Modou Ndiaye
Découlant d’un vide juridique qui empêche un individu de jouir de ses droits fondamentaux les plus élémentaires notamment le droit à une nationalité consacré pratiquement par plusieurs instruments internationaux et régionaux, l’apatridie ou le fait de ne pas avoir de nationalité reconnue est le résultat de politiques visant à exclure certaines catégories de personnes considérées comme étrangères, nonobstant leurs liens profonds avec leurs pays d’origine.
L’apatridie, définie comme la situation d’« une personne qu’aucun Etat ne reconnait comme son ressortissant par application de sa législation », empêche une personne d’avoir accès à l’école, aux soins santé ou à un travail formel faute de papiers d’identité. C’est pourquoi, l’apatridie fait partie des plus grandes causes d’inégalités et de vulnérabilités pour les populations à travers le monde.
Pourtant, ce phénomène considéré comme un fléau des temps modernes, est bien une réalité en Afrique de l’Ouest. On estime à plus d’un million de personnes le nombre d’apatrides, en plus de centaines de milliers de personnes à risque d’apatridie. Parmi les causes de l’apatridie en Afrique de l’Ouest figurent en bonne place les carences qui existent dans les législations et les politiques discriminatoires relatives à la nationalité. Le fait de quitter pendant longtemps son pays d’origine, expose les personnes au risque de devenir apatrides dans certaines conditions.
Dans ce cas précis, un enfant né hors du pays d’origine de ses parents risque l’apatridie si le pays dans lequel il est né ne lui accorde pas la nationalité sur le seul fondement de la naissance sur le territoire, et si le pays d’origine des parents ne permet pas la transmission automatique de la nationalité par les liens de filiation.
Parmi les causes de l’apatridie en Afrique de l’Ouest figurent en bonne place les carences qui existent dans les législations et les politiques discriminatoires relatives à la nationalité
C’est aussi le cas en ce qui concerne les modifications de frontières et l’émergence de nouveaux Etats. L’ignorance de l’importance de l’état civil pour les individus et pour les pouvoirs publics est aussi un autre facteur de l’apatridie. Elle est même une cause aggravante du phénomène dans la plupart des pays ouest-africains. Cependant, quelle qu’en soit la cause, l’apatridie a des conséquences graves pour les personnes affectées. C’est la raison pour laquelle les Etats, la communauté internationale et plus encore les populations doivent s’organiser pour mieux barrer la route à ce fléau des temps modernes.
C’est dans cette perspective et dans le but de mieux lutter contre l’apatridie et de renforcer les compétences des praticiens et des activistes issus de divers pays en Afrique de l’Ouest que le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en collaboration avec l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) a organisé une session de formation à Dakar du 26 au 30 novembre 2018. Cette formation axée sur les concepts, la pratique et le partage d’expériences a été fructueuse à tout point de vue pour les participants.
Cependant, force est de constater que même si le HCR, les organisations régionales, la société civile ou les personnes apatrides ont un rôle à jouer pour la réduction de l’apatridie, les premiers acteurs qui doivent régler la question sont d’abord les pouvoirs publics. Ces derniers déterminent eux-mêmes qui sont leurs ressortissants et qui ne le sont pas. De surcroit, l’octroi et le retrait de la nationalité comporte une dimension de souveraineté nationale. Toutefois, cette législation n’est pas rédigée avec minutie et n’est pas correctement appliquée. Certaines personnes peuvent en être exclues et se retrouver apatrides. Donc, c’est aux Etats d’assumer la responsabilité qui leur incombe, celle d’engager des réformes juridiques et politiques nécessaires devant régler ce fléau.
Malgré tous les efforts consentis, le problème des sans-papiers persiste au Sénégal, avec notamment la question lancinante des «enfants talibés »
En ce sens, la décision du Sénégal d’amender sa législation est salutaire. En effet, le Sénégal à l’instar d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest, conscient de l’enjeu de la question et partie aux conventions internationales sur l’apatridie, s’est engagé à résoudre le problème sur son territoire. C’est ainsi qu’il a corrigé son cadre législatif sur la nationalité en 2013. Il a adopté la loi n° 2013-05 du 8 juillet 2013 portant modification de la loi n° 61-10 du 7 mars 1961 pour remettre l’équilibre des genres et palier les lacunes de l’ancienne loi. Cette dernière précise dans l’exposé des motifs du nouveau texte que : « le traitement différencié entre l’homme et la femme quant à la transmission de la nationalité sénégalaise par le mariage, la filiation et l’adoption, est devenu difficilement acceptable au regard des engagements internationaux du Sénégal ».
La loi considérée est une avancée remarquable dans la réalisation des droits des femmes. Elle pose en effet : est Sénégalais « tout enfant né d’un père ou d’une mère sénégalais », permettant ainsi à cette dernière de transférer sa nationalité à ses enfants nés d’un père étranger et plus encore de donner celle-ci à son mari au bout de cinq ans. Pour rappel, dans l’ancienne loi sur la nationalité, les femmes sénégalaises, mariées à des étrangers, n’avaient pas le droit de transmettre la nationalité à leurs enfants.
Cette lacune, inhérente à la loi sur la nationalité du Sénégal, expose ainsi ces enfants qui sont abandonnés à leur sort non seulement à l’apatridie, mais aussi à toutes sortes de violence et d’abus, notamment dans un contexte mondial marqué par la recrudescence de l’extrémisme violent et des réseaux terroristes
Malgré tous les efforts consentis, le problème des sans-papiers persiste au Sénégal, avec notamment la question lancinante des « enfants talibés ». Ces enfants, pour la plus part, sont venus de pays frontaliers comme la Guinée ou le Mali. Ils sont souvent dépourvus de documents administratifs. Certains parmi ces enfants, résident dans le pays jusqu’à l’âge adulte. Malheureusement pour eux, l’article 3 du Code de la nationalité du Sénégal, ne prévoit la nationalité sénégalaise que pour les enfants nouveau-nés trouvés sur le territoire sénégalais.
Cette lacune, inhérente à la loi sur la nationalité du Sénégal, expose ainsi ces enfants qui sont abandonnés à leur sort non seulement à l’apatridie, mais aussi à toutes sortes de violence et d’abus, notamment dans un contexte mondial marqué par la recrudescence de l’extrémisme violent et des réseaux terroristes. Ces réseaux ne pourraient trouver meilleur appât que l’enfant abandonné dont la filiation ne peut être retracée.
Pire encore, à l’âge d’adulte, ces enfants rencontrent des difficultés importantes pour récupérer des documents d’identité. Ils s’exposent ainsi à une marginalisation qui empêche leur insertion dans la vie active. Ils n’auront pas d’accès à l’école ni aux soins de santé. Il leur sera impossible d’ouvrir un compte bancaire ou d’accéder à la propriété, ni même de quitter le territoire sénégalais de façon légale.
Ce qui est déplorable notamment dans le monde rural, est que des milliers d’enfants en âge d’aller à l’école sont confrontés à un manque de documents prouvant leur identité en raison d’une non-déclaration à la naissance
A ce problème des enfants talibés se greffe le défaut d’enregistrement des nouveaux nés à l’état civil. En effet, selon les estimations de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), une bonne partie des enfants nés au Sénégal ne sont pas inscrits à l’état civil alors que si l’on se réfère aux dispositions de l’article 51 du Code de la famille sénégalais : « Toute naissance doit être déclarée à l’officier de l’état civil dans le délai franc d’un mois», faisant ainsi de l’enregistrement à la naissance un droit fondamental pour tout enfant.
Cependant, ce qui est déplorable notamment dans le monde rural, est que des milliers d’enfants en âge d’aller à l’école sont confrontés à un manque de documents prouvant leur identité en raison d’une non-déclaration à la naissance. Ces enfants peinent plus tard à prouver leur nationalité, pour la simple raison qu’ils ne disposeront pas de documents administratifs susceptibles de donner une idée de leur état civil. Pour ces enfants, le droit à l’éducation et à la formation ne se réalisera pas et ils peuvent devenir des apatrides dans leur propre pays.
C’est pourquoi, dans le but de renforcer les systèmes de gestion des questions relatives à la nationalité et de faire face aux risques d’apatridie dus au défaut d’enregistrement, il apparait urgent de mettre l’accent sur l’accroissement des taux d’enregistrement des faits d’état civil qui est non seulement un défi à relever mais aussi une nécessité. Ceci pourrait passer par la diversification et le renforcement des centres d’état civil qui peuvent être efficaces pour prévenir et éradiquer le phénomène d’apatridie, en tenant compte de la facilitation de l’accès au service d’une part et de la nécessité de sa modernisation d’autre part.
Enfin plus importants, il faut identifier les causes de l’apatridie au Sénégal et déterminer le nombre d’apatrides et de personnes à nationalité indéterminée vivant sur le territoire sénégalais, par le biais d’études sérieuses et approfondies
L’aménagement flexible des délais de déclaration des faits d’état civil et l’assurance de la gratuité de ce service sont aussi une autre solution pour réduire le phénomène, sans occulter la suppression des dispositions légales et des procédures administratives qui donnent lieu à la discrimination mais aussi la poursuite des réformes engagées sur la nationalité afin d’établir certains droits fondamentaux qui découlent de la naissance et de la résidence d’un enfant dans le pays.
Enfin plus importants, il faut identifier les causes de l’apatridie au Sénégal et déterminer le nombre d’apatrides et de personnes à nationalité indéterminée vivant sur le territoire sénégalais, par le biais d’études sérieuses et approfondies. Pour ce faire, la sensibilisation apparait comme un vecteur essentiel et l’Etat du Sénégal a la responsabilité d’établir un cadre institutionnel, juridique et réglementaire clair prévoyant un statut pour les apatrides afin que ces derniers puissent recevoir la protection qui leur est due. Ceci serait en parfaite harmonie avec les conventions de 1954 et de 1961 sur l’apatridie que le pays de la « Téranga » a ratifiées. Ceci passe également par l’instauration de procédures de détermination du statut d’apatride, conformément à l’objectif six du plan d’action mondial de lutte contre l’apatridie.
Crédit photo : UNHCR
Modou Ndiaye est le conseiller juridique de l’ONG Libre Afrique Sénégal et doctorant en Droit. Il a fait des études en droit international public, option Relations Internationales, et mène des recherches sur les questions humanitaires et les conflits armés. Il est diplômé de la formation : « Droit à la nationalité et l’apatridie » organisée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en collaboration avec l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF).
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Bonjour cher ami,
Nous sommes une Association dénommée: AFRIK MON IDENTITÉ qui lutte contre l’Apatridie au Mali. Nous avons besoin de joindre nos efforts, nos connaissances en la matière pour faire face à ce phénomène. Après investigations sur l’ensemble du territoire, nous avons decouvert que Le Mali compte au jour d’aujourd’hui des centaines de milliers d’enfants et femmes non reconnus à l’état civil. En 2016, notre organisation a donné gratuitement une centaine d’actes de naissance aux enfants sans papiers. A cause de la pauvrété des populations, Nous n’avons exigé aux parents aucune contribution financière, sans quoi, toutes les portes nous seraient fermées. Le nombre d’Apatridies est très élévé au Mali, vu le contexte de trouble social au nord et au centre du pays. Notre Association a besoin de s’unir à votre organisation pour combattre l’Apatridie au Mali. Merci
Bravo cher ami. Tous unis pour la lutte contre l’apatridie dans le monde entier. Félicitation pour le travail abattu.