Genre et foncier : une équation non encore résolue au Sénégal
Ndèye Coumba Diouf, Initiative Prospective agricole et rurale, 2015
Lien vers le document original [Fr] [En]
Des voies alternatives d’accès des femmes à la terre
Puisque l’accès des femmes à la terre au Sénégal est controversé, des stratégies alternatives sont développées par ces dernières, le plus souvent avec l’appui des projets et programmes de développement ou de la société civile pour un accès plus conséquent au foncier. En effet, dans la quasi-totalité des zones agro-écologiques du pays, les femmes n’accèdent à la terre ni par héritage, ni par les voix modernes issues de la Loi sur le Domaine National, à savoir les conseils ruraux. Ainsi, d’autres moyens sont visités pour contourner les pesanteurs sociales.
- Accès par le biais des groupements de femmes : les femmes structurées autour des groupements, utilisent ce prétexte pour bénéficier d’un accès collectif à la terre. « L’accès à travers les organisations féminines peut se révéler sécurisant au plan légal si l’affectation est avalisée par l’autorité locale compétente qu’est le Conseil Rural. Dans les localités où les groupements sont assez bien structurés et disposent d’une certaine capacité financière, l’acquisition se fait parfois par achat (même si ce n’est pas autorisé par la loi) et les soucis de sécurisation se posent moins » . Cependant, il faut reconnaitre que cette possibilité (achat) n’est pas très développée en milieu rural sénégalais où les capacités financières des groupements de femmes restent limitées, ils bénéficient ainsi d’un accès incertain (par le biais des autorités coutumières) pouvant faire à tout moment l’objet d’une contestation et « même dans les cas où les prés requis légaux sont assurés, c’est l’insuffisance des surfaces allouées, le manque d’eau, la qualité des sols et le manque de moyens pour les exploiter qui en limitent la portée ».
- Accès à la terre par le biais des transactions foncières locales : par delà ce mode d’accès basé sur le regroupement autour d’associations, les femmes utilisent les transactions foncières locales pour disposer de terres d’une manière individuelle. En effet, « dans les zones à haut potentiel de productivité comme les Niayes ou le Delta du Fleuve, se développe un marché foncier de plus en plus dynamique (achat, location, gage, etc.) qui implique les femmes » . Même si ces pratiques foncières se font hors la loi, elles permettent quand même aux femmes de pouvoir disposer des terres de culture. Mais, en ce qui concerne la location et l’achat, « leur marge de progression au niveau des femmes est limitée par la faiblesse de leur pouvoir » .
- Accès par le biais des aménagements publics : le combat doit être également engagé auprès des projets sur financement public. L’idée est de prévoir, pour chaque projet financé à partir de ressources publiques, un quota de terres aménagées pour les femmes. Ce débat porté, jusqu’ici, par les partenaires au développement doit être pris en charge par les différents corps sociaux. En devenant public, il peut susciter un changement des représentations sociales en faveur de la femme. Pour les terres non aménagées, il faudrait instituer de nouvelles règles qui permettraient un accès équitable.
Plaidoyer pour une affirmation des femmes dans les arènes sociales
Les études du projet « Droits fonciers et égalité des chances » montrent que dans certaines zones du pays, des femmes connaissent bien les voies d’accès à la terre mais sont limitées par les pesanteurs socio-culturelles, par conséquent elles ne formulent pas de demandes d’obtention de terres auprès des instances compétentes. Au cas où elles formulent des demandes, seuls les dossiers collectifs sont acceptés avec un pourcentage très faible dans la plus part des cas. Puisque les femmes sont faiblement représentées dans les instances locales de décision, elles sont doublement désavantagées :
- les défenseurs de la coutume locale en termes de gestion des terres investissent les instances locales de décision, en l’occurrence les conseils municipaux,
- les croyances coutumières se perpétuent jusque dans les conseils municipaux au détriment des intérêts des femmes. Il faut reconnaître que les femmes doivent dès lors s’affirmer davantage. Ainsi doivent-elles assumer un rôle politique beaucoup plus marqué, en investissant les arènes politiques, notamment dans les instances de décision. L’on peut penser qu’en devenant représentatives dans les commissions en charge des questions foncières, elles auront un accès et un contrôle sur les terres.
Le plaidoyer gagnerait a s’orienter vers les leaders d’opinion également puisque les pesanteurs sociologiques constituent plus de sources de blocage pour les femmes plutôt que la loi elle-même qui ne prévoit aucune discrimination basée sur la différence de genre.