontre a permis d’aborder de nombreux sujets cruciaux pour l’avenir de l’Afrique de l’Ouest et du continent : jeunesse africaine entre milieu urbain et monde rural, questions écologiques et place des pays africains dans la mondialisation, le discours sur le panafricanisme et la gouvernance politique des Etats, question de l’autosuffisance alimentaire et la place des femmes dans nos Etats. Isis Noor Yalagi est une femme d’expérience attachée au continent. WATHI s’est entretenu avec une femme libre proposant une vision personnelle de l’état du continent.
Extraits de l’entretien avec Isis Noor Yalagi
Les sociétés africaines ont toujours été des sociétés matriarcales
Nous ne pouvons pas parler des femmes d’aujourd’hui sans parler de celles d’hier sur le continent africain. Il y a un lien mais il n’y a pas de dualité ni de concurrence possible. Les sociétés africaines ont toujours été des sociétés matriarcales, cela nous vient basiquement de la position du continent africain. L’Afrique est la terre mère de l’humanité. C’est du continent que sont partis les enfants d’Afrique pour aller peupler le reste de l’humanité. En fonction des endroits où ils se sont retrouvés, ils ont dû s’adapter aux environnements pour devenir des Asiatiques, des Occidentaux, des Amérindiens… L’Afrique est la terre mère de l’humanité.
L’Afrique était non seulement un continent matriarcal mais il était aussi un continent où l’essence même de la divinité était la “déesse mère”. La dimension du féminin en Afrique existe depuis très longtemps. Elle existe avant l’arrivée des colonisations orientales et occidentales. Lorsque vous regardez un peu l’histoire, vous vous rendez compte que l’ensemble ou du moins beaucoup d’ethnies africaines ont eu une mère fondatrice, une “déesse mère”.
En tout cas, dans ces sociétés, la femme était reconnue en tant que leader sur le plan économique, politique, social, culturel, cultuel et spirituel. Bien sûr, en général, avec un lien très fort avec la terre et l’agriculture. C’était la place du féminin, accompagnée du masculin. Ce n’était pas une histoire de dualité, de puissance…
Lorsque vous regardez un peu l’histoire, vous vous rendez compte que l’ensemble ou du moins beaucoup d’ethnies africaines ont eu une mère fondatrice
L’avènement des colonisations orientales et occidentales a changé cette donne. Ce sont des colonisateurs, des hommes qui sont venus. Ils ont eu à affaire à leurs paires, en tant qu’hommes. Ils eurent le discours suivant: “on vous donne le pouvoir, mais nous ne sommes pas d’accord avec le pouvoir féminin”. Des accords se sont fait pour petit à petit écarter la femme de cette place privilégiée qu’elle avait dans la société. En l’écartant, il y a eu ce que j’appelle une amnésie avec le temps et l’espace. Avec la colonisation, on vient et on t’éduque. Lorsque tu veux reprendre ta place, on t’abat.
Les religions ont aussi eu un impact important, que ce soit l’Islam ou le Christianisme… Ils sont venus avec leur dogme où la femme n’avait pas une place de premier plan. Cela fait aussi partie des éléments qui ont affaibli la position de la femme sur le continent africain.
Lorsque je viens dans des pays d’obédience musulmane, c’est très différent. Même si les femmes mènent de nombreuses activités, leur visibilité sur le marché du travail, sur la marche de l’économie et dans le domaine spirituel est moins importante. Au Togo, et pas simplement là-bas, au Ghana, au Nigéria, au Bénin etc, les femmes à partir de 17 heures sont dans la rue jusqu’à 2 heures du matin. Elles vendent de la nourriture. Le lendemain vous les revoyez au marché, elles portent, elles vendent… Au Togo, je fais partie d’une culture où les femmes ont une puissance économique. Que ce soit au Ghana, au Togo ou au Bénin, elles sont reconnues en tant que telles.
Une révolution sociale initée par les femmes est entrain de se mettre en oeuvre sur le continent
Aujourd’hui, je me rends compte qu’on est dans une période de transition. Entre les mères et les filles ce ne sera pas la même chose. Il va y avoir une révolution sociale au niveau des femmes. Elles vont de plus en plus demander à avoir leur place et leur mot à dire dans la société. La mémoire oubliée va être réactivée. Il est clair, et on le voit bien souvent, que les femmes sont de plus en plus présentes dans le milieu scolaire et à l’université. Elles s’accrochent et elles se battent pour cela. Que nous le voulions ou non, on ne peut pas empêcher les choses de se faire. Elles vont être à leur place. Il ne s’agit pas de pousser, il s’agit de pouvoir accompagner un mouvement d’une manière la plus juste et la plus équitable possible.
Vous savez, les Etats-Unis n’ont pas réussi à élire une femme. Je crois qu’il y a trois femmes présidentes en Afrique. Il suffit simplement de consulter le livre de l’histoire. La vie nous montre que nous aurons des présidentes et des femmes à des hauts postes de responsabilité sur le continent africain. Qu’on le veuille ou non c’est dans l’ordre des choses. Cela appartient à notre histoire. La mémoire oubliée se réactive dans nos gènes. Elle se réactive parce que dans le quotidien de nos vécus, la femme est la base du continent africain. Elle est celle vers qui on se tourne. Nous allons voir ces mères, c’est elles qui gèrent l’existence, et c’est ce témoin qu’elles passent à leurs filles. Qu’elles fassent des études ou mènent d’autres activités, les filles ont engrangé cela dans leurs “cellules”. C’est quelque chose qui va être incontournable dans les années à venir.
Le féminisme et le poids des femmes dans nos sociétes
On parle de mouvements féministes. Suis-je féministe ? Je ne le sais pas, mais en tout cas le combat de la femme est important pour moi. Pas dans une démarche de dualité avec l’homme, mais pour lui redonner sa juste place dans l’équilibre de la société. Cela est important. Je pense qu’elle est beaucoup plus intuitive et attentionnée. Quand elle n’est pas dans une démarche mercantile, à la recherche uniquement de l’argent, elle est une personne sur laquelle on peut vraiment s’appuyer, parce qu’elle gère avec beaucoup de précision les bienfaits de la nation. Les bienfaits de la nation commencent dans les foyers.
Je crois qu’il y a cette liaison à faire et à revoir avec l’homme. Comment ensemble, dans une dimension de complémentarité, ils peuvent avancer pour le bien de nos sociétés. Cela est important pour moi. On ne peut pas ignorer cela et penser que la démarche féministe serait éventuellement uniquement une dimension occidentale.
Suis-je féministe ? Je ne le sais pas, mais en tout cas le combat de la femme est important pour moi. Pas dans une démarche de dualité avec l’homme, mais pour lui redonner sa juste place dans l’équilibre de la société
La démarche du féminin en Afrique est fondamentalement liée au vécu africain. Je viens du Togo. Dans mon pays, je fais partie d’une famille où mon arrière grand-mère faisait partie des premières “Nana Benz”. Ce sont des femmes qui , sur le plan économique et financier participaient réellement à l’économie du pays. Elles continuent aujourd’hui à participer à l’économie du pays et elles sont incontournables. Si elles ne sont pas encore, d’une façon globale, réellement aux postes les plus élevés, je crois que ce n’est qu’une question de temps. Dans certains pays, sur le plan économique elles ont la mainmise sur bien des domaines.
Nous ne pouvons pas faire sans la femme africaine. Ce n’est pas possible. Elle sera partout et dans tous les domaines. Dans toutes les strates de la société elle sera présente. Maintenant, il est important qu’elle le fasse avec la conscience qu’elle est une actrice importante du développement du continent africain, dans une humanité en paix qui a retrouvé son harmonie et la sécurité de tous les siens.
Dans mon pays, je fais partie d’une famille où mon arrière grand-mère faisait partie des premières “Nana Benz”. Ce sont des femmes qui , sur le plan économique et financier participaient réellement à l’économie du pays.
Je pense que l’Afrique est sur une bonne voie. Je pense que si nous nous concertons et que nous revoyons les choses, nous pourrons être le continent où le féminin, sur tous les plans, aura une place importante.
La question de l’égalité entre les hommes et les femmes
Quand on parle d’égalité, cela me fait souvent sourire. Je crois que cela a été un “marché de dupes”. Nous sommes humainement égaux. Nous sommes des êtres humains d’abord, nous sommes égaux. Cependant, nous sommes complémentaires par les énergies que nous portons en nous. L’énergie féminine d’un côté et l’énergie masculine de l’autre. Chacune porte une entité spéciale. Cette histoire d’égalité vraiment, je crois que c’est une histoire de dupes qu’on a voulu nous faire croire. Je suis égale en tant qu’être humain à un autre être humain. Nous venons tous d’une même matrice qui est une matrice féminine. La femme quand elle porte un enfant dans son ventre, elle ne fait pas de différence. Elle allaite de la même manière durant les neuf premiers mois et les trois premières années, elle donne à l’enfant le même sein et la même nourriture.
Nous sommes des êtres humains, et en tant que tels nous sommes tous égaux. Il faut revoir cela. Je ne suis pas un “genre” non plus. A l’école, on apprend “le”, “la”, “les”… Non ! Je suis un être humain, et je suis d’essence féminine. Il faut revoir le propos, il faut revoir le langage qu’on utilise. Je ne suis pas d’accord avec le terme “genre”. Je ne sais pas où ce mot a été inventé, mais il ne me convient pas. Je suis pour que nous puissions, en tant qu’énergies complémentaires, nous retrouver et trouver notre juste position dans notre humanité.
La femme quand elle porte un enfant dans son ventre, elle ne fait pas de différence. Elle allaite de la même manière durant les neuf premiers mois et les trois premières années, elle donne à l’enfant le même sein et la même nourriture
Je pense qu’il faut revoir aussi la façon dont les hommes se sont accaparés du pouvoir sur la Terre, la façon dont ils ont mis la Terre dans un état de guerre constante. Nous sommes constamment en guerre et constamment en dualité. Je crois que les hommes doivent se calmer et revoir la façon dont ils agissent. Je ne pense pas qu’ils fassent tant de bien que cela. Leur seule vue, c’est le pouvoir, l’argent, et quel que soit le moyen, ils veulent faire de l’argent. Ils ne pensent pas au bien-être, ils ne pensent pas à l’accalmie, ils ne pensent pas à l’harmonie.
Je dis souvent, et c’est peut être une utopie et les gens riront en m’écoutant, que l’amour sera un jour une valeur politique
Je dis souvent, et c’est peut être une utopie et les gens riront en m’écoutant, que l’amour sera un jour une valeur politique. L’humanité a besoin de paix maintenant. Les hommes, partis dans leur démarche d’abus dans tous les domaines, et de guerre dans tous les domaines, ont oublié que l’humanité a besoin de stabilité. Cela, la femme peut l’amener, avec une gouvernance apaisée.