La Commission mixte Cameroun-Nigéria, un succès bien de chez nous
Ce péché par omission allègrement commis par nombre d’entre nous: notre quasi indifférence – l’indifférence est pire que l’ignorance – face à la formidable entreprise de consolidation de la paix qu’est pourtant la Commission mixte Cameroun-Nigeria.
C’est l’histoire classique d’un différend frontalier territorial qui tourne à l’affrontement militaire et qui, comme d’autres était destiné à s’étirer sur la longueur, envers et contre toute réalité juridique et décision judiciaire.
Au lieu de cela, les bonnes volontés, et sans doute des circonstances décisives, se sont croisées, et nous assistons au développement d’une « success story » africaine. Ce serait pécher, donc, que de ne pas l’évoquer.
Tout a commencé avec les revendications concurrentes de souveraineté sur la presqu’île de Bakassi entre le Cameroun et le Nigeria qui provoquèrent des flambées de violence le long de leur frontière sud (presqu’île de Bakassi) en 1993 et 1994, conduisant le Cameroun à porter le différend à l’attention de la Cour internationale de Justice (CIJ). Ce contentieux judiciaire étendu sur huit années, s’est élargi au-delà de la question initiale de Bakassi pour englober la totalité de la frontière partagée par le Cameroun et le Nigeria, du lac Tchad à l’océan Atlantique.
La raison principale de la crise est en réalité la non-détermination de la frontière terrestre et maritime entre les 2 pays. Entre les anciennes puissances coloniales européennes impliquées, l’Allemagne, puis la France et la Grande-Bretagne, il n’y eut pas de clarté sur le tracé d’une frontière terrestre longue d’environ 2,100 km. Quelques accords datant des années 1920 et 1930 existent bien et continuent de faire foi, mais ils sont en même temps la preuve de l’absence d’une effectivité cartographique entre les deux pays.
Un développement des plus significatifs fut le retour de la presqu’île de Bakassi au Cameroun; événement à forte teneur symbolique s’il en est, dans la mesure où Bakassi fut le point de départ de la crise entre les deux pays et l’épicentre du conflit.
Le processus judiciaire a connu son terme procédural le 10 Octobre 2002 avec l’arrêt de la Cour internationale de Justice (CIJ) sur la frontière Cameroun-Nigeria et les différends territoriaux. L’Organisation des Nations Unies créa aussitôt la Commission mixte – structure tripartite Cameroun/Nigeria/ONU – pour faciliter la mise en œuvre de ce jugement, à travers les bons offices du Secrétaire général de l’ONU.
Le mandat de la Commission mixte consiste à :
- soutenir la démarcation de la frontière terrestre et la délimitation de la frontière maritime;
- faciliter le retrait des troupes et le transfert du pouvoir;
- gérer la situation des populations affectées par les activités de démarcation des deux côtés de la frontière;
- faire des recommandations sur les mesures de renforcement de la confiance, dans un esprit de consolidation de la paix.
A ce jour, les réalisations dans la mise en œuvre de l’arrêt de la Cour comprennent:
- le retrait du Nigeria et le transfert d’autorité au Cameroun dans la région du lac Tchad (Décembre 2003), le long de la frontière terrestre (Juillet 2004) et dans la péninsule de Bakassi (un processus qui a commencé en juin 2006 et a été achevé en août 2008);
- la délimitation de la frontière maritime (mai 2007); l’exercice de la souveraineté territoriale du Cameroun sur la presqu’île de Bakassi (Août 2013);
- la démarcation effective de 2001 km sur les 2100 km de frontière terrestre.
Un développement des plus significatifs fut le retour de la presqu’île de Bakassi au Cameroun; événement à forte teneur symbolique s’il en est, dans la mesure où Bakassi fut le point de départ de la crise entre les deux pays et l’épicentre du conflit. Par une déclaration commune adoptée et signée par les chefs de délégation du Cameroun et du Nigeria, et le Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afrique de l’Ouest le 22 Octobre 2013, il est établi que la République du Cameroun exerce pleinement ses droits de souveraineté sur la totalité de la zone de Bakassi.
Tout au long du processus, les relations diplomatiques et économiques entre le Cameroun et le Nigeria se sont constamment améliorées et un certain nombre de développements positifs s’en sont suivis, notamment l’accord-cadre sur l’exploitation conjointe des ressources en hydrocarbures à la frontière maritime entre les deux pays. Il n’est pas superflu de préciser ici que le Nigeria est, au fil des progrès enregistrés par la collaboration bilatérale au sein de la Commission mixte, devenu le premier partenaire économique du Cameroun.
Depuis 2013, la Commission mixte a lancé le processus de cartographie finale de la frontière internationale. Et un comité chargé de rédiger le procès verbal qui viendra compléter l’exercice de démarcation est en cours d’établissement par les deux pays. Rappelons le bien, la guerre territoriale est née du vide juridique.
Evidemment, et puisque la perfection n’est qu’imaginaire, quelques zones de désaccord subsistent. Bien entendu, il reste à consolider les mesures de confiance par la promotion de projets à impact rapide en faveur des populations affectées par la démarcation, afin de pérenniser des relations transfrontalières harmonieuses entre les populations le long de la ligne de démarcation et dans la péninsule de Bakassi. Les gouvernements du Cameroun et du Nigeria se sont déjà engagés à apporter les ressources financières nécessaires, preuve supplémentaire, s’il en fallait, de la détermination des deux pays à conserver l’initiative de l’opération, et maitriser le destin de la frontière qui leur est commune.
Les réalisations du processus de la Commission mixte, bien que généralement perçues comme autant de réussites parmi les spécialistes, demeurent peu connues. Or, aucun des autres projets de démarcation placés sous l’égide des Nations Unies (Iraq / Koweït, Indonésie / Timor oriental, et Erythrée / Ethiopie) n’approche la taille ni la complexité de la démarcation entre le Cameroun et le Nigeria, étant donné que la distance de la frontière Cameroun-Nigeria est plus étendue que la somme de l’addition des opérations mentionnées ci-dessus.
Je m’en serais voulu, donc, de ne pas saisir l’opportunité de rappeler l’existence de ce processus, qui bon an mal an, se nourrit de sa propre énergie, au point de se situer dans une position idéale pour être présenté comme un modèle absolu de résolution pacifique – et durable- des différends territoriaux. Encore faut-il relayer son existence à l’attention de tous.
Titulaire d’un Doctorat d’État en droit international public, Moudjib Djinadou est actuellement le directeur des Affaires politiques du Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest (UNOWA), à Dakar au Sénégal. Il a travaillé pour les Nations unies dans les domaines de la paix, de la sécurité et de la gouvernance notamment au Soudan, en Haïti, au Burundi et en République démocratique du Congo. Il est également écrivain.