Geoffroy-Julien Kouao
La ploutocratie, c’est le pouvoir des riches et l’exclusion faite des pauvres. Dans un système ploutocratique, seuls ceux qui ont de l’argent peuvent être électeurs ou candidats. C’est l’apologie du suffrage censitaire. Le cens prend tout son sens. On comprend alors le philosophe et historien français Ernest Renan quand il écrit : «J’appelle ploutocratie un état de société où la richesse est le nerf principal des choses, où l’on ne peut rien faire sans être riche, où l’objet principal de l’ambition est de devenir riche, où la capacité et la moralité s’évaluent généralement (et avec plus ou moins de justesse) par la fortune.» La ploutocratie est donc un système politique ou un ordre social dans lequel la puissance financière et économique est prépondérante. C’est une dégénérescence du néolibéralisme.
En instaurant dans son code électoral une caution de vingt millions de francs CFA pour l’élection du président de la République, et deux millions pour l’élection des sénateurs, la Côte d’Ivoire s’érige en un État ploutocratique. La richesse financière devient un critère d’intelligence politique. Par contraste, la pauvreté prend valeur de délit politique.
La ploutocratie est une erreur à la fois théorique, sociale et politique. Théoriquement, le suffrage censitaire relève du suffrage restreint dont la caractéristique est d’exclure une partie de la population à partir de critères discriminatoires. Par exemple, le suffrage masculin qui exclut les personnes de sexe féminin. Le suffrage capacitaire qui refuse la qualité d’électeur et de candidat à ceux qui n’ont pas un niveau scolaire élevé. Le suffrage censitaire, lui, n’aime pas les pauvres. Seuls les riches peuvent êtres électeurs et candidats. C’est en réaction contre le suffrage restreint qu’est né le suffrage universel.
Le suffrage universel consacre une avancée politique importante. Avec le suffrage universel, les hommes et les femmes, les pauvres et les riches, les lettrés et illettrés peuvent êtres électeurs et candidats. Et l’article 52 de notre loi fondamentale du 08 novembre 2016 dispose que «le suffrage est universel, libre, égal et secret».
En instaurant dans son code électoral une caution de vingt millions de francs CFA pour l’élection du président de la République, et deux millions pour l’élection des sénateurs, la Côte d’Ivoire s’érige en un État ploutocratique
De ce qui précède, sauf à renoncer à l’État de droit, l’article 55 du code électoral et l’ordonnance N°2018-143 du 14 février 2018 relative à l’élection des sénateurs sont anticonstitutionnels et devraient être soumis à la censure du juge constitutionnel.
Socialement, la ploutocratie est discriminatoire et donne l’impression que la politique est une affaire d’argent. Ce qui est faux. La politique repose sur la sagesse. Un bon homme politique est moins celui qui est riche que celui qui est sage. Dans un pays où le salaire minimum est de 60.000F et où 46% de la population vit avec moins de 737 FCFA par jour, faire de l’argent un critère du casting politique relève du politiquement incorrect.
Le cens est un non-sens. En sus, le principe de la caution fixée à vingt ou cent millions de Fcfa viole de façon flagrante et violente l’article 4 de la Constitution qui dispose «Tous les Ivoiriens naissent et demeurent libres et égaux en droit. Nul ne peut être privilégié ou discriminé en raison de sa race, de son ethnie, de son clan, de sa tribu, de sa couleur de peau, de son sexe, de sa région, de son origine sociale, de sa religion ou croyance, de son opinion, de sa fortune, de sa différence de culture ou de langue, de sa situation sociale, ou de son état physique et mental.»
Sur le plan politique, la ploutocratie constitue un véritable obstacle au renouvellement de la classe politique. A l’observation, ce sont les mêmes, parce que les plus riches qui contrôlent tous les instruments de propagande politique et d’achat de conscience des populations et des électeurs. A l’évidence, nous sommes dans une lutte des classes où l’aristocratie bourgeoise veut éternellement confisquer le pouvoir d’État. De ce qui précède, si le souhait émis par le président de la République de fixer à cent millions la caution à l’élection présidentielle devenait une réalité légale, il prendrait valeur de recul démocratique.
Dans un pays où le salaire minimum est de 60.000F et où 46% de la population vit avec moins de 737 FCFA par jour, faire de l’argent un critère du casting politique relève du politiquement incorrect
Je pense que, pour les élections de 2020, la suppression de la caution s’impose. En lieu et place, le législateur doit instaurer le système de parrainage. Remplacer le cens par la légitimité. Il faut demander aux différents candidats à l’élection présidentielle de réunir autour de leurs candidatures le soutien d’un certain nombre d’élus nationaux et locaux. Je pense aux députés, aux sénateurs, aux conseillers régionaux et aux conseillers municipaux. C’est donc environ sept mille (7000) élus. Les conseillers du district, parce que nommés, sont exclus. Les prétendants à la candidature doivent réunir aux moins 100 signatures d’élus dans au moins vingt (20) régions. La candidature sera donc portée par deux mille (2000) élus.
Cependant, il existe un problème que je ne peux, par honnêteté intellectuelle, éluder. Les dernières élections locales et générales ont été boycottées par une partie non négligeable de l’opposition politique. En sus, le parlement et les conseils régionaux et municipaux sont largement dominés par la coalition du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) au pouvoir.
Je pense que, pour les élections de 2020, la suppression de la caution s’impose. En lieu et place, le législateur doit instaurer le système de parrainage
Le recours au parrainage à des élections par les élus pourrait pénaliser certaines figures importantes de la vie politique nationale. Les responsables de petites formations politiques, les intellectuels et des personnalités de la société civile très populaires mais n’ayant pas d’élus au sein des organes et des institutions concernés pourraient être pénalisés. Aussi, une autre solution serait-elle nécessaire, toujours avec le parrainage mais, cette fois-ci, avec les citoyens. Précisément, ceux inscrits sur la liste électorale. C’est environ six millions d’électeurs. La loi électorale pourrait exiger que chaque candidat à la candidature soit porté par au moins dix mille (10.000) électeurs dans au moins vingt (20) régions sur les trente et un (31). Évidemment, ces propositions pourront être améliorées, corrigées par des contributions additives.
Source photo : Vonews.net
Geoffroy-Julien Kouao est politologue et écrivain. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages tels que 2020 ou le piège électoral ?, publié aux éditions Plume habile, ou encore Le Premier ministre : un prince nu, Côte-d’Ivoire : La troisième république est mal partie, Et si la Côte d’Ivoire refusait la démocratie?