Dans le cadre du débat sur les systèmes de santé en Afrique de l’Ouest, WATHI a rencontré le Dr. Daouda Diouf, directeur exécutif de l’ONG Enda Santé. Dans cette première partie de l’entretien, il parle de la nécessité d’avoir des politiques de santé endogènes et participatives mais aussi de l’importance de protéger les savoirs et pratiques traditionnelles en santé.
- Quelle est la spécificité de l’ONG « Enda santé » ?
L’objectif d’Enda est de proposer des alternatives au développement et à la politique tels qu’ils se sont manifestés jusqu’à présent. Notre idée a été de dire que, d’abord, il fallait commencer par avoir des organisations créées et basées dans les pays du Sud où sont mis en œuvre les programmes de développement. Le siège d’Enda a été créé à Dakar et nous sommes dans une trentaine de pays. Cela peut paraître anecdotique mais cela change toute la perception que l’on peut avoir des organisations du Sud : on n’attend plus l’aide des autres et des expatriés, on se prend en charge nous-mêmes.
Très souvent, on nous appelle pour nous dire « oui, on vient pour renforcer vos capacités dans les pays pauvres. » Comme si les pays en développement n’ont pas de ressources humaines qui peuvent assumer ce rôle, on nous envoie des expatriés. Comment pouvons-nous dire que nous n’avons pas les mêmes capacités que les populations du Nord lorsque nous avons fait les mêmes universités qu’eux, et que parfois nous avons eu de meilleures notes qu’eux ? En effet, il faut savoir que derrière, il y a une volonté de maintenir un même système dominant qui n’est pas celui-là qui va permettre à nos pays de prendre leurs destins en main.
Comment pouvons-nous dire que nous n’avons pas les mêmes capacités que les populations du Nord lorsque nous avons fait les mêmes universités qu’eux, et que parfois nous avons eu de meilleures notes qu’eux ?
Le Japon s’est développé en prenant une trajectoire singulière. Il en est de même pour l’Europe et la Chine. Il faut donc accepter l’idée que les pays africains vont se développer avec leurs propres trajectoires. Mais cela ne peut se faire qu’en s’appuyant sur les Africains.
- « La vision de l’organisation Enda est celle d’une société africaine où les sociétés riches de leurs savoirs participent pleinement à la promotion de la santé dans un environnement de justice sociale et d’équité ». Comment voyez-vous cette participation des communautés à la promotion de la santé ?
Chez Enda, nous avons pris le parti de travailler plus étroitement avec les organisations communautaires. Pour nous, il est très important de prévenir et de mobiliser les communautés autour des problèmes de santé. C’est pourquoi nous travaillons avec les organisations communautaires de base, les groupes de femmes, les religieux ou encore les leaders traditionnels pour les sensibiliser sur l’importance de certains problèmes de santé. Comment voulez-vous résoudre ces problèmes sans impliquer les communautés ?
Il faut que les populations comprennent tous les enjeux. Par exemple, il y a encore des taux très faibles dans certaines régions en matière d’utilisation des contraceptifs. Il y a aussi des conceptions religieuses et culturelles qui sont contre la limitation des naissances. Beaucoup de femmes ne vont pas en consultation prénatale parce qu’elles attendent l’autorisation du mari. Ce sont des questions qu’on ne peut régler qu’en impliquant les communautés, en parlant avec elles, et en les impliquant comme acteurs.
On sait par exemple que 80 % des Africains vont aller voir le guérisseur traditionnel quand ils sont malades avant d’aller à l’hôpital. Il y a une approche culturelle de la santé que nous devons aussi avoir pour que les gens intègrent dans leurs représentations culturelles qu’aller à l’hôpital n’est pas antinomique avec le fait d’aller chez le guérisseur traditionnel.
C’est pour cela que la place de la communauté est centrale. Prenons la question du paludisme. L’éradication du paludisme adviendra quand les communautés auront intégré des pratiques comme dormir sous une moustiquaire, élaguer toutes les zones où les moustiques peuvent proliférer ou encore nettoyer les maisons. Sur ces questions, on peut avoir les meilleurs hôpitaux du monde, mais si on ne règle pas le problème en amont on n’y arrivera pas !
Par ailleurs, je crois qu’il existe certains pays dans lesquels les membres de la communauté sont impliqués dans une cogestion des structures sanitaires et cela est très bien pour leur permettre de comprendre que les efforts en matière de santé leur sont destinés.
Il y a une approche culturelle de la santé que nous devons aussi avoir pour que les gens intègrent dans leurs représentations culturelles qu’aller à l’hôpital n’est pas antinomique avec le fait d’aller chez le guérisseur traditionnel. C’est pour cela que la place de la communauté est centrale !
Enda Santé aide également plusieurs lycées à créer des jardins de plantes médicinales pour que les élèves prennent conscience qu’il y a une relation très étroite entre la préservation de l’environnement et la santé. La préservation de la santé doit être un des éléments intégrés comme élément d’éducation dès l’école. Il faut le faire aussi dans les écoles coraniques et même au-delà, l’intégrer dans la formation des groupements de femmes et d’autres structures sociales pour que, dans l’éducation du Sénégalais, on puisse ériger la santé comme un élément très important.
- Comment intégrez-vous la thématique du genre et des droits humains dans votre action ?
Nous avons plusieurs approches. Par exemple, en Casamance, nous travaillons beaucoup sur les questions de violences sexuelles faites aux femmes. C’est au cœur de la problématique du genre. Nous essayons également de nous s’intéresser au genre à travers des programmes de promotion de la santé de la femme. Les personnes les plus touchées par les problématiques de santé sont les femmes.
Cela montre qu’il y a aussi une question d’inégalité d’accès à l’information et de maîtrise de l’information, qui est souvent en faveur des hommes. Repositionner la femme dans l’offre de soins est quelque chose de très important qui contribue à l’équilibre des genres. La question du genre se pose aussi par rapport au nombre de femmes infectées par le VIH. Il y a plus de femmes qui sont infectées que d’hommes. Parmi les nouveaux infectés, nous avons beaucoup de jeunes filles infectées par des hommes plus âgés. On est au cœur des questions de genre !
- Le lien entre la médecine et l’environnement est un autre élément important de la stratégie d’Enda Santé. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Enda s’appelle « Environnement et Développement Action ». Tout ce que nous faisons est en lien avec l’environnement. Il y a deux choses qui sont centrales : le droit à la santé et l’approche environnementale de la santé. Le fait de préserver les plantes médicinales implique que l’on préserve aussi l’environnement. Nous avons depuis 1978 un conservatoire de la biodiversité avec une concentration de toutes les espèces de plantes médicinales en voie de disparition en Afrique de l’Ouest.
Cette conservation est un enjeu politique énorme, car notre patrimoine bio-végétal est aujourd’hui menacé. De nos jours, beaucoup de chercheurs de toutes les nationalités parcourent les villes et les villages du Sahel et de toute l’Afrique pour s’informer sur les techniques de médecine traditionnelle. Dans vingt ou trente ans, les plantes utilisées dans cette médecine auront disparu ici et lorsque nous en auront besoin, il faudra aller en Chine pour les acheter. C’est donc un enjeu de santé colossal.
- Est-ce que le gouvernement perçoit l’urgence de cette question de la même façon ?
Tout le monde n’a pas perçu cela de la même façon. Mais, c’est aussi le rôle des organisations comme Enda santé d’ouvrir les yeux des gens sur ces questions. Parfois, quand nous parlons de plantes médicinales et de médecine traditionnelle, on nous accuse d’être contre la médecine moderne. C’est totalement faux. Nous avons beaucoup de médecins dans notre organisation et nous travaillons avec de multiples structures de santé.
Pour autant, il faut rappeler que la médecine et les pratiques traditionnelles font partie de nos vies et de notre patrimoine culturel africain. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que beaucoup de pays s’y intéressent et que de nombreux doctorants font des thèses sur ce sujet. Depuis plus de vingt ans, nous travaillons avec la faculté de médecine de l’UCAD sur ces questions, ce qui nous permet d’avoir une approche très scientifique de la chose.
- L’action d’Enda santé pour la sauvegarde des savoirs et pratiques traditionnelles en santé est-elle suffisante pour gérer ce défi ?
Non, cela ne suffit pas. Nous avons beaucoup travaillé avec les ministères de la santé de différents pays pour qu’il y ait une législation claire sur la médecine traditionnelle. Au Sénégal, une loi est passée et sa mise en application devrait suivre. Notre première mission, c’est de nous assurer de la bonne application de cette loi.
Il y a peu d’acteurs qui s’intéressent à la valorisation de la médecine traditionnelle et des plantes médicinales, alors même que cet enjeu est essentiel. Rien ne nous empêche d’intégrer ces éléments dans notre système de santé moderne comme cela a pu être fait dans les pays asiatiques !
Notre deuxième mission concerne la conscientisation des populations. Je suis né dans un village. Dans celui-là comme dans beaucoup d’autres, on nous disait que pour telle maladie, il y avait telle personne qui se trouvait à tel endroit et qui en était le spécialiste. Mais dès que les vieux ou les mamans décèdent, nous perdons ce savoir. Je pense qu’il est essentiel que ces connaissances et pratiques traditionnelles soient préservées.
Il y a peu d’acteurs qui s’intéressent à la valorisation de la médecine traditionnelle et des plantes médicinales, alors même que cet enjeu est essentiel. Rien ne nous empêche d’intégrer ces éléments dans notre système de santé moderne comme cela a pu être fait dans les pays asiatiques ! Il faut que les hommes politiques aient une conscience aigüe de cette situation.
Crédit photo : La terre est un jardin
Daouda Diouf est directeur exécutif de l’ONG Enda Santé depuis 2003. Diplômé en économie sociale de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, il est intervenu avec Enda Santé dans plusieurs pays à travers le monde comme la Papouasie Nouvelle guinée, l’Ethiopie ou encore la Thaïlande.
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en tant que jeune je suis avenir de mon pays et continent donc suis partante pour la valorisation de la médecine traditionnelle au Sénégal ET je suis à votre disposition en cas de besoin