Dans le cadre du débat sur les réformes dans l’enseignement supérieur en Afrique de l’Ouest, le think tank citoyen WATHI a effectué un entretien le 23 novembre 2017 avec le ministre de l’Enseignement supérieur du Sénégal Mary Teuw Niane. Dans cette deuxième partie, il présente les réformes visant à donner à la formation technique et professionnelle une place de choix, une rupture avec le passé.
EXTRAITS DE L’ENTRETIEN
Un renforcement de la formation technique et professionnelle au niveau de l’enseignement supérieur
Il y a plusieurs aspects qu’il faut comprendre au Sénégal, notamment l’existence de quatre ministères avec des rôles assez précis qui gèrent l’éducation et la formation. Nous avons le ministère qui s’occupe de la Petite enfance, en charge de l’Agence nationale de la « Case des Tout petits » qui est une éducation préscolaire de type communautaire. Ensuite, nous avons le ministère de l’Education nationale qui assure le préscolaire classique, le primaire et le lycée.
Puis nous avons le ministère de la Formation professionnelle, qui gère toute la formation professionnelle post-Bac à savoir l’apprentissage, la valorisation des acquis de l’expérience et l’accompagnement des apprentis. Aussi sont pris en compte par ce ministère les centres de formations au niveau du CAP (Certificat d’Aptitude Professionnelle), du BEP (Brevet d’Etudes Professionnelles), avec la particularité d’avoir une partie des formations post-Bac qui sont des formations Bac +2 appelées BTS (Brevet de technicien supérieur).
Enfin, il y a le ministère de l’Enseignement supérieur qui a une part de formation professionnelle avec la création des ISEP (Institut supérieur d’enseignement professionnel)qui ont suivi les DUT (Diplôme universitaire de technologie)délivrés par des Instituts universitaires de technologie (IUT).A l’université Gaston Berger de Saint-Louis, nous avions deux formations particulières, le Diplôme universitaire de réseaux informatique de gestion (DURIG) et le DUT agro-écologie. Mais le BTS et le DUT restaient quand même des formations qui ont gardé une part importante de la formation de base.
Dans les pays ayant une formation professionnelle réussie, il est noté que les jeunes sont formés à travers un processus alliant la formation académique et la formation en entreprise. Mais aussi beaucoup de professionnels de l’entreprise ou du milieu socio-économique sont engagés comme formateurs au niveau des écoles et universités
Or dans les pays ayant une formation professionnelle réussie, il est noté que les jeunes sont formés à travers un processus alliant la formation académique et la formation en entreprise. Mais aussi beaucoup de professionnels de l’entreprise ou du milieu socio-économique sont engagés comme formateurs au niveau des écoles et universités.
Une offre de formation professionnelle adaptée aux potentialités économiques locales avec les Instituts supérieurs d’enseignement professionnel (ISEP)
Ceci a inspiré la réforme qui vise à mettre en place un nouveau concept constitué par les ISEP, BAC +2, grâce à une alternance entre les universités et les milieux professionnels avec une formation en situation de travail. Cependant, pour construire ces ISEP, une étude a été faite sur les potentialités de développement économique, social et culturel de chaque région, et c’est à partir de cela que les filières de formations ont été dessinées. C’est la raison pour laquelle nous avons adapté aujourd’hui les ISEP aux réalités des régions d’accueil.
Ainsi la région de Thiès a été choisie pour abriter l’ISEP sur les métiers du rail. Pour la région de Dakar, l’ISEP est centré essentiellement sur les technologies de l’information et de la communication (TIC).Quant à la région de Saint-Louis avec l’ISEP de Richard Toll, le machinisme agricole, l’irrigation et l’agriculture de manière générale seront étudiés. A Ziguinchor, nous avons tout ce qui est lié à l’agroforesterie, aux métiers verts, à l’hôtellerie et au tourisme au niveau des ISEP.
Cependant, pour construire ces ISEP, une étude a été faite sur les potentialités de développement économique, social et culturel de chaque région, et c’est à partir de cela que les filières de formations ont été dessinées. C’est la raison pour laquelle nous avons adapté aujourd’hui les ISEP aux réalités des régions d’accueil
A Matam, en plus de l’agriculture, nous avons des formations aux métiers liés à l’élevage et à la production et la transformation du lait, les mines et la chimie appliquée à l’agriculture. Deux ISEP sont en cours de construction à Mbacké (au centre-ouest du Sénégal) pour les énergies, et à Kédougou (Sud-est du Sénégal) pour les mines. Enfin, dans la région de Louga (nord-ouest du Sénégal) est prévue la création de l’ISEP sur les métiers de l’élevage et de la peau.
L’intérêt des ISEP, c’est que nous allons avoir un « continuum» au sein des formations. Ainsi, tout comme la formation générale (du préscolaire au doctorat), nous allons avoir un « continuum »au niveau des formations professionnelles qui permettra aux apprenants d’aller du CAP au doctorat, et ceci grâce à l’ouverture des ISEP aux BTS. Avec les ISEP, ce qui constituait une iniquité, à savoir une formation professionnelle non attrayante et reléguée en seconde zone à cause d’une offre de formation limitée au BAC, n’existe plus aujourd’hui.
L’intérêt des ISEP, c’est que nous allons avoir un « continuum» au sein des formations. Ainsi, tout comme la formation générale (du préscolaire au doctorat), nous allons avoir un « continuum »au niveau des formations professionnelles
Désormais cet équilibre est rétabli et les ISEP pourront contribuer à l’amélioration de notre économie, de l’agriculture, de l’élevage et de l’industrie grâce à la formation de cadres moyens, des techniciens supérieurs, mais aussi d’hommes de terrain et de pratiquants pour accompagner le développement et la croissance économique de notre pays.
Pour les ISEP, je peux vous donner les chiffres : l’ISEP de Thiès est prévu pour 5000 apprenants. L’ISEP de Diamniadio va démarrer avec 400 apprenants et passera à 5000 apprenants. L’ISEP de Matam est prévu pour 1000 apprenants. L’ISEP de Richard Toll va démarrer avec 5000 apprenants et l’ISEP de Bignona va démarrer avec 1000 apprenants pour se stabiliser à 3000 apprenants. Cela, c’est pour ces cinq (5) premiers ISEP.
Au niveau des droits d’inscription, les coûts vont s’aligner pour tous les ISEP. Les droits d’inscription s’élèvent à 80000 francs CFA (environ 122 euros). Nous avons totalement déconnecté le volet habitat des ISEP. Il n’y aura pas de logements d’étudiants. Par contre, ils auront des restaurants. Dans les ISEP dans lesquels nous avons des filières tourisme ou hôtellerie, ce sont des restaurants de formation des étudiants. Par exemple, à Thiès, où on a cette filière, il y a un grand restaurant avec des équipements très sophistiqués. Ce sera un lieu d’apprentissage et en même temps un restaurant pour les étudiants.
Les apprenants des ISEP sont éligibles aux bourses. Aujourd’hui, puisque nous n’avons que l’ISEP de Thiès, tous ses apprenants ont une bourse entière dès leur arrivée. La question de la santé aussi est prise en charge au niveau de l’ISEP avec les centres médico-sociaux.
La mise en place d’une formation en alternance avec les ISEP
Chaque ISEP sera doté d’un centre d’innovation. Ils auront des écosystèmes avec la création des centres d’apprentissage et de production qui est une sorte « d’usine-école ». Ce sont des conventions entre l’entreprise et l’école qui visent à transférer une part de la production de l’entreprise à « l’usine-école » pour permettre aux apprenants de l’ISEP de faire des stages. Parce qu’une des questions clés des ISEP, c’est où trouver des stages, le tissu économique n’étant pas suffisamment large. Vous voyez le lien entre le nombre d’étudiants de l’ISEP et le type de tissu économique. A Bignona, par exemple, nous démarrons avec 1000 apprenants parce que nous avons bien mesuré le tissu entrepreneurial et quand on parle d’entreprise, c’est aussi par exemple la ferme familiale.
La réponse que nous trouvons à cela est la création des centres d’apprentissage et de production en accord avec les entreprises. C’est aussi la création du centre d’innovation qui va être un incubateur pour les jeunes qui ont des idées d’entreprise qui doivent être accompagnés dans la création et le développement de leurs entreprises.
Chaque ISEP sera doté d’un centre d’innovation. Ils auront des écosystèmes avec la création des centres d’apprentissage et de production qui est une sorte « d’usine-école »
Au fur et à mesure de la montée en puissance, nous visons la création même d’entreprises par les apprenants et ceci permet d’élargir la capacité d’accueil des stagiaires. Le centre d’apprentissage et de production peut être une usine, une exploitation agricole, une ferme ou une structure de pêche. Il va déterminer la capacité d’accueil de l’ISEP.
Nous faisons confiance en une chose qui ne s’est pas encore démentie: quand vous mettez des structures d’enseignement supérieur quelque part, il y a une forte dynamique économique qui se crée. Elle va aussi suivre pour les ISEP. C’est aussi une vision optimiste du fait que la création d’une structure d’enseignement supérieur est un élément de développement de l’attractivité économique, sociale et culturelle d’une partie d’un terroir donné.
A Bignona, par exemple, nous démarrons avec 1000 apprenants parce que nous avons bien mesuré le tissu entrepreneurial et quand on parle d’entreprise, c’est aussi par exemple la ferme familiale
L’autre aspect, ce sont les formateurs. Cette question est plus délicate. C’est pourquoi nous avons depuis quelques années démarré des partenariats avec des pays qui ont des traditions de formation professionnelle tels que la France où il y a plusieurs instituts de formation de formateurs. La coopération coréenne finance l’ISEP de Diamniadio et elle nous a sollicité pour financer un centre de formation des formateurs et du personnel d’encadrement des ISEP.
Au delà de ces ISEP, le Sénégal est un des pays fondateurs de ce qu’on appelle le Partnership for Applied Sciences, Enginneering and Technologies (PASET). Un des volets du PASET est la création de cinq (5) centres d’excellence régionaux de formation de formateurs pour l’enseignement professionnel. En fait, il ne faudrait pas que la création des ISEP engendre le dépeuplement en formateurs des lycées professionnels. Nous sommes très attentifs à cette question.
Il ne faudrait pas que la création des ISEP engendre le dépeuplement en formateurs des lycées professionnels
La question de la formation des formateurs est critique et c’est aussi une des raisons qui fait que les ISEP sont regroupés en réseaux, constitués par un décret du président de la République qui crée le Réseau des instituts supérieurs d’enseignement professionnel (RISEP).
Mary Teuw Niane est, depuis 2012, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation du Sénégal. Il est un mathématicien et professeur titulaire de classe exceptionnelle. Il a été recteur de l’université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal) de 2006 à 2012.