Dans le cadre du débat sur les systèmes de santé en Afrique de l’Ouest, WATHI a rencontré le Dr. Daouda Diouf, directeur exécutif de l’ONG Enda Santé. Dans cette seconde partie de l’entretien, il parle des inégalités dans les systèmes de santé ouest-africains, de leur financement et de la coopération régionale en matière de santé.
- Quelles sont les principales difficultés auxquelles sont confrontés les systèmes de santé des pays de la région ?
Il y a plusieurs piliers sur lesquels les systèmes de santé s’appuient. En Afrique de manière générale, les systèmes de santé sont principalement axés sur la gestion de la prise en charge médicale. La dimension préventive est le parent pauvre de ces systèmes, alors que les pays à ressources limitées devraient dépenser dans ces domaines plutôt que dans la prise en charge. Il s’y ajoute que les systèmes de santé font face à beaucoup d’autres problèmes : celui de la formation du personnel, la qualité du personnel déjà en place, ou encore le recrutement.
Par ailleurs, le secteur de la santé doit être pacifié. Malheureusement dans la plupart de nos pays, les systèmes de santé sont toujours bloqués par des grèves répétitives, le mécontentement du personnel et par les problèmes d’adéquation entre le personnel en place et les besoins en santé. Les gouvernements ont donc du mal à agir de peur de créer des tensions. Il faut pourtant qu’on arrive à ce que, dans nos pays, on ait des consensus sur des secteurs qui sont extrêmement sensibles. La santé fait partie de ces secteurs.
La dimension préventive est le parent pauvre de ces systèmes, alors que les pays à ressources limitées devraient plutôt dépenser dans ces domaines que dans la prise en charge
L’autre chose, c’est que nous risquons d’être confrontés dans l’avenir à des problèmes qui gagneront de l’importance. La croissance démographique des pays d’Afrique de l’Ouest est fulgurante tout comme le taux d’urbanisation dans les pays ouest-africains. Dans les trente prochaines années, la plupart des Sénégalais vivront en ville ou autour des villes. Cela pose la question de la santé urbaine, car l’urbanisation apporte avec elle un certain nombre de maladies chroniques.
Ce sont des maladies telles que le diabète, l’hypertension artérielle ou les problèmes d’alimentation saine. Je crois qu’une stratégie d’anticipation des tendances lourdes vers l’urbanisation et des problèmes de santé urbaine nous permettrait de pouvoir anticiper ces problèmes autant que faire se peut. Ce sont des maladies qui, financièrement, pèsent lourd sur le budget de l’État et je ne suis pas sûr que nous en ayons tous conscience et que les efforts qui devraient être déployés le soient actuellement.
- Quid des inégalités dans les systèmes de santé ?
Il y a plusieurs niveaux d’inégalité. D’abord sur le plan de l’implantation des infrastructures de santé : est-ce que nous avons des hôpitaux là où c’est nécessaire ? Est-ce que toutes les spécialités de base existent dans ces hôpitaux ? Pour moi, il n’est pas admissible que, dans toute une région, il n’y ait pas de gynécologue, comme ce fut le cas à Kolda récemment ! Si les citoyens sont tous égaux, ils doivent l’être devant la loi mais aussi devant l’offre publique de services que ce soit en éducation, en santé ou ailleurs. Ce n’est pas acceptable que quelqu’un puisse avoir accès facilement à un gynécologue à Rufisque mais un autre qui se trouve dans un milieu rural ne puisse pas l’avoir. Ce sont des inégalités que l’on doit à tout prix corriger et le pays a les moyens de le faire.
Il n’est pas admissible que, dans toute une région, il n’y ait pas de gynécologue, comme ce fut le cas à Kolda récemment ! Si les citoyens sont tous égaux, ils doivent l’être devant la loi mais aussi devant l’offre publique de services que ce soit en éducation, en santé ou ailleurs
Il y a aussi des inégalités économiques. Les soins coûtent cher et cela accroît les inégalités face à la santé. Une véritable politique de santé rurale et urbaine avec une qualité acceptable pour tous doit vraiment être une priorité de nos gouvernements.
- Comment faciliter l’accessibilité financière et géographique des soins de santé aux populations rurales et aux populations vulnérables ?
Je crois qu’il faut une meilleure planification en santé. C’est ça qui détermine où, comment et à quel prix on offre les services de santé. On devrait aussi réfléchir sur le financement de la santé. Je parle autant du financement par l’Etat que du financement par les populations. Il y a une approche minimale que le gouvernement est en train de mettre en œuvre avec la Couverture maladie universelle qui corrige certaines inégalités mais je pense qu’on a les moyens d’aller plus loin.
Aujourd’hui, plus on a besoin de médecine de spécialité plus c’est cher. Je crois que cette question du prix et de l’accessibilité financière de la santé doit être analysée de manière très sérieuse. La solution n’est pas seulement d’attendre que l’État en fasse plus, parce que l’État a des limites, mais la question est de savoir comment mettre en place des contributions individuelles ou collectives provenant des collectivités locales ou du secteur privé qui peuvent soutenir le financement du système de santé ?
- La problématique du financement semble être centrale dans les différents systèmes de santé de la région. Selon vous, quelles pourraient être les pistes pour résoudre cette question ?
La question du financement est liée au niveau de développement économique. On ne peut pas régler la question du financement du système de la santé si les Etats n’ont pas plus de moyens. Face à cela, plusieurs possibilités nous sont offertes. On peut faire intervenir la solidarité internationale, c’est ce qu’on fait déjà pour beaucoup de problématiques de santé comme le sida, la tuberculose et le paludisme. L’autre solution consiste à revoir les clefs de répartition des dépenses sur nos budgets pour donner une plus grande importance à la santé. Les budgets de nos pays pour la santé sont très importants mais beaucoup n’atteignent pas l’engagement d’Abuja de consacrer 15% des budgets nationaux à la santé.
Je crois également que la question de la responsabilité sociale et sociétale des entreprises privées, surtout celles qui exploitent nos ressources, doit aussi être posée afin qu’on ait un peu de visibilité sur la contribution de ces sociétés à la santé des populations. C’est d’autant plus important que l’activité de certaines sociétés contribue à fragiliser la santé des gens par la pollution
Il y a aussi un travail à faire sur le budget participatif, de sorte que les citoyens puissent savoir ce que les collectivités locales font de leur budget pour eux. La santé est une des grandes préoccupations que les populations mettent en avant, et il faudrait que cela se reflète aussi dans les budgets locaux.
Je crois également que la question de la responsabilité sociale et sociétale des entreprises privées, surtout celles qui exploitent nos ressources, doit aussi être posée afin qu’on ait un peu de visibilité sur la contribution de ces sociétés à la santé des populations. C’est d’autant plus important que l’activité de certaines sociétés contribue à fragiliser la santé des gens par la pollution, par les infrastructures et le déséquilibre des écosystèmes. Il semble y avoir une volonté politique du gouvernement sur cette question, mais je crois qu’on aurait intérêt à multiplier les expertises et les points de vue.
- Quelles sont les difficultés que vous rencontrez lorsque vous faites du plaidoyer sur ces questions ?
La plupart des Etats de l’Afrique de l’Ouest mettent en avant des contraintes budgétaires. La deuxième contrainte renvoie à la question des priorités. Les politiques nous disent qu’il y a d’autres urgences à régler avant la santé. Leur vrai problème, c’est que quand on met en avant certains secteurs qui ne rapportent pas directement sur le plan politique, il faut assumer la posture. Ce n’est pas simple pour tous les gouvernements.
Dans certaines structures en Casamance, 25 % des patients viennent des pays limitrophes, ce qui est significatif. Cela montre qu’il y a une vraie collaboration à avoir entre les pays et qu’il ne faut pas qu’il y ait de discrimination liée à la nationalité dans les structures sanitaires
Le problème de la santé, c’est que c’est un secteur qui offre moins de visibilité politique que la construction de routes ou d’infrastructures. Mais c’est un secteur éminemment stratégique. Ce que je remarque, et qui est par contre positif, c’est qu’il y a une grande prise de conscience de l’importance de la santé dans tous les pays où nous intervenons, et ça c’est très important.
- Existe-t-il une bonne coopération entre les différents pays d’Afrique de l’Ouest ?
L’approche et l’angle de travail principal d’Enda Santé est la coopération transfrontalière en santé. A Ziguinchor par exemple, dans notre zone d’intervention principale, nous constatons une bonne coopération entre la Gambie, la Guinée-Bissau, la Guinée Conakry et la Casamance en général. Dans certaines structures en Casamance, 25 % des patients viennent des pays limitrophes, ce qui est significatif. Cela montre qu’il y a une vraie collaboration à avoir entre les pays et qu’il ne faut pas qu’il y ait de discrimination liée à la nationalité dans les structures sanitaires.
L’écosystème des acteurs en santé a beaucoup changé et la société civile fait aujourd’hui partie intégrante des systèmes de santé
On voit aussi des concertations qui ont lieu entre les professionnels de santé de différents pays à travers des organisations non-gouvernementales. Durant les cinq dernières années par exemple, Enda santé a travaillé sur un projet pour la lutte contre le sida et nous avons mis en place une plateforme qui permet aux médecins entre la Guinée Bissau, la Gambie et le Sénégal d’échanger. Grâce à cette plateforme, si vous avez un malade gambien à faire soigner au Sénégal, vous savez à qui le référer et contacter cette personne très rapidement.
- Cette coopération est-elle satisfaisante ? Y-a-t-il des choses à améliorer ?
Il y a beaucoup de choses à améliorer. Je crois qu’il faut l’institutionnaliser politiquement, comme on a pu institutionnaliser la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Il faut qu’on arrive à avoir des politiques systématiques de coopération entre pays. A Kolda ou à Tambacounda, vous avez des villages où les gens, pour se soigner, ils ne restent pas au Sénégal, ils vont en Gambie. Pendant les campagnes de vaccination, ils vont en Gambie, et vice-versa. Nos pays ont tout intérêt à travailler ensemble et cela nous permettrait de mutualiser nos efforts et faire des économies d’échelle qui peuvent être réinvesties dans le système de la santé.
- Il y a une agence spécialisée de la CEDEAO dédiée à la santé. Dans quelle mesure cette organisation pourrait aider dans la mise en œuvre de cette coopération ?
C’est son rôle, cela fait partie de son mandat. Je pense que l’Organisation Ouest-africaine de la Santé (OOAS) est restée trop longtemps dans la préparation et dans l’élaboration de politiques plutôt que dans la matérialisation et la mise en œuvre d’actions concrètes. C’est leur mandat de favoriser la coopération, mais c’est une question qui est difficile à régler par l’OOAS si les pays eux-mêmes n’en font pas une priorité absolue.
Nous avons également besoin d’avoir une coopération horizontale au niveau organisationnel sur ces questions. L’OOAS travaille plus avec les gouvernements qu’avec la société civile. Elle travaille très peu avec la société civile et je trouve que c’est dommage car, ces dernières décennies, l’écosystème des acteurs en santé a beaucoup changé et la société civile fait aujourd’hui partie intégrante des systèmes de santé.
Sur certaines questions de santé, je pense que le Sénégal a vraiment toutes les cartes en mains pour régler définitivement les problèmes. Que ce soit pour le sida ou le paludisme, nous avons des connaissances, des médecins bien formés et des ONG extrêmement mobilisées et ce sont seulement quelques blocages qui empêchent les choses d’avancer
- La coordination est-elle bonne entre les différentes organisations travaillant dans le secteur de la santé au Sénégal ?
Il y a surtout une coordination sectorielle concernant des programmes spécifiques, comme la lutte contre le sida ou la planification familiale, la santé de la reproduction, etc. Mais je crois qu’il reste beaucoup d’efforts à faire pour avoir une coordination globale entre tous les acteurs du domaine de la santé. La coordination va bien au-delà de réunions périodiques ou de la mise en place d’un réseau, il faut qu’elle permette d’optimiser la contribution de chacun dans le cadre d’efforts qui se conjuguent pour qu’on règle les problèmes de santé.
Sur certaines questions de santé, je pense que le Sénégal a vraiment toutes les cartes en mains pour régler définitivement les problèmes. Que ce soit pour le sida ou le paludisme, nous avons des connaissances, des médecins bien formés et des ONG extrêmement mobilisées et ce sont seulement quelques blocages qui empêchent les choses d’avancer. Parmi les blocages, il y a le manque de coordination des efforts et le fait que l’Etat ne fait pas de la santé une priorité absolue dans ses investissements. Au Sénégal, il y a encore beaucoup de goulots d’étranglement structurels ou techniques mais je suis persuadé qu’avec une bonne articulation de l’action du gouvernement et de la société civile, on peut arriver à contrôler ces trois épidémies.
Crédit photo : Les espaces volontariats
Daouda Diouf est directeur exécutif de l’ONG Enda Santé depuis 2003. Diplômé en économie sociale de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, il est intervenu avec Enda Santé dans plusieurs pays à travers le monde comme la Papouasie Nouvelle guinée, l’Ethiopie ou encore la Thaïlande.