Plan international est une organisation de solidarité internationale qui intervient dans les régions les plus pauvres du monde pour faire progresser les droits des enfants et l’égalité des genres.
Bureau régional de l’Afrique de l’Ouest et du Centre
2017
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Le cas des filles-épouses au Sénégal
Le mariage d’enfants est défini comme une union formelle ou informelle, qu’il soit sur les plans légal, religieux ou coutumier, de toute personne âgée de moins de 18 ans.
La Charte africaine des droits et du bien être de l’enfant ainsi que la convention des Nations Unies sur les droits des enfants interdisent le mariage d’enfants et les fiançailles et recommande un âge minimum du mariage à 18 ans chez les filles et les garçons.
Au Sénégal, les chiffres du Fonds des Nations Unies pour l’enfance montrent que moins de filles sont mariées avant 15 ans – le taux est passé de 12% en 2002 à 9% en mai 2016. Mais il n’en reste pas moins qu’une fille sur trois au Sénégal est mariée avant les 18 ans.
« L’une des principales raisons pour lesquelles nous marions nos filles alors qu’elles sont encore très jeunes est qu’elles ne déshonorent pas leur famille et aillent en enfer»
« Je crains qu’elle ne soit endommagée », a déclaré la mère de Mariama, 13 ans. Le « dommage », nous comprenons, serait pour Mariama d’avoir des rapports sexuels et de tomber enceinte sans être mariée.
« L’une des principales raisons pour lesquelles nous marions nos filles alors qu’elles sont encore très jeunes est qu’elles ne déshonorent pas leur famille et aillent en enfer», a déclaré un chef religieux dans une des communautés du Sénégal ».
La peur de la stigmatisation sociale associée à un enfant hors mariage est beaucoup plus forte que la peur des conséquences négatives d’une grossesse précoce sur la santé.
Les causes profondes du mariage des enfants et des mutilations génitales ont un dénominateur commun : la notion selon laquelle une famille a un « honneur » et que cet honneur réside dans le corps ainsi que le comportement sexuel des filles et des femmes.
La peur de la stigmatisation sociale associée à un enfant hors mariage est beaucoup plus forte que la peur des conséquences négatives d’une grossesse précoce sur la santé
Avec cette mentalité, les garçons et les hommes qui courtisent les filles, flirtent avec elles, les séduisent ou les violent, sont à peine visibles. Le comportement des hommes compromet l’honneur des filles et des femmes, mais ne compromet pas leur honneur où celle de leurs familles.
Perceptions par rapport à la loi
Le Sénégal a signé et ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant et la Convention pour l’élimination de toutes les formes de violence contre les femmes qui exigent tous que les États parties interdisent les mariages d’enfants, les mariages précoces et mariages forcés ainsi que les fiançailles des enfants.
Cependant, il y a très peu d’efforts pour remédier à l’incohérence dans la législation nationale régissant les actions en faveur des enfants. L’âge légal au mariage est de 16 ans pour les filles et de 18 ans pour les garçons.
Les résultats de cette étude suggèrent que la criminalisation, qui est une intervention onéreuse et difficile à mettre en œuvre, pourrait ne pas être le moyen le plus efficace de mettre un terme à la pratique du mariage d’enfants encore moins d’assimiler la pratique à une «pratique traditionnelle néfaste».
Les groupes ethniques et le mariage d’enfants
Un certain nombre de groupes ethniques avec différentes pratiques culturelles et traditionnelles concernant le mariage en général et le mariage d’enfants en particulier vivent dans les quatre sites ciblés: Peulhs, Diakhankes, Bedik, Bassari et Wolof. Les chercheurs n’ont pas rencontré de filles Bassari ou Bedik qui étaient mariées avant l’âge de 18 ans, en raison du long processus d’initiation par lequel ces filles doivent passer avant de se marier.
La raison principale pour laquelle les filles Bassari et Bedik abandonnent l’école est, semble-t-il, les grossesses précoces. À Nguidila, une communauté urbaine où habitent des Wolofs, les filles sont habituellement mariées après 18 ans.
Mais parmi les Peulhs à Gueli, Bandafassi et Dakateli, et Diakhankes à Dakateli, il est courant que les filles soient fiancées le jour de leur baptême, c’est-à-dire quand elles ont huit jours. Ces filles sont souvent mariées peu de temps après la fin de leur menstrues, peuvent ne pas bien connaître leur mari avant le mariage, et parfois ne le rencontre pour la première fois que lors de la nuit de noces, lorsqu’elles sont emmenées dans la chambre nuptiale.
Le mariage perçu comme la voie vers l’indépendance
Dans les régions rurales de Gueli, les chercheurs n’ont rencontré aucune fille qui n’était pas mariée; les quelques filles non mariées âgées de plus de 13 ans étaient au lycée. Huit des neuf filles Peulhs mariées dans le groupe de discussions étaient fiancées lorsqu’elles étaient encore des nourrissons et avaient connu le garçon à qui elles étaient destinées mais n’avaient eu aucune relation particulière avec lui avant le mariage. Tous les arrangements du mariage ont été discutés par leurs parents.
Trois des filles ont déclaré avoir voulu rester à l’école, mais elles ont été forcées par leurs parents et leurs frères et sœurs à se marier.
Les trois filles Wolofs à Nguidila qui étaient mariées avant 16 ans étaient toutes mariées à des cousins, qui avaient migré en Europe et étaient venus en vacances avec « beaucoup d’argent ».
Les hommes les avaient approchés avant d’aller voir leurs parents, et les filles avaient donné leur accord. Elles ont toutes affirmé comprendre ce qu’elles faisaient. Elles avaient accepté de se marier si jeunes parce qu’elles voulaient sortir de la maison familiale et être indépendantes.
Que pensent les communautés des risques sur la santé ?
Dans chacun des quatre sites où la recherche a été conduite il y a un poste de santé avec une infirmière, une sage-femme formée et des activités de sensibilisation communautaire sur la santé.
Mais aucun des services de santé n’a développé un programme spécialement conçu pour prévenir le mariage d’enfants ou sensibiliser le public aux risques sur la santé maternelle.
Une infirmière en milieu urbain Nguidila a déclaré: «Cela ne fait pas partie de notre mission. Si nous commençons à parler de mariage d’enfants d’un point de vue légal ou de droits humains, nous allons décourager les parents ou les maris d’envoyer les filles qui ont besoin de soins de santé venir pour les examens ou les consultations lorsqu’elles sont malades».
Les pressions sociales lorsqu’on ne se conforme pas à la pratique
Dans le Sénégal rural, une femme qui n’est pas mariée est raillée et ridiculisée. Le mot en langue peulh pour ces femmes est «tioydho», également utilisé pour désigner des produits invendus.
Dans le village de Gueli, les filles se marient vers 13 ans; elles n’ont aucun moyen face au pouvoir de leurs pères et, de toute façon elles croient que c’est une malédiction pour une fille de devenir «tioydho».
Mais dans l’école primaire de Gueli, le directeur était tellement indigné lorsque son meilleur élève, une fille de 12 ans, est venue à lui en pleurs en disant que son père avait l’intention de la marier. Il a signalé l’affaire à la police et le père a été obligé d’annuler le mariage.
Néanmoins, le père a forcé le mariage à la fin de l’année scolaire, et la jeune fille a abandonné l’école ; deux ans plus tard, le directeur a appris qu’elle était morte à l’accouchement.
Bien que les filles non mariées dans les groupes de discussions font souvent l’objet de moqueries pour ne pas être mariées, de manière générale, elles se considéraient comme chanceuses d’avoir d’assez bonnes notes à l’école pour pouvoir échapper au mariage pour le moment; leurs parents ont l’espoir qu’elles termineraient le collège. Il n’y avait qu’une fille dans les groupes de discussions qui était ni mariée ni à l’école – et elle a dit qu’elle voulait se marier parce qu’elle craignait de devenir «tioydho».
Lien entre l’éducation des filles et les mariages précoces
Les chercheurs ont constaté que le mariage mettait effectivement fin à l’éducation des filles dans la plupart des cas: parmi les trente filles mariées qui ont participé aux discussions de groupes dans les quatre sites, seules quatre avaient repris leurs études après le mariage.
Le principal problème que les filles rapportent est le volume de travail qu’elles doivent faire en tant que nouvelles mariées dans leur nouveau foyer. «Quand je me suis mariée, au début, j’étais encore à l’école: j’aimais aller et j’étais la meilleure élève dans toute l’école», dit une jeune fille de 16 ans dans la zone rurale de Dakateli.
«Mais je devais me réveiller à 5 heures du matin pour préparer le petit-déjeuner et le déjeuner avant d’aller à l’école, et la première femme de mon mari n’a jamais cessé de se plaindre qu’ils devaient manger de la nourriture froide au déjeuner et qu’elle faisait toutes les tâches ménagères pendant que j’étais à l’école, alors mon mari m’a demandé de me concentrer sur mes devoirs d’épouse».
Le directeur du lycée de Bandafassi a déclaré qu’aucune fille n’avait passé le diplôme d’études secondaires depuis que l’école avait été ouverte, il y a de cela trois ans. Il a attribué cette faible performance au volume du travail domestique que les filles doivent faire chez elles, ce qui signifie qu’elles n’ont pas le temps de faire leurs exercices.
Un professeur d’école primaire dans les régions rurales de Gueli a déclaré: «les parents envoient leurs jeunes filles à l’école primaire seulement parce qu’elles sont trop jeunes pour être utilisées pour les tâches ménagères et il faut que quelqu’un s’occupe d’elles pendant que leurs mères travaillent. Dès qu’elles commencent à grandir et peuvent commencer à travailler, elles sont retirées de l’école pour se marier ou aider aux tâches domestiques ».
Quel est le rôle des leaders religieux ?
L’islam n’a été mentionné dans aucune des discussions comme facteur; le mot utilisé était « aadha », ce qui signifie «tradition»; qui favorise la conformité avec les valeurs et croyances collectives de la société.
Mais les leaders religieux de confession musulmane interrogés ont de manière générale toléré, voir accepté le mariage d’enfants. Un imam de Gueli a déclaré que ni le Qur’an ni les hadiths interdisaient explicitement le mariage d’enfants, et il était de la responsabilité d’un père de s’assurer que ses filles ne «tombent pas dans la fornication». Un chef religieux à Dakateli a déclaré: «notre religion exige qu’une fille qui porte un enfant sans être mariée soit lapidée à mort. Nous ne respectons pas ce principe parce que nous ne sommes pas un État islamique; cependant, cela montre combien nous réprouvons les écarts sexuels. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles nous marions nos filles alors qu’elles sont encore très jeunes».
L’absence de toute sanction légale signifiait qu’il n’y avait aucune raison de ne pas ignorer la loi
Grâce à la Stratégie nationale pour la protection de l’enfant, adoptée par le gouvernement du Sénégal en 2013, un mécanisme de signalement des cas de violence envers les enfants a été élaboré pour être mis en œuvre à tous les niveaux – des départements aux villages – mais jusqu’à présent très peu de comités de protection de l’enfant ont été établis et aucune sanction n’a été appliquée aux parents qui ont marié leurs enfants en deçà de l’âge légal.
Les participants à l’étude actuelle connaissaient tous l’âge légal du mariage pour les filles, mais à Gueli et Dakateli, ils ont déclaré que l’absence de toute sanction légale signifiait qu’il n’y avait aucune raison de ne pas ignorer la loi. En tout cas, la plupart des mariages ne sont pas civils.
La discrimination systémique contre les femmes et les filles les transforme en domestiques au nom de «l’honneur familial»
Au Sénégal, environ 73% des mariages ne sont pas enregistrés. Et les gendarmes interrogés au niveau des sites de recherche en milieu rural ont déclaré qu’ils n’ont pas souvenir de cas où une seule fille est venue à la gendarmerie pour se plaindre que ses parents l’obligent à se marier.
Il y a une mise en évidence des causes profondes du mariage d’enfants: le faible statut des femmes et des filles et l’importance primordiale accordée à leurs rôles en tant que femmes et mères plutôt que citoyennes et membres à part entière de la société.
La discrimination systémique contre les femmes et les filles les transforme en domestiques au nom de «l’honneur familial».