EXTRAITS DE L’ENTRETIEN
Des mécanismes d’assistance judiciaire méconnus des citoyens
Pour les dossiers relatifs au droit du travail, la procédure est gratuite, tout citoyen a la possibilité de saisir la juridiction. Mais l’on sait également que souvent dans les dossiers en matière civile, commerciale ou parfois même pénale, la présence d’un avocat n’est pas obligatoire. Cependant en matière criminelle, elle est bien obligatoire, raison pour laquelle un mécanisme d’aide a été mis sur pied par l’Etat qui met à la disposition du citoyen un avocat commis d’office. A noter que parfois nous rencontrons quelques difficultés avec les avocats qui sont commis d’office, certains détenus se plaignent de ne pas avoir revu leur avocat depuis leur première comparution. Certains avocats ne réapparaissaient que le jour du procès.
Aujourd’hui la justice, en principe, a vocation à être égale, en tout cas en ce qui concerne l’accès, mais nous savons aussi qu’il y a des moyens financiers qui entrainent un certain déséquilibre. Celui qui dispose de moyens financiers, a bien entendu beaucoup plus de facilité à accéder à la justice par rapport à celui qui en est dépourvu. Cependant, en dehors de la commission d’office d’un avocat en matière criminelle, il existe également un fonds d’assistance judiciaire mis en place par l’Etat, mais qui est pratiquement méconnu des citoyens.
Certains détenus se plaignent de ne pas avoir revu leur avocat depuis leur première comparution. Certains avocats ne réapparaissaient que le jour du procès
Ce fonds a connu plusieurs augmentations au cours de ces trois dernières années, mais mériterait d’être vulgarisé afin que chaque citoyen prenne connaissance de son existence. Sans pouvoir être précis sur le chiffre, je pense que le budget de ce fonds était de 500 millions francs CFA (762.200 Euros) l’année dernière. Il avait été aussi question lors de la dernière rentrée des Cours et Tribunaux, de revoir à la hausse le budget de ce fonds d’aide qui est géré par le barreau. Pour accéder à ce fonds, le citoyen doit adresser une demande au niveau du tribunal d’instance qui à son tour fera suivre au barreau.
Les causes des longues détentions préventives
Des manquements dans l’application des règles
Dans le cadre de la procédure pénale, lorsqu’une personne est arrêtée, le parquet a la possibilité de statuer en flagrance -en procédure de flagrant délit, ou bien d’ouvrir une information judiciaire ou encore en citation directe. Maintenant quand il y a une ouverture d’une information judiciaire pour saisir le juge d’instruction, qui devra ouvrir une enquête, il n’y a pas encore de condamnation donc pas encore de peine. Mais il est vrai qu’il arrive que des personnes passent de longues détentions préventives, et cela s’explique par plusieurs facteurs notamment l’absence d’une limitation dans le temps des détentions préventives en matière criminelle. C’est-à-dire qu’il n’y a pas un délai au bout duquel le prévenu doit être libéré à défaut d’un jugement.
Il est vrai qu’il arrive que des personnes passent de longues détentions préventives, et cela s’explique par plusieurs facteurs notamment l’absence d’une limitation dans le temps des détentions préventives en matière criminelle
En matière correctionnelle, ce délai est de six (6) mois non renouvelables, cependant il est aussi arrivé, très souvent, que des personnes ne recouvrent pas leur liberté au-delà de ce délai parce que la procédure n’a pas été épuisée. A ce niveau, il est de la responsabilité des régisseurs de prison de libérer d’office la personne qui a déjà fait 6 mois de détention préventive sans que son dossier n’ait été transmis pour jugement. Je me rappelle que nous avions reçu une circulaire, lorsque Madame Mame Madior Boye était ministre de la Justice (mars 2000- avril 2001), qui demandait à ce que nous fassions une application stricte de cette règle et que toute détention au-delà du délai légal, serait considérée comme une détention arbitraire.
L’une des solutions qui avait été pensée est celle qui consiste à limiter la durée de la détention préventive en matière criminelle à trois (3) ans, et le mandat de dépôt à seulement huit (8) jours en matière de flagrance
Maintenant une réforme sur le code de procédure pénale est en cours, car la durée des détentions préventives est un problème récurrent. L’une des solutions qui avait été pensée est celle qui consiste à limiter la durée de la détention préventive en matière criminelle à trois (3) ans, et le mandat de dépôt à seulement huit (8) jours en matière de flagrance. Cependant le projet de réforme, n’est toujours pas finalisé, nous comptons sur le nouveau ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, pour que des avancées soient rapidement faites afin que nous puissions avoir une nouvelle loi qui sera beaucoup plus protectrice des libertés individuelles.
Des manquements techniques et fonctionnels
Un dossier criminel n’est pas une chose aisée, j’ai l’habitude de dire aux gens que vouloir éviter les longues détentions préventives ne devrait pas inciter à bâcler les enquêtes. Parce qu’il faut comprendre que la décision du juge porte sur des choses essentielles telle que la liberté, le patrimoine ou la dignité, donc l’on ne peut pas sur la base de simples présomptions ou de simples indices condamner une personne. Raison pour la quelle un dossier criminel peut parfois nécessiter des enquêtes au-delà de nos frontières, avec l’établissement d’une commission rogatoire par exemple. Donc il y a des facteurs externes qui font que le juge ne maîtrise pas souvent le délai.
Quand j’étais juge d’instruction à Ziguinchor (Sud du Sénégal), dans le deuxième cabinet il y avait plus de trois cent (300) dossiers en attente, ensuite lorsque le juge du premier cabinet a été muté, j’ai cumulé les deux cabinets avec plus de 400 dossiers à traiter
Fondamentalement, les longues détentions peuvent aussi s’expliquer par le fait qu’il n’y a pas assez de magistrats au Sénégal. Quand j’étais juge d’instruction à Ziguinchor (Sud du Sénégal), dans le deuxième cabinet il y avait plus de trois cent (300) dossiers en attente, ensuite lorsque le juge du premier cabinet a été muté, j’ai cumulé les deux cabinets avec plus de 400 dossiers à traiter. Si vous prenez l’année civile, qui compte 365 jours, et que vous défalquez les jours de congés et les vacances judiciaires, vous vous rendrez compte que traiter ces 400 dossiers dans l’année était pratiquement impossible. C’est la raison pour laquelle, depuis une dizaine d’années l’Etat s’est engagé dans un processus de recrutement massif avec des promotions de 35 à 50 magistrats par année.
La nécessité de recourir aux peines alternatives à l’emprisonnement
De plus en plus, il est demandé aux juges de faire recours aux peines alternatives telles que la dispense de liberté ou le travail d’intérêt général. D’ailleurs s’est tenu récemment à Dakar un atelier sur la question, organisé par les parquetiers. Il est vrai que l’application des peines alternatives n’était pas très prisée, mais maintenant avec le Juge d’application des peines (JAP) elles commencent à être utilisées. Cependant la question c’est comment faire leur promotion ? Prenant exemple sur le travail d’intérêt général, il peut être utilisé à bon escient, car il ne servirait à rien de mettre en prison des bras valides qui peuvent être utiles à la société. Aussi c’est même une certaine forme de resocialisation, le fait de se sentir utile à la communauté participe à la rééducation des prisonniers.
Des abus impliquant des forces de l’ordre réprimés mais ignorés par les citoyens
Il y a des abus et ils sont souvent réprimés, malheureusement les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne. Il y a eu des cas où des officiers de police judiciaire reconnus coupables ont été condamnés. Pour parer à ces abus qui sont notés et qui sont aussi réels, il ya l’observateur des lieux de privation des libertés, qui a pour mission de faire des visites inopinées au niveau de l’ensemble des lieux de privations des libertés, y compris les lieux de garde à vue. Aujourd’hui, l’Etat du Sénégal a inséré dans son corpus juridique un règlement de l’Union économique et monétaire Ouest Africaine (UEMOA) qui rend obligatoire la présence de l’avocat dès l’interpellation. Cela est une avancée extraordinaire.
Un manque de structures d’accompagnement de la justice pour les mineurs
Nous savons que les enfants sont une couche vulnérable, raison pour laquelle ils ne sont pas logés à la même enseigne que les adultes dans les prisons. Le tribunal pour enfant est un tribunal spécial qui existe dans toutes les juridictions de grande instance. Souvent le juge reçoit les prévenus mineurs en tenue civile et non dans sa robe de juge afin d’éviter de les intimider. Donc il est nécessaire de les mettre dans un cadre où ils pourront avoir confiance pour s’exprimer librement. Pour leur cas, la détention constitue l’exception, elle n’intervient que dans des cas bien spécifiques.
L’alternative privilégiée en cas de condamnation de l’enfant, notamment pour délit, c’est de le confier à ses parents. Pourtant il aurait dû être confié à des structures de rééducation qui malheureusement n’existent, pour l’instant, que dans textes et non dans les faits
Le premier problème qui se pose avant leur jugement, c’est de savoir où placer les enfants parce que certaines prisons sont dépourvues de quartiers pour mineurs. Donc l’alternative privilégiée en cas de condamnation de l’enfant, notamment pour délit, c’est de le confier à ses parents. Pourtant il aurait dû être confié à des structures de rééducation qui malheureusement n’existent, pour l’instant, que dans textes et non dans les faits. Il y a donc beaucoup à faire à ce niveau pour traiter la délinquance juvénile qui prend des proportions inquiétantes dans ce pays.
Les crimes et les délits juvéniles varient en fonction des localités et de l’environnement économique, malheureusement nous n’avons pas cette culture des statistiques et c’est le maillon faible. La collecte des données est un grand problème, alors que l’on ne peut pas planifier si l’on ne dispose pas de données objectives. Au-delà même du cadre judiciaire je pense qu’il est extrêmement important pour nos autorités de mettre l’accent sur la collecte des données à tous les niveaux.
Magistrat de formation, Serigne Assane Dramé a débuté sa carrière en 2003 comme juge du siège, puis comme président du Tribunal pour enfant et juge d’instruction. Monsieur Dramé a ensuite été conseiller à la Cour d’appel de Saint-Louis, puis secrétaire général du Comité sénégalais des droits de l’Homme. Il travaille actuellement à l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) en tant que conseiller à la réforme législative dans le cadre du programme de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).