Auteurs : Josephine Appiah-Nyamekye Sanny et Edem Selormey
Afrobaromètre est une institution de recherche panafricaine non partisane qui mène des enquêtes, répétées selon un cycle régulier, sur les attitudes du public en matière de démocratie, de gouvernance, d’économie et de société dans plus de 30 pays en Afrique.
Date de publication : 15 novembre 2021
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Site de l’organisation : Afrobaromètre
Le 8ème Forum sur la coopération sino-africaine, tenu à Dakar fin novembre 2021, démontre l’intérêt de la Chine à accroître son influence en Afrique, mais aussi la volonté des chefs d’États africains à jouir d’une relation équilibrée avec leur partenaire. Au cours des 20 dernières années, les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine ont été pratiquement multipliés par 20, atteignant les 192 milliards de dollars en 2019, alors que le pays est devenu le premier bailleur de nombreux pays africains au titre du développement infrastructurel, et même le plus grand partenaire commercial en Afrique devant les États-Unis, en 2009.
C’est d’ailleurs cette influence grandissante qui suscite, de toutes parts, une redynamisation ou un renforcement des liens entre l’Afrique et ses autres partenaires mondiaux, tels que les États-Unis. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken lors de sa prise de parole, le 19 novembre 2021 à Abuja, a annoncé la tenue d’un deuxième Sommet des dirigeants États-Unis-Afrique dans le cadre des actions de renforcement des liens avec les partenaires africains sur la base des principes de respect mutuel et d’intérêts et de valeurs communs.
WATHI a choisi ce document parce qu’il présente les considérations et les opinions des Africains quant à l’influence sans cesse croissante de la Chine sur le continent africain, tant au niveau politique, qu’au niveaux économique et culturel, dans un contexte où des géants tels que l’empire du Milieu et la Russie accroissent leur emprise sur un continent historiquement et fortement lié à la France et l’Angleterre.
Ce document, qui porte sur les résultats de sondages d’opinion menés dans 34 pays africains entre 2019 et 2021, montre que les Africains ont une opinion positive de l’aide de la Chine et de son influence sur le continent, même si son niveau d’influence perçue sur les économies africaines a décliné au cours des cinq dernières années. Il est aussi certain, à la lecture de ce document, que les opinions positives sur l’influence de la Chine ne semblent pas affecter les attitudes des Africains vis-à-vis de la démocratie. La Chine demeure le deuxième modèle de développement préféré des Africains, derrière les États-Unis. Les Africains sont aussi inquiets du surendettement de leurs États auprès de la Chine.
Il est, par conséquent, de la responsabilité des autorités gouvernementales africaines d’asseoir de réelles stratégies d’endettement et de remboursement de la dette. Même si le modèle de développement chinois est apprécié des Africains, il n’en demeure pas moins qu’ils considèrent la démocratie comme un pilier essentiel de développement de leurs pays et qu’il revient aux autorités de consolider les acquis démocratiques.
Les extraits proviennent des pages : 3; 5; 8-17
Meilleur modèle de développement
Afrobarometer demande aux Africains quel pays offre le meilleur modèle de développement futur pour leur propre pays. Comme dans l’enquête 2014/2015, la Chine se classe deuxième dans 34 pays en 2019/2021, derrière les États-Unis. Un sur 10 répondants environ mentionnent l’Afrique du Sud (12%) ou leur ancienne puissance coloniale (la Grande Bretagne, la France, le Portugal ou l’Allemagne) (11%), tandis que 7% disent qu’ils devraient suivre le modèle propre à leur pays.
Dans 23 des 34 pays, les citoyens préfèrent le modèle américain à celui de la Chine, avec notamment des écarts importants au Libéria (77 points de pourcentage), en Sierra Leone (40 points), au Maroc (34 points), en Angola (28 points), au Cabo Verde (27 points), en Gambie (24 points) et au Zimbabwe (20 points. La Chine devance les États-Unis dans cinq des 34 pays : le Bénin (de 23 points de pourcentage), le Mali (23 points), le Burkina Faso (19 points), le Niger (4 points) et le Botswana (4 points). La Tanzanie, le Sénégal, la Tunisie, l’Eswatini, le Malawi et la Mozambique manifestent une préférence égale aux deux modèles.
Dans 23 des 34 pays, les citoyens préfèrent le modèle américain à celui de la Chine
La Chine étant le nouveau venu dans cette compétition mondiale, il est à noter que les jeunes Africains sont plus susceptibles que leurs aînés de préférer le modèle américain (36% des 18-25 ans contre 26% des plus de 55 ans), alors que la considération du modèle chinois est assez constante dans toutes les tranches d’âge. Les hommes et les femmes sont autant susceptibles de préférer les États-Unis, mais les hommes sont davantage plus nombreux que les femmes à préférer la Chine (25% contre 19%). Le niveau d’instruction et l’expérience de pauvreté des répondants semblent ne faire qu’une petite différence dans leurs préférences en termes de modèle de développement.
Le Bénin et le Burkina Faso affichent une hausse […] des préférences en faveur de la Chine
En moyenne, dans les 31 pays aussi bien en 2014/2015 qu’en 2019/2021, les préférences exprimées en faveur de la Chine et des États-Unis comme meilleur modèle de développement demeurent largement inchangées, même si l’avantage des États-Unis s’est légèrement accru, passant de 6 à 9 points de pourcentage. Quelques pays ont toutefois enregistré des variations substantielles. Le Bénin et le Burkina Faso affichent une hausse de 21 et 20 points de pourcentage, respectivement, des préférences en faveur de la Chine, tandis que le Cameroun, l’Eswatini et le Libéria affichent d’importantes régressions (-25, -17 et -17 points de pourcentage, respectivement). Quant au modèle américain, la préférence a doublé au Lesotho (de 14% à 27%) et s’est fortement accrue au Libéria (de 18 points de pourcentage), au Maroc (16 points), et en Sierra Leone (11 points) tout en régressant dans neuf autres pays, dont l’Eswatini (-15 points) et le Cabo Verde (-10 points.
Influences externes
L’influence économique et politique de la Chine en Afrique, tout comme celle des États-Unis, est bien plus largement considérée positive que négative. En moyenne, presque deux-tiers (63%) des Africains estiment l’influence de la Chine dans leur pays « quelque peu positive » ou « très positive », tandis que 14%;;: la considèrent négative. Les opinions quant à l’influence américaine sont à peu près pareilles (60% contre 13%). Des pluralités se félicitent de l’influence de leur superpuissance régionale (52%), de leur ancienne puissance coloniale (46%) et de la Russie (35%). Les évaluations positives sont également beaucoup plus nombreuses que les opinions négatives pour ce qui est de l’influence des agences des Nations Unies (57% contre 11%), des organisations régionales (57% contre 12%) et de l’Union Africaine (53% contre 14%).
Les répondants ayant une opinion positive de l’influence de la Chine sont plus susceptibles d’avoir une opinion tout aussi positive de l’influence des États-Unis, c’est-à-dire que les deux opinions sont fortement et positivement corrélées, ce qui laisse à penser que pour nombre d’Africains, la « concurrence » entre les États-Unis et la Chine pourrait ne pas nécessiter qu’un choix se fasse nécessairement entre les deux, mais donner lieu au contraire à une situation où tout le monde est gagnant.
Nous observons toutefois des disparités d’un pays à l’autre. Dans 16 des 34 pays, l’influence de la Chine est plus largement considérée positive que celle des États-Unis, avec notamment un écart de 36 points de pourcentage en Eswatini (82% d’opinions positives pour la Chine contre 46% pour les États-Unis), un écart de 25 points à Maurice (75% contre 50%) et un écart de 19 points au Mali (81% contre 62%). Les États-Unis sont plus largement perçus comme ayant une influence positive que la Chine dans 10 pays, mais le Zimbabwe est le seul pays à présenter un écart à deux chiffres (48% pour les États-Unis et 38% pour la Chine).
En moyenne, presque deux-tiers (63%) des Africains estiment l’influence de la Chine dans leur pays quelque peu positive ou très positive
En moyenne à travers 30 pays où cette question a été posée aussi bien en 2014/2015 qu’en 2019/2021, l’influence positive perçue de la Chine n’a pas significativement varié (66% contre 63%). Dix-sept pays enregistrent des baisses, y compris de fortes baisses au Gabon (-21 points de pourcentage), en Namibie (-19 points), au Cameroun (-16 points) et au Niger (-16 points). Seuls six pays affichent une hausse significative de la proportion des citoyens qui considèrent l’influence de la Chine positive : le Maroc (+45 points de pourcentage), le Bénin (+18 points), le Ghana (+14 points), le Lesotho (+7 points), le Cabo Verde (+4 points) et la Tanzanie (+4 points). En dépit de ces déclins, des majorités dans 27 des 34 pays sondés en 2019/2021 ont une opinion positive de l’influence économique et politique de la Chine, atteignant 88% au Bénin, 85% au Cabo Verde, 82% en Eswatini, 81% au Mali et 80% au Burkina Faso. Les évaluations positives de l’influence de la Chine sont minoritaires dans sept pays, la Tunisie (30%) en étant le cas le plus frappant.
La perception de l’influence des activités économiques de la Chine a régressé dans 24 de ces 30 pays, y compris de fortes baisses en Sierra Leone, au Zimbabwe, au Botswana, au Malawi, au Niger et au Mali
Si les opinions relatives à l’influence économique et politique de la Chine sont largement favorables, les évaluations portant sur combien les activités économiques de la Chine impactent les pays africains ont fortement baissé. En moyenne, dans 34 pays, (59%) des répondants estiment que les activités économiques de la Chine ont « quelque peu » ou « beaucoup » d’influence sur leur économie. Mais cela traduit une baisse importante au cours des cinq dernières années, de 71% à 59% dans 30 pays sondés tant en 2014/2015 qu’en 2019/2021.
La perception de l’influence des activités économiques de la Chine a régressé dans 24 de ces 30 pays, y compris de fortes baisses en Sierra Leone (-37 points de pourcentage), au Zimbabwe (-29 points), au Botswana (-24 points), au Malawi (-21 points), au Niger (-21 points) et au Mali (-20 points). Seuls le Maroc et Maurice affichent des hausses significatives de l’influence économique perçue de la Chine. La proportion des répondants qui considèrent les activités économiques de la Chine influentes dépasse toujours les deux tiers au Maroc (80%), au Cabo Verde (7%), à Maurice (75%), en Eswatini (74%), au Bénin (73%), au Gabon (73%), au Kenya (72%), au Cameroun (72%), au Soudan (71%) et au Mali (70%). Cependant, moins de la moitié des citoyens sont de cet avis en Éthiopie (47%), en Ouganda (44%), au Zimbabwe (39%), au Malawi (38%) et en Sierra Leone (21%).
Opinions relatives à l’aide au développement de la Chine
De 2000 à 2019, la Chine a octroyé des prêts d’environ 153 milliards de dollars aux pays africains. En dépit de ses investissements et son assistance croissants en Afrique, moins de la moitié (47%) des Africains sont au courant que la Chine accorde des prêts ou une aide au développement à leurs pays. La connaissance de ces fonds varie de plus des deux tiers au Kenya (74%), à Maurice (70%) et au Cabo Verde (68%) à moins d’un tiers en Sierra Leone (30%), au Maroc (28%), au Nigéria (28%) et en Tunisie (24%).
Au nombre des citoyens qui savent que leur pays reçoit des prêts ou une aide au développement de la Chine, quatre sur 10 (41%) estiment que ce soutien est assorti de « quelque peu moins » ou de « beaucoup moins » d’exigences que ceux des autres pays. Un quart (24%) pensent que l’aide de la Chine est assortie de plus de conditions, tandis que 35% affirment qu’ils « ne savent pas » ou refusent de répondre à la question.
Moins de la moitié (47%) des Africains sont au courant que la Chine accorde des prêts ou une aide au développement à leurs pays
Trois quarts (75%) environ des répondants qui savent que leur pays reçoit des prêts ou une aide au développement de la Chine savent également que leur gouvernement sera probablement tenu de rembourser ces prêts. À l’exception du Lesotho, la majorité dans tous les pays sondés sont conscients de cette obligation, dont environ neuf sur 10 citoyens au Kenya (92%), en Guinée (89%), en Ouganda (88%), au Ghana (87%) et en Zambie (87%). Et la majorité (57%) de ceux qui ont connaissance de l’aide de la Chine affirment que leurs pays ont trop emprunté à la Chine.
Les Kenyans (87%), les Namibiens (79%), les Zambiens (77%) et les Angolais (75%) sont particulièrement inquiets du niveau d’endettement de leur gouvernement vis-à-vis de la Chine, alors que seulement trois sur 10 Tanzaniens (29%), Sierra Léonais (30%) et Botswanais (32%) expriment de telles inquiétudes. Cela suggère que le gouvernement américain et d’autres partenaires au développement ont peut-être du succès dans leurs efforts visant à rappeler aux Africains que même si l’argent de la Chine et d’autres partenaires au développement non traditionnels est assorti de moins d’exigences, ils risquent de se laisser entraîner dans le piège d’un endettement encore plus grand.
Les opinions sur la Chine impactent-elles les attitudes des Africains à l’égard de la démocratie ?
Les opinions quant à savoir quel modèle de développement préférer entre la Chine et les Etats-Unis ne semblent pas avoir un impact important sur l’attachement des Africains à la démocratie ou aux normes démocratiques. Les répondants qui préfèrent la Chine comme modèle de développement sont tout aussi susceptibles que ceux qui préfèrent le modèle américain de préférer la démocratie à d’autres types de systèmes de gouvernance (70% contre 72%). Ils sont également aussi susceptibles de rejeter le régime à parti unique, de souscrire à la limitation des mandats présidentiels, de soutenir les élections comme étant le meilleur moyen de choisir les dirigeants de leur pays, de soutenir la concurrence entre plusieurs partis politiques et de privilégier un gouvernement qui doit rendre des comptes plutôt qu’un gouvernement efficace.
Les Kenyans, les Namibiens, les Zambiens et les Angolais sont particulièrement inquiets du niveau d’endettement de leur gouvernement vis-à-vis de la Chine
Contrairement aux inquiétudes selon lesquelles l’influence de la Chine en Afrique pourrait affaiblir la demande de démocratie, les répondants qui considèrent l’influence de la Chine « très positive » sont en réalité plus susceptibles que ceux qui la considèrent « très négative » de dire qu’ils préfèrent la démocratie à d’autres formes de gouvernance (71% contre 63%) et de soutenir les élections comme le meilleur moyen de choisir les dirigeants (77% contre 69%). On ne relève pas de différences significatives en ce qui concerne les opinions sur les autres normes et institutions démocratiques.
En ce qui concerne le niveau de démocratie dont bénéficient les Africains, nous observons que si les citoyens admirent la Chine comme modèle de développement, ils ont une opinion légèrement meilleure de la gouvernance démocratique de leur propre pays. En évaluant l’étendue de la démocratie dans leur pays, les citoyens qui préfèrent le modèle de la Chine ne divergent pas par rapport à ceux qui préfèrent le modèle des États-Unis. Mais sur les mesures de la qualité des élections et de la responsabilisation du président devant le Parlement et les instances judiciaires, les Africains qui préfèrent le modèle chinois jugent un peu plus positivement les conditions démocratiques dans leur propre pays.
Meilleure langue internationale pour l’avenir
La poursuite par la Chine d’un « soft power » culturel, notamment grâce à l’expansion du réseau des Instituts Confucius sur le continent, semble ne guère progresser. À la question de savoir quelle est, selon eux, la langue internationale la plus importante que les jeunes Africains devraient apprendre, sept sur 10 répondants (69%) mentionnent l’anglais, tandis que 3% seulement préfèrent le chinois. L’anglais est particulièrement apprécié par les Africains ayant au moins un niveau d’études secondaires (77%-79%).
Source photo : SINOAFRIQUEMAG