Auteurs : Membres du groupe de travail
Organisation affiliée : Institut Montaigne
Type de publication : Rapport d’étude
Date de publication : Juin 2019
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L’accord de Cotonou, signé le 23 juin 2000 entre les pays d’Afrique– Caraïbes–Pacifique (ACP) et les États membres de l’Union européenne, régit les relations de 79 pays sur trois continents – l’Afrique (48 pays au Sud du Sahara), les Amériques (16 pays des Caraïbes) et l’Asie (15 pays du Pacifique) – et 28 États membres de l’Union européenne, soit près de deux milliards d’habitants – 1,2 milliard pour l’Afrique, un peu plus de 500 millions pour l’Union européenne et un peu moins de 300 millions pour les deux autres régions. Les relations entre l’UE et les pays d’Afrique du Nord (Maghreb, Libye, Egypte) font l’objet, quant à elles, d’accords de voisinage.
En parallèle de l’Accord de Cotonou, l’Union européenne et l’Union africaine ont adopté un cadre commun de dialogue politique. Objectif : donner une impulsion politique à l’accord et établir ou ajuster la feuille de route commune. Le tout premier sommet UE – Afrique s’est tenu au Caire les 3 et 4 avril 2000. En 2007 à Lisbonne, l’adoption de la première stratégie commune Afrique – UE a formalisé le principe d’un sommet tous les trois ans, organisé alternativement en Europe et en Afrique.
Ces sommets sont le lieu de discussions – en principe – ouvertes et sincères, devant permettre de régler les questions en suspens entre les deux continents et d’actualiser un agenda de priorités. Cependant, force est de constater que ces sommets ressemblent davantage à de grands-messes perçues par les populations africaines comme déconnectées de leurs aspirations. Quant aux populations européennes, elles ne semblent absolument pas concernées par ces rencontres.
Le dernier sommet du genre s’est déroulé à Abidjan en novembre 2017 avec pour thématique officielle « Investir pour la Jeunesse ». De jeunesse, il en a été question à travers des drames. Les débats ont en effet en grande partie porté sur le scandale des Subsahariens esclaves en Libye après des révélations dans la presse internationale concernant leur terrible sort.
D’autres accords, régimes et dispositifs spécifiques existent entre l’UE et le continent africain, comme l’initiative « Tout sauf les armes » (suppression des droits de douanes, sauf sur les armes) et les deux systèmes de préférences généralisées, baptisés SPG standard et SPG+. Des dispositifs qui permettent aux pays africains de jouir d’un accès privilégié au marché européen et de payer moins de droits – voire aucun – sur certains produits d’exportation vers l’UE.
Un début de négociation difficile
Alors que se profilait l’expiration de l’Accord de Cotonou, le maintien ou pas du cadre ACP dans le nouvel accord a donné lieu à de multiples discussions, dissensions, négociations entre pays européens d’une part et pays africains d’autre part.
Il a été question notamment de remettre en cause ce cadre pour établir trois accords spécifiques à chaque zone géographique – Afrique, Caraïbes et Pacifique. Après un bras de fer entre les pays nordiques, Suède en tête, Allemagne et Pays-Bas d’un côté – qui estimaient que ce cadre était désuet et anachronique – et de l’autre la France, la Belgique, l’Italie et le Portugal, qui entendaient défendre le principe d’un seul accord commun aux trois zones géographiques, ces derniers ont finalement obtenu gain de cause et un consensus s’est dégagé. L’UE a opté pour un maintien du cadre ACP. Pour la France, dont les positions à travers les Océans la rendent bénéficiaire d’un tel cadre, l’UE y a un intérêt au moment où le multilatéralisme est mis à mal dans les instances internationales comme l’ONU ou l’OMC.
Les Africains, de leur côté, n’étaient pas plus unis sur cette question. Si l’UA a saisi l’opportunité de renforcer sa légitimité et fortement plaidé pour un accord spécifique au continent africain, englobant tous ses États, certains États membres redoutant un morcellement des subsides dans le cadre d’un accord global de continent à continent, ont, semble-t-il, plaidé pour la signature d’un nouvel accord-cadre avec des dispositifs identiques, un “accord de Cotonou bis” en quelque sorte. Par ailleurs, se posait un problème juridique contraignant : seuls les États sont membres de plein droit des ACP. De son côté, l’Union africaine a un statut d’observateur.
Où en est la négociation ?
En mars 2018, le Conseil exécutif de l’Union africaine donne mandat au secrétariat général des pays ACP pour négocier, tout en reportant l’ouverture des négociations prévues en juin. Fin mai 2018 à Lomé, lors de la 107e session du Conseil des ministres ACP, c’est le Togo et son représentant Robert Dussey, Ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de l’Intégration africaine du Togo, qui est nommé négociateur en chef du groupe ACP, avec pour homologue européen Neven Mimica, Commissaire européen pour la coopération internationale et le développement. Côté UE, c’est donc la Direction Générale de la coopération internationale et développement au sein de la Commission européenne (DG-DEVCO), pilotée par son directeur général, l’Italien Stefano Manservisi, qui garde la haute main sur les négociations.
Le 22 juin 2018, après des allers-retours entre Européens et la promesse de mettre en place des « plateformes de réadmission » de migrants sur le continent africain, le mandat de négociation est adopté. La Commission européenne dûment mandatée peut amorcer les négociations avec le groupe ACP.
Le 2 juillet 2018, au Sommet de l’Union africaine à Nouakchott, la position des Africains est toute autre : pas question d’accepter de tels centres. En réponse, sur proposition de Rabat, les Africains décident de créer un Observatoire africain des migrations et du développement, basé au Maroc. Au cours de ce même sommet, l’Union africaine mandate l’économiste Bissau-Guinéen, Carlos Lopes, pour assister les négociateurs africains dans les discussions avec l’Union européenne.
Le 3 avril 2019 à N’Djaména, au Tchad, puis le 3 mai à Mbabane, à l’Eswatini, (nouveau nom du Swaziland), Européens et Africains sont rentrés dans le dur des négociations. Se tiennent parallèlement des négociations qui concernent les régions Pacifique et Caraïbes avec les réunions de Samoa et de Kingston.
La Commission européenne avance ses propositions
Tout reste donc à bâtir. Les sujets sensibles sont encore en débat : le rôle de la Cour pénale internationale (CPI), les quotas liés à la migration, le dialogue politique, les modalités des financements consacrés à l’Afrique. Du côté de l’Union européenne, au moins trois propositions sont sur la table des négociations :
- La création d’un fonds de garantie destiné à lisser le risque réel ou supposé et encourager les investisseurs privés européens à investir sur le continent. Ce fonds de garantie mis en place par l’Union européenne permettrait de prendre à sa charge le risque sécuritaire lié à l’investissement privé.
- Les instruments financiers, aujourd’hui éparpillés, seraient regroupés sous l’appellation Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument (NDICI). Il est prévu une enveloppe globale de 32 milliards d’euros pour l’Afrique subsaharienne et 22 milliards pour la politique de voisinage (qui comprend l’Afrique du Nord et certains des pays d’Europe de l’Est). Le Fonds européen de développement (FED) serait désormais inclus dans le NDICI. Une question subsiste néanmoins : le FED sera-t-il budgétisé ? Si tel était le cas, son budget serait voté par le Parlement européen et donc contrôlé par les parlementaires, alors qu’il est actuellement financé par ses États membres selon une clé de répartition bien précise et géré par un Comité du FED où siègent les États membres et un représentant de la Commission européenne. La France est particulièrement active au sein de ce Comité.
- Quel rôle pour la Banque européenne d’investissement (BEI) ? Elle pourrait selon certaines sources devenir la « grande banque de développement de l’UE ». Une position qui est loin de faire l’unanimité au sein des États membres. De son côté, le rôle futur de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), qui regroupe 67 actionnaires, dont des États du monde entier, l’Union européenne et la BEI, pose question. En mars dernier, cette dernière, dont le siège est à Londres et qui est pilotée par un Britannique dont le mandat s’achève en 2020, a fait voter à son Conseil d’administration une disposition lui permettant d’investir davantage en Afrique. Le Brexit pourrait avoir eu une influence sur cette décision.
L’Afrique s’organise et affine sa stratégie
En Afrique, le continent est en train de faire sa mue institutionnelle. Le projet de Zone de libre-échange continentale (ZLEC), piloté par l’Union africaine, a été ratifié par 22 États membres, le quorum requis pour la rendre légalement effective. Elle sera officiellement lancée lors du Sommet de l’Union africaine à Niamey en juillet prochain. Le Nigéria, poids lourd de l’Afrique, même s’il ne l’a pas ratifié, devrait rejoindre à terme le mouvement.
L’objectif pour les Africains est de créer à terme les conditions d’une plus grande intégration et de donner à voir à l’extérieur une Afrique plus forte, plus unie face aux défis et aux opportunités qui se profilent. Concernant les négociations avec l’Union européenne, les Africains sont convenus que l’UA, à travers sa Commission, prendrait en charge les thématiques communes à l’ensemble du continent, à savoir la paix et la sécurité, la migration et la mobilité, ainsi que le commerce, à travers la ZLEC.
Le secteur privé, acteur clé du nouveau partenariat entre l’Afrique et l’Union européenne
Quels sont les enjeux de ces négociations ? Pour l’Afrique, construire de réelles chaines de valeur mondiales, probablement à travers de nouvelles formes d’industrialisation, mieux arrimer ses économies, malgré leurs disparités, à la mondialisation, et en tirer le meilleur parti pour affronter l’arrivée sur le marché de l’emploi de dizaines de millions de jeunes Africaines et Africains. L’Afrique devra s’approprier les principes des Objectifs du développement durable (ODD) des Nations Unies avec une lecture proche de ses réalités de terrain. C’est là l’un des points communs avec l’Union européenne qui souligne son attachement à ses ODD.
A la fois côté européen et africain, le sentiment de n’être pas au cœur des enjeux de gouvernance, de financement, de création de chaine de valeurs dans les négociations pose question. Or, la création d’emplois est l’une des clés du développement de l’Afrique et passe nécessairement par une action plus forte envers le secteur privé dont il convient de favoriser et de garantir les investissements sur le long terme
Les deux parties en conviennent : le secteur privé doit être davantage associé au développement du continent africain. Dans l’actuel Accord de Cotonou, il est bien indiqué que le secteur privé joue un rôle majeur. Or, force est de constater qu’il ne semble pas véritablement au centre des négociations actuelles. A la fois côté européen et africain, le sentiment de n’être pas au cœur des enjeux de gouvernance, de financement, de création de chaine de valeurs dans les négociations pose question. Or, la création d’emplois est l’une des clés du développement de l’Afrique et passe nécessairement par une action plus forte envers le secteur privé dont il convient de favoriser et de garantir les investissements sur le long terme.
Négociateurs africains et européens mettront également sur la table les sujets sensibles entre les deux parties : le volet migratoire, dont l’Europe et l’Afrique devront clarifier le sens sans ambiguïté, le dialogue politique que les Africains ne souhaitent plus conserver sous cette forme, les sujets de gouvernance que les Européens souhaiteraient voir évoluer dans le bon sens, les enjeux sécuritaires et de changement climatique.
Une communauté de destin dans un contexte en perpétuelle évolution depuis 20 ans
Depuis la signature de l’Accord de Cotonou, il y a près de 20 ans, l’Afrique, l’UE et le contexte international ont profondément évolué. L’Union européenne s’est élargie à 28 États membres, dont certains n’ont aucun lien historique avec l’Afrique. L’Afrique, pour sa part, a connu de profondes ruptures démographiques, technologiques et économiques, qui ont propulsé sa croissance et porté des changements institutionnels, comme la transformation de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) des pères fondateurs, en Union africaine (UA).
Des espaces profondément remodelés depuis la signature de l’Accord de Cotonou
A sa création, la Communauté économique européenne (ancêtre de l’UE) comptait six pays dont quatre avaient colonisé une partie de l’Afrique. A ses débuts, la CEE envisageait sa relation à l’Afrique à travers ses intérêts coloniaux et sous la forme d’aide. Il s’agissait pour les puissances coloniales de maintenir un lien économique et politique fort avec les pays ainsi colonisés. Les puissances comme la France, la Belgique l’Italie et les Pays-Bas ont ainsi été les fers de lance d’une politique européenne d’aide au développement à l’Afrique.
Robert Schuman, dans sa célèbre déclaration de 1957, érigeait ainsi le développement de l’Afrique comme l’une des tâches essentielles de l’UE. Dans le Traité de Rome, un régime d’association était instauré pour maintenir le lien entre les pays européens et les espaces coloniaux qu’ils régissaient en Afrique.
La crise économique des années 1970 due aux chocs pétroliers a profondément modifié la relation entre l’Europe et l’Afrique, aboutissant à la signature d’un nouveau traité, la Convention de Lomé, revue et révisée à plusieurs reprises jusqu’en 1995. Il s’agissait désormais de combiner aide, commerce et politique
Une fois l’indépendance acquise au début des années 1960 pour la majorité des pays africains, il a fallu renégocier les termes de l’échange entre ces pays européens – et donc l’Europe – et l’Afrique. C’est toute la coopération économique, culturelle et scientifique qu’il convenait de définir. C’est ainsi que sont nées les Conventions de Yaoundé, dont la première, signée le 2 juillet 1963 dans la capitale camerounaise, prévoyait une aide financière aux 18 anciennes colonies européennes d’Afrique. La seconde convention de Yaoundé, signée en 1969, portait sur le financement de projets en particulier à l’Afrique subsaharienne.
La crise économique des années 1970 due aux chocs pétroliers a profondément modifié la relation entre l’Europe et l’Afrique, aboutissant à la signature d’un nouveau traité, la Convention de Lomé, revue et révisée à plusieurs reprises jusqu’en 1995. Il s’agissait désormais de combiner aide, commerce et politique.
La construction européenne a profondément modifié l’approche européenne de l’Afrique
La chute du Mur de Berlin en 1989 a entraîné une relecture des relations européennes avec le reste du monde. À la suite de cet événement, l’Afrique a, semble-t-il, cessé d’être une priorité pour l’ensemble des Européens. L’élargissement de l’Union, qui a nécessité une réorientation des subsides pour permettre un rattrapage économique des pays de l’Est, a initié un mouvement de bascule politique vers l’Est.
L’Accord de Cotonou épouse ce changement stratégique, mais devait également proposer à l’Afrique un processus de relation plus équilibrée, en tout cas perçue comme telle du côté européen, et entrouvrir la porte au secteur privé, à la société civile, à travers toutes ses composantes y compris via les diasporas, pour arrimer le continent africain à la mondialisation, au développement et à la croissance.
Ces relations ont connu une vraie difficulté avec les Accords de partenariat économique (APE) qui devaient n’être au départ qu’une formalité puisque selon une lecture européenne, ces APE devaient bénéficier au continent africain. Ils ont néanmoins été mal reçus côté africain. Le poids économique de l’Europe a conduit un certain nombre d’acteurs africains, notamment du secteur privé, à penser que leurs secteurs d’activité seraient balayés par la concurrence européenne qu’ils jugeaient trop puissante. En outre, trop peu d’État membres de l’UE se sont véritablement impliqués dans ces négociations. La France, encore une fois s’agissant d’Afrique, s’est retrouvée bien seule à plaider en faveur des APE.
Au cours des dix dernières années, l’Union européenne a subi de plein fouet la crise économique de 2008 et la crise de la dette en zone euro. Ces différentes crises ont en grande partie absorbé les énergies des dirigeants européens. D’autres priorités, comme l’harmonisation des politiques fiscales, de droit du travail, l’espace Schengen, la montée des populismes, les sanctions contre la Russie, l’Ukraine, la Crimée, la régulation des GAFA, la protection des données personnelles et le respect de la vie privée à travers la mise en place d’un corpus législatif unique au monde, les relations avec la Chine, les États-Unis, la protection contre le terrorisme, et bien entendu, le Brexit, ont monopolisé les débats au sein de l’Union européenne.
Le Brexit, au cœur des préoccupations européennes actuelles, est également un sujet d’inquiétude pour certains pays africains. Selon Andrew S. Nevin, économiste nigérian de PwC Nigéria, qui a réalisé une étude sur les conséquences du Brexit en Afrique, le Nigéria devrait pouvoir bénéficier d’une redistribution des fonds alloués à la CDC, l’agence de développement britannique.
C’est déjà le cas selon lui : la CDC aurait doublé son engagement en capital dans le pays. Pour d’autres pays en revanche, les conséquences pourraient être largement négatives. C’est le cas de l’Afrique du Sud, premier partenaire commercial de la Grande-Bretagne. Si l’on en croit des économistes sud-africains, Raymond Parsons et Wilma Viviers de l’Université North West en Afrique du Sud, le Brexit devrait coûter 0,1 % du PIB à l’Afrique du Sud.
Au Kenya, c’est l’industrie de la fleur coupée ou la filière du thé qui tremblent. En effet, la GrandeBretagne est le deuxième marché d’exportation pour l’un, avec 18 % des exports, et le premier pour l’autre, avec des droits de douanes nuls du fait de l’accord APE avec l’Afrique de l’Est et particulièrement l’accord intérimaire signé entre le Kenya et l’UE.
Des ruptures démographiques et économiques majeures en Afrique
Au cours des 20 dernières années, l’Afrique n’a cessé de se transformer. Sur le plan démographique, le continent est entré dans une courbe ascendante avec des pays majoritairement peuplés de jeunes gens. D’ici 2050, selon les statistiques des démographes des Nations Unies et de l’INED, le continent africain va doubler de population pour atteindre les 2,5 milliards d’habitants, tandis que la population mondiale va passer de 7,5 milliards à 10 milliards durant la même période.
Cependant, le taux de fécondité sera en baisse un peu partout sur la planète, sauf dans quelques pays arabes, en Asie – de l’Afghanistan au Nord de l’Inde en passant par le Pakistan – et dans la majorité des pays africains, avec un record mondial qui demeure au Niger (7,3 enfants par femme). Environ 70 % de la population africaine sera constituée de jeunes de moins de 35 ans selon les prévisions des Nations Unies.
Durant cette même période, l’Afrique a connu une croissance remarquable, suscitant l’intérêt de nombreux investisseurs, à commencer par la Chine, mais également l’Inde, la Turquie, le Brésil – plus en retrait aujourd’hui –, les pays du Golfe, la Russie, qui manifeste un regain d’intérêt pour l’Afrique ces toutes dernières années et s’apprête à organiser à Sotchi un Sommet Afrique-Russie en octobre 2019.
L’Afrique a en effet connu une croissance soutenue sur toute la décennie 2005-2015, avec un taux de croissance du PIB de l’ordre de 5 % en moyenne soit une croissance du PIB supérieure à celle observée dans le monde sur la même période. Cette croissance a bénéficié à l’ensemble des pays africains, quoiqu’inégalement et avec certaines exceptions, tels que les pays en conflit.
Parmi les facteurs explicatifs clés, on retrouve d’une part, des facteurs externes, tels que la dynamique des prix des matières premières et la disponibilité puis l’afflux des capitaux internationaux et, d’autre part, les facteurs internes que sont une demande intérieure forte et la tertiarisation de l’économie, portée par le secteur des télécommunications. Peu interconnectée financièrement, l’Afrique a en outre été peu touchée par la crise financière de 2008 dans un premier temps, puis touchée seulement indirectement par la contraction des échanges mondiaux qui s’en est suivie.
Dans les prochaines années, l’Afrique devrait ainsi rester parmi les régions connaissant les taux de croissance les plus importants au monde. Ces chiffres ne doivent cependant pas masquer la persistance de difficultés. Malgré une croissance du PIB continue et du fait d’une croissance démographique tout aussi impressionnante, le PIB par habitant des économies africaines est demeuré faible. La croissance du PIB par habitant a été beaucoup plus faible que celle du PIB total. A titre d’exemple, elle était seulement de 0,6 % en 2018, à comparer avec les prévisions de croissance du PIB global de 3 %.
En clair, l’Afrique, malgré les aléas, reste un continent en croissance mais insuffisamment pour permettre à l’ensemble des populations d’en sentir les effets bénéfiques dans leur quotidien. Cette hétérogénéité du continent incite les investisseurs à observer de près les situations. Cependant, pour ceux qui ont les reins solides et qui mesurent parfaitement le risque, cela pourrait constituer des opportunités de développement.
Un saut vers le numérique
Avec plus d’un milliard de cartes SIM, 800 millions de mobiles et 281 millions d’internautes , l’Afrique accélère sa transition numérique et se positionne désormais comme un acteur clé et dynamique dans le domaine du digital : elle offre un terrain prometteur pour les entreprises, pour les populations et les chefs d’entreprises africains, ainsi que pour les investisseurs et les entreprises étrangères. De nombreuses initiatives sur les technologies de l’information et de la communication émergent ici et là.
Ces initiatives sont bien souvent orientées vers des usages liés à un accès à Internet (via smartphone essentiellement), et nécessitent au préalable que les infrastructures locales soient en mesure d’assurer un accès Internet à la population. Néanmoins, de nombreuses inégalités subsistent. En 2017, 10 pays africains concentraient à eux seuls 80 % des internautes du continent.
Le taux de pénétration des réseaux sociaux en dit long également sur les disparités régionales : 38 % en Afrique australe et 7 % seulement en Afrique centrale selon le tout dernier rapport digital annuel (janvier 2019) de « We are Social » et « Hootsuite ». Alors que la moyenne mondiale d’accès à un Internet très haut débit est de 12 %, ce taux chute à 0,5 % en Afrique subsaharienne.
Pour accompagner au mieux le virage digital et faire en sorte que les pays africains puissent tirer parti de ce développement numérique, les principales institutions financières internationales, et notamment l’Union européenne, ont un rôle clé à jouer dans la transformation digitale de l’Afrique, en apportant les connaissances et les soutiens financiers adéquats sur les projets numériques.
Ce travail doit d’abord se faire au travers du développement d’infrastructures, afin de faciliter l’accès à Internet et d’apporter les connexions suffisantes dans les zones les plus isolées du continent. Les connaissances européennes en la matière, y compris dans la protection des données et les cyberattaques devraient pouvoir faire l’objet d’un transfert de compétences vers le continent africain via des projets communs. Objectif : réduire la fracture numérique et sociale liée à l’isolement.
L’évidence d’une communauté « euro-africaine »
Au-delà des liens historiques, l’UE et l’Afrique sont liées par des enjeux, actuels et futurs, et mues par des intérêts communs. Il est indispensable d’en apprécier l’étendue, de part et d’autre, afin de passer d’une communauté d’enjeux à la conscience d’une communauté de destin entre les deux continents. Ces enjeux communs vont bien au-delà des seules questions économiques et sécuritaires, auxquelles, dans la rhétorique actuelle, on tend à réduire leur relation. L’UE et l’Afrique sont étroitement liées sur quatre questions clés : diplomatie, multilatéralisme et influence internationale, économie, développement et finances, sécurité et défense, changement climatique et mobilité humaine.
Diplomatie, multilatéralisme et influence internationale
Sur la scène internationale, UE et Afrique pourraient constituer une alliance stratégique afin de faire peser leurs intérêts au sein des institutions internationales. En effet, si les deux continents disposent d’éléments de puissance certains, chacun rencontre des difficultés pour les faire valoir dans un contexte de remise en cause du multilatéralisme. Europe et Afrique se retrouvent autour d’un système de valeurs relativement commun, fondé sur leur attachement aux institutions internationales, au respect des règles communes qu’elles édictent et au principe de relations entre les États fondées sur le droit plutôt que la puissance. Europe et Afrique doivent donc œuvrer à réaffirmer l’importance des institutions qui défendent cet équilibre par le droit, notamment en travaillant ensemble à leur adaptation et à leur réforme.
L’Union européenne représente 21,4 % du PIB mondial et 40 % du commerce mondial de marchandises. Elle dispose d’une voix forte au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) où elle jouit d’un statut de membre de plein droit. Les pays européens représentent la moitié des membres du G7 et un quart des membres du G20. Au sein de l’Organisation des Nations Unies, l’influence de l’UE est également considérable, par son poids numérique, son poids politique, notamment nourri par une coordination étroite des États membres, et son importante contribution au budget.
L’Afrique, pour sa part, malgré une dynamique positive, ne parvient pas à peser de tout son poids – politique, économique, numérique – sur la scène internationale. Composée de 54 États et 1,2 milliard de personnes, soit un sixième de la population mondiale, le continent dispose d’un poids limité sur la scène internationale, d’une part, du fait de la division interne du continent et, d’autre part, dès lors qu’elle évolue dans un système international où la puissance diplomatique reste étroitement liée à la puissance économique.
Au Conseil de sécurité, lieu des puissances issues d’un monde post Seconde Guerre Mondiale, l’Afrique n’occupe qu’un rôle marginal : aucun État africain n’est membre permanent du Conseil de sécurité. Le groupe africain y partage cinq sièges de membres non permanents avec le groupe des États d’Asie Pacifique, traditionnellement à raison de trois pour les États africains et deux pour les États du groupe Asie Pacifique.
Afin de renforcer sa présence au Conseil de sécurité dans le sens d’une participation « plus juste, plus équilibrée et plus représentative », l’Union africaine a présenté en 2005 le consensus d’Ezulwini qui propose d’octroyer au groupe africain deux sièges de membres permanents et cinq sièges de membres non permanents.
Toutefois, le contexte de remise en cause des institutions onusiennes, la lourdeur institutionnelle que représente une réforme du Conseil de sécurité – en discussion depuis deux décennies maintenant pour un élargissement plus global, pas uniquement à l’Afrique – les divisions internes du groupe africain sur le choix des membres et enfin le manque d’alliés sur le sujet rendent peu probable une réforme en ce sens.
Les pays européens – et la France et le Royaume-Uni a fortiori en tant que membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies – doivent intensifier leur soutien aux démarches africaines visant à obtenir des voix supplémentaires au sein des institutions multilatérales. Ce fut par exemple le cas pour la création d’une troisième chaise africaine au conseil d’administration de la Banque mondiale.
Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres déclarait dans la presse panafricaine en décembre 2017 qu’il fallait garantir à l’Afrique une présence plus juste au Conseil de sécurité, reconnaissant aussitôt qu’il n’avait aucun pouvoir sur cette réforme qui dépendant avant tout des États membres.
Au sein des institutions financières internationales où la clé de répartition des votes est liée à des critères économiques et financiers, l’Afrique dispose également d’une influence limitée. Au FMI, où les droits de vote sont calculés selon une quote-part reflétant la position relative de chaque pays dans l’économie mondiale, l’Afrique dispose d’une quote-part de 4,09 % du total, contre 14,7 % pour les États-Unis ou 12,8 % pour la Chine, ce qui se traduit proportionnellement sur les droits de vote. Il en est de même au sein de la Banque mondiale.
Sécurité et défense
L’engagement de l’UE en Afrique sur les questions de sécurité et de défense est ancien. Il tient d’abord aux anciens liens coloniaux entre pays africains touchés par l’instabilité et pays européens, comme l’illustrent les exemples de la France et de la Centrafrique dès 1979 ou encore de la Belgique et du Congo tout au long des années 1960. Outre ces liens bilatéraux, l’engagement de l’Union européenne en Afrique se construit progressivement autour de la conscience d’intérêts sécuritaires communs, face à des risques internationaux et régionaux ayant des conséquences sur la stabilité des deux continents.
Ces menaces sécuritaires, propres à plusieurs régions d’Afrique, tiennent aujourd’hui au terrorisme et à l’extrémisme violent notamment dans les zones du Sahel et de la Corne de l’Afrique, l’insécurité maritime sur la côte est-africaine (mer rouge, Océan indien) et autour du Golfe de Guinée, ainsi que des menaces plus traditionnelles liées à la conflictualité entre communautés.
Face à ces menaces, l’action de l’Union européenne repose sur trois instruments : l’intervention militaire (qui repose largement sur l’engagement de la France), l’appui financier et le renforcement des capacités africaines, notamment par la formation. Sur le plan militaire, plus de la moitié des opérations extérieures de l’Union européenne ont ainsi eu pour théâtre l’Afrique.
Aujourd’hui, c’est encore le cas de la moitié des opérations militaires en cours, avec les missions menées en Somalie, au Mali et en Centrafrique. Sur le plan financier, l’Union européenne est l’un des premiers contributeurs pour la défense sur le continent africain, ayant engagé à ce jour, plus de 2,7 milliards d’euros en faveur de la paix et de la sécurité du continent.
Elle intervient principalement à travers la Facilité de soutien à la paix en Afrique (FAP), créée en 2004 à la demande de l’Union africaine. Sur le plan de la formation, l’Union européenne travaille au renforcement des capacités institutionnelles et militaires de l’Union africaine principalement à travers son soutien à l’Architecture africaine de paix et de sécurité de l’UA, auquel s’ajoutent les missions de formation des unités nationales (Mali, Somalie).
Pour l’avenir, tant l’Union européenne que l’Union africaine ont réitéré la pertinence d’un partenariat de sécurité et de défense entre les deux continents dans leurs stratégies de défense respectives (Global Strategy EU et African Peace Security Architecture).
Économie, développement et finances
Individuellement, les pays européens et africains ont un poids économique international limité, voire marginal. Si l’Union européenne représente 21,4 % du PIB mondial face aux premières puissances individuelles en termes de PIB16 que sont les États-Unis (24 %) et la Chine (15,2 %) ; le premier pays européen, seul, ne pèse que 4,6 % (l’Allemagne).
L’Afrique représente quant à elle 5,2 % du PIB mondial (quasiment l’équivalent de l‘Allemagne !) dont 3,1 % pour l’Afrique du Nord. Seule, l’Égypte – à la tête de l’Union africaine en 2019 – représente 0,3 % du PIB mondial et le premier pays d’Afrique subsaharienne, le Nigéria, 0,5 %. Une union des économies européennes et africaines, pour peser davantage face au reste du monde, apparaît comme une nécessité.
Ainsi, entre l’UE et l’Afrique, la relation économique devrait être un jeu à somme positive. Le continent africain constitue un relais de croissance pour un certain nombre d’entreprises européennes, même si l’Afrique est loin d’être le seul continent en la matière. Selon la Commission européenne, en 2017, l’Union européenne est le premier partenaire commercial de l’Afrique devant la Chine et les États-Unis, représentant 36 % de son commerce extérieur. Elle représente également 40 % des investissements directs à l’étranger (IDE) en Afrique
Il existe également un mécanisme original de stabilité de changes – souvent décrié – qui relie l’euro aux francs CFA (UEMOA – Union Economique et Monétaire Ouest Africaine – et CEMAC – Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) et comorien. Ce mécanisme monétaire axé sur la convergence concerne 15 pays d’Afrique subsaharienne. Il a l’avantage de rassurer le secteur privé, européen en particulier, et de faciliter les investissements. Mais il pèse sur les imaginaires africains de façon négative. C’est au continent africain, qui dispose d’une multitude de monnaies, de créer les conditions d’un débat serein et de décider de son futur monétaire.
Ainsi, entre l’UE et l’Afrique, la relation économique devrait être un jeu à somme positive. Le continent africain constitue un relais de croissance pour un certain nombre d’entreprises européennes, même si l’Afrique est loin d’être le seul continent en la matière. Selon la Commission européenne, en 2017, l’Union européenne est le premier partenaire commercial de l’Afrique devant la Chine et les États-Unis, représentant 36 % de son commerce extérieur. Elle représente également 40 % des investissements directs à l’étranger (IDE) en Afrique.
Ces échanges sont portés par la proximité géographique des marchés, par la croissance observée en Afrique depuis une décennie, par le dynamisme des marchés portés en partie par l’émergence d’une classe moyenne qui consomme et investit, et par la démographie qui fait de l’Afrique un marché jeune. Les technologies digitales, qui facilitent les transactions commerciales et financières, sont également centrales et constituent un vecteur de renforcement des liens économiques entre les deux continents.
Pour les pays africains, négocier un accord de libre-échange est peu porteur d’incitations s’il n’est pas accompagné d’une assistance technique forte et d’un traitement spécial et différencié, comme cela a été le cas dans l’Accord sur la facilitation du commerce, entré en vigueur en février 2017. Ces accords doivent être à même de proposer des flexibilités sectorielles, au-delà de la pure différenciation sur le niveau de richesse de l’État. Afrique et Union européenne peuvent ensemble se faire les chantres d’un « protectionnisme intelligent ».
Mobilité humaine
Les migrations entre l’UE et l’Afrique tiennent autant à des facteurs économiques, sécuritaires, qu’historiques et culturels. Les migrations sont depuis longtemps un enjeu économique, social et politique tant pour les États de départ que d’arrivée. Ces dernières années, la question des migrations a eu tendance à monopoliser le débat et l’imaginaire des populations. Cette question a donné lieu à de nombreuses approximations, voire à une désinformation à des fins électoralistes. Il est cependant à noter que la définition même de migrant est multiple et prête à polémique. Les États-Unis, par exemple, recensent plus de 200 catégories de migrants !
Plus de 70 % des migrations africaines se font sur le continent africain même. Les populations sont essentiellement mobiles dans leur bassin régional. La migration en dehors du continent africain ne constitue pas l’essentiel des mouvements migratoires africains.
Selon les chiffres du Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies, la République Démocratique du Congo, le Soudan, l’Éthiopie, la Somalie, le Sud Soudan, l’Ouganda et le Nigéria ont reçu plus de migrants chacun que l’Allemagne. Quant à la France, elle reçoit moins de migrants que chacun des pays suivants : la Côte d’Ivoire, le Tchad, le Cameroun, le Kenya ou la Tanzanie.
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