Auteur : Ibrahima Bayo Jr.
Organisation affiliée : La Tribune Afrique
Type de publication : Entretien
Date de publication : 18 juin 2019
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La Tribune Afrique: Votre rapport est intitulé «Europe-Afrique : partenaires particuliers». Où réside la particularité de la relation entre les deux continents?
Dalila Berritane : Cette relation est singulière dans le sens où elle repose sur une historicité d’une partie de l’Europe qui a eu des liens historiques avec le continent africain mais ces liens historiques ne suffisent plus aujourd’hui à caractériser cette relation.
Il faut ici relever un petit point d’histoire : les pays d’Europe de l’Est et Orientale ont eu également des relations avec l’Afrique lorsqu’ils étaient sous domination soviétique. C’est un point qu’ils n’aiment pas trop rappeler mais il y a eu des relations politiques, économiques entre des pays du bloc soviétique et certains pays africains. Aujourd’hui, l’Union européenne qui compte 28 Etats-membres, a une proximité géographique, historique, humaine… avec l’Afrique.
La proximité est aussi linguistique avec des langues européennes (anglais, portugais, français, espagnol) qui ne sont pas des langues africaines originelles mais ont été complètement adoptées par les Africains. Ce sont des liens puissants en plus des liens économiques. L’Europe reste le premier investisseur sur le continent africain ; 40% des investissements directs étrangers (IDE) proviennent de l’Union européenne (UE). C’est donc un faisceau de relations qui restent encore assez fortes. Avec la renégociation des accords de Cotonou, nous avons l’opportunité de renouveler le partenariat entre l’Europe et l’Afrique.
Justement comment «réinventer» cette relation entre l’Afrique et l’Europe et la renforcer après l’expiration des Accords de Cotonou?
Dalila Berritane : Pensons d’abord en termes de réciprocité. Les Accords de Cotonou n’ont pas forcément été pensés comme tels puisqu’ils ont été signés il y a vingt ans dans un tout autre contexte. Aujourd’hui, Européens comme Africains ne souhaitent plus être dans un rapport asymétrique. Même si le Produit intérieur brut (PIB) de l’Afrique représente un peu plus de 5 % du PIB mondial et celui de l’Europe 22 %, cela ne justifie plus un rapport asymétrique.
Ce besoin de réciprocité passe par une meilleure connaissance pour les Européens du continent africain et vice et versa sur toutes leurs composantes respectives et pas uniquement selon le prisme anxiogène de la migration. Cela passe aussi par de la recherche et de la formation sur des sujets d’intérêts communs.
Dominique Lafont : Il faut aussi que l’Afrique progresse dans le domaine des intégrations politique et régionale dans lesquels l’Europe peut-être un soutien. D’un autre côté, nous préconisons que l’aide publique au développement soit davantage ciblée, consolidée et orientée vers les acteurs de terrain et le secteur privé. C’est un pari qu’il faut faire pour l’émergence de l’Afrique dans un contexte de l’influence croissante de toute une série de nouveaux acteurs.
Toujours dans le renforcement de ce partenariat Afrique-Europe, vous préconisez de l’«ancrer dans le cadre de priorités». Est-ce que les priorités sont convergentes?
Dominique Lafont : Un partenariat ne peut être durable que s’il permet de développer des intérêts convergents. Par exemple dans le cadre des orientations sectorielles, nous pensons qu’il faut intensifier le soutien à l’industrialisation de l’Afrique. C’est une clé pour le développement africain car elle va permettre de créer des emplois durables dans le secteur formel et créer de la richesse via la productivité. Cela peut se faire en encourageant davantage les entreprises européennes à s’implanter en Afrique et à la considérer comme un terreau pour développer leur production industrielle. Mais il faut l’inscrire dans une démarche de partenariat qui permette de faire émerger et consolider un vrai réseau de partenaires et de sous-traitants en Afrique. Sur le plan politique, il faut que l’Europe considère, avec l’Afrique, la négociation au niveau de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) d’une forme de protection qui pourrait être temporaire et ciblée sur certains secteurs.
Ce besoin de réciprocité passe par une meilleure connaissance pour les Européens du continent africain et vice et versa sur toutes leurs composantes respectives et pas uniquement selon le prisme anxiogène de la migration. Cela passe aussi par de la recherche et de la formation sur des sujets d’intérêts communs
Autre exemple, en Afrique l’agriculture familiale représente 60% des emplois. Un secteur clé dans lequel l’Europe gagnerait à cibler une partie de son aide sur l’émergence d’une filière agricole qui serait plus forte, ce qui passe par un accès élargi aux financements, un processus de contractualisation, de formation, de certification, de labellisation et des projets de première transformation.
Le modèle financier est aussi un des aspects à revoir pour un nouveau partenariat Europe-Afrique. Est-ce que cela veut dire qu’il faut en finir avec les prêts et aides publiques au développement et évoluer vers un modèle avec plus de transfert de technologie et de compétences techniques?
Dominique Lafont : Fondamentalement, notre rapport dit que les volumes d’aides sont importants mais qu’ils pourraient être plus efficaces. Pour ce faire, il faut notamment privilégier une assistance technique efficiente à un soutien budgétaire aux Etats. Cette assistance technique devrait être davantage orientée vers les Petites et Moyennes entreprises (PME) et les Entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui sont les premières pourvoyeuses d’emplois et qui sont en général mieux placées pour tester la faisabilité des projets.
Dalila Berritane : Aujourd’hui, les Africains veulent aller au-delà de l’aide au développement. «Au-delà», cela signifie qu’il faut regarder l’Afrique en termes d’investissements. Cela nécessite un changement de paradigme qui devrait pousser l’Europe à évoluer sur ce point. Parce que les Africains sont un pas plus loin, au moins au niveau sémantique même s’il est vrai que le Fonds européen de développement -30 à 35 milliards d’euros sur cinq ans- reste très important pour un certain nombre d’Etats. Cependant, il y a une volonté des Africains de transformer ces aides et prêts en investissements. Ce qui veut dire qu’il est nécessaire de changer le regard porté sur le continent africain.
Dans la nouvelle relation Afrique-Europe pour laquelle plaide votre rapport, qui gagne quoi ? Qui gagne plus ?
Dalila Berritane : Sur le volet politique, les deux continents ont un intérêt convergent dans une forme d’alliance politique. L’UE a par exemple intérêt à plaider pour faire davantage de place à l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations Unies. Cela permettrait à l’Europe de parler des questions multilatérales majeures avec des alliés partageant certaines valeurs communes.
Autre exemple, en Afrique l’agriculture familiale représente 60% des emplois. Un secteur clé dans lequel l’Europe gagnerait à cibler une partie de son aide sur l’émergence d’une filière agricole qui serait plus forte, ce qui passe par un accès élargi aux financements, un processus de contractualisation, de formation, de certification, de labellisation et des projets de première transformation
Sur le plan économique, c’est d’abord l’intérêt de l’Afrique de continuer à se développer en attirant des investisseurs. Il y a un certain nombre de pays de l’UE qui n’investissent pas sur le continent africain et que les Africains auraient intérêt à attirer. Il s’agit de créer de la valeur ajoutée, de la croissance afin qu’elle profite à l’ensemble des populations. Il existe un tel écart entre la croissance et la démographie, qui va aller en augmentant, qu’il est impératif d’attirer davantage d’investissements de la part des Africains, des Européens et d’autres investisseurs.
L’intérêt commun, c’est de créer de l’emploi, de la richesse, de la valeur ajoutée en Afrique. L’Afrique aujourd’hui représente 2% du commerce mondial, 2% des chaînes de valeur mondiales. Ces chaînes de valeur doivent pouvoir exister en Afrique pour les marchés africains. C’est aussi l’intérêt des entreprises européennes qui viendraient en Afrique pour investir sur ces marchés. Sur le plan sécuritaire, le plus gros contributeur financier reste l’UE qui dispose d’un effet de levier politique aux Nations unies où elle peut convaincre d’intervenir dans certaines régions du continent.
Vous avez préconisé une série de 12 recommandations pour faire évoluer la relation euro-africaine. Comment les résumeriez-vous?
Dominique Lafont : Pour résumer nos recommandations, il faut les regrouper en quatre grandes familles. D’abord, il faut une plus grande intégration régionale et politique de l’Afrique et une vision partagée. Ensuite, il faut se concentrer sur des secteurs prioritaires communs (industrialisation, agriculture, infrastructures…). En plus de cela, il faut continuer à repenser l’aide publique au développement, y associer le privé et la rapprocher du terrain. Enfin, il faut s’appuyer sur les acteurs de terrain, notamment pour faire avancer les échanges d’informations.
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