Pathé Dièye
Il est 13h, on dirait que le soleil est invité comme professeur titulaire pour brûler les crânes au grand portail de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. On voit des pelotons d’étudiants sortir de partout. Hélas, on a l’impression que tous les Sénégalais sont inscrits à l’université.
Toutefois, au Sénégal le taux d’enrôlement dans l’enseignement supérieur est de 14% en 2020, certes un peu au-dessus de la moyenne en Afrique subsaharienne (9,4%) mais loin de la moyenne mondiale estimée à 38%. Lorsqu’à l’œil nu, on pense qu’on a trop d’étudiants dans les universités, les faits nous démontrent qu’on n’en a pas assez.
A côté de ce constat qui attristerait Madiba, la Covid-19 nous a montré ô combien nous avons négligé l’éducation supérieure et la nécessité d’encourager la recherche, et nous voilà, mendiants de vaccins tendant nos sébiles pendant que les autres parties du monde se sont transformées en laboratoire pour tester et améliorer des formules pour immuniser leurs populations. Les pays d’Afrique subsaharienne financent-ils assez l’éducation supérieure ? Est-ce que des priorités comme la recherche et l’innovation pour gérer nos urgences sont bien servies ?
L’éducation supérieure : la moins servie sur les budgets nationaux
Le monde va à grands pas vers l’ère de la métaverse, de l’intelligence artificielle, de la réalité augmentée et de la robotique. Pour ne pas être spectateurs dans cette énième partition de l’évolution de la technique, il faut former des ressources humaines capables de relever le défis consistant à faire de la région un hub d’innovation, le lieu de rendez-vous du futur.
Cela passera nécessairement par un financement pour encourager les initiatives. Toutefois, nous sommes pour le moment très loin du minimum acceptable. Les pays de la région dépensent environ 1 % de leur Produit intérieur brut (PIB) pour l’enseignement supérieur. En 2018, des pays comme la Gambie et la Guinée injectaient moins de 0,5% dans leur enseignement supérieur. On sentait plus d’efforts au niveau du Sénégal qui dépensait 1,5%, le Burkina Faso 1,8% et la Sierra Léone qui était en tête dans la région ouest-africaine avec 3,3% de son PIB.
Les conséquences de cette négligence de l’enseignement supérieur sont visibles à tous les niveaux. D’abord, dans le classement mondial des universités QS 2020, qui classe les 1 000 meilleures universités du monde, on ne compte que 13 universités africaines, dont huit en Afrique du Sud.
À cause de l’absence de ressources pour financer des laboratoires et équiper les écoles et universités d’outils techniques, 70% des diplômés en Afrique sortent des disciplines en sciences humaines et sociales alors que les défis du continent appellent à plus de personnes formées en mathématiques, en ingénierie, en sciences des données etc.
On note aussi un manque de professeurs de qualité dont certains préfèrent exercer dans les pays étrangers. En plus de cela, dans un pays comme le Sénégal, l’année universitaire est totalement désaxée. Les cours démarrent dans certaines facultés au mois de mars pour se terminer au mois de septembre ou décembre, le tout rythmé par les grèves. Voilà des situations qui n’encouragent pas les étudiants aussi à faire leurs études dans le pays. Ils préfèrent pour la majorité se former à l’étranger, et pour certains, il vont y rester pour travailler nourrissant ainsi le fameux circuit de la fuite des cerveaux.
En outre, les curricula des universités ne se renouvellent pas assez pour s’adapter aux exigences du temps. Par conséquent, nombreux sont les étudiants qui sortent avec leurs diplômes sans être employables. Pourtant, l’un des défis majeurs de l’université est de demeurer un cadre sur lequel les décideurs devraient compter pour orienter leurs actions. Le premier laboratoire d’idées pour un pays doit être l’université et pour assurer cette vocation, il ne faut pas négliger les moyens nécessaires pour une bonne formation.
Comme ce n’est pas encore une priorité, cela explique le fait que l’Afrique fait quasiment trente-deux fois le Canada en termes de population et ne représente que 3,50% des publications scientifiques dans le monde alors que le Canada a une part de 3,60%.
Il ne faut pas alors qu’on s’étonne de voir nos pays attendre l’initiative Covax pour avoir accès aux vaccins. Ce qui est déplorable c’est que ce projet compte beaucoup sur les restes de vaccins des pays développés pour venir au secours des pays en développement.
Un financement : c’est un choix stratégique
La Covid-19 a servi de loupe pour désigner les secteurs sur lesquels il est le plus urgent d’agir.
Aujourd’hui, financer l’enseignement supérieur c’est investir sur des universités plus modernes. Après la fermeture des universités africaines, seules 29% d’entre elles ont pu faire la transition vers les cours en ligne. Désormais, l’enseignement à distance sur les plateformes en ligne ne doit plus être l’apanage des universités virtuelles mais tous les établissements d’enseignement supérieurs doivent être munis d’un dispositif puissant pour accueillir des cours en ligne de qualité pour les étudiants.
Cela peut aider à gérer les effectifs pléthoriques des amphithéâtres mais aussi faire intervenir des spécialistes à l’étranger. Un professeur du Massachusetts Institute of Technology (MIT) devrait pouvoir aisément animer un module en ligne pour des étudiants en Mathématiques appliquées à l’Université Gaston Berger.
Un financement stratégique c’est aussi identifier des projets de recherche sur des questions urgentes et ayant un intérêt pour la région et les accompagner. Ce sont des sujets liés aux changements climatiques, à l’insécurité au Sahel, la recherche d’un vaccin contre des maladies mortelles et récurrentes dans la région etc.
Pour faciliter les sources de financement, il est important de collaborer avec les industries qui trouvent un intérêt dans les futurs résultats de la recherche. C’est non seulement un moyen de créer une connexion entre l’offre et la demande mais aussi une manière de multiplier les sources de financements des institutions supérieures d’enseignement.
Désormais, l’enseignement à distance sur les plateformes en ligne ne doit plus être l’apanage des universités virtuelles mais tous les établissements d’enseignement supérieurs doivent être munis d’un dispositif puissant pour accueillir des cours en ligne de qualité pour les étudiants
Il est possible aussi de financer les universités à partir d’activités génératrices de revenus de la part des étudiants. Les étudiants mettent en place des projets qui peuvent être financés et appuyés par l’université. Ces retours sur investissement peuvent être non négligeables. Malheureusement, lorsque des étudiants inventent un distributeur de gel alcoolique, au lieu de les aider à développer l’industrie, on se limite à publier cela sur les réseaux sociaux. Hashtag, les étudiants ont du génie.
Avec la population la plus jeune au monde, la région subsaharienne est dans l’urgence d’avoir une éducation de qualité pour absorber et former cette démographie et produire des ressources humaines de qualité qui puissent relever le défi de la modernisation de nos économies. Finalement, la part du budget à allouer à l’éducation est un choix politique. Avant de faire ce choix, il faut se poser une question simple : voulons-nous faire de notre population si jeune une force vive ou une bombe à retardement ?
Le cours est terminé.
Credit photo: Le Figaro étudiant
Pathé Dièye est chargé de recherche et de projet à WATHI. Titulaire d’un Master 2 en Science politique mention relations internationales, il est blogueur et anime son site “Silence des rimes”. Il est aussi écrivain et son premier roman est intitulé “J’ai écrit un roman, je ne sais pas de quoi ça parle…”.