Dans le cadre du débat sur la gouvernance et l’efficacité des organisations régionales ouest-africaines, WATHI reçoit Ibrahima Kane, chargé du plaidoyer au sein des organisations et institutions de l’Union africaine (UA ou Union).
Au cours de l’entretien, Monsieur Kane a abordé diverses thématiques sur l’intégration africaine en général et ouest-africaine en particulier. Dans cette première partie, il fait un diagnostic du processus d’intégration de ses débuts jusqu’aux dernières réalisations. Il dresse les avancées et blocages des Communautés économiques régionales (CER) en portant un regard particulier sur la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Extraits
Origines et évolution de l’intégration en Afrique de l’Ouest
Ce que la CEDEAO a réussi, c’est d’essayer de regrouper les Etats autour de questions qui sont susceptibles d’être réglées plus rapidement, par exemple la question de la libre circulation.
Dans le cadre de la CEDEAO, la question de libre circulation a été à l’origine de la création de l’institution. Par le passé il y a eu énormément d’expulsions de populations dans la région, des Ghanéens ont été expulsés manu militari du Nigéria où on leur demandait de quitter le pays en 48h. Il y a même un sac que l’on retrouve parfois ici à Dakar du nom de « Ghana must go ». Toute personne qui détenait ce sac était assimilée à un Ghanéen, donc devait partir. Et le sac était le seul moyen qu’on avait pour réunir le maximum de biens transportables. Il y avait énormément de problèmes de ce genre dans la région.
En 1975, deux présidents de l’époque, Yakubu Gowon du Nigéria et Eyadema du Togo ont décidé d’unir leurs efforts. C’est parce qu’ils voulaient mettre un terme à ces expulsions massives, à ces violations massives de droits de l’Homme, que la CEDEAO a initialement été créée.
Processus d’intégration à niveau inégal entre les blocs régionaux
Ce que l’on peut dire aujourd’hui du processus d’intégration : il est de niveau inégal.
Autant la CEDEAO, sur les aspects politiques et des droits de l’Homme, est en avance sur d’autres régions, autant en Afrique de l’Est dans le domaine de l’économie, l’intégration a fait des avancées énormes. Maintenant en Afrique de l’Est, des Etats envisagent la création d’infrastructures communes.
En Afrique australe, malgré un contexte économique très favorable, l’intégration ne progresse pas, parce qu’il y a un pays riche (Afrique du Sud) qui considère qu’il est la “vache à lait” de tous les autres pays, donc essaie de fermer ses frontières, ce qui crée d’énormes problèmes.
En Afrique du Nord, à cause de la crise du Sahara Occidental et le conflit que cela a suscité entre le Maroc et l’Algérie, l’intégration est au point mort. Quant à l’Afrique centrale, les Etats maintiennent les barrières entre eux. Le fait que la plupart de ces Etats soient couverts par la forêt n’explique pas tout, parce qu’il y a un réel manque de volonté de ces Etats.
Une intégration, plusieurs entités régionales
En Afrique de l’Ouest, par exemple, on a à l’intérieur de la CEDEAO, l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) qui a sa propre cohérence et sa propre monnaie. Pour que l’intégration soit réussie en Afrique de l’Ouest, il faut que les sept autres pays travaillent pour qu’il y ait une convergence afin d’arriver à une union monétaire et à une intégration des marchés et autres. Mais ce n’est pas encore le cas et cela prendra beaucoup de temps parce qu’en dehors de l’UEMOA, vous avez le Nigéria qui, à lui seul, est une puissance.
Le système de financement de la CEDEAO
Parlant de financement, la CEDEAO a vraiment développé un système que l’Union (africaine) vient de copier, qui est le meilleur moyen de financer une organisation régionale de ce type. C’est un pourcentage des importations et des exportations des pays qui est payé par la banque centrale et non par le gouvernement. Ce qui fait qu’il y a moins d’interférences des politiques sur ces questions.
Au moment où je vous parle, la CEDEAO a un budget supérieur à celui de l’UA: 650 millions de dollars. Cinq pour cent (5%) de ce budget provient de l’aide étrangère alors que 57 % du budget nominal de l’UA est financé par les aides européennes.
Photo: WATHI
Pape Ibrahima Kane, spécialiste des organisations sous-régionales au sein de la Fondation Open Society (Open Society Foundations), est chargé du programme plaidoyer auprès de l’Union africaine. Pendant 10 ans il a été avocat principal du programme Afrique de INTERIGHTS, un centre international pour la protection juridique des droits de l’Homme basé à Londres, en Grande Bretagne.