« Il faut aider les femmes en diminuant les taux d’intérêts des financements… »
Extraits de l’entretien
La situation des femmes au Sénégal
« Certains hommes disent qu’ils ne vont plus participer aux charges de la maison parce que leurs femmes participent à des projets ou à des tontines »
« La situation est très difficile. Les femmes rencontrent de nombreuses difficultés. Beaucoup de femmes n’arrivent pas à rembourser les prêts dans le cadre des financements de projet. Elles contractent des dettes parce que, chez elles, leurs maris ne leur donnent plus la dépense quotidienne. Ces derniers disent qu’ils ne vont plus participer aux charges de la maison parce que leurs femmes participent à des projets ou à des tontines. Elles peuvent tout faire par elles-mêmes. Ce qui rend les choses difficiles pour les femmes.
Les hommes ne nous soutiennent pas. Ils ne nous soutiennent pas du tout. Dieu sait que c’est vrai ! J’aurais voulu le dire devant eux. Vous auriez également vu d’autres femmes prendre la parole et raconter ce qu’elles endurent dans leurs foyers. Les femmes sont fatiguées.
De nos jours, chaque femme se débrouille chez elle mais personne ne reçoit de soutien
Les conditions de vie sont difficiles pour les femmes. Ces temps-ci, nous avons quelques sources de satisfaction. Les financements de la Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide (DER) sont disponibles, et les hommes comme les femmes en profitent. Nous espérons qu’avec cela les hommes vont changer. Nous l’espérons vraiment.
De nos jours, chaque femme se débrouille chez elle mais personne ne reçoit de soutien. Je veux dire que les femmes ne reçoivent pas assez de soutien. Nous n’avons pas de maternité ici. Nous habitons une zone très reculée. Lorsqu’une femme est prête à accoucher, il faut trouver une voiture pour l’emmener à l’hôpital. Parfois elle rencontre des problèmes dans la voiture avant d’arriver à destination, et il arrive que son enfant y laisse la vie.
Nous n’avons pas de maternité. Nous n’avons pas de poste de police. La commune de Yeumbeul souffre d’insécurité. Nous n’osons pas sortir de chez nous après le coucher du soleil. Il y a beaucoup de cas d’agression. Ils volent les bourses des vendeuses de poissons. Ils agressent certaines femmes qui se lèvent tôt le matin pour acheter des marchandises pour revendre. Yeumbeul est zone d’insécurité, mon quartier Afia est le pire. On le répète souvent dans les journaux. Tout ça pour vous dire que nous, les femmes, avons besoin d’un poste de police. Nous aimerions également faire du commerce mais c’est difficile sans soutien. Il y a des financements qui existent mais pas encore pour tout le monde. Certaines en ont reçu, d’autres non. »
Mécanismes de solidarité entre les femmes
« Je préfère les tontines aux banques »
« On se réunit tous les cinq jours. La cagnotte s’élève à 400.000 FCFA. On la donne à l’une d’entre nous afin qu’elle puisse en faire bénéficier aux membres de sa famille et investir dans le commerce. Ou alors, c’est elle-même qui s’en sert pour trouver un travail car il est difficile de tenir une maison. J’ai aidé à la constitution de beaucoup d’associations à Yeumbeul, je présente des projets aux banques que je transmets ensuite aux femmes.
Lorsqu’une femme est opprimée par son mari, je fais mon possible pour l’intégrer dans un des groupements de femmes afin qu’elle gagne assez d’argent pour acheter une maison. Si c’est ton enfant qui est au chômage, nous nous organisons pour lui donner 100.000 FCFA, prélevés de l’argent de nos groupements, afin qu’il fasse du commerce. Lorsque ton fils est en âge et en situation de se marier, nous te remettons un montant de 500.000 FCFA afin qu’il prenne une épouse. Cette dernière pourra donner un coup de main pour tenir le foyer. Toutefois, en tant que femmes, nous ne recevons pas assez de soutien.
Parfois, tu vas à la banque et tu vois qu’on a affiché la carte d’identité d’une femme. Ainsi, tout le monde est au courant que telle personne a contracté un prêt qu’elle n’a pas remboursé
Nous voulons travailler mais nous n’avons pas de moyens. Nous nous débrouillons avec nos propres ressources. D’autres femmes nous racontent les mêmes problèmes. Même dans les zones rurales, certaines d’entre elles m’appellent, croyant que je gère des projets. Mais nous n’avons rien d’autre que l’aide de Dieu dans nos regroupements. Nous fonctionnons seulement avec nos propres financements.
Les tontines sont une bonne chose. Personnellement, je préfère les tontines aux banques. J’ai eu ma maison grâce aux tontines. Ceci vaut pour plusieurs autres maisons qui ont été achetées grâce à l’argent des tontines. C’est pour cela que je préfère les tontines aux banques. Les banques nous présentent des complications tout le temps. Parfois, tu vas à la banque et tu vois qu’on a affiché la carte d’identité d’une femme. Ainsi, tout le monde est au courant que telle personne a contracté un prêt qu’elle n’a pas remboursé. Tout cela pour stigmatiser les femmes. Il ne faut pas humilier les femmes. »
Solutions pour l’autonomisation des femmes
« Il faut accompagner les femmes que l’on finance »
« Toute femme qui gère son travail de façon correcte peut s’en sortir. En tout cas, si toutes les femmes ressemblaient à celles des associations que je forme, elles rembourseraient toujours l’argent qu’on leur prête. De même, elles se mettraient au travail avec l’argent qu’on leur donne. Les femmes doivent également arrêter le gaspillage lors des cérémonies. Nous n’acceptons pas cela dans nos groupements. Une femme ne peut pas réussir en faisant cela.
La femme avait demandé à son mari de l’argent pour effectuer une visite médicale. Il lui a répondu qu’elle avait de l’argent avec les financements pour ses projets
Pour quelle raison une femme qui remporte la cagnotte de 500.000 FCFA va remettre cette somme à son amie sous prétexte que celle-ci l’a désignée comme marraine de son enfant ? Je ne le souhaite pas mais si ton amie décède, il viendra un jour où toi tu auras un événement à organiser et tu te mettras à regretter la somme investie au mariage d’un enfant qui n’est pas le tien. Ce mariage en lui-même n’aura pas de bénédiction.
Par ailleurs, les hommes doivent soutenir les femmes. Par exemple, les femmes qui sont enceintes connaissent des moments difficiles. J’ai connu un cas comme cela. La femme avait demandé à son mari l’argent pour effectuer une visite médicale. Il lui a répondu qu’elle avait de l’argent avec les financements pour ses projets. Comment faire dans une situation pareille ?
Il faut également accompagner les femmes que l’on finance. Lorsqu’elles ne peuvent pas rembourser les prêts dans les délais, il faut leur donner le temps de travailler et de gagner quelque chose. C’est la meilleure solution. Il faut aider les femmes en réduisant le taux d’intérêt des financements. Les banques doivent travailler sur ces aspects. Elles peuvent nous aider sur les questions de financement, être bienveillantes avec nous, nous informer de sorte qu’on puisse rembourser tout ce qu’on emprunte. »
Les femmes dans la politique
« Les femmes qui veulent être présidente de la République du Sénégal se doivent de descendre sur le terrain et rencontrer les femmes qui vivent des situations difficiles »
« J’ai l’espoir que si on soutient les jeunes, le Sénégal ira de l’avant. Les enfants sont l’avenir du pays. Mais ce que je constate chez tous ceux qui se disputent pour être le président du pays, c’est qu’ils n’ont pas de programmes pour les femmes ni pour les jeunes. Chacun parle de lui-même.
Donc les femmes qui veulent être présidente se doivent de descendre sur le terrain et rencontrer les femmes qui vivent des situations difficiles. Qu’elles aillent vers les femmes du monde rural qui font face à des réalités pénibles. Elles doivent porter des sandales et aller vers ces femmes. Mais si elles mettent leurs belles chaussures et restent dans leurs bureaux, bercées par la fraîcheur de la climatisation, le jour où elles voudront prendre la parole, personne ne les écoutera.
Les politiciennes doivent avoir de la sensibilité pour les femmes, les aider, descendre sur le terrain pour leur parler. Ainsi, nous pourrions avoir une femme à la tête de ce pays. Mais ce n’est pas en restant dans leurs bureaux ou en restant dans leurs quartiers que les politiciennes auront le soutien des femmes pour être présidente. Il est impossible de soutenir une personne que l’on ne connait pas. Nous, les femmes, devons être solidaires et nous entraider. De cette façon, nos préoccupations seront prises en compte par le pouvoir. »
Photo : WATHI
Maimouna Dabel Ba est membre du Conseil économique social et environnemental et présidente d’un groupement de femmes à Yeumbeul dans la banlieue de Dakar.