Christian Alain Djoko
Il paraît que le Ghana est en émoi. Et pour cause, Maxwell Adam Mahama, a été lynché puis brûlé partiellement par une foule en furie à Modaso, une localité proche de Denkyira-Obuasi, région centrale du Ghana. Sorti de bonne heure pour une séance de jogging, le capitaine de l’armée ghanéenne, marié et père de deux enfants aurait été – à la vue de son arme dissimulée sous sa tenue civile- pris pour un voleur. Et le drame est vite arrivé (http://bit.ly/2u9pPW0 )
Une situation quasi-similaire s’est produite quelques jours auparavant au Burkina Faso. Confondue à une voleuse de bébé, une diva locale, Adja Divine, a été passée à tabac par une population en colère. Mais contrairement au capitaine susnommé, elle a eu (in extremis) la vie sauve (http://bit.ly/2uHWOxs ). Ces deux cas récents, sont loin d’être des exceptions en Afrique subsaharienne.
Face à une telle dérive, le réflexe habituel consiste à engager la responsabilité individuelle des personnes impliquées de près ou de loin dans le drame. On rattache immédiatement cette pratique à la déliquescence morale et à l’incivisme de la population. Ici et là, les condamnations morales les plus incisives sont immédiatement suivies d’un appel à des sanctions exemplaires.
Les carences criardes de l’appareil judiciaire sont ce qui, d’un point de vue systémique, rendent possible la justice populaire
À l’analyse, nous réagissons presque toujours comme si la justice populaire était un simple accident, une anémie passagère ou conjoncturelle du corps social dont-on aura vite fait d’éliminer en sanctionnant autant que possible les principaux auteurs directement impliqués.
Un problème systémique plus qu’un phénomène conjoncturel
Pour ma part, percevoir exclusivement cette (in)justice sous l’angle d’un problème d’éthique et de responsabilité individuelle, c’est assurément s’empêcher d’en déceler les causes profondes et systémiques. C’est occulter la cause racinaire du problème, c’est-à-dire les défaillances/insuffisances du système judiciaire (démission de l’État, corruption, formation inadéquate ou inexistante du corps judiciaire, etc.) et, partant, la crise de confiance populaire qui lui est consécutive. En somme, nous réduisons un problème systémique à n’être qu’un phénomène conjoncturel.
La justice populaire se porte bien parce que le système judiciaire se porte mal. Les carences criardes de l’appareil judiciaire sont ce qui, d’un point de vue systémique, rendent possible la justice populaire. Elle prend essentiellement naissance sur les chemins tortueux de l’accès à une justice efficiente. Il y a une relation de cause à effet. Combien de fois, a-t-on entendu dire après l’arrestation d’un présumé bandit : « Finissons avec lui ici et maintenant, car, si on le laisse entre les mains de la police, il ressortira deux jours après, et reviendra se venger ».
La prévalence de la justice populaire dit quelque chose de notre système judiciaire avant d’en dire plus au sujet de nos assises morales
La prévalence de la justice populaire dit quelque chose de notre système judiciaire avant d’en dire plus au sujet de nos assises morales. Elle dit quelque chose de la perception ou du peu de confiance que les citoyens ont à l’égard de leur système judiciaire. Plus largement, elle reflète à bien des égards le sentiment qui habite tous ceux et celles à qui le système judiciaire semble refuser « un droit », et qui parfois finissent par trouver dans la justice populaire l’exutoire idoine des frustrations longtemps endurées.
Soigner le mal plutôt que la douleur
Entendons-nous bien. Il ne faut aucunement interpréter ce qui précède comme si je déresponsabilisais les acteurs immédiats de la justice populaire. Il n’en est rien. Chaque fois qu’un cas de justice populaire se posera, une condamnation morale et pénale de cette pratique abjecte sera toujours appropriée et nécessaire. Toutefois, s’en tenir exclusivement à une telle condamnation, c’est au mieux s’efforcer de soigner la douleur plutôt que le mal, au pire, faire preuve d’une irresponsabilité coupable. Comme dirait Einstein « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ».
Chaque fois qu’un cas de justice populaire se posera, une condamnation morale et pénale de cette pratique abjecte sera toujours appropriée et nécessaire
En clair, l’enjeu de mon propos est ailleurs. Mieux vaut agir en amont que réagir en aval. « Prévenir vaut mieux que guérir », dit-on souvent. De fait, en appeler uniquement à notre sens moral permet peut-être de donner une consistance, une épaisseur, une prise en charge à notre indignation, mais ne peut résoudre le problème à long terme.
Il faut sortir de la procrastination des solutions. En ce sens, redorer le blason du système judiciaire, c’est travailler à la restauration de la confiance du public envers ses institutions. Donnons les moyens à notre système judiciaire (meilleure formation des policiers et magistrats, amélioration de leurs conditions de travail, etc.) de faire son travail et exigeons beaucoup de lui en retour.
Une pensée pour toutes ces personnes (innocentes) victimes de la culpabilité de notre système judiciaire et de l’ignominie humaine.
* Cette tribune proposée par l’auteur à WATHI a été publiée précédemment sur le site de Fratmat.info http://bit.ly/2uyWx2E
Source photo : la-croix.com / Un homme soupçonné de vol lors de son “procès” expéditif conduit par des groupes d’autodéfense, le 19 mars 2016 à Kokologho près de Ouagadougou / AFP/Archives
Christian Alain Djoko est le coordonnateur du Centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen Orient (CIRAM) basé au Canada.