Les auteurs
Partenariat Afrique Canada (PAC) est une organisation à but non lucratif, qui réalise des enquêtes ainsi que des activités de plaidoyer et de dialogue politique portant sur des questions liées au conflit, à la gouvernance des ressources naturelles et aux droits de la personne en Afrique. En 2003, des membres de la Chambre des représentants et du Sénat des États-Unis ont proposé la candidature conjointe de PAC et de Global Witness pour le prix Nobel de la paix en raison de leur travail pour mettre au jour les liens entre les conflits et les diamants dans plusieurs pays de l’Afrique.
Ce rapport a été rédigé conjointement par Alan Martin et Hélène Helbig de Balzac.
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En Afrique de l’Ouest, l’or occupe une place importante dans le secteur minier ; le Ghana et le Mali font partie des trois grands pays producteurs d’or du continent africain. En 2014, sept pays membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont produit au total 251,7 tonnes d’or (http://bit.ly/2pVt2TA). Le secteur est en expansion dans la zone ouest africaine ; en 2016 le Burkina Faso a enregistré un record de production de 40 tonnes d’or contre 35,6 tonnes en 2015 (http://bit.ly/2oCtkOb).
La réglementation de la production et du commerce de l’or en Afrique de l’Ouest est confrontée à des pratiques illicites dont les conséquences portent préjudice à la stabilité économique, sociale et politique de certains Etats.
WATHI a choisi d’attirer l’attention sur ce rapport parce qu’il expose les réalités de l’exploitation de l’or en Afrique de l’Ouest, notamment au Mali, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Des enquêtes de terrain ont été menées dans plusieurs villes de ces pays et des entretiens avec des personnes impliquées dans l’industrie aurifère dans les trois pays, y compris des représentants des gouvernements et de la société civile, des mineurs, des commerçants et des acheteurs.
Le rapport révèle les canaux utilisés par les trafiquants pour écouler leurs marchandises dans la sous région. Ce commerce illicite de l’or s’étend jusqu’aux Emirats Arabes Unis. Le rapport dévoile l’existence d’un commerce illicite considérable entre le Mali et les affineurs des Émirats arabes unis (EAU), comme en témoignent nettement les données sur les importations à partir des EAU qui, d’une année à l’autre, dépassent la production totale d’or du Mali.
L’implication d’autorités publiques dans le commerce illicite de l’or est reconnue dans le rapport comme la cause principale de l’essor de ce trafic. En Côte d’Ivoire, le commandant Hervé Touré, ancien Secrétaire général des services de renseignement et actuel chef du Troisième bataillon de Bouake, est cité dans le rapport comme étant impliqué dans le trafic de l’or durant la guerre civile ivoirienne (http://bit.ly/1sDyw4V – http://bit.ly/2q68AP9 – http://bit.ly/2oDfs5i ).
Parmi les recommandations du rapport, quatre pistes d’action devraient faire l’objet d’une attention particulière pour les pays de l’Afrique de l’Ouest producteurs et exportateurs d’or :
- Une mesure pratique serait l’interdiction par le Mali et ses voisins immédiats d’exporter de l’or transporté à la main, ce qui permet aux exportateurs de vendre directement sur les marchés de l’or aux EAU, contournant ainsi les contrôles qui régissent actuellement les expéditions d’or industrielles envoyées par fret aérien.
- La mise en place d’un système de contrôle régional et de transparence de la chaîne d’approvisionnement en minerais, soit en instituant une chaîne de responsabilité et un système de traçabilité, soit en identifiant les intervenants en amont dans la chaîne d’approvisionnement.
- L’essor du secteur de l’extraction demande de la part des responsables des politiques et des décideurs — qui travaillent tant au sein des installations gouvernementales que dans les organismes bailleurs de fonds — qu’ils trouvent d’urgence des façons de réduire les risques de conflit, la corruption et les répercussions négatives causés par le manque d’officialisation dans le secteur minier artisanal.
- Il faut aussi que les gouvernements entreprennent une révision complète de leurs régimes fiscaux — individuellement et de concert avec leurs voisins — afin d’harmoniser non seulement les taux de taxes et leur application, mais toutes les politiques susceptibles d’encourager ou de faciliter le commerce de contrebande ou les comportements illégaux.
Les extraits suivants proviennent des pages : 2, 3-4, 5-6, 8-12, 13-16, 20-21
Introduction
Ce rapport cartographie les défis, tant sur le plan de la mise en application que de la gouvernance, et les vulnérabilités engendrés par le commerce illicite de l’or en Afrique de l’Ouest, de même que ses répercussions sur la paix et la stabilité régionales.
Il se concentre essentiellement sur le secteur de l’or artisanal en Côte d’Ivoire, au Mali et au Burkina Faso. Toutefois, bon nombre de ses constatations peuvent s’appliquer à d’autres pays de la région de l’Afrique de l’Ouest, notamment à la Sierra Leone et à la Guinée, qui déclarent elles aussi avoir connu d’importantes baisses de la production de l’or au profit du Mali.
L’or a toujours exercé un attrait particulier sur les personnes qui cherchent à gagner leur vie, peu importent les incertitudes et l’exploitation qu’il suscite. Tant chez les gouvernements que chez les milices, les minéraux lucratifs qui se prêtent à la contrebande alimentent souvent des guerres civiles interminables, qui engendrent l’instabilité, l’exploitation humaine, la corruption et, par-dessus tout, la perte de débouchés économiques. L’histoire postcoloniale montre que l’Afrique de l’Ouest a connu de nombreuses guerres civiles au fil du temps; tout récemment, elle a été de plus en plus victime d’actes terroristes et d’attaques perpétrées par des groupes djihadistes.
Ce rapport met aussi en relief certaines des embûches les plus courantes auxquelles sont confrontés les gouvernements une fois les hostilités terminées ou lorsqu’ils cherchent à accroître le contrôle du gouvernement sur un secteur minier artisanal non réglementé. L’or demeure souvent une cause d’instabilité et de perte de recettes pour les gouvernements, dans la mesure où les réseaux informels s’avèrent plus durables que les tentatives de mettre en place des chaînes d’approvisionnement légales. C’est le cas dans tous les pays dont il est question dans ce rapport, où le secteur artisanal demeure informel et échappe en grande partie au contrôle des planificateurs centraux. La plupart du temps, dans ces pays où la gouvernance des ressources manque de rigueur, particulièrement dans des situations d’après-conflit, les gouvernements tentent de réaffirmer leur contrôle en adoptant des lois et des mesures malavisées, au détriment des mineurs artisans, qui sont ensuite étayées par des opérations d’application draconiennes lorsque ces lois et mesures sont ignorées. Ces interventions exacerbent la situation; elles aliènent les mineurs et les poussent encore davantage vers le commerce illicite ou alors engendrent une violence évitable.
Principaux constats
Le rapport présente plusieurs constatations clés. La première veut que le secteur de l’exploitation minière artisanale de l’or en Côte d’Ivoire, au Mali et au Burkina Faso souffre d’un manque de cohésion sur le plan des politiques et d’une présence gouvernementale ferme dans les régions d’exploitation minière artisanale. Il s’ensuit une perte considérable de recettes publiques et un affaiblissement de la supervision du gouvernement qui pourraient, si l’on ne s’y attarde pas, avoir des répercussions sur la stabilité nationale et régionale.
Les chaînes d’approvisionnement dans les trois pays sont étroitement interconnectées. Les frontières extrêmement poreuses permettent un niveau élevé de mobilité de la main-d’œuvre dans les mines et exacerbent la contrebande. Bien que la Côte d’Ivoire soit la principale source et destination de la main-d’œuvre mobile en raison des suites de la guerre civile et de ses rendements de minerai à haute teneur aurifère, le Burkina Faso et particulièrement le Mali sont les principales plaques tournantes de l’exportation de l’or artisanal.
Les chaînes d’approvisionnement dans les trois pays sont étroitement interconnectées. Les frontières extrêmement poreuses permettent un niveau élevé de mobilité de la main-d’œuvre dans les mines et exacerbent la contrebande.
Le rapport constate l’existence d’un commerce illicite considérable entre le Mali et les affineurs des Émirats arabes unis (EAU), comme en témoignent nettement les données sur les importations à partir des EAU qui, d’une année à l’autre, dépassent la production totale d’or du Mali. Puisqu’une large part de la production industrielle du Mali va à des affineurs suisses et sud-africains, ce chiffre est encore plus inexplicable pour les affineurs implantés dans les EAU et les fonctionnaires des douanes des deux pays.
Ce rapport examine aussi divers facteurs qui minent la légalité et la traçabilité dans le secteur de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (EMAPE) de l’or. Ces facteurs sont liés à des variables tant systémiques que manifestement criminelles. Par exemple, les nouveaux codes miniers de la Côte d’Ivoire, du Mali et du Burkina Faso favorisent l’exploitation industrielle, sans pour autant reconnaître le plein potentiel économique du secteur de l’EMAPE ni le besoin d’investir des ressources dans l’officialisation du secteur ou dans sa planification.
Il est largement reconnu que la taxation est l’un des principaux moteurs de la contrebande dans de nombreuses industries extractives en Afrique, incluant dans l’EMAPE de l’or. La recherche constate que malgré une taxe à l’exportation harmonisée de 3 % entre les pays, de nombreux négociants exploitaient les échappatoires dans le régime fiscal du Mali ou continuaient de s’en remettre à des réseaux illicites et prédateurs constitués par d’anciens combattants en Côte d’Ivoire.
Recommandations au gouvernement du Mali
Une mesure pratique serait l’interdiction par le Mali et ses voisins immédiats d’exporter de l’or transporté à la main, ce qui permet aux exportateurs de vendre directement sur les marchés de l’or aux EAU, contournant ainsi les contrôles qui régissent actuellement les expéditions d’or industrielles envoyées par fret aérien.
Les ministères des Finances et des Mines devraient entreprendre une révision complète du régime fiscal actuel de la taxe de 3 % sur l’exportation de l’or afin d’éliminer les échappatoires qui font du Mali un attrait pour l’or produit dans d’autres pays.
Aux gouvernements du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire et du Mali
Pour surveiller et réglementer l’exploitation et le commerce des ressources naturelles, les États membres de la CIRGL ont adopté six outils. Certains d’entre eux pourraient être utiles pour une approche régionale de la gestion du commerce de l’or en Afrique de l’Ouest. Ils comprennent, entre autres :
- L’harmonisation de la législation. Une variance dans les taxes à l’exportation entre plusieurs pays peut inciter la contrebande des minéraux et de l’or dans la région des Grands Lacs. En Afrique de l’Ouest, les exportations sont prétendument harmonisées, mais cette harmonisation n’est pas appliquée. En outre, les gouvernements devraient analyser le spectre fiscal en entier — incluant les paiements faits aux représentants des douanes, aux anciens combattants et aux acteurs étatiques — en ayant pour objectif la mise en place d’un système pratique, équitable et uniformément appliqué dans toute la région de l’Afrique de l’Ouest.
- La création d’une base de données régionale sur la production et le commerce de l’or (y compris des données sur la qualité de l’or). Un tel outil pourrait permettre aux acheteurs de savoir où ils veulent s’approvisionner, soutenir la traçabilité et faire en sorte qu’il soit difficile pour les négociants de faire la contrebande de l’or vers d’autres juridictions.
- La promotion de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) auprès des acteurs de l’industrie, notamment ses normes relatives à la gouvernance et à la transparence.
- L’officialisation du secteur de l’or, tout en reconnaissance le secteur comme un moyen de subsistance légitime, et de créer des incitatifs pour les producteurs de travailler dans la légalité. En favorisant la mise sur pied de coopératives à l’échelle locale, on pourrait remplacer des petits et des grands acheteurs. Considérant que l’exploitation artisanale de l’or est confrontée à de nombreux défis, dont le manque de traçabilité, la promotion d’une chaîne d’approvisionnement épurée à laquelle participeraient moins d’acteurs pourrait s’avérer importante.
- Mettre en place un système de contrôle régional et de transparence de la chaîne d’approvisionnement en minerais, soit en instituant une chaîne de responsabilité et un système de traçabilité, soit en identifiant les intervenants en amont dans la chaîne d’approvisionnement.
Aux Emirats Arabes Unis
Les importateurs d’or qui s’approvisionnent au Mali et au Burkina Faso doivent exercer une diligence accrue à l’égard de leurs chaînes d’approvisionnement, en s’intéressant particulièrement à la façon dont les sources artisanales illicites pourraient compromettre leur approvisionnement. Cette attention comprend l’inspection de toute la chaîne d’approvisionnement, en remontant jusqu’aux sites miniers, afin de mieux comprendre et atténuer les risques qui vont au-delà des exportations à partir des capitales.
Comprendre l’exploitation minière de l’or artisanale en Afrique de l’Ouest
Le Mali a de loin le secteur le plus établi; les statistiques gouvernementales rapportaient des exportations de 67,4 tonnes en 2013, où l’or comptait pour 72 % de ses exportations en 2015. L’exploitation minière artisanale et à petite échelle (EMAPE) de l’or s’est intensifiée depuis les années 1990, et de façon exponentielle entre 2010 et 2015. Les régions minières sont surtout concentrées dans le sud et l’ouest du pays, en particulier dans les régions de Sikasso, de Kayes et de Koulikoro. La Chambre des Mines estime le nombre des mineurs artisans à plus de un million.
Le Mali a modifié son code minier en février 2016. Toutefois, malgré certaines améliorations dans la reconnaissance du secteur de l’EMAPE de l’or, le code a essuyé des critiques en raison de son manque de précision quant aux rôles des différents acteurs associés à la gestion du secteur et aux contrôles dont ils doivent faire l’objet. Cela fait en sorte que la majorité des sites miniers sont exploités sans autorisation, sans aucune traçabilité, ce qui inspire un sentiment d’impunité aux contrebandiers.
Depuis la fin des hostilités, la production artisanale s’est fortement intensifiée. Bien que le ministère de l’Industrie et des Mines ne possède pas d’estimations fiables de la production artisanale, l’or provenant de l’EMAPE dépasse actuellement les résultats des secteurs de la pêche et de l’agriculture, et a causé l’arrivée massive de mineurs et de négociants du Mali et du Burkina Faso.
les gouvernements n’ont pas une solide présence dans ce secteur ni une nette compréhension de la production, du nombre de mineurs artisans ou de la manière d’officialiser le secteur artisanal de l’or.
Le Burkina Faso exploite l’or de façon tant artisanale qu’industrielle depuis les années 1960. La production était faible, n’excédant jamais deux tonnes par année entre 1985 et 2007, jusqu’en 2008 lorsque l’exploitation de l’or s’est fortement intensifiée. En 2013, la production atteignait 38,3 tonnes, dont 465 kg provenaient prétendument de mines artisanales. Depuis 2009, l’or est le principal produit d’exportation du Burkina Faso.
Les données officielles relatives à la production et à l’exportation sont bien en deçà de la réalité. Les fonctionnaires admettent volontiers qu’ils exercent une surveillance ou un contrôle minimal sur le secteur et que la majorité de la production quitte le pays par des voies illicites. Une étude réalisée par le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) de France corrobore cette évaluation, concluant que 90 % de la production artisanale d’or n’est pas déclarée officiellement. Il est difficile de quantifier les pertes. En 2014, la production artisanale d’or enregistrée par le ministère de l’Énergie, des Mines et des Carrières s’élevait à 208 kg, bien que les fonctionnaires chiffrent les exportations réelles à entre 3 et 10 tonnes par année.
De cette vue d’ensemble, il ressort plusieurs réalités partagées : les gouvernements n’ont pas une solide présence dans ce secteur ni une nette compréhension de la production, du nombre de mineurs artisans ou de la manière d’officialiser le secteur artisanal de l’or. L’or de l’EMAPE ne fait l’objet d’aucune traçabilité, bien que les statistiques officielles du Mali, qui font état de 20,4 tonnes en 2013 — ce qui représente de façon peu convaincante la moitié de la production d’or totale du pays —, démontrent qu’il est le pôle d’attraction régional pour l’or provenant d’autres pays. La taille du secteur, tout en étant plus petite que celle de la production industrielle, est tout de même significative pour ce qui est de l’emploi et de la perte de recettes gouvernementales. Malgré le fait que les trois pays partagent un même taux de taxation (3 %), les acheteurs et les exportateurs d’or de l’EMAPE de la région ont encore des façons de contourner des contrôles officiels.
Comprendre pourquoi le commerce illicite prospère
Les chaînes d’approvisionnement de la Côte d’Ivoire, du Mali et du Burkina Faso sont étroitement liées et fondées sur une grande mobilité de la main-d’œuvre — à la fois chez les mineurs et chez ceux qui achètent de l’or artisanal et en font la contrebande. En Afrique de l’Ouest, les mineurs sont habituellement jeunes, mobiles et attirés par l’exploitation de l’or par désespoir économique. Leur mobilité et la contrebande d’or sont facilitées par les frontières extrêmement poreuses de la région.
Les mineurs sont attirés par la Côte d’Ivoire parce que le travail est moins exigeant que dans les autres pays (le roc est plus cassant et les gisements d’or sont moins profonds), mais aussi parce que de l’or est de meilleure qualité. Par exemple, un sac de gravier pourrait donner environ 13 grammes d’or, tandis qu’au Burkina Faso, le rendement moyen serait plus près de 0,25 gramme.
Un autre négociant d’or établi à Bamako, au Mali, avoue acheter beaucoup d’un ancien commandant des Forces nouvelles, Hervé Touré, durant la guerre civile ivoirienne. Il évalue à autant que 50 % ses achats actuels en provenance de la Côte d’Ivoire. En plus de la pureté de l’or, il mentionne que c’est en raison du réseau bien établi de mineurs et de petits acheteurs qu’il a développé au fil des années qu’il continue de s’approvisionner en Côte d’Ivoire.
Durant la guerre civile, l’or ivoirien passait en contrebande au Mali et au Ghana, mais le Burkina Faso était la route la plus facile et la plus sûre pour les Forces nouvelles, puisque les combattants étaient protégés par le président du Burkina Faso Compaoré. Selon certains, il s’agissait d’une entreprise très lucrative. Un ancien combattant a raconté à Partenariat Afrique Canada qu’on produisait environ 5 kg d’or chaque semaine dans la région de Katiola, en Côte d’Ivoire, qu’on envoyait en contrebande au Mali ou au Burkina Faso — une quantité non négligeable, valant plus de 200 000 $ US aux prix d’aujourd’hui.
Durant la guerre civile, l’or ivoirien passait en contrebande au Mali et au Ghana, mais le Burkina Faso était la route la plus facile et la plus sûre pour les Forces nouvelles, puisque les combattants étaient protégés par le président du Burkina Faso Compaoré.
Les taxes sont aussi un facteur contribuant au commerce illicite. Comme mentionné ci-dessus, les trois gouvernements imposent une taxe à l’exportation de 3 %, comme le font d’autres pays voisins, tels que la Sierra Leone et la Guinée. En théorie, il s’agit d’une bonne pratique, puisque rien n’encourage les exportateurs à envoyer leur or dans la juridiction la plus avantageuse sur le plan fiscal.
Toutefois, l’application de la taxe par le Mali comporte une grande faille. Un fonctionnaire guinéen l’expliquait : « Si l’on peut expédier 200 kg au cours d’un même mois, la taxe de 3 % ne s’applique que sur les 50 premiers kilogrammes, ce qui vous laisse 150 kg libres de taxes». Le code minier ne présente aucune explication concernant cet écart.
La géographie est un autre facteur qui contribue au trafic illicite de l’or vers le Mali. Il y a toujours un lien géographique plus facile entre les principaux centres de production en Côte d’Ivoire et en Guinée, et les principales plaques tournantes du négoce au Mali et au Burkina Faso. La distance entre Siguiri, l’une des plus importantes régions de production d’or de la Guinée, et le Mali, par exemple, est d’environ 200 km sur une bonne route. La distance pour atteindre Conakry, la capitale de la Guinée, est par contre de près de 800 km, et le quart de la route est en mauvais état. C’est aussi le cas en Côte d’Ivoire, où Doropo et Bouna sont proches du Burkina Faso.
La question du préfinancement est un autre facteur à prendre en considération si l’on veut comprendre le commerce illicite.
Partout en Afrique, le commerce artisanal de l’or est basé sur un système de préfinancement. L’argent qui finance l’or va dans la direction opposée à celle de l’or. Le système fait en sorte qu’il est difficile pour les mineurs de fonctionner au sein du système légal, même s’ils le voulaient. De l’argent venu d’ailleurs paye leur équipement et leurs indemnités de subsistance quotidiennes et, en retour, leur production est déjà prépayée et leur route d’exportation prédéterminée par les négociants dans les capitales qui offrent un préfinancement pour les opérations.
De précédentes enquêtes menées par Partenariat Afrique Canada en République démocratique du Congo ont révélé une faille majeure dans les contrôles à l’importation des EAU, qui dispensent de déclaration en douane l’or importé au pays dans les bagages à main. Une fois dans le pays, les négociants vendent l’or à des acheteurs d’un souk d’or à Dubaï, contournant facilement les systèmes de devoir de diligence créés par le Dubaï MultiCommodities Centre, l’entreprise quasi gouvernementale responsable de la promotion et de la réglementation du commerce des minéraux précieux. Bien qu’ils aient été mis au courant de cette vulnérabilité en 2014, les EAU n’ont pris aucune mesure pour régler le problème, et l’on peut raisonnablement présumer que des négociants et des exportateurs de l’Afrique de l’Ouest peuvent exploiter la même faille que leurs collègues congolais.
Implications pour la région
Les fuites illicites de capitaux ont coûté chaque année à l’Afrique subsaharienne 52,9 milliards $ US en moyenne — environ 5,5 % du PIB — entre 2003 et 2012, privant les économies africaines d’énormes recettes fiscales. La plupart des vols ont été commis dans le secteur des ressources naturelles.
La guerre civile et les violences politiques ne sont pas non plus étrangères à la région. Depuis l’indépendance, il y a eu cinq guerres civiles d’envergure, et les coups d’État se sont multipliés — et c’est le Burkina Faso qui détient le record non enviable du plus grand nombre de coups d’État sur le continent africain. Les guerres civiles en Côte d’Ivoire, au Liberia et en Sierra Leone ont toutes été financées par le commerce illicite des diamants et d’autres ressources naturelles; la brutalité qui a marqué le commerce des diamants a donné lieu à la création du Système de certification du Processus de Kimberley, soutenu par les Nations Unies.
L’essor du secteur de l’extraction demande de la part des responsables des politiques et des décideurs — qui travaillent tant au sein des installations gouvernementales que dans les organismes bailleurs de fonds — qu’ils trouvent d’urgence des façons de réduire les risques de conflit, la corruption et les répercussions négatives causés par le manque d’officialisation dans le secteur minier artisanal.
En Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, les chaînes d’approvisionnement en or sont profondément interconnectées en raison des héritages combinés de la guerre civile et des relations personnelles et politiques entre les présidents Ouattara et Compaoré. Les réseaux commerciaux contrôlés par des proches associés et des anciens combattants continuent d’exercer leurs activités à l’extérieur de la chaîne légale, impunément et au mépris de l’État. Il faudra que les gouvernements fassent preuve d’une forte volonté politique pour démanteler les réseaux illicites qui menacent l’ordre public et la capacité gouvernementale de réglementer et de taxer le secteur artisanal.
les gouvernements doivent prendre conscience que l’officialisation et les mesures incitatives, plutôt que l’application rigoureuse, sont la meilleure façon d’intégrer dans la chaîne d’approvisionnement légale ceux qui opèrent dans l’ombre de l’illégalité.
Les défis auxquels font face la Côte d’Ivoire, le Mali et le Burkina Faso exigent des gouvernements qu’ils voient plus grand plutôt que de se concentrer seulement sur l’élaboration de politiques et de lois favorables aux investisseurs tout en faisant fi du secteur artisanal. Dans le même ordre d’idées, les gouvernements doivent prendre conscience que l’officialisation et les mesures incitatives, plutôt que l’application rigoureuse, sont la meilleure façon d’intégrer dans la chaîne d’approvisionnement légale ceux qui opèrent dans l’ombre de l’illégalité. Il faut aussi que les gouvernements entreprennent une révision complète de leurs régimes fiscaux — individuellement et de concert avec leurs voisins — afin d’harmoniser non seulement les taux de taxes et leur application, mais toutes les politiques susceptibles d’encourager ou de faciliter le commerce de contrebande ou les comportements illégaux. C’est particulièrement le cas au Mali, où des exportateurs profitent des failles dans le régime fiscal.
Actuellement, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone sont à élaborer une approche régionale pour leur secteur du diamant, avec pour objectif d’harmoniser les politiques et les pratiques de manière à accroître leur conformité aux exigences minimales du Processus de Kimberley, à recueillir plus de revenus et à s’attaquer à leurs vulnérabilités communes en matière d’application.
C’est dans cet objectif que Partenariat Afrique Canada agit comme membre de l’équipe technique en appui à ces pays. Dans le cadre de ce processus, on ne cesse de répéter que l’approche régionale doit viser aussi l’or et englober d’autres pays clés tels que le Ghana, le Mali et le Burkina Faso. Cette approche est ancrée dans les objectifs fondamentaux de la Vision du régime minier de l’Afrique, approuvée par tous les chefs d’État africains en 2009, qui « place les objectifs de développement généraux et à long terme du continent au cœur de toute élaboration de politiques concernant l’extraction minière ».
Crédit photo : http://bit.ly/2pGuxEy