Dans le cadre du débat sur le changement climatique et les questions environnementales en Afrique de l’Ouest, WATHI a rencontré le professeur Adams Tidjani, fondateur de l’Institut des métiers de l’environnement et de la métrologie. Dans cet entretien, il évoque l’absence de justice climatique au niveau mondial et se prononce sur des solutions pour faire face au changement climatique en Afrique.
- Que pensez-vous des mesures d’adaptation au changement climatique dans les pays ouest-africains ?
Le réchauffement climatique en tant que concept n’est pas une préoccupation importante pour les populations. Il faut leur tenir un discours qui soit plus concret. Pour ce faire, il est nécessaire de connaître les préoccupations environnementales des populations, c’est-à-dire comprendre les problèmes liés à l’environnement qui les touchent concrètement dans leur quotidien. Les approches ne sont pas bonnes parce que les populations ne sont pas consultées et mêlées à la réflexion. Il y a un décalage entre ce qui est décidé, souvent au niveau international, qui répond plus aux préoccupations des pays développés et ce que l’on doit faire dans nos pays.
Nous ne pouvons pas juste venir et dire à chaque paysan il faut que vous plantiez un arbre pour contribuer à réduire le réchauffement climatique, il ne va pas comprendre l’impact de ceci sur son travail. Demandons plutôt à chaque citoyen de planter un arbre, on pourrait se retrouver avec 10 millions d’arbres, ces arbres pourront capter par exemple 100 millions de CO2. Cela peut être exploité dans le cadre du mécanisme de développement propre, et cela pourrait être la contribution du pays pour lutter contre le réchauffement climatique. Le mécanisme de développement propre est un système de compensation carbone qui permet de vendre ou d’acheter les quotas d’émission de gaz à effet de serre dans le marché carbone. Les 100 millions de CO2 neutralisés constitueraient donc un crédit carbone que l’État peut vendre à l’international.
Demandons plutôt à chaque citoyen de planter un arbre, on pourrait se retrouver avec 10 millions d’arbres, ces arbres pourront capter par exemple 100 millions de CO2. (…) Les 100 millions de CO2 neutralisés constitueraient donc un crédit carbone que l’État peut vendre à l’international. (…) L’idée est de donner à chaque citoyen qui aura planté un arbre sa part dans la vente de ce crédit carbone
L’idée est de donner à chaque citoyen qui aura planté un arbre sa part dans la vente de ce crédit carbone. Ce serait une solution efficace pour amener les populations à planter des arbres. Il faut toujours proposer des alternatives aux populations en leur montrant qu’elles aussi y trouvent leur compte. Une personne qui a du mal à avoir suffisamment d’eau pour ses besoins ne verra pas immédiatement l’utilité de planter et d’arroser un arbre pour la nature.
- Quelles sont les mesures les plus urgentes à mettre en œuvre pour lutter contre le réchauffement climatique ?
Le réchauffement climatique agresse la nature. La première énergie dont ont besoin les populations, c’est l’énergie de combustion et non l’énergie solaire contrairement à ce que les gouvernants pensent actuellement. Étant donné que les femmes ont besoin de cette énergie, elles ont détruit la forêt progressivement en coupant des arbres pour avoir du bois de chauffe, ce qui est une des causes du réchauffement climatique. Donc, il faut les amener à ne plus couper les arbres en leur proposant des alternatives de production d’énergie combustible. Soit en fabriquant du bio charbon à partir des résidus agricoles soit en installant des biodigesteurs.
Nous avons mené un projet avec les femmes de Bambey dans la region de Diourbel avec l’alternative des biodigesteurs pour la production d’énergie combustible. Cela nous a permis d’installer 150 latrines dans les concessions de cette localité qui manquait de structures d’assainissement, dont une vingtaine couplées avec un biodigesteur. Les excréments humains ajoutés à de la bouse de vache et de l’eau produisent du méthane via une réaction chimique. Ce méthane transporté par des tubes, qui sont rattachés à des gazinières installées dans les cuisines, permettent aux femmes de cuisiner sans être obligées d’aller chercher du bois à des kilomètres. Ce qui réduit la pénibilité du travail des femmes, l’émission des gaz à effet de serre et même la pauvreté en leur permettant, par le gain de temps, de mener d’autres activités. Cela permet également de préserver leur santé.
En outre, en utilisant le résidu qui est retiré du biodigesteur comme engrais, la production agricole est passée de 800 kilogrammes à trois tonnes la première année. Donc, des solutions de développement tout en luttant contre le réchauffement climatique dans nos pays existent, mais malheureusement les autorités ne suivent pas.
- Que faire pour baisser la pollution croissante en Afrique de l’Ouest ?
Il faut d’abord connaître l’origine de cette pollution. Il faut identifier les sources de pollution. Dans nos pays, il y a trois secteurs qui ont un impact énorme sur l’environnement. Il s’agit de la combustion du bois de chauffe, de l’électricité et des transports.
D’où l’importance de travailler sur des sources d’énergie de substitution telles que le mécanisme de biodigesteur pour réduire la combustion. Pour le transport, il faut favoriser le transport en commun en développant le transport public, et imposer l’installation de pots catalytiques dans les voitures qui circulent dans nos pays. Cela fait que lors de la visite technique, on mesure le taux d’émission de la voiture. Si le taux est supérieur à la norme établie, le propriétaire se retrouve avec une sanction. Enfin, pour l’électricité il faut aller vers le solaire, nous avons assez de soleil.
Dans nos pays, il y a trois secteurs qui ont un impact énorme sur l’environnement. Il s’agit de la combustion du bois de chauffe, de l’électricité et des transports
Toutefois, tant qu’il n’y a pas de volonté politique toutes ces alternatives ne pourront pas être mises en œuvre. En tant que chercheurs, notre capacité se limite à la réflexion et la proposition de solutions.
- Quelle est la contribution de la recherche académique pour résoudre les problèmes environnementaux en Afrique ?
Aujourd’hui, nous avons un problème d’efficacité. Beaucoup d’experts en environnement sont d’accord sur l’importance de recycler et de revaloriser les déchets plastiques mais peu savent concrètement comment s’y prendre. Dans ce débat sur l’environnement, les gens confondent souvent connaissances et compétences. Tout le monde est en mesure de tenir un discours cohérent sur le sujet mais combien sont capables de proposer des solutions durables pour lutter contre ce réchauffement climatique ?
De façon générale, la recherche n’est pas financée dans nos pays. Toutefois par rapport à tout ce qui touche à l’environnement et à l’économie verte, il y a des sources de financement disponibles. Ce qui pose problème souvent, c’est le manque d’initiatives de la part des chercheurs. Une idée peut germer dans la tête d’un citoyen qui, n’ayant pas les capacités et les instruments nécessaires, s’appuie sur une équipe de recherche qui pourra matérialiser l’idée. Mais malheureusement cette passerelle entre la société et la recherche n’existe pas.
Les conséquences du réchauffement climatique sont des problèmes sociétaux qui touchent les femmes, les agriculteurs, les pêcheurs dans leur quotidien et nous ne sommes pas capables de pouvoir les aider efficacement
Les chercheurs restent dans leurs laboratoires et ne se préoccupent pas de savoir si les résultats de leurs recherches servent aux populations et aux entreprises. La structuration universitaire est faite de telle sorte que le chercheur est plus préoccupé à avancer dans sa carrière que par les problèmes de la société. La hiérarchie professorale est basée plus sur le nombre de publications que sur leur impact réel dans la vie des populations. Nous devons trouver le moyen de concilier les deux aspects.
Je suis professeur depuis 1997, mais entre faire une publication scientifique au niveau international et aider les femmes de Pout (une commune dite rurale, connue pour son dynamisme dans la production et le commerce de produits agricoles, plus particulièrement les fruits et légumes) sur la gestion des déchets, je préfère aider ces femmes. Ceci m’apportera plus de satisfaction. La publication scientifique, même si elle augmente mon prestige en tant que professeur, ne nous permet pas de régler les problèmes sociétaux.
Les conséquences du réchauffement climatique sont des problèmes sociétaux qui touchent les femmes, les agriculteurs, les pêcheurs dans leur quotidien et nous ne sommes pas capables de pouvoir les aider efficacement, c’est vraiment dommage.
- Les pays développés, qui ont une plus grande responsabilité dans la dégradation de l’environnement, peuvent-ils aider les pays africains à amorcer une transition écologique ?
Il n’y a pas de justice climatique. Les États unis ne respectent pas les réglementations internationales par exemple. Il y a trois ans, le Canada s’est retiré des accords de Kyoto au moment de payer sa note climatique. Le pays n’a pas été sanctionné pour leurs émissions de gaz à effet de serre. Si cela avait été un pays africain, on aurait décrété un embargo contre ce pays. Quand c’est un pays développé, absolument rien n’est fait. Il faut une organisation mondiale chargée de sanctionner les pays qui ne respectent pas les règles environnementales, sinon les problèmes ne seront pas résolus et les négociations seront toujours inégalitaires.
Dans ce débat sur l’environnement, les gens confondent souvent connaissances et compétences. Tout le monde est en mesure de tenir un discours cohérent sur le sujet mais combien sont capables de proposer des solutions durables pour lutter contre ce réchauffement climatique
- Les pays africains doivent-ils suivre le même modèle de développement que les pays développés ?
Je pense que non. L’Europe et les États-Unis se sont développés en “bousillant” notre planète. Nous devons pouvoir trouver notre modèle de développement où l’environnement sera réconcilié avec l’économie. Il s’agit du développement de l’économie verte, le développement des métiers verts. Les métiers verts sont les métiers de l’avenir. Les domaines de l’environnement et des nouvelles technologies sont les seuls secteurs importants où on peut créer de nouveaux emplois. Pour ce faire, il faut qu’il y ait une réelle volonté politique.
Les domaines de l’environnement et des nouvelles technologies sont les seuls secteurs importants où on peut créer de nouveaux emplois
Il faut penser autrement le développement qui ne doit plus se limiter aux biens matériels et au confort. Respectons-nous culturellement, respectons nos diversités et enfin respectons la nature et le monde ira de l’avant. En réconciliant l’économie et l’environnement, nous pourrons prétendre au développement.
Crédit photo : BFM TV
Professeur Adams Tidjani est un scientifique engagé dans la protection de l’environnement. Il a créé puis dirigé la publication de la revue ‘VIE’, premier magazine d’Afrique de l’Ouest dédié aux problématiques environnementales. Il a également créé l’Association de lutte pour la préservation de l’environnement (ALPE) en 2008. Il est à l’origine du Master Professionnel en Environnement à la Faculté des sciences et techniques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Plus tard, il a mis en place l’Institut des métiers de l’environnement et de la métrologie / Sciences de l’environnement. Auteur de plus d’une quarantaine de publications dans des revues internationales, Pr. Tidjani est membre de American Physical Society (APS), de American Chemical Society (ACS), de International Radiation Physics Society (I.R.P.S.) et du Groupe Recherche Environnement Presse (GREP).