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Créé en 1949 par Konrad Adenauer, le groupe CDU/CSU au Bundestag (parlement) est le groupe parlementaire commun formé par les parlementaires membres de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU) et de l’Union chrétienne sociale en Bavière (CSU). Tous deux d’orientation démocrate-chrétienne et conservatrice, les deux partis comptent à la législature actuelle 246 parlementaires sur 709.
Date de publication : Mai 2020
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Site de l’organisation : CDU/CSU
Le Sahel est en proie à des exactions et aux violations des droits humains, et plus encore dans le contexte de la pandémie du nouveau coronavirus. La note de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) relative aux tendances aux violations des droits de l’homme durant le premier trimestre 2020 fait état de 598 violations et abus, soit une hausse de 61,21% par rapport aux violations et abus enregistrés en fin 2019 au Mali. Les conflits dans la région du Sahel ne cessent d’engendrer des déplacements de personnes fuyant les zones touchées par les conflits. Rien qu’au Burkina Faso, on estime environ 800 000 personnes déplacées, du fait de ces conflits.
En dépit des opérations militaire et des activités de la communauté internationale, la situation conflictuelle ne semble pas s’arranger dans cette région dont l’instabilité grandissante commence à toucher des pays comme le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Bien que les acteurs présents soient très nombreux, le manque de coordination entre ces derniers rend inefficaces les différentes actions menées. En janvier 2020, la France, un acteur très présent dans la résolution des conflits au Sahel, appelle à un engagement international renforcé dans le cadre d’une “coalition pour le Sahel”. Un appel qui vient au moment où l’on constate le relâchement de certains acteurs tels que les Etats-Unis qui ont émis l’hypothèse d’un redéploiement de leurs forces militaires en Afrique de l’Ouest vers d’autres régions pour des raisons stratégiques. A contrario, des pays comme l’Allemagne s’engagent de plus en plus au Sahel à travers des formations militaires des armées locales ou le déploiement d’équipements tels que les drones.
Au-delà de la volonté de libérer le Sahel du joug des conflits armés, les interventions des puissances étrangères semblent aussi être dictées par des intérêts géopolitiques. WATHI a choisi ce document parce qu’il propose une grille de lecture de l’intérêt de l’Allemagne à soutenir les Etats du Sahel dans leur lutte contre l’insécurité. En outre, en apportant son aide, l’Allemagne souhaite éviter une translation des violences du Sahel vers son territoire déjà sujet au trafic de drogue et à l’immigration clandestine provenant de l’Afrique de l’Ouest et du Nord.
Bien que les auteurs du rapport ont adressé leurs recommandations au gouvernement allemand, ils n’ont pas manqué de formuler quelques recommandations à l’endroit des pays africains, notamment ceux du Sahel :
- Les États du Sahel doivent améliorer leur coopération, au plan national tout comme sur le plan du G5S et dans le cadre de la CEDEAO. Au plan national, le manque de concertation entre les décideurs et les ministères concernés est évident. Un pilotage politique et opérationnel fait souvent défaut, ainsi qu’un travail sur des solutions locales et une prise des responsabilités, notamment à l’heure de surmonter des obstacles au développement ou de réaliser des réformes des secteurs nationaux de sécurité des pays G5S.
- Dans la perspective d’une “approche en réseau”, les initiatives civiles et de politique de sécurité dans la région du Sahel devraient plus souvent travailler main dans la main. Face à la panoplie des acteurs sur place – la MINUSMA, l’UE, BARKHANE, les bailleurs de fonds internationaux et bilatéraux – une meilleure coordination et une approche mieux ciblée s’imposent, ainsi qu’un rapprochement de la population locale. Le G5 Sahel doit être beaucoup plus étroitement associé à l’avenir, dans la réalisation de projets communs plus nombreux, afin de consolider encore la coordination des bailleurs de fonds. Une concertation renforcée est également de mise dans le domaine de la politique de sécurité.
- L’appui accordé aux États du Sahel devrait être plus largement lié à des conditions clairement formulées, et il convient d’établir des priorités claires. A cette fin, des objectifs devraient être fixés avec les gouvernements partenaires nationaux, visant à lier l’aide internationale aux progrès en matière de bonne gouvernance.
- La région du Sahel ne pourra être durablement stabilisée à long terme que si les États du Maghreb en Afrique du Nord sont étroitement associés, ce qui aurait pour effet une stabilisation de la zone. Ainsi, le règlement du conflit en Libye serait crucial pour un développement stable du Sahel et les efforts déployés à cette fin devraient être maintenus avec vigueur. Un rôle important revient à l’Algérie, particulièrement dans le cadre du processus de paix au Mali (accord d’Alger). Quant à la Tunisie, une démocratie fragile et unique au Maghreb, il convient de lui apporter un soutien ciblé et intensifié, dans l’édification de structures démocratiques résilientes et d’une économie concurrentielle basée sur un tissu de petites et moyennes entreprises. Ces partenaires méritent d’être associés étroitement à la démarche.
Les extraits suivants proviennent des pages : 2-6
L’Afrique est le continent voisin de l’Europe. Les opportunités et les défis découlant du développement de l’Afrique nous concernent directement. Depuis quelques années, c’est surtout dans la région du Sahel que les risques et les défis sont apparus très clairement. Le Sahel est d’une importance capitale, non seulement pour la stabilité de l’Afrique du Nord et de l’Ouest, mais aussi pour la sécurité à long terme de l’Europe. Il constitue un pont à la fois géographique et culturel, économique et politique entre les États du Maghreb au nord et les pays côtiers du golfe de Guinée. Les passages dans les deux sens sont fluides et les frontières entre les pays difficilement contrôlables, ce qui les rend perméables.
Des conflits de longue durée, le terrorisme islamiste, la mauvaise gouvernance dans certains pays, l’explosion démographique, les phénomènes climatiques extrêmes de plus en plus fréquents et graves ainsi que l’absence d’un développement durable risquent d’accentuer encore la déstabilisation de la région. Sans aucun doute, la crise du coronavirus sera à l’origine de nouveaux défis énormes pour la région et dressera de nouveaux obstacles au développement. Les perspectives pour la population jeune se dégradent à vue d’œil. Qui plus est, l’intolérance religieuse constitue un terreau qui nourrit des conflits sanglants. Dans l’hypothèse où l’évolution négative actuelle au Sahel se poursuivait, toute l’Afrique de l’Ouest et les régions limitrophes risqueraient de se déstabiliser – avec toutes les conséquences imaginables pour les populations sur place et pour l’Europe.
En effet, de vastes zones de non-droit risquent actuellement de voir le jour, laissant le champ libre à la criminalité organisée aux portes de l’Europe. Dès à présent, des routes importantes du trafic de drogue et de la migration clandestine vers l’Europe passent par l’Afrique de l’Ouest.
La région du Sahel, un enjeu clé pour toute l’Afrique du Nord et de l’Ouest
Cette tendance négative touche tous les États du Sahel, même si l’intensité varie, et rayonne au-delà des frontières. Cela concerne spécifiquement la situation au Burkina Faso et au Niger, tout comme dans la région du lac Tchad qui vient récemment de se dégrader. De plus, le conflit avec les milices terroristes au nord-est du Nigeria déstabilise toute la région sans s’arrêter aux frontières. On commence à observer les premiers signes d’une propagation de l’instabilité aux États côtiers de l’Afrique de l’Ouest (tels que le Bénin, le Ghana, la Côte d’Ivoire ou encore le Sénégal).
Des groupements terroristes ont démontré, avec des attaques ciblées contre les camps des forces armées maliennes, burkinabés et nigériennes, qu’ils sont prêts et capables de réaliser des opérations complexes. Force est de constater que les forces armées des États du Sahel ne réussissent pas à parer ces attaques. Au Mali et au Burkina Faso, de vastes zones ne sont plus contrôlées par les forces de sécurité, les institutions de l’administration publique n’ont plus aucun poids depuis longtemps, les écoles sont fermées et le nombre de personnes déplacées augmente de façon dramatique. Rien qu’au Burkina Faso, on compte plus de 800.000 déplacés résultants de ces conflits.
Pour la plupart des habitants du Sahel, les perspectives économiques sont limitées et s’ouvrent surtout dans l’agriculture et le secteur informel. A cela vient s’ajouter une forte natalité qui constitue également un défi pour le système sanitaire et l’éducation qui étaient déjà très déficitaires avant la pandémie du coronavirus et qui, comparés à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale, présentent des lacunes importantes.
L’accès des jeunes femmes à des formations et des emplois porteurs sur le marché du travail est restreint. La pauvreté, le manque de perspectives et de possibilités d’éducation risquent d’attiser les conflits dans la région. De plus, les gouvernements et les structures administratives des États du Sahel ne sont pas suffisamment performants et incapables, face aux défis considérables, d’apporter eux-mêmes un niveau de services suffisant et de garantir la sécurité et la stabilité.
L’Allemagne ferait bien d’apporter un soutien significatif, dans l’intérêt de sa propre sécurité
Étant donné que ces évolutions concernent directement les Européens, il est dans l’intérêt de l’Europe de soutenir les États du Sahel et leurs sociétés par une contribution conjointe de la communauté internationale, afin qu’ils puissent relever ces défis avec efficacité. Pour cela, un engagement intensif de la communauté internationale au Sahel et dans les pays limitrophes s’impose, permettant, grâce à une approche intégrée, d’aboutir à un emploi efficient et complémentaire des outils civils et militaires. L’Allemagne ferait bien d’apporter un soutien significatif, dans l’intérêt de sa propre sécurité.
Parallèlement, il est évident que les acteurs publics et sociaux sur place détiennent la clé d’un développement durable et pacifique dans la région et que des efforts bien plus importants de leur part seront nécessaires, notamment pour régler durablement les conflits sur le plan politique, engager des réformes profondes et tendre vers une efficacité renforcée des structures étatiques et l’édification de sociétés inclusives.
Le G5S et l’engagement international au Sahel
En 2014, cinq pays, à savoir le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ont créé le G5 Sahel, afin d’apporter une réponse collective en matière de politique de développement et de sécurité aux défis transfrontaliers. Or, ce groupe est loin d’avoir atteint son plein potentiel et il est urgent qu’il devienne plus efficace. A cette fin, les États du G5S ont toujours besoin à la fois d’un appui solide de la communauté internationale, et d’une volonté politique claire de la part de leurs gouvernements et chefs d’État respectifs eu égard aux réformes à engager et aux initiatives à prendre par eux-mêmes.
L’Alliance Sahel a été lancée en marge du Conseil des ministres franco-allemand, en juillet 2017. Elle vise à créer une plate-forme pour prendre des mesures de développement et de stabilisation améliorées et élargies puis, du côté des bailleurs de fonds, de mieux cibler la coopération dans six secteurs prioritaires et structurants. En outre, il est prévu de renforcer la coopération avec le G5 Sahel. L’Alliance Sahel réunit tous les grands bailleurs de fonds de la région du Sahel, l’enveloppe à la disposition des membres pour des projets en cours ou planifiés dans ces secteurs s’élevant à 11,6 milliards d’euros (2018-2022). L’Alliance Sahel a renforcé le dialogue en matière de politique de développement visant le Sahel et monté, en 2018, un programme d’aide d’urgence dans le secteur eau/sanitaires à hauteur de 266,3 millions d’euros. Il est prévu, à l’avenir, que les membres de l’Alliance Sahel réalisent plus de projets conjoints.
Un premier sommet à Bruxelles en février 2018 a permis à l’Union européenne, de concert avec les Nations Unies et le G5S, de susciter davantage l’intérêt international pour la région et d’assurer un appui financier pour la sécurité et la stabilité dans la région. Lors d’une conférence soutenue par l’UE et l’Alliance Sahel en décembre 2018, le G5S a pu mobiliser des moyens supplémentaires considérables destinés au développement et à son programme d’investissement (civil) prioritaire.
L’instabilité risque de se propager
Dans le cadre du sommet du G7 à Biarritz fin août 2019, l’Allemagne et la France ont pris l’initiative de faire en sorte que leur soutien aux forces armées nationales des États du Sahel devienne encore plus efficace et de combler les lacunes en matière de capacités. C’est dans cet objectif que le” Partenariat pour la sécurité́ et la stabilité́ au Sahel” (P3S) a été lancé. De surcroît, il a été décidé de renforcer la coordination des différentes missions internationales telles que la MINUSMA, l’EUTM Mali et l’EUCAP Sahel Mali aussi bien entre elles qu’avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et les pays du golfe de Guinée. En effet, des groupes terroristes (Jama’at Nasr al-Islam wa al-Muslimin/JNIM, l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) tentent déjà de s’implanter dans le nord de la Côte d’Ivoire et au Bénin. L’instabilité risque de se propager.
Pour aggraver la situation, la région de l’Afrique de l’Ouest est concernée par une redéfinition de la politique étrangère des États-Unis et on évoque une diminution de la présence de troupes des USA. Tandis que la Chine développe sa présence en Afrique de l’Ouest depuis des années et que d’autres acteurs internationaux (tels que l’Arabie Saoudite ou les Émirats arabes unis) sont également actifs dans la région.
Traditionnellement, la France joue un rôle particulièrement actif dans la zone, parmi les États européens. A l’occasion d’un sommet avec les États du Sahel et quelques partenaires internationaux de choix à Pau, à la mi-janvier 2020, la France a souligné la nécessité d’un engagement international renforcé dans le cadre d’une “coalition pour le Sahel”. Dans le but de veiller à la cohérence avec des initiatives existantes, il est important d’associer étroitement d’autres partenaires comme l’Allemagne et l’UE ainsi que d’autres parties prenantes, à l’élaboration de la coalition.
L’Allemagne contribue déjà sensiblement à l’engagement de la communauté internationale – tant au niveau de la politique du développement qu’au niveau de la politique de la sécurité, par le biais de l’Alliance Sahel, entre autres, et grâce à des contingents de la Bundeswehr (armée allemande) et des moyens dans le cadre de l’initiative sur le renforcement des capacités.
Parallèlement, la coopération allemande au développement est active avec un nombre important de projets surtout au Burkina Faso, au Mali et au Niger, mais aussi dans de nombreux États riverains comme la Guinée, le Togo, le Bénin ou la Côte d’Ivoire, par le truchement de la GIZ et de la KfW, l’UE et le système onusien.
Ainsi, des projets de décentralisation permettent notamment d’accroître la confiance en l’État au plan communal et d’améliorer la fourniture de services de base (éducation, santé, infrastructures). L’accès à l’eau est amélioré grâce à des projets d’infrastructure. Le soutien à l’agriculture durable permet de favoriser l’emploi et la sécurité alimentaire et, par conséquent, d’augmenter la résilience. Dans les régions particulièrement touchées par l’insécurité alimentaire, l’aide transitoire du Programme alimentaire mondial des Nations Unies et UNICEF augmentent la résilience de la population. La banque mondiale s’engage dans le soutien à la sécurité sociale de la population face au changement climatique.
De surcroît, le ministère fédéral allemand de la Coopération vient de reprendre la présidence du Comité de pilotage de l’Alliance Sahel et œuvre en faveur d’un dialogue intensifié sur la politique du développement avec le G5S. Il cible par ailleurs une multiplication des projets conjoints dans le cadre de l’Alliance Sahel, sur la base d’un plan en quatre points, avec des mesures de renforcement des capacités de l’État, l’amélioration de la résilience de la population en matière de sécurité sociale et d’alimentation ainsi que par l’ouverture de perspectives de vie grâce à l’éducation et l’emploi, et la stabilisation des États côtiers riverains.
La Bundeswehr est présente tant dans le cadre de la MINUSMA et d’EUTM Mali que dans le cadre de programmes de formation bilatéraux, déployant des capacités de haute valeur telles que les drones HERON 1. Le groupe parlementaire CDU/CSU préconise une prolongation de cette opération, qui devrait être adaptée au fil de l’eau, afin de la rendre plus percutante.
De plus, l’Allemagne participe actuellement aux missions MINUSMA et EUCAP Sahel Niger par le détachement de policiers, dans le but de soutenir les institutions de sécurité et notamment les forces de police dans l’établissement durable d’un État de droit. Cette participation est encadrée par des fonds budgétaires allemands et par des aides à la formation bilatérales pour une mise en œuvre orientée sur les projets. Le groupe parlementaire CDU/CSU recommande également la prolongation de la mission de soutien à la police et une participation plus importante.
Le nombre important d’acteurs présents sur place complique considérablement la coordination entre ceux-ci et les organisations multilatérales
Jusqu’ici, malgré quelques avancées, les activités de la communauté internationale n’ont pas pu empêcher que la déstabilisation de la région se poursuive. En dépit de l’engagement dans le cadre de l’opération militaire française SERVAL 2013 contre les terroristes islamistes au Mali, de l’envoi des missions multilatérales de l’ONU et de l’UE qui s’en est suivi ainsi que de l’opération anti-terroriste française BARHKANE, la situation dans la région s’est détériorée, et le conflit s’est propagé du Mali Central et du Nord au Burkina Faso et au Niger. Si le déploiement des missions internationales est juste et vu que la situation aurait certainement été pire sans le soutien de la communauté internationale, force est de constater qu’une amélioration ou même un renversement de tendance ne sont pas en vue pour l’instant.
Le nombre important d’acteurs présents sur place complique considérablement la coordination entre ceux-ci et les organisations multilatérales. Les dernières années ont montré que, trop souvent, l’engagement de l’UE est entravé par des procédures de concertation longues et complexes, ce qui entraîne aussi une préférence des États de la région pour la coopération bilatérale.
Un cadre pour un engagement renforcé dans la région du Sahel
Au vu de ces défis, le groupe parlementaire CDU/CSU estime qu’il est nécessaire et urgent de renforcer l’engagement de la communauté internationale, de l’UE et de l’Allemagne dans la région du Sahel et d’en améliorer la coordination. Cela permet en même temps de servir un objectif important : lutter contre les causes des migrations. En effet, si l’instabilité s’installe dans la durée et que les zones de non-droit se répandent, les impacts potentiels négatifs risquent d’être considérables. C’est la raison pour laquelle la stabilisation, la sécurité et le développement de la région présentent un intérêt majeur pour l’Europe et sont aussi, bien sûr, dans l’intérêt national de l’Allemagne.
Source photo : Mali Actu