L’Objectif de développement durable (ODD) n°7, qui entend « garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable » d’ici 2030, sera difficile à atteindre. Dans le seul secteur de l’électricité, plusieurs centaines de millions de personnes demeureront non desservies en Afrique subsaharienne. Quelles sont les réalités derrière les mots et les chiffres ? Les solutions proposées permettent-elles de sortir de la pauvreté énergétique ? Comment parvenir à atteindre l’objectif d’accès universel à l’électricité ? Pour tenter de répondre à ces questions, cet article s’appuie sur l’expérience du Geres au Mali.
Plus d’énergie, est-ce essentiel ?
Depuis deux siècles, plus d’énergie consommée s’est traduite par de meilleures conditions d’existence, d’espérance de vie notamment. L’indice de développement humain (IDH, fonction du PIB, du niveau d’alphabétisation et de l’espérance de vie) et la consommation d’énergie d’un pays sont corrélés.
Au Mali, où l’IDH n’est que de 0.42, plus d’énergie est un levier pour des conditions de vie décentes. Les activités productives, de transformation agroalimentaire, de communication, de production de froid ou encore sur la mécanique, etc. créent de la valeur ajoutée, des emplois et de nouveaux services. Mais dans les villages et villes secondaires peu électrifiés, elles peinent à s’installer ou à se mécaniser. L’environnement reste peu attractif, notamment pour les jeunes.
L’offre d’électricité est-elle adaptée à la demande malienne ?
La consommation moyenne présente de grandes inégalités à l’échelle internationale, mais aussi nationale et locale. La consommation électrique d’un Français avoisine les 5 000 kWh/an tandis qu’un Malien connecté à un mini-réseau autonome consomme environ 50 kWh/an.
Le doublement de la consommation électrique du Mali entre 2005 et 2015 masque par ailleurs l’accroissement des inégalités entre urbains et ruraux, raccordés au réseau national ou offgrid (hors réseau). Le taux d’électrification dépasse 80 % en zone urbaine, contre moins de 20 % en zone rurale. Mais la réalité est plus complexe, comme le montre l’exemple du cercle de Yorosso :
En 2019, 3 des 93 villages du cercle de Yorosso (13 % des habitants), sont dits électrifiés mais seuls 3,3 % des habitants disposent d’un compteur électrique, et l’électricité n’est disponible que de 18h à 1h du matin, avec une puissance limitée. Ces populations sortent-elles ainsi de la précarité énergétique ? Derrière quelques chiffres globaux, la réalité du terrain est que « l’accès à l’énergie » reste souvent inadapté aux besoins et bien en-deçà des services proposés par le réseau national.
L’énergie solaire est-elle la solution ?
L’énergie solaire répond aux besoins de production électrique décentralisée tout en limitant l’impact climatique. Cependant, malgré la baisse des prix, les investissements sont insuffisants et les centrales offgrid sont peu rentables.
La consommation moyenne présente de grandes inégalités à l’échelle internationale, mais aussi nationale et locale. La consommation électrique d’un Français avoisine les 5 000 kWh/an tandis qu’un Malien connecté à un mini-réseau autonome consomme environ 50 kWh/an.
Hors réseau, deux types de solutions sont disponibles : les lampes et kits solaires (SHS, solar home system) individuels (puissance inférieure à 1 kWc) et les mini-réseaux décentralisés (puissance généralement supérieure à 10 kWc).
- Des kits individuels pour les entreprises rurales ?
Les kits domestiques permettent difficilement d’atteindre une consommation d’électricité suffisante pour sortir de la pauvreté énergétique. Et peu d’activités économiques peuvent atteindre un niveau économique viable et une augmentation de la productivité nécessaire au développement local.
En effet, ces kits sont dimensionnés pour couvrir les besoins en puissance (à un moment donné) et en quantité d’énergie. Ceci implique un dimensionnement, et donc un coût, important pour ceux ayant des besoins de puissance élevés, même momentanés (comme les menuisiers), tandis que les petits consommateurs sont pénalisés par le coût minimal de ces matériels (comme les tailleurs). Enfin, la gestion approximative de ces kits réduit souvent leur durée de vie et donc leur rentabilité. Tandis que les coûts des « SHS productifs » restent inaccessibles à l’immense majorité des professionnels.
- Des mini-réseaux décentralisés fragiles
Pour les mini-réseaux, l’idée d’une énergie solaire moins chère que le gasoil n’est pas systématiquement vérifiée sur le terrain. Au Mali, sans subvention, l’hybridation d’une centrale thermique autonome ne diminue le coût de production de l’électricité que de 5 à 20 %. L’intégration d’une part de production solaire modifie la structure de coûts mais peu le coût total.
L’investissement solaire permet surtout de passer d’un risque de volatilité du prix du gasoil vers un risque d’investissement nécessitant une visibilité à moyen terme. Et des provisions pour le renouvellement des matériels, en particulier des batteries à la durée de vie réduite dans les régions chaudes, remplacent les besoins de trésorerie pour les achats de gasoil. Dans des contextes très instables, les économies restent donc limitées.
De multiples facteurs limitent le développement des mini-réseaux indépendants : besoins colossaux en investissements et nécessaire accès aux subventions, coût de revient élevé du kWh (tableau ci-dessous), difficultés à prévoir la consommation des ménages et donc l’investissement, incertitudes sur la durée de vie des matériels, indisponibilité des pièces de rechange, faible niveau de formation des personnels locaux et difficultés à fixer des compétences pointues en zone rurale, besoins d’actions d’intermédiation sociale (qui devraient relever de la politique nationale d’électrification). Ces contraintes conduisent les opérateurs indépendants à facturer l’électricité approximativement trois fois plus chère que le réseau interconnecté.
Enfin, la présence d’un mini-réseau ne suffit pas à développer son utilisation : les consommations des ruraux sont souvent limitées à la lumière et la charge de téléphone et les TPE peinent à entreprendre. Les mini-réseaux sont donc difficilement rentables et sans nouvel investissement pendant plus de deux ans (augmentation de capacité, extension des lignes, etc.), la consommation d’électricité stagne et la santé financière de l’entreprise se dégrade.
Pour les mini-réseaux, l’idée d’une énergie solaire moins chère que le gasoil n’est pas systématiquement vérifiée sur le terrain. Au Mali, sans subvention, l’hybridation d’une centrale thermique autonome ne diminue le coût de production de l’électricité que de 5 à 20 %. L’intégration d’une part de production solaire modifie la structure de coûts mais peu le coût total
Le secteur de l’électrification rurale est donc marqué par un déficit d’offre et par des opérateurs contraints par la faiblesse de la demande et un manque de planification et de stabilité des politiques publiques. Ces difficultés ne sauraient être surmontées par le seul recours à la technique.
Quel droit à l’électricité défendre ?
Les acteurs privés, opérateurs de mini-réseaux ou distributeurs de kits, réactifs et adaptables aux contextes locaux, pallient certaines difficultés des entreprises nationales d’électricité. Cependant, en choisissant leurs villages d’implantation ou leurs clients grâce à des études diagnostics ou de « scoring client », ils se tournent en priorité vers les clients les plus solvables et les plus accessibles.
Ces acteurs sont davantage centrés sur les innovations techniques, économiques et/ou financières (comme les systèmes pay as you go : Le pay as you go est un dispositif financier permettant d’échelonner les paiements pour une acquisition sur 1 à 2 ans, l’entreprise peut bloquer le service à distance en cas d’impayés) que sur l’ingénierie sociale absolument nécessaire à l’atteinte de l’objectif d’accès universel.
Enfin l’intégration, l’exploitation et la maintenance de sources de production solaires exigent la présence de personnes compétentes capables d’assurer leur fonctionnement quotidien. Mais la création, avec les institutions locales et les habitants, de modèle de gouvernance adapté, comme la formation de personnels qualifiés, ne peuvent être supportées par les seuls opérateurs privés, prioritairement concentrés sur leur rentabilité.
Dans ces conditions, l’accès universel à l’électricité d’ici 2030 est peu réaliste. Toutefois, l’Etat, les collectivités, les entreprises privées et autres acteurs de terrain locaux ou internationaux, peuvent agir ensemble pour :
– concentrer les efforts sur certaines activités sociales ou productives ;
– limiter les inégalités territoriales, promouvoir une consommation raisonnée, en associant les populations pour défendre les intérêts des plus démunis dans un monde contraint par la ressource ;
Les acteurs privés, opérateurs de mini-réseaux ou distributeurs de kits, réactifs et adaptables aux contextes locaux, pallient certaines difficultés des entreprises nationales d’électricité. Cependant, en choisissant leurs villages d’implantation ou leurs clients grâce à des études diagnostics ou de « scoring client », ils se tournent en priorité vers les clients les plus solvables et les plus accessibles
– créer des formations adaptées et favoriser l’implantation dans les villes secondaires de personnes qualifiées et au fait de la complexité de ces zones enclavées ;
– créer des mécanismes de subventions spécifiques, renforcer les acteurs privés présents, vérifier l’atteinte des objectifs fixés et mettre en place des stratégies inclusives ;
Rappelons qu’aucun modèle d’électrification rurale n’a été développé sans une politique publique incitative et un dispositif de soutien efficient et pérenne.
Priorité à l’électrification des activités productives
En fixant localement à la fois des revenus, des emplois et des compétences, l’électrification des utilisateurs productifs valorise les produits locaux, fournit de nouveaux services, améliorent la résilience et l’autonomie locales. Elle contribue à des conditions de vie dignes, accroit l’attractivité des zones rurales en promettant un avenir aux populations rurales, notamment aux jeunes.
Les petites entreprises rurales utilisent le plus souvent des groupes électrogènes, mal dimensionnés ou mal entretenus, avec un facteur de charge trop faible, ce qui augmente leur consommation en carburant, donc le coût du kWh, et réduit leur durée de vie. Et, ceci, même en présence d’un mini-réseau qui, avec un service électrique nocturne et instable, ne répond pas aux contraintes techniques de ces clients productifs. Sans oublier que rares sont les kits solaires professionnels (SPS) à un prix abordable ou accompagnés de solutions de paiement adaptées à ces petits entrepreneurs.
La connaissance de l’utilisation de l’électricité par les entreprises se fonde principalement sur des suggestions, enquêtes et interviews, mais avec très peu de données précises mesurées sur le terrain. Avec une grande inconnue : l’imprévisibilité des courbes de charge liée aux incertitudes sur le développement de ces petites entreprises.
De ses 15 années d’expérience au Mali, le Geres conclut que les besoins des petites entreprises sont:
- une fourniture 24h/24 ;
- un service de qualité quelle que soit la localisation du client dans le village ;
- une tarification adaptée, ce qui ne signifie pas un kWh moins cher mais un prix du kWh en rapport avec une qualité de service irréprochable.
Cependant, la qualité de ce raccordement est nécessaire pour développer une activité économique, mais pas suffisante. C’est un point de départ, qui s’accompagne alors rapidement d’un besoin d’amélioration globale de l’écosystème entrepreneurial : renforcement de capacités, accompagnement à la gestion d’entreprise et facilitation de l’accès au crédit et aux marchés.
A court terme, l’électrification des petites activités rurales devrait être fortement encouragée afin d’endiguer la dégradation des conditions de vie des ruraux et le creusement des inégalités territoriales. Si l’ODD n°7 ne devait pas être atteint d’ici 2030, permettre à des acteurs clés de l’économie locale de sortir de la précarité énergétique afin d’assurer la disponibilité de services ruraux restera un moyen d’agir pour l’atteinte d’autres ODD et ainsi de faciliter la mise en place des conditions adéquates au développement durable des populations. Cela devra s’effectuer en favorisant la sobriété, avec des solutions efficaces en énergie et aux impacts climatiques et environnementaux réduits.
Source photo : Geres
Alexis Caujolle est ingénieur en énergie et environnement de formation. Il est le responsable programme sur l’accès à l’énergie et la transition énergétique au sein du Geres. Il intervient sur des études de faisabilité technique et économique, d’évaluation de la demande et des contraintes énergétiques dans les pays en développement et participe à l’analyse multicritère, à la stratégie et au développement de projets d’électrification rurale en Afrique et en Asie.