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Oxfam International est une confédération composée de dix-neuf organisations indépendantes de même sensibilité qui agissent contre les injustices et la pauvreté. Elles travaillent ensemble et en collaboration avec des partenaires locaux répartis dans près de cent pays.
Date de publication: Juillet 2019
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Site de l’organisation : Oxfam
Les inégalités ne cessent de croitre malgré la croissance économique spectaculaire que connaissent les pays de la région. Elles sont dans tous les domaines de la vie. Il devient urgent pour les Etats d’apporter des réponses aux différentes crises en faisant le choix privilégié de réduire les inégalités qui alimentent les injustices et de tensions chez les couches vulnérables de la société. De plus en plus, des manifestations et des mouvements de protestation s’organisent dans les pays de la région contre les gouvernements jugés autoritaires et parfois dictatoriaux qui pourtant se vantent de l’amélioration des indicateurs économiques.
La région ouest-africaine connaît de sévères inégalités, à telle enseigne que les 1 % les plus riches des Ouest-Africains ont des revenus plus élevés que tout le reste de la population de la région réunie. Au Nigéria, l’homme le plus riche de ce pays a des revenus environ 150 000 fois supérieurs aux dépenses annuelles des besoins de consommation de base des 10 % les plus pauvres du Nigéria.
Les choix budgétaires et de politique fiscale des gouvernements ne garantissent pas toujours le financement des services publics de qualité. Les services publics d’éducation, de santé et de protection sociale ne sont pas accessibles à une grande part de la population. Au Mali par exemple, une femme issue d’une famille nantie a 15 fois plus de chances d’avoir un enseignement secondaire qu’une femme de famille pauvre. Au Ghana, une fille issue d’une famille pauvre est 14 fois plus susceptible de n’être jamais allée à l’école qu’une fille de famille riche. Peu d’opportunités de formation, de travail, sont offertes et encore moins dans les milieux ruraux.
WATHI a choisi de mettre en lumière ce document, parce qu’il examine le niveau d’engagement des pays de la région ouest-africaine dans leur volonté de réduire les inégalités, en faisant un état des lieux de la crise des inégalités et en expliquant l’impact de ces inégalités sur les populations pauvres et sur l’ensemble de la société.
La crise des inégalités constitue un obstacle non des moindres au développement. Les gouvernements sont interpellés à faire un choix, celui de prendre des mesures de réduction des écarts entre riches et pauvres, ou celui d’œuvrer pour des inégalités plus accentuées. Les recommandations de ce document s’adressent aux gouvernements d’Afrique de l’Ouest et à l’institution régionale qu’est la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Au niveau des gouvernements, il faut :
- Consacrer des dépenses suffisantes à des services publics universels de qualité, qui resserrent l’écart entre riches et pauvres et qui réduisent les inégalités :
- Affecter un minimum de 20 % du budget national à des initiatives de renforcement de l’éducation publique universelle gratuite, en insistant particulièrement sur l’amélioration de l’accès à un enseignement primaire et secondaire de qualité.
- Affecter un minimum de 15 % du budget national au financement d’un secteur de la santé public gratuit, universel, facile d’accès et de grande qualité.
- Adopter des programmes de protection sociale universelle qui reçoivent des financements adéquats et qui profitent principalement aux populations les plus pauvres.
- Mettre en œuvre des services publics et des programmes de protection sociale universels financés par l’impôt. Arrêter de mettre en place des programmes d’assurance maladie focalisés sur les plus pauvres qui finissent par produire un effet de clivage au sein de la population.
- Redistribuer aux personnes pauvres grâce à une fiscalité progressive :
- Accroître les recettes fiscales en recueillant davantage auprès des plus riches afin de mieux financer les services sociaux de base.
- Accroître la progressivité globale du système fiscal en élargissant le champ d’application des impôts généralement payés par les riches (comme l’impôt sur la fortune, l’impôt sur les plus-values, l’impôt sur le revenu des particuliers pour les hauts salaires, les impôts fonciers et l’impôt sur les sociétés payé par les grandes entreprises), ainsi qu’en réduisant la dépendance vis-à-vis des taxes à la consommation comme la TVA, qui ont tendance à peser de façon disproportionnée sur les personnes les plus pauvres, et en particulier sur les femmes.
- Accorder une attention particulière au respect des obligations fiscales de la part des personnes à patrimoine net élevé et chercher à imposer le patrimoine caché à l’étranger.
- S’assurer que les multinationales paient leur juste part d’impôt par le renforcement des politiques de lutte contre l’évasion fiscale, des dispositions législatives relatives aux prix de transfert et des sanctions contre les paradis fiscaux.
- Faire cesser le « nivellement par le bas » de la fiscalité des entreprises par la suppression d’incitations fiscales inutiles pour les investisseurs et par la révision des incitations existantes et des conventions fiscales en vue d’accroître les recettes provenant des investisseurs.
- Renforcer les réglementations relatives aux prix de transfert là où elles existent déjà et en introduire de solides si aucune n’est en place, et améliorer la capacité des autorités fiscales nationales à lutter contre les flux financiers illicites.
- Renforcer la protection des droits du travail et adopter des politiques favorisant un marché du travail plus inclusif :
- Améliorer considérablement la protection du droit de syndicalisation, du droit de grève et du droit de négociation des syndicats au nom de leurs membres.
- Revoir les politiques relatives au salaire minimum et les régimes réglementaires pour augmenter les salaires des 40 % des salariés les plus pauvres.
- Légiférer pour faire respecter l’égalité de rémunération pour un travail égal entre hommes et femmes et investir dans l’acquisition de compétences et la formation sur le tas pour les femmes.
- Combattre la discrimination à l’égard des femmes, notamment par sa criminalisation, rendre publics les cas de viol et de harcèlement sexuel au travail et faire appliquer les lois luttant contre ces pratiques.
- Mettre en place des systèmes pour s’assurer que le secteur informel respecte progressivement les exigences réglementaires minimales, au moins, concernant le milieu de travail et la rémunération des femmes et des hommes.
- Mieux gérer la vulnérabilité d’une grande partie de la population active en intégrant les travailleurs du secteur informel dans les régimes et les mécanismes d’assurance sociale. Cela peut passer par l’intégration progressive des modalités existantes de micro-assurance dans le régime national d’assurance sociale.
- Il incombe à chaque pays de remettre à l’ordre du jour le renforcement des compétences dans le secteur informel et de créer des incitations pour encourager les prestataires de formation publics à servir le secteur informel. L’acquisition de compétences aide les travailleurs à accéder à des emplois non agricoles et à augmenter leurs revenus.
- Les apprentissages constituent la forme de renforcement des compétences la plus importante dans le secteur informel et le gouvernement doit investir les ressources nécessaires pour améliorer l’efficacité des programmes d’apprentissage. Ces efforts doivent s’accompagner de décisions politiques fondées sur les résultats (tests, suivi et évaluation). Toutes les parties prenantes ont un rôle à jouer : employeurs, prestataires de formation publics et privés et bailleurs de fonds, bien qu’il revienne à l’État de prendre l’initiative.
- Accroître le soutien de l’État envers l’agriculture et mettre au point des politiques pertinentes afin de mieux aider les agricultrices et agriculteurs familiaux :
- Affecter au moins 10 % du budget national à l’appui de l’agriculture.
- Élaborer un plan national d’investissements agricoles sensible à la dimension du genre et chercher principalement à aider les agricultrices et agriculteurs familiaux dans des secteurs autres que les cultures de rente.
- Combler la fracture entre villes et campagnes en veillant à équilibrer les investissements publics entre milieu rural et milieu urbain.
- Défendre le droit à la terre des populations les plus pauvres :
- Mettre pleinement en œuvre le cadre sur les politiques foncières de l’Union africaine, en axant les efforts sur l’élimination de la pauvreté foncière agricole, de la privation de terres agricoles et de l’insécurité de l’usage foncier parmi les populations les plus pauvres, et surtout chez les femmes. Les femmes représentent environ la moitié des petits exploitants agricoles, mais les inégalités de genre font qu’il leur est difficile d’avoir accès à des terres et de les contrôler.
- Faire cesser l’accaparement des terres à grande échelle qui se produit actuellement au détriment des agricultrices et agriculteurs familiaux.
- Rationaliser les processus d’enregistrement foncier afin d’en alléger les formalités administratives et le coût prohibitif, surtout pour les groupes vulnérables, y compris les femmes et les jeunes.
A l’endroit de la CEDEAO :
- Reconnaître la crise des inégalités qui sévit en Afrique de l’Ouest et planifier des mesures pour y remédier :
- Donner la priorité à la lutte contre les inégalités dans l’ordre du jour de la Commission de la CEDEAO.
- Élaborer un plan d’action régional, avec des objectifs et des indicateurs à la clé, qui vise à améliorer de manière significative l’actuelle position de l’Afrique de l’Ouest comme étant la région d’Afrique la moins engagée dans la lutte contre les inégalités.
- Élaborer un mécanisme solide pour faciliter et surveiller la mise en œuvre des ODD, notamment en ce qui concerne la Cible 10.1 concernant les inégalités.
- Encourager un « nivellement vers le haut » dans la lutte contre les inégalités :
- Rechercher une harmonisation sur le plan régional afin de limiter la concurrence fiscale dommageable dans la région, en particulier le recours excessif à des incitations fiscales pour attirer les investisseurs étrangers.
- Prendre l’initiative en matière d’élaboration d’un régime régional sur les prix de transfert afin de freiner les flux financiers illicites qui quittent la région.
- Prendre l’initiative concernant l’harmonisation des incitations fiscales par la mise en place d’un organisme indépendant chargé de la fiscalité au sein de la Commission afin de conseiller et de coordonner les politiques fiscales et de jouer un rôle plus actif dans les réformes fiscales internationales dans une démarche de protection des intérêts des pays d’Afrique de l’Ouest.
- Encourager et soutenir les pays de la région à jouer un rôle actif dans la réforme du système fiscal mondial, y compris le cadre inclusif de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), visant à réformer les règles défavorables et à en adopter de nouvelles qui servent les intérêts des pays de la région.
Les extraits suivants proviennent des pages : 13-14 ; 16-19 ; 21 ; 23-25 ; 30-34
La crise ouest-africaine des inégalités
Par rapport à d’autres régions du continent, l’Afrique de l’Ouest compte le plus grand nombre de pays, où plus de 30 % de la population vit avec moins de 1,90 dollar par jour. La région souffre aussi du plus faible niveau de couverture de soins de santé publique et des plus faibles proportions de population ayant accès à l’eau et à une éducation décente. Ces besoins humains de première nécessité vont de pair avec des inégalités abyssales qui empêchent la majorité de la population de voir sa situation s’améliorer dans la région, tandis qu’une toute petite minorité prospère.
La région affiche également des taux élevés de mariage précoce et trois pays (le Niger, le Mali et le Nigeria) abritent le plus grand nombre d’enfants mariés avant l’âge de 18 ans en Afrique. Cette situation met en péril la santé sexuelle et reproductive des filles et les prive de la possibilité de s’éduquer. Il est impératif de remédier de toute urgence à cette crise des inégalités.
Les inégalités de richesse en Afrique de l’Ouest
Le montant cumulé de la richesse des particuliers sur le continent africain se chiffre à quelque 2 300 milliards de dollars, dont 920 milliards de dollars (soit 40 % environ) sont détenus par des grandes fortunes (désignées par l’acronyme anglais HNWI, « high net worth individuals »), c’est-à-dire des particuliers dont l’actif net s’élève à 1 million de dollars ou plus. En 2017, on recensait 148 000 HNWI en Afrique, dont 7 100 étaient multimillionnaires et 24 milliardaires. Dans la mesure où la population à l’échelle du continent s’élève à plus de 1,2 milliard de personnes, on peut en déduire que le groupe des grandes fortunes représente à peu près 0,012 % de la population totale de l’Afrique.
Les inégalités de richesse n’ont pas seulement pour effet de créer une fracture entre les nantis et les démunis, elles reflètent aussi un fossé marqué entre hommes et femmes. Au Ghana par exemple, seulement 60 des 1 000 nouveaux millionnaires en dollars qui se sont ajoutés à la liste des millionnaires du pays dans la décennie se terminant en 2016 étaient des femmes. Toujours au Ghana, les hommes sont les propriétaires de 62 % des lieux de résidence des ménages et de 62 % des terres agricoles, tandis que seulement 37 % des propriétaires de biens immobiliers sont des femmes.
Malheureusement, en raison du très grand manque de données sur la répartition de la richesse dans l’ensemble de la région, il est difficile de dresser un état des lieux complet des inégalités de richesse. Le montant des fortunes détenues en Afrique a augmenté de 13 % entre 2007 et 2017. Les pays ouest-africains ayant enregistré les plus fortes hausses de richesse sont la Côte d’Ivoire (de 43 %), le Ghana (de 39 %) et le Nigeria (de 19 %). Ces augmentations de la richesse nationale présentaient un formidable potentiel d’amélioration de la vie du plus grand nombre.
Malheureusement, elles n’ont profité qu’à une petite minorité, et qui plus est une grande partie de ces richesses ont été cachées dans des paradis fiscaux pour échapper à l’impôt. Toutefois, comme le montre le rapport d’Oxfam intitulé Services publics ou fortunes privées ? publié en 2019, la croissance à elle seule n’est pas suffisante et elle peut même creuser le fossé au sein de la société, surtout si elle n’est pas inclusive. En 2018, pas moins de 87 % de la croissance générée à l’échelle mondiale a été empochée par les 1 % les plus riches, tandis que la moitié la plus pauvre de l’humanité est restée quasiment les mains vides.
On estime qu’en tout, les pays africains perdent tous les ans pas moins de 14 milliards de dollars en recettes fiscales non perçues sur les fortunes des particuliers détenues à l’étranger
Les milliardaires en Afrique détiennent leur fortune principalement sous forme d’intérêts commerciaux, de capital-investissement et d’objets de collection de grande valeur tels que des tableaux. Ils détiennent également une part importante de leur patrimoine sous forme de biens immobiliers et une part non négligeable à l’étranger. Il est difficile d’obtenir des chiffres, mais les entretiens avec des intermédiaires (surtout des gestionnaires de patrimoine et des gestionnaires de fonds) réalisés par New World Wealth (qui publie le rapport intitulé AfrAsia Bank Africa Wealth Report) donnent à penser que jusqu’aux trois quarts de la richesse des multimillionnaires et milliardaires Africains seraient détenus à l’étranger.
Les données provenant d’autres parties du monde laissent à penser que de 90 % à 95 % des richesses détenues à l’étranger ne seraient pas déclarées aux autorités fiscales et ne seraient donc pas imposées. On estime qu’en tout, les pays africains perdent tous les ans pas moins de 14 milliards de dollars en recettes fiscales non perçues sur les fortunes des particuliers détenues à l’étranger.
Du fait, en partie, du manque de données fournies et de transparence de la part des multinationales, il est difficile d’établir l’ampleur exacte de l’évasion fiscale par les entreprises en Afrique. Le rapport du Panel de haut niveau de l’UA/la CEA sur les flux financiers illicites estime qu’ils font perdre au continent plus de 50 milliards de dollars par an, la plupart provenant de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique australe. Un tiers du total des flux financiers illicites provient d’Afrique de l’Ouest.
Entre 2005 et 2014, les pertes estimées dues aux flux financiers illicites équivalaient à environ 94 % du total des échanges commerciaux pour le Togo, et à 83 % de celui-ci pour le Liberia. Par ailleurs, on estime que la région perd quelque 9,6 milliards de dollars par an en raison des incitations fiscales que les gouvernements accordent aux entreprises pour attirer les investisseurs. La perte de recettes fiscales a des impacts préjudiciables, dans la mesure où elle restreint la capacité des gouvernements à financer des services publics essentiels comme l’éducation, la santé et l’assainissement.
Les inégalités de revenus en Afrique de l’Ouest
À long terme, les inégalités de revenus nuisent à la société dans son ensemble. Elles attisent des tensions économiques, sociales et politiques, même dans les pays plus stables. De hauts niveaux d’inégalités ont aussi pour effet de ralentir la croissance de l’économie nationale en empêchant les personnes à faible revenu d’atteindre leur potentiel.
Les inégalités de revenus en Afrique de l’Ouest sont comparativement plus faibles que celles en Afrique australe, par exemple, mais la moyenne masque de fortes disparités d’un pays à l’autre. Les chiffres montrent que, partout en Afrique de l’Ouest, les riches se sont enrichis tandis que les pauvres se sont encore plus appauvris. Au Cap-Vert et au Nigeria, la situation est bien pire que la moyenne, car dans ces États, les revenus sont concentrés davantage entre les mains d’une petite partie de la population.
Trois quarts de la richesse des multi-millionnaires et milliardaires Africain-e-s seraient détenus à l’étranger
L’une des ambitions des ODD vise à ce que, d’ici 2030, chaque pays parvienne à assurer et à maintenir la croissance de la part des revenus des 40 % les plus pauvres de sa population à un taux supérieur à la moyenne nationale. Tous les pays ouest-africains sont encore loin d’avoir atteint l’objectif d’accroître la part de richesse des pauvres, même si en 2018, la région comptait six des dix économies à la croissance la plus forte d’Afrique, à savoir la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Guinée, le Burkina Faso, le Ghana et le Bénin.
Le Nigeria est l’un des pays les plus inégalitaires au monde, dont les niveaux d’inégalité sont comparables à ceux du Brésil, où les revenus des 5 % les plus riches sont égaux à ceux des 95 % restants de la population. Les six hommes les plus riches au Brésil détiennent autant de richesse que la moitié la plus pauvre de la population, soit plus de 100 millions d’habitants.
Autres formes d’inégalités en Afrique de l’Ouest
En plus des inégalités de richesse et de revenu, il existe deux autres formes d’inégalités qui sont particulièrement pertinentes pour l’Afrique de l’Ouest : les inégalités entre les genres et les inégalités entre zones urbaines et zones rurales.
Les inégalités entre les genres se reflètent également dans l’écart de développement humain entre les hommes et les femmes, tel que mesuré par l’indice de développement humain (IDH) du PNUD. Tous les pays d’Afrique de l’Ouest à l’exception de trois (le Cap-Vert, le Ghana et le Sénégal) relèvent de la catégorie la plus basse possible de l’indice sexospécifique du développement humain de l’agence onusienne. C’est donc dire que les niveaux de disparité entre hommes et femmes dans la région sont très élevés en matière de santé, d’éducation et de niveau de vie.
Des inégalités entre les genres similaires se retrouvent dans le domaine de la représentation politique, où les femmes ne représentent que 5,8 % des députés élus au parlement nigérian, 7,2 % au Bénin et 8,8 % au Mali. Le marché du travail affiche des tendances similaires, étant à forte domination masculine et faisant apparaître des écarts importants de rémunération entre hommes et femmes dans les rares endroits où des données sont disponibles pour l’Afrique de l’Ouest.
L’engagement des gouvernements ouest-africains envers la réduction des inégalités
En règle générale, les pays africains ne font pas assez pour lutter contre les inégalités au titre de chacun des trois piliers de l’indice ERI. Toutefois, au niveau des sous-régions, on constate que l’Afrique de l’Est tout comme l’Afrique australe déploient des efforts plus déterminés afin de juguler les inégalités. La Namibie reste l’un des pays africains les mieux classés de l’indice ERI mondial d’Oxfam, arrivant à la 5e place des pays à revenu intermédiaire.
Sa position illustre bien les différences qui existent entre le classement ERI d’un pays et les mesures traditionnelles des inégalités. Quoique l’un des pays les plus inégalitaires au monde, son score ERI élevé atteste de l’engagement du gouvernement namibien à réduire les inégalités, notamment au moyen de dépenses sociales élevées (avec la gratuité universelle de l’enseignement secondaire) et de politiques de fiscalité parmi les plus progressives qui soient.
L’Afrique de l’Ouest abrite cinq des dix pays que l’indice ERI révèle être les moins engagés dans la réduction des inégalités : le Nigeria, la Sierra Leone, le Niger, la Guinée-Bissau et le Bénin
En Afrique de l’Ouest, tous les pays remportent un mauvais, voire très mauvais, score quant à leur engagement envers la réduction des inégalités. Cela signifie que ces pays font bien moins que ce dont ils seraient capables compte tenu de leurs capacités respectives.
Les dépenses sociales
Il a été démontré que les dépenses sociales consacrées aux services publics, comme l’éducation, la santé et la protection sociale, ont une forte incidence sur la réduction des inégalités, surtout parmi les femmes et les filles les plus pauvres qui en dépendent le plus. Les dépenses sociales peuvent remplir un rôle déterminant dans la réduction de la quantité d’activités de soins non rémunérées assumées par les femmes, qui constituent une cause importante des inégalités entre les genres, par la redistribution de la prise en charge des enfants, des personnes âgées et des malades au sein de la famille et d’autres tâches ménagères.
L’économie des pays ouest-africains a beau être par nature essentiellement rurale, la distribution des services sociaux et des installations publiques joue en défaveur des populations rurales. Par exemple, au Burkina Faso, 97 % de la population urbaine a accès à de l’eau potable, contre seulement 75 % de la population rurale.
L’écart est bien plus marqué au Ghana, où 62,3 % des ménages urbains ont accès à de l’eau traitée contre seulement 17,1 % des ménages ruraux et 88,6 % de la population urbaine sont connectés au réseau national, contre 48,3 % de la population rurale. Or l’accès à l’eau potable et à l’assainissement constitue un droit humain fondamental et essentiel à la santé de chaque personne. Cette fracture géographique se manifeste dans d’autres domaines, tels que l’éducation et la santé.
Le Burkina Faso et le Sénégal s’avèrent être les pays les plus engagés en ce qui concerne leurs politiques de dépenses sociales. Le Nigeria, la Sierra Leone et la Guinée-Bissau sont les plus mauvais élèves de la région.
Le niveau d’engagement de la part du gouvernement nigérian est particulièrement faible, ce qui lui vaut le plus mauvais score dans le domaine des dépenses sociales, non seulement en Afrique de l’Ouest mais à l’échelle mondiale, parmi les 157 pays couverts par l’indice ERI mondial. Ceci dit, le Nigeria est loin d’être une exception en Afrique de l’Ouest. La région ne compte pas un seul pays au classement des 10 pays d’Afrique les plus engagés en matière de dépenses sociales.
En effet, à part le Burkina Faso, tous les autres pays ouest-africains tombent en dessous du 100e rang au classement mondial des dépenses sociales. Globalement, l’association d’investissements insuffisants et de politiques mal ciblées explique l’inefficacité des politiques sociales sur la réduction des inégalités. Les mauvais résultats de l’Afrique de l’Ouest sont confirmés par le score moyen concernant l’engagement régional en matière de dépenses sociales, qui ne s’élève qu’à 0,08. Il s’agit là du score le plus bas de toutes les régions d’Afrique, dont l’Afrique centrale, pourtant sous le joug de troubles chroniques.
Les faibles niveaux d’engagement envers les dépenses sociales de la part des gouvernements de la région ont pour effet non seulement de creuser le fossé entre les riches et les pauvres, mais aussi d’aggraver les inégalités entre les genres. Il a été démontré à de multiples reprises que des services de santé et d’éducation gratuits et de qualité permettent d’améliorer considérablement la qualité de vie des femmes et des filles. Par exemple, si toutes les filles arrivaient au terme du cycle primaire, la mortalité maternelle diminuerait de deux tiers, sauvant la vie de 189 000 femmes chaque année.
Marchés du travail
En Afrique de l’Ouest, le marché du travail est presque entièrement informel. La Banque africaine de développement estime, par exemple, qu’au Sénégal seulement 3,8 % des emplois relèvent du marché formel. La quasi-totalité du travail agricole est à caractère informel, et une grande partie du travail informel est indépendant (80 % des personnes globalement en Afrique). Les travailleurs et travailleuses de l’économie informelle sont mal payé-e-s, parfois bien en dessous du seuil de pauvreté.
Les salaires du secteur formel sont relativement plus élevés et ont tendance à suivre les salaires du secteur public, même si souvent ceux-ci dépassent à peine un salaire de subsistance. Les droits du travail, dans la sphère législative mais aussi et surtout dans la pratique, occupent un rôle central dans les discussions sur les inégalités en Afrique.
La Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de l’Organisation internationale du travail (OIT), adoptée en 1998, oblige tous les États membres à respecter et promouvoir les principes et les droits fondamentaux, classés selon quatre grandes catégories : la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective, l’élimination du travail forcé ou obligatoire, l’abolition effective du travail des enfants et l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession.
Au Sénégal seulement 3,8 % des emplois relèvent du marché formel
On constate des violations des droits du travail, que ce soit en droit ou dans la pratique, dans chacun des pays d’Afrique de l’Ouest. Même si dans une majorité de pays, la liberté d’association et de former un syndicat ou d’y adhérer est inscrite dans la législation, des progrès restent encore à faire, notamment en matière de droit des syndicats à exercer librement leurs activités sans ingérence de la part de l’État et, dans certains cas, sans l’approbation préalable de l’État.
Au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, des restrictions sont imposées sur les droits des jeunes travailleurs/euses (les travailleurs/euses de 16 ans et les apprenti-e-s) de former des syndicats et/ou d’y adhérer. De nombreux pays de la région (dont le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana et le Mali) continuent de priver du droit de grève les fonctionnaires et les agents de la fonction publique employée-s, en particulier ceux des sous-secteurs du service public et de la sécurité. On constate également des restrictions imposées aux travailleurs et travailleuses du secteur privé.
Au Ghana par exemple, certains employeurs dans les zones franches industrielles pour l’exportation ne cessent de s’opposer à la syndicalisation de leurs employé-e-s, et ce malgré les protections en la matière prévues par la loi du travail de 2003. Par exemple, Blue Skies Products (GH) Ltd (une filiale de Blue Skies Holdings UK), une entreprise de transformation des fruits installée dans une zone franche industrielle qui emploie plus de 1 000 personnes, persiste à refuser de reconnaître son syndicat de travailleurs.
La mainmise des employeurs ne se borne pas aux zones franches industrielles : on peut citer le cas de Kinapharma Limited, un géant pharmaceutique au Ghana, qui a refusé l’entrée sur les lieux de centaines de ses employé-e-s qui avaient choisi de former un syndicat au sein de l’entreprise.
Les marchés du travail ouest-africains se caractérisent par des inégalités entre les genres généralisées. Par exemple, en Gambie et en Sierra Leone, les hommes gagnent, en moyenne, plus de 40 % de plus que les femmes. Le renforcement des droits du travail et de la protection du travail n’induira pas seulement la possible réduction des inégalités économiques, mais il peut aussi contribuer à réduire les niveaux excessifs d’inégalités entre les genres qui existent dans la région.
Agriculture
L’agriculture est le moteur principal de l’économie en Afrique de l’Ouest et la majorité de la population en dépend pour ses moyens de subsistance. Tous pays confondus, le secteur agricole représente en moyenne 35 % de l’économie de la région et emploie plus de 50 % de la population active. Pourtant, il faillit à sa promesse de libérer des millions de personnes du piège de la pauvreté et ce, pour plusieurs raisons : l’insuffisance des investissements, la faible productivité, surtout dans les exploitations familiales et paysannes, des opportunités de marchés limitées, la partialité des politiques de développement privilégiant les zones urbaines, le manque de capacités humaines et de volonté politique et des taux élevés d’impôts sur l’activité agricole. Elle demeure essentiellement une agriculture de subsistance, qui est perçue comme un mode de vie, non pas comme une activité commerciale.
Cela fait des années qu’on assiste au recul de la part du secteur agricole au niveau du PIB, néanmoins, s’élevant à 17,5 %, sa contribution à l’activité économique en Afrique subsaharienne reste importante comparée aux 5,3 % qu’elle représente en Amérique latine et dans les Caraïbes et aux 1,6 % dans les États membres de l’OCDE. L’agriculture contribue à 43 % du PIB en Côte d’Ivoire et à 77 % au Niger.
En substance, la forte contribution de l’agriculture à l’activité économique donne à penser qu’on est encore loin du stade où la transformation du secteur aurait un effet profondément lucratif et créateur de richesses, surtout en milieu rural. Cette absence de transformation explique en partie les niveaux élevés de pauvreté et d’inégalités qui sévissent dans la région. Le délaissement dans les politiques publiques des agricultrices et agriculteurs familiaux, surtout ceux pratiquant la culture vivrière, est exacerbé par la mauvaise qualité des données concernant ce groupe d’agriculteurs.
Cette situation a induit des distorsions de leur véritable contribution à la production agricole, au PIB et à la population active des pays et masque les revenus de misère qu’ils tirent de leur travail. Seulement 1 % des prêts commerciaux sont accordés à l’agriculture, et encore, la plupart sont destinés aux grandes exploitations. On estime que seulement 4 % des terres productives d’Afrique subsaharienne sont irriguées, contre 39 % en Asie du Sud et 29 % en Asie de l’Est.
Dans quelle mesure les gouvernements ouest-africains ont-ils tenu leur promesse de stimuler l’agriculture ? Pour répondre à cette question, une méthode consiste à examiner s’ils ont répondu à leur objectif de consacrer un minimum de 10 % de leur budget à ce secteur. Bien que cela ne dise rien sur l’efficacité de l’appui des fonds publics ni sur l’identité des bénéficiaires ciblés (s’il s’agit d’agricultrices et agriculteurs familiaux ou de riches propriétaires terriens), il en ressort néanmoins une indication de leur degré d’engagement vis-à-vis du secteur.
Seulement 1 % des prêts commerciaux sont accordés à l’agriculture, et encore, la plupart sont destinés aux grandes exploitations
Le montant des dépenses que les gouvernements consacrent aux agricultrices et agriculteurs familiaux et aux petit-e-s exploitant-e-s agricoles est déterminant, car ceux-ci forment l’essentiel de la population active de la région, surtout dans les zones rurales. Ce sont eux qui produisent la majeure partie des denrées alimentaires consommées dans la région de la CEDEAO, ainsi que des principales cultures de rente destinées à l’exportation : le cacao au Ghana et le coton au Burkina Faso, au Mali, au Sénégal, au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Togo.
L’Afrique de l’Ouest compte également un nombre particulièrement élevé de femmes agricultrices familiales. Des investissements publics importants dans l’agriculture familiale pourraient aider des millions de personnes à sortir de la pauvreté et améliorer la nutrition et les niveaux de revenus pour les personnes les plus démunies de la région.
Pour la période allant de 2010 à 2015, seuls le Mali et le Burkina Faso ont atteint l’objectif de dotation budgétaire de 10 % (quoique le Niger en fût proche). Cependant, en 2015, le Burkina Faso est tombé en dessous de la barre des 10 %, tandis que le Bénin a fait des progrès et a dépassé cet objectif en 2014 et en 2015. Quoi qu’il en soit, sur les 15 pays d’Afrique de l’Ouest, seulement deux ont atteint l’objectif de 10 % de manière constante au cours des dernières années. Le gouvernement du Ghana et celui du Nigeria ont de loin affiché les pires résultats jusqu’en 2015, en consacrant moins de 3 % de leur budget à l’agriculture.
Crédit photo : Oxfam France