Isis Noor Yalagi ancienne manager culturel, activiste panafricaine, écologiste et permacultrice
Partie IV : Les gouvernants africains passent à côté des aspirations de leur jeunesse
L’équipe de WATHI a reçu dans ses locaux Madame Isis Noor Yalagi le 21 mars 2017 lors d’un séjour à Dakar. Cette rencontre a permis d’aborder de nombreux sujets cruciaux pour l’avenir de l’Afrique de l’Ouest et du continent : jeunesse africaine entre milieu urbain et monde rural, questions écologiques et place des pays africains dans la mondialisation, le discours sur le panafricanisme et la gouvernance politique des Etats, question de l’autosuffisance alimentaire et la place des femmes dans nos Etats. Isis Noor Yalagi est une femme d’expérience attachée au continent. WATHI s’est entretenu avec une femme libre proposant une vision personnelle de l’état du continent.
Extraits de l’entretien avec Isis Noor Yalagi
La jeunesse est une laissée pour compte alors qu’elle est la force du continent africain
En ce qui me concerne, il y a deux publics cibles qui sont la force du continent africain : les femmes et les jeunes. J’ai la certitude qu’en investissant financièrement sur sa jeunesse, l’Afrique a tous les moyens et les possibilités dans les années à venir d’être un continent au sommet de tout. Mais faudrait-il encore que les gouvernants africains comprennent que l’enjeu principal du continent est la jeunesse africaine. Sans cette jeunesse, il n’aura rien. Alors oui, on va vendre nos minerais, on va vendre nos ressources naturelles, on va “abrutir” nos populations de tous les maux de la mondialisation mais on ne va pas investir dans l’éducation, dans la santé, dans la sécurité alimentaire et dans la paix.
J’ai la certitude qu’en investissant financièrement sur sa jeunesse, l’Afrique a tous les moyens et les possibilités dans les années à venir d’être un continent au sommet de tout
L’éducation est la base. C’est par la jeunesse que la continuité de notre continent africain va se faire. Elle est la base de tout. Si les gouvernants africains pensent que notre jeunesse n’est pas l’élément principal de notre devenir, alors c’est à la société civile de prendre cette démarche en charge, de créer partout où il est possible cette transmission de l’histoire du continent africain et de la diaspora panafricaine. Nous sommes un tout et il est important que lorsque nous parlons, nous parlons aussi de la diaspora panafricaine, qui est une force du continent africain aussi. Je crois qu’il y a à réfléchir sérieusement sur comment cette jeunesse peut acquérir cette transmission, et à partir de ce tremplin qui est une base fondamentale, puisse s’élever au service du continent pour trouver sa place au niveau de l’humanité.
Les possibilités pour les jeunes sont multiples. Je crois que l’un des outils importants, utilisé avec attention, sont les nouvelles technologies
Les possibilités pour les jeunes sont multiples. Je crois que l’un des outils importants, utilisé avec attention, sont les nouvelles technologies. Je crois qu’il y a suffisamment d’espaces et de lieux aujourd’hui, de jeunes leaders, pour faire en sorte que partout et de manière continue que cette histoire soit transmise. Je pense qu’il est temps d’activer, chez les jeunes africains, cette démarche de bénévolat. Elle n’a rien à attendre, elle doit être au service. Il y a un président américain (*John Fitzgerald Kennedy) qui disait : “ne vous demandez pas ce que les Etats-Unis peuvent faire pour vous, mais dites vous ce que vous pouvez faire pour les Etats-Unis”. Je dis à la jeunesse africaine : “ne vous dites pas ce que l’Afrique va faire pour vous, dites-vous ce que vous allez faire pour l’Afrique parce que vous êtes l’Afrique, levez-vous!”.
Une nouvelle conscience s’installe au sein de notre jeunesse africaine
Il y a une conscience aujourd’hui au niveau de la jeunesse africaine, je la vois. On fait des petits pas, mais on les fait quand même. Entre ma génération et votre génération, vous êtes nos enfants, il y a une prise de conscience. Il y a quelque chose qui monte. On voit très bien comment le Front Anti-CFA s’est répandu en un minimum de temps. Ca veut dire qu’il y a quelque part une jeunesse qui est prête. Je pense que ce qui lui manque, c’est un peu plus de détermination et de courage. Il faut qu’elle descende dans la rue, il faut qu’elle descende dans les écoles, il faut que les aînés qui sont dans les universités ou ceux qui sont dans un processus d’acquisition de diplômes aillent vers les plus jeunes. Que partout, dans tous les quartiers, cette démarche se mette en place, que cette histoire circule. Il faut être créatif. Il ne faut pas attendre le gouvernement. C’est à la jeunesse de se prendre en charge et de prendre en charge son devenir comme elle le sent, comme elle le voit et comme elle l’entend. Elle est la force et il faut qu’elle soit consciente de cela.
Il faut être créatif. Il ne faut pas attendre le gouvernement. C’est à la jeunesse de se prendre en charge et de prendre en charge son devenir comme elle le sent, comme elle le voit et comme elle l’entend
Il faut avoir cette vision, il faut oser rêver. Il faut oser visualiser la vie que l’on veut avoir et cette jeunesse africaine aujourd’hui a les moyens de le faire. C’est pas une histoire de moyens financiers. C’est une histoire de conscience, de confiance et de certitude que ce que l’on possède nous appartient. Nous avons tous les moyens de le transmettre et avec toutes les possibilités. Il y a des tas de places, des tas de lieux… Partout où vous allez le soir, posez un écran dans une cour, dans une place, n’importe où pour divulguer ce savoir du continent africain et de sa diaspora. Il n’y a rien de sorcier. C’est un choix de vouloir le prendre et de le mettre en place. N’attendez pas des autres qu’ils fassent pour vous ce que vous voulez et pouvez faire par vous même. Je parle simplement, parce qu’au quotidien j’agis, je n’attends pas. Il n’y a pas beaucoup de moyens mais il y a toujours un petit moyen. Je crois qu’il y a une possibilité, c’est de fédérer les énergies et de fédérer les forces.
En tant que jeunesse africaine, vous êtes la force du continent africain. Ce ne sont pas les gouvernants africains, c’est vous la puissance de chacun des pays du continent africain
En tant que jeunesse africaine, vous êtes la force du continent africain. Ce ne sont pas les gouvernants africains, c’est vous la puissance de chacun des pays du continent africain. Mais si vous ne comprenez pas, vous ne saisissez pas que c’est en mettant en place une union, une unité… si vous ne considérez pas cela comme un lien puissant et fort, vous allez être dans l’éclatement et vous n’y arriverez pas. Mettez-vous ensemble !
Je regarde souvent la jeunesse occidentale. Il y a une chose que j’aime chez la jeunesse occidentale : quand ils décident de faire quelque chose, chacun dit “je viens avec ceci, j’amène cela, je fais”. La jeunesse africaine est toujours en train de penser “qu’est-ce que cela va me rapporter? Qu’est-ce que cela va me procurer? Qu’est-ce qu’on va me donner?”. Non, non, il ne faut pas avoir ce genre d’attitude. Il faut se rassembler et il faut s’unir. Ce n’est pas simplement des mots qui font beaux quand on parle ensemble comme “Oui, l’unité africaine …”, mais dans les actes et dans les faits ça ne se voit pas. Il est très difficile de demander à une jeunesse de venir donner un coup de main, la question qu’elle se pose c’est qu’est qu’elle va en retirer.
La jeunesse africaine est toujours en train de penser “qu’est-ce que cela va me rapporter? Qu’est-ce que cela va me procurer? Qu’est-ce qu’on va me donner?”
Il est temps de passer à une autre étape, de devenir les adultes de demain : quels adultes de demain vous voulez être ? Quel exemple vous voulez être pour les enfants que vous allez avoir ? Pour les petits-enfants que vous voulez avoir ? Comment allez-vous marquer l’histoire du continent africain ? Elle ne s’écrit pas avec les gouvernants . Elle s’écrit avec chacun des individus du continent africain. C’est à vous de secouer les choses et d’amener une évolution des êtres pour une révolution sociale si possible en douceur. Vous avez tout ce qu’il faut pour faire des films, pour faire des montages, bouger à gauche, à droite… Vous avez tout ce qu’il faut, vous dormez…
C’est à vous de secouer les choses et d’amener une évolution des êtres pour une révolution sociale si possible en douceur
Nous sommes un continent qui dort. Si ce n’est pas pour le paraître, l’argent et la fête. Je ne vois pas. Bien sûr, je vais nuancer mon propos. Il y a une jeunesse qui monte. Il y a une jeunesse qui veut cet engagement, qui le porte, la preuve ! Mais vous pouvez faire plus encore. Vraiment, vous pouvez faire plus encore. Créer des espaces, des lieux, des maisons, des hubs où ça tourne, où ça bouge. Où tous les soirs, les vendredi, les samedi, les dimanche, on projette des films… On vous l’apportera pas, faites-le ! Et n’ayez pas peur du “qu’en dira-t-on” parce que les parents, les anciens… Nous, on s’en va ! Demain est à vous, alors osez créer l’Afrique de demain!