Auteur(s) : Seydou Khouma
Type de publication : Article scientifique
Date de publication : 2018
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L’école sénégalaise formelle est au départ l’œuvre des congrégations religieuses. La mission évangélique a accompagné, soutenu et justifié la conquête coloniale pendant presque tout le 19ème siècle. Ainsi, l’avènement d’une école publique laïque au Sénégal, date du début du 20ème siècle. L’école publique s’est substituée à un système traditionnel composé d’une éducation au sein de la famille qui ne passe pas forcément par l’instruction et d’une école coranique qui instruit à partir de corpus religieux islamiques. Ce système s’est développé parallèlement à celui porté par l’État.
L’école privée confessionnelle, qu’elle soit chrétienne ou islamique, a pendant longtemps constitué une sorte de béquille pour l’État laïc du Sénégal. Jusqu’à une période récente, seuls les établissements privés étaient «susceptibles de dispenser un enseignement religieux» selon les termes de l’article 4, alinéa 2 de la loi d’orientation de l’Éducation Nationale N° 91-22 du 16 février 1991. Le 15 décembre 2004, l’État du Sénégal décide, par la loi 2004-37, modifiant et complétant la loi 91- 22, de proposer une «éducation religieuse optionnelle» dans les «établissements publics et privés d’enseignement, dans le respect scrupuleux de la laïcité de l’État».
Les Assises nationales de l’éducation et de la formation (ANEF), tenues en 2014, ont tenté de faire mieux en promettant une réforme qui soit en mesure de réaliser une «école unifiée». Ainsi, l’objectif de «normaliser» les daara, écoles coraniques et de «mise en cohérence de plusieurs offres d’éducation», dans l’école officielle publique rend compte d’une phase ultime dans la voie d’une «laïcité reconnaissante» promue par l’État. Cette tentative pose le débat de la présence du religieux dans l’espace public qu’est l’école.
De l’école coloniale à l’école sénégalaise: dualité entre deux systèmes
Nommé Gouverneur du Sénégal en 1854, Faidherbe dénonça le caractère ségrégationniste de l’école des Frères à l’endroit des enfants de confession musulmane et créa en 1855 des écoles publiques laïques. Dans la deuxième moitié du 19ème siècle, l’école publique, laïque et méritocratique émergeait en France sous l’impulsion de Jules Ferry. Cette dénonciation relevait d’une opération de marketing autour de l’école coloniale qui ne recevait guère l’assentiment des populations autochtones musulmanes à cause de sa forte corrélation avec le christianisme.
Ce type d’école ne s’est pas implanté sur un terrain vierge. En effet, les débuts de l’enseignement arabo islamique (EAI) remontent à l’introduction de l’Islam dans le pays au 11ème siècle par le biais des commerçants arabo-berbères. Cette religion va trouver les moyens de son élargissement grâce à la multiplication des daara. L’éclosion des confréries au 19ème siècle va favoriser le développement de l’enseignement arabo islamique. La cohabitation, parfois conflictuelle, des deux réseaux d’écoles occidentale et coranique survivra à la période coloniale.
Des épisodes abondent sur les efforts du pouvoir politique visant à amener les enfants à fréquenter l’école officielle de l’État et sur les stratégies déployées par les communautés pour résister à son influence. Le caractère sous-jacent de l’histoire éducative au Sénégal est celui d’un conflit latent entre la politique éducative publique officielle et une opposition à cette politique exprimée par la voie de l’éducation islamique.
L’école laïque à l’occidentale s’est installée progressivement au Sénégal à partir de la deuxième décennie du 19ème siècle. «La plupart des spécialistes de la question s’accordent pour faire de 1817 le point de départ d’un processus de scolarisation selon les principes de l’école à l’européenne» (IPAM, guide pratique du maitre, 1993 : 29)
Ce fut donc le but d’une assimilation entretenue par le biais de l’instruction au détriment du système traditionnel de formation. A partir de ce moment, il y a eu confrontation de deux systèmes, l’un importé et l’autre traditionnel, entre courants pédagogiques… en somme, entre adaptation et assimilation.
La période de la scolarisation restreinte (1903-1945)
Durant cette période, l’école francophone était structurée autour de trois niveaux. Au premier se trouvait «l’école du village», celle du premier degré qui comprenait le cours préparatoire (CP) et le cours élémentaire (CE). Le français y était enseigné, en tant que médium et objet ainsi que le calcul et l’hygiène. Au niveau des centres urbains, il y avait «l’école régionale» qui comportait le cours moyen (CM).
Sachant qu’elle ne pourrait jamais détourner les populations de l’école coranique, l’administration prit des mesures de restriction. Faidherbe entreprit alors une offensive en règle en 1855, contre les marabouts qu’il voulait amener soit à se rallier à sa cause soit à subir la répression administrative.
La période de la restructuration et de l’extension (1945-1960)
En s’assimilant, les populations indigènes avaient pris conscience de leur égalité par rapport à l’homme blanc, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Elles demandaient dès lors une meilleure considération. Dans le même temps, elles aspiraient aussi à une meilleure intégration. La conférence de Dakar en juillet 1944 et le Congrès de Bamako tenu par le RDA (Rassemblement Démocratique Africain) en octobre 1946, posaient ouvertement des doléances dans ce sens. La population indigène réclama une généralisation de l’enseignement, la formation de cadres africains et l’alignement des programmes scolaires sur ceux de la métropole. Elle demanda la suppression de la réforme Brévié introduisant la formation artisanale et rurale dans l’école élémentaire.
L’autorité coloniale institua alors une école à cycle complet couvrant les six années de formation primaire et ajusta les programmes sur ceux de la métropole. Le diplôme de Certificat d’Etudes Primaire (CEPE) fut créé pour parachever cette formation. La dualité entre l’école coloniale et métropolitaine disparut, mais elle persista entre ce nouveau système mis en place par le colon et l’école coranique.
Sachant qu’elle ne pourrait jamais détourner les populations de l’école coranique, l’administration prit des mesures de restriction. Faidherbe entreprit alors une offensive en règle en 1855, contre les marabouts qu’il voulait amener soit à se rallier à sa cause soit à subir la répression administrative
La daara continuait de s’occuper de la formation des jeunes sénégalais conformément à la volonté des populations qui le soutenaient en y envoyant leurs enfants de façon massive. L’enseignement arabo islamique était vu par le colonisateur comme une première étape sur la voie de l’intégration des populations à un nouveau type de pouvoir politique et économique. Il y voyait un concurrent dangereux qu’il fallait cantonner et brimer. De même, l’Islam ne devait être présent que dans le domaine religieux. Il sera donc exclu de l’école qui devait garder son caractère laïc. Tout compte fait, la concurrence était omniprésente, aussi bien au niveau de l’accès que de la qualité de la formation. En termes de statistiques, les effectifs de l’école coranique dépassaient de loin ceux de l’école occidentale. «En 1905, on estime à 34 500 élèves le nombre d’élèves dans les écoles coraniques contre 7000 seulement dans les écoles publiques et 2500 dans les écoles privées d’instruction française» (P. Désalmand, in IPAM, guide pratique du maitre, 1993 : 30).
Relevant de l’initiative des marabouts, le système de formation des daara était, plus tard au 20ème siècle, avec l’avènement des confréries, gouverné par ceux-ci à travers des stratégies ou structures confrériques connues sous les noms de zawiya et daa’ira.
Les daara visaient la formation des citoyens aux valeurs religieuses inscrites dans les traditions africaines : la solidarité, la justice, l’amour et le travail pour le développement, d’où la notion de himma ou dévouement. Autrement dit, l’école coranique prépare le jeune musulman à devenir «un croyant, un homme parfait». Elle est en parfaite symbiose avec les réalités de sa société. Les techniques utilisées sur le plan pédagogique visent la domestication du corps et de l’esprit, et au-delà une intégration effective de l’apprenant à son milieu social.
En 1905, on estime à 34 500 élèves le nombre d’élèves dans les écoles coraniques contre 7000 seulement dans les écoles publiques et 2500 dans les écoles privées d’instruction française
Les sénégalais ont pu, grâce à l’appropriation de l’Islam, garder leur identité et culture même si le système de formation dans les daara était qualifié d’islamique et utilisait la langue arabe pour véhiculer certains enseignements. Ce système ne négligeait pas les langues locales qui ont toujours servi de moyens de transposition didactique. Au niveau de la gouvernance, il s’est agi d’une assimilation positive déjà de l’Islam.
La période postcoloniale: statuquo puis remue-ménage du système scolaire
La constitution de la première République du Sénégal indépendant consacrait le principe de la laïcité de l’Etat et de l’école publique, tout en s’accommodant d’initiatives scolaires privées confessionnelle notamment. L’article 4, Titre II de la loi d’orientation de l’éducation nationale de 1991, réitère un principe édicté par la loi précédente, de 1971 : «L’éducation nationale est laïque : elle respecte et garantit à tous les niveaux, la liberté de conscience des citoyens». L’alinéa suivant du même article établi cependant que par ailleurs, l’Éducation nationale, sur la base des principes de laïcité de l’État, est favorable aux établissements privés susceptibles de dispenser un enseignement religieux (loi d’orientation, 1991 : article 4).
Ainsi, de façon structurelle depuis l’indépendance du Sénégal, l’école officielle s’est accommodée du religieux. Les autorités politiques ont cherché à l’adapter aux réalités sénégalaises.
La démocratisation déclarée de l’école (1981-2000)
Cette décennie a été marquée par la tenue des États Généraux de l’Éducation et de la Formation (EGEF) et par la mise en place de la Commission Nationale de Réforme de l’Éducation et de la Formation. Beaucoup d’efforts sont entretenus suite aux EGEF. Globalement, les EGEF ont abouti au vote de la loi d’orientation N° 91-22 du 16 février 1991. Elle devait adapter l’école sénégalaise aux réalités nationales. Mais la mise en œuvre de ses recommandations comportait toujours des lacunes et des difficultés. L’exclusion des valeurs sociales et la distanciation par rapport aux préoccupations des populations faisaient que l’école ne parvenait toujours pas à canaliser tous les efforts des populations nécessaires pour son développement. Elle restait une école pour une élite.
Avec le Président Abdou Diouf, suite à la Conférence internationale sur l’éducation de Jomtien en Thaïlande en 1990, l’État poussa loin la dynamique de réforme du système éducatif. La loi N° 91-22 du 16 février 1991 a été élaborée et mise en exécution. Elle précisait les finalités de l’éducation, placée sous la responsabilité de l’État.
Cette loi promulguée dix ans après les EGEF apparaît importante pour, au moins deux raisons. D’abord elle définit le nouvel organigramme de l’école et assigne des objectifs à chacune des composantes du système de l’éducation nationale. Ensuite, elle garde le caractère laïc et démocratique de l’école et n’autorise la possibilité d’un enseignement religieux que dans les établissements privés, malgré la recommandation de son introduction à l’école par les EGEF.
Le développement ou la conquête du religieux (de 2000 à nos jours)
Le Président Abdoulaye WADE élu chef de l’État le 19 mars 2000 prend l’initiative de renforcer la réforme de l’éducation nationale. L’enseignement religieux est alors introduit à l’école de la République laïque. Le «gouvernement de l’alternance», dans la foulée du libéralisme se donnait les moyens de consolider les acquis éducatifs de l’ancien régime, de diversifier l’offre éducative pour augmenter le taux brut de scolarisation (TBS). Apparemment, le caractère laïc de l’État ne s’oppose plus à l’introduction de l’éducation religieuse dans l’école officielle. L’entrée par la demande une fois retenue a occasionné des bonds considérables en termes de TBS et de crédibilité de l’école, notamment dans les régions perçues comme réticentes: Diourbel, Kaolack, Kaffrine, Louga (au centre du Sénégal), et Kolda (au sud-est du pays).
Suite à l’évaluation du Programme de Développement de l’Éducation et de la Formation (PDEF), le Programme d’Amélioration de la Qualité de l’Équité et de la Transparence (PAQUET), tous conçus et mis en œuvre par le Gouvernement du Sénégal, l’État prend l’option de renforcer les acquis et de mettre l’accent sur l’équité. Ainsi, des projets concernant le Franco-Arabe8 (Fast-Track initiative 2012) comme les daara (PAMOD9) sont mis en œuvre. La transparence dans la gestion de l’école fait de l’implication des acteurs dans la gestion du système un facteur de développement. Elle intéresse les communautés religieuses, les organisations privées (CNFAAS10 et FNAECS11). Pendant cette période, les méfiances ont laissé place à la confiance et aux complicités.
Depuis les années 1980, des associations islamiques dites sunnites se sont multipliées au Sénégal. Leur discours s’inscrit contre le soufisme confrérique majoritaire dans le pays. Des financements étrangers, de l’Arabie Saoudite, notamment, ont permis le développement de réseaux scolaires qui enseignent une religion d’obédience wahhabite
L’enjeu de l’unification à partir de 2012
Le Sénégal s’est toujours mobilisé pour une éducation pour tous et de qualité. Pour corriger les difficultés persistantes en rapport, notamment, avec la qualité et l’équité de l’éducation, le quatrième président de la République, Macky Sall élu le 25 mars 2012, initie des concertations sur l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche, et met en œuvre le PAQUET pour la période 2013-2025. Son premier mandat va être marqué par l’expression des extrémismes et radicalismes religieux violents. La situation au Mali a impliqué des considérations d’ordre sécuritaire et préventif eu égard à l’EAI au Sénégal. L’État veut positionner l’éducation comme rempart contre l’extrémisme. Dans son discours lors de la cérémonie de distribution de prix aux lauréats du concours général de 2016, le Président Macky Sall souhaite une réponse doctrinale à ceux qui commettaient des atrocités au nom de l’Islam. Il décide de créer les conditions d’une meilleure formation des arabophones dans le pays. Les promesses de développement de l’EAI sont maintenues, mais la confiance qui a régné avec le Président Abdoulaye Wade cède la place à la méfiance et à la prudence.
Le développement des daara modernes et les complexes d’éducation islamiques ont ouvert la porte à la conquête de l’islam wahhabite, salafiste. En effet, depuis les années 1980, des associations islamiques dites sunnites se sont multipliées au Sénégal. Leur discours s’inscrit contre le soufisme confrérique majoritaire dans le pays. Des financements étrangers, de l’Arabie Saoudite, notamment, ont permis le développement de réseaux scolaires qui enseignent une religion d’obédience wahhabite. En 2009/2010, la DEA a recensé 235 écoles franco arabes et arabe privées et 175 EFA publiques17 (MEN, COGEP, 2011, 26). Les équilibres sont menacés, raison pour laquelle, l’Etat du Sénégal a voulu faire face. Il a décidé de prendre en charge la doléance des religieux. La voie de l’intégration de l’enseignement religieux a été choisie par l’État pour au moins deux raisons : valoriser tous les dispositifs qui assurent la prise en charge de tous les enfants dans le système éducatif conformément aux recommandations de la communauté internationale et renoncer au moins partiellement à son intransigeance sur la laïcité de l’enseignement qui avait des effets négatifs sur le développement du système scolaire officiel (Charlier, 2002, 103).
L’État veut positionner l’éducation comme rempart contre l’extrémisme. Dans son discours lors de la cérémonie de distribution de prix aux lauréats du concours général de 2016, le Président Macky Sall souhaite une réponse doctrinale à ceux qui commettaient des atrocités au nom de l’Islam
Conscient de l’intérêt de l’éducation religieuse dans le développement intégral de la personne, l’État du Sénégal préconise, à travers la lettre de politique générale (LPG) pour le secteur de l’éducation de 2013, d’institutionnaliser l’éducation religieuse dans les écoles, en l’intégrant dans les programmes, pour un respect des aspirations culturelles et religieuses des différentes communautés. Les ANEF recommandent ainsi: d’intégrer l’éducation religieuse et le dialogue inter culturel, inter religieux dans les curricula (selon les confessions) à tous les niveaux du système éducatif (Assises nationales, 2014 : 82).
Ceci traduit une prise en charge effective de la dimension religieuse dans l’école nationale laïque, l’éducation religieuse étant une demande persistante des sénégalais. Son rejet par l’école s’est avéré problématique. Ce rejet pourrait être source de violence, lorsque les frustrations sont exprimées au nom de la foi.
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