Ils seraient donc 37 dans toute la province du Haut-Ogooué à avoir oublié d’aller voter le samedi 27 août dernier. Seuls 37 Gabonais parmi les 71714 électeurs inscrits dans cette province n’auraient pas voté. Et 95,46 % des votants ont choisi le président sortant Ali Bongo. Un énorme miracle. Le fief électoral de la famille Bongo se distingue des huit autres régions du pays par un taux de participation de 99,93%. La moyenne nationale s’établit à 59,46 % et le taux le plus élevé en dehors du Haut-Ogooué est de 70,52 %, celui de l’Ogooué-Lolo. Les Gabonais de l’étranger, 7638 inscrits, ont fait un peu mieux avec 71,05%.
La performance civique de la région du clan Bongo, frôlant les 100 % de votants, est donc exceptionnelle. Elle aurait permis à Ali Bongo de perdre sept régions sur neuf, ou huit sur dix quand on inclut la « région » de la diaspora, et de gagner pourtant au plan national, avec 49,80 % contre 48,23 % à Jean Ping. Tous ces chiffres sont ceux annoncés par le ministère de l’Intérieur du Gabon et communiqués sur son compte Twitter officiel.
On lit ici et là depuis l’annonce des résultats officiels de l’élection présidentielle que ces résultats et le manque de « transparence » dans la dernière étape du processus électoral soulèvent des « doutes » ou sont de nature à créer des « suspicions ». On lit et entend aussi que le président sortant a gagné l’élection, avec une avance certes étriquée de 5594 voix sur son rival Jean Ping.
L’institution électorale, le ministère de l’Intérieur et le camp du président sortant prennent leurs compatriotes, et accessoirement les observateurs étrangers qui étaient sur le terrain, pour des idiots.
Les résultats de la province du Haut-Ogooué, comme par hasard arrivés les derniers à la Commission électorale nationale autonome permanente (CENAP), trois jours après la fin du scrutin, ne sont pas douteux. Ils sont simplement invraisemblables. L’institution électorale, le ministère de l’Intérieur et le camp du président sortant prennent leurs compatriotes, et accessoirement les observateurs étrangers qui étaient sur le terrain, pour des idiots.
Ne pas dire les choses telles qu’elles sont et ne pas identifier sans détour les responsabilités au moment où le pays brûle, c’est faire le jeu d’un président et ancien ministre de la Défense, déjà mal élu en 2009, qui, confiant dans la fidélité de sa garde républicaine surarmée, a décidé de rester au pouvoir quelle que soit l’issue du scrutin.
Dès que le dépouillement eut pris fin dans les bureaux de vote dans la nuit du 27 au 28 août, et alors que les résultats largement favorables à Jean Ping dans l’agglomération de Libreville ne faisaient plus l’ombre d’un doute, tous ceux qui suivaient de près cette élection avaient commencé à se demander par quel tour de magie Ali Bongo pourrait-il se faire proclamer vainqueur, même par une CENAP sous influence patente du camp présidentiel.
Le miracle ne pouvait venir que du Haut-Ogooué ! Et l’assurance indispensable pour oser perpétrer un tel coup de force électoral ne pouvait venir que d’un robuste déploiement préventif de forces armées dotées d’équipements de maintien de l’ordre étincelants de modernité. Les quatre jours qui se sont écoulés entre la fin du scrutin et l’annonce des résultats, dans un pays comptant 627 807 inscrits et 373 310 votants, ont servi à peaufiner le scénario avant de le dérouler sans faute.
Le président déclaré élu a cru bon de donner des leçons sur la démocratie dans sa première déclaration après l’éclatement de graves violences à Libreville et à Port-Gentil : la démocratie, a-t-il dit, est « exigeante », et ne peut s’accommoder « de ceux qui prennent d’assaut le Parlement… ». Les manifestants sont eux tous réduits au statut de « groupuscules formés à la destruction ».
Les jeunes qui finissent par se révolter violemment, et par se servir en appareils électroménagers et en téléviseurs lors des pillages de supermarchés, sont traités de criminels par les élites qui les ont privés d’éducation, de pain, de formation, d’emplois et d’espoir de vie meilleure par leur corruption sans limite, leur indifférence et leur mépris.
Au Gabon comme ailleurs en Afrique, les jeunes qui finissent par se révolter violemment, et par se servir en appareils électroménagers et en téléviseurs lors des pillages de supermarchés, sont traités de criminels par les élites qui les ont privés d’éducation, de pain, de formation, d’emplois et d’espoir de vie meilleure par leur corruption sans limite, leur indifférence et leur mépris. Tous les Gabonais auraient donc dû applaudir les résultats invraisemblables, féliciter le vainqueur ou au pire, ruminer leur chagrin en famille, barricadés chez eux, calmement et gentiment. Comme des moutons. Encore que les moutons s’agitent lorsqu’ils flairent un destin incertain ou funeste.
Quid du candidat de l’opposition qui s’est autoproclamé vainqueur ? Jean Ping peut-il être crédible dans un rôle de porte-drapeau d’une révolution populaire gabonaise ? Son long parcours politique et personnel aux côtés d’Omar Bongo et celui de ses principaux alliés, tous issus ou presque de la vieille nomenklatura gabonaise, ne font-ils pas de cette violente confrontation avec Ali Bongo une querelle de famille à laquelle les citoyens des classes moyennes et pauvres devraient s’abstenir de se mêler ?
Jean Ping, ancien président de la Commission de l’Union africaine, n’a t-il pas emprunté des sentiers dangereux et douteux pendant la campagne en se focalisant sur la question de la nationalité d’origine du président sortant pendant que ce dernier défendait son bilan – pas uniformément mauvais–, inondait la capitale d’affiches gigantesques et faisait distribuer une extraordinaire palette de cadeaux aux électeurs courtisés ?
Toutes ces questions, les citoyens gabonais pouvaient légitimement se les poser avant d’aller voter le 27 août. Les observateurs, les analystes et les Africains concernés par l’avenir du Gabon aussi pouvaient et devaient se les poser. Mais les réponses à ces interrogations ne fournissent en rien des clés pour appréhender la situation de crise actuelle, provoquée par un coup de force manifestement planifié et exécuté sans sourciller par des autorités qui annoncent avoir arrêté en 24 heures un millier de personnes. Y compris des personnalités politiques de premier plan soutenant Jean Ping.
Que ce dernier ne soit pas l’incarnation la plus convaincante de l’opposant qui veut mettre fin au règne de la dynastie Bongo n’a aucune importance à ce stade. Le fait est que les électeurs gabonais, qui avaient parfaitement compris l’enjeu d’une élection à un tour programmée pour favoriser le sortant, ont très vraisemblablement congédié celui-ci, malgré un écrasement de l’espace médiatique et des moyens financiers illimités pour la campagne d’Ali Bongo.
Il faut tout faire pour mettre fin à cette nouvelle imposture en terre africaine dont les conséquences sont déjà catastrophiques.
Si la CENAP réussit à identifier les 37 mauvais citoyens du Haut-Ogooué, et pas un de plus, qui ont fait baisser le taux de participation de 100 % à 99,93% des inscrits, elle pourra convaincre le monde qu’un miracle s’est produit le 27 août. Si elle ne peut pas les retrouver, il faut tout faire pour mettre fin à cette nouvelle imposture en terre africaine dont les conséquences sont déjà catastrophiques. Pour rappel, le mandat présidentiel au Gabon est d’une durée de sept ans, sans limitation du nombre de renouvellements. Ce n’est pas parce les pouvoirs restent allergiques à l’alternance dans quasiment tous les pays d’Afrique centrale qu’il faut laisser les Gabonais révoltés se faire maltraiter, humilier et parquer dans des enclos. Comme des moutons.
Photo: WATHI
Economiste et analyste politique, consultant indépendant, Gilles Olakounlé Yabi est à l’origine de WATHI (www.wathi.org), laboratoire d’idées citoyen de l’Afrique de l’Ouest. Il a été journaliste et directeur pour l’Afrique de l’Ouest de l’organisation non gouvernementale International Crisis Group.
17 Commentaires. En écrire un nouveau
Une analyse pertinente à méditer !
Analyse très pertinente que je partage. On ne peut pas mieux dire de la situation au Gabon
“Jean Ping, ancien président de la Commission de l’Union africaine, n’a t-il pas créée une jurisprudence dans le décompte des voies lors des présidentielles en Afrique? En cote d’Ivoire il n’y a pas eu de décompte, pourquoi lui et la communauté internationale veulent un récomptage des voies. C’est dommage pour les intellectuels Africains qui pensent pour les autres et il n’a que ses yeux pour pleurer
Merci pour cette analyse pertinente et éloquente .vivement que tous apprennent a travers ce argumentaire,la réalité et mesure la gravité de la situation. Il faut a tout prix que le Gabon soit sauvé des griffes de cette imposture électorale..il est vraiment important que cette vaillante lutte serve non pas a l intérêt particulier d un individu, mais plutôt a l intérêt supérieur de la nation gabonaise.. Si aujourd’hui force est de croire que ni Ali ni Ping ne sont pas des modèles politiques pour le Gabon,il faut cependant laisser triompher la démocratie par la voie du peuple,quitte a ce que ce même peuple révisé sa position aux élections prochaines.
Article tres juste Gilles! Tout ceci est très dommage hélas ne va qu’enfoncer encore plus le pays.
Hey Giles,
Right on!
Cheers,
Boubacar
Bonsoir Gilles!
Cette réflexion que j’apprécie absolument s’inscrit dans la dynamique d’une analyse d’une situation pré électorale, électorale et juste après les élections pour ne pas dire post électorale.
Il faut que le gabonais actuel apprenne à respecter l’électorat gabonais.
Cette fois ci je crois qu’il est allé trop loin.
Je suis entièrement d’accord avec cette analyse.
Merci
Merci Giles pour cette analyse. “Jean Ping, ancien président de la Commission de l’Union africaine, n’a t-il pas emprunté des sentiers dangereux et douteux pendant la campagne en se focalisant sur la question de la nationalité d’origine du président sortant pendant que ce dernier défendait son bilan – pas uniformément mauvais–, inondait la capitale d’affiches gigantesques et faisait distribuer une extraordinaire palette de cadeaux aux électeurs courtisés ?”
La conviction de manque de transparence dans ce scrutin est établie. Mais je pense aussi que la victime Jean Ping n’incarne pas aussi cette valeur cardinale. Sa gestion des crises électorales lors de sa mandature a l’UA le montre a souhait. Et vous aviez bien fait de rappelé ses approches dans la campagne. Je pense que nous assistons dans cette crise a la fable de deux voleurs qui désirent voler le même objet. Eh bien, on connait la suite
une publication des bulletins bureau par bureau n’a de signification que la présence de représentant d’indépendants ou de l’opposition dans ces bureaux ayant reçus des les resultats ou ayant formulé des observations. sinon l’invraisemblable ne prospère pas dans un vote à orientation régionaliste ou chaque leader voulait s’appuyer pour se faire valoir et dont on comptait sur l’addition pour faire la différence. en Afrique on dit qu’il ne faut pas tuer son chien au risque de se faire mordre par la chèvre d’autrui . la province du Haut-Ogooué vient rappeler à tout ceux qui sembler oublier que nul autre que le père ou la mère ne remettre en cause la paternité d’un enfant puisque tous les hommes ne sont pères présomptifs. Aux fils qui ont renier à leur père cette présomption à titre posthume, ils seront comme SAM, fils de NOE, BONGO père , furieux de cette honte poste-temporelle, ne ferra que les maudire parce qu’ils ont oublié l’enseignement universel du code des personnes et de la famille qui veut que tout acte des enfants tend rendre honneur à ses père et mère.
Merci Gilles pour cette belle analyse! Et je te rassure, elle est certes tranchée, mais objective!
C’est une analyse plus ou moins partisane, mais moi je pense que la réflexion devrait plutôt être dans l’attitude et les positions avant et après cette élection. C’est vrai cette élection gabonaise laisse des doutes quant à sa sincérité mais les réactions qui ont suivi me laissent incompréhensible. On cautionne les élections truquées d’un côté et on crie aux morts de l’autre côté. Qu’est-ce que le monde a penser de l’élection au Niger avec le principal opposant en prison? Et que dire de cette élection au Tchad où des soldats ont été assassinés parcequ’ils n’ont pas voté pour le président sortant? Qu’a dit la communauté internationale? Moi je pense qu’il faut avoir du respect pour le Gabon et ses lois constitutionnelles. Si l’opposition n’est pas d’accord avec les résultats, le contentieux doit être traité par la cour constitutionnelle. Il faut respecter le Gabon.
Merci pour cette analyse juste!!! En effet comme vous voyez on nois prend pour des ecerveles triste triste et de plus les journalistes africains sont devenus muets face a cette fraude historique!!!! Merci a vous merci!!
Salut Gilles. Merci pour ton analyse. Moi je voudrai comprendre l’attitude des digeants africains et singulierement de l’union africaine. Compaison n’est pas raison. Mais tout dernierement au bukina ce sont des millions qu ont votes mais la ceni a mis moins de temps. Tout ceci ressemble donc a trucage programme car pour 600 000 electeurs e
Bonjour Gilles, je réagis à cet article sur les élections au Gabon. Ces elections que je trouve pipées d’avance car une élection à 1 tour n’est pas démocratique. Elle ne donne pas une forte légitimité au Président élu. La preuve par seulement une différence de 5000 voix le fils Bongo est réélu avec une légitimité au fil du rasoir.
Je ne suis pas un partisan du fils de Bongo mais je pense que lélections de 2016 n’est pas différente de 2009 au Gabon. Le montage de 2016 est identique à celui de 2009. Et ceux qui on cautionné la forfaiture de 2009 ne sont pas crédibles pour dire le contraire aujourd’hui.
Bref, pour moi l’enjeu majeur c’est la capacité d’anticipation pour éviter que des situations pareilles ne perdurent. La reside le combat des democrates, notre combat à tous. Pour cela, Il faut d’abord relire les textes électoraux pour la publication des résultats par B.V., et juste après le scrutin, il faut exiger une élection à 2 tour, il faut que la communauté democratique arrête d’avoir des positions à géométrie variable selon le pays. A l’aube du siècle nouveau l’Afrique gagnerait à se choisir des dirigeants d’un type nouveau, en phase avec leur peuple, ayant une connaissance parfait de leur pays et des aspirations des populations surtout les jeunes.
Il faut que des principes claires et une charte démocratique applicable à tous les pays sans distinction soient la boussole démocratique du continent. Nous devons travailler à cela et veiller à son application pour léguer à nos enfants des valeurs et des pays où l’on peut vivre décemment.
Cher Ibrahim Sy Savané,
Votre intérêt pour ce que fait WATHI est un formidable encouragement. Merci.
Je comprends parfaitement votre réaction et votre jugement sur le caractère tranché de la position exprimée dans cet article (position personnelle). Croyez-moi, j’ai suivi de près le déroulement de ce processus électoral et je fais aussi attention à la nécessité de la nuance dans toute analyse qu’à l’exigence de ne pas faire le jeu de ceux se servent de toutes les nuances pour faire oublier l’essentiel. Les formules choc servent à frapper les esprits et traduisent, c’est vrai, une exaspération personnelle mais ne changent rien, je crois, à la démonstration de l’invraisemblance de la victoire proclamée du président sortant. Vous savez mieux que moi que les acteurs politiques mus exclusivement par la recherche du pouvoir anticipent parfaitement les réactions qui deviennent extrêmement molles à force d’être nuancées. Merci encore pour votre intérêt pour ce que nous faisons.
Je partage entièrement votre analyse en tant que Burkinabè ayant vécu l’insurrection populaire dans mon pays
Bonjour Gilles,
Il est très rare que je réagisse aux articles divers et variés. Cette fois, je veux juste faire remarquer que tu nous a habitués, toutes ces années durant, à des analyses plus nuancées. Là, le titre annonce déjà une prise de position/proclamation que je considère un peu simpliste. Et le contenu tient les promesses du titre. Je sais bien qu’il s’agit d’un billet d’humeur. Mais précisément, on compte sur des gens comme toi por mieux nous éclairer au contraire de la kyrielle d’experts qui squattent les plateaux de télévision. Je ne suis pas partisan, je souhaite que malgré l’ambiance surchauffée, l’on puisse analyser froidement la situation. Ainsi , on rendra grand service au Gabon et à bien de jeunes africains qui ne peuvent se contenter de formules chocs.
Félicitations à toute l’équipe de Wathi ce que vous avez réussi à faire en si peu temps.