Dans le cadre du débat sur le changement climatique et les questions environnementales en Afrique de l’Ouest, WATHI a rencontré Abdou Sané, géographe-environnementaliste, président de l’Association africaine pour la promotion de la réduction des risques de catastrophes. Dans cet entretien, il souligne les lacunes des politiques urbaines des villes ouest-africaines et explique dans quelles conditions les inondations pourraient être un avantage pour les pays africains.
- Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest tels que le Sénégal, le Niger, la Sierra Leone ou le Nigeria ont été régulièrement touchés par des inondations terribles causant plusieurs sinistres. Qu’est ce qui explique que les inondations soient un phénomène aussi partagé dans la région ?
C’est parce que nous avons les mêmes maux et les mêmes mauvaises pratiques c’est à dire des problèmes de planification urbaine et d’aménagement de l’espace. Les populations occupent l’espace comme bon leur semble, spontanément. Les populations démunies qui sont frappées par la pauvreté dans le monde rural ont tendance à venir en ville où le foncier est cher et n’est pas accessible aux pauvres. Les gens s’agrippent au niveau de la périphérie où on peut trouver des zones inondables qui ne représentent pas un enjeu. Dans ces espaces, ils sont non seulement exposés aux inondations mais il y sont aussi vulnérables.
Faites une carte des sinistres causés par les inondations, vous verrez qu’elle va correspondre à la carte de la distribution de la pauvreté d’un point de vue socio-économique. Plus vous quittez le centre urbain où la population est relativement aisée pour aller vers la banlieue, plus vous vous éloignez des zones bien aménagées pour aller vers des zones d’occupation spontanée qui sont les zones vulnérables aux inondations. Ceci est valable pour tous les pays africains.
- Comment éviter les sinistres causés par les inondations surtout en milieu urbain ?
Il y a deux choses : il faut une bonne planification urbaine et un bon aménagement de l’espace. On ne doit pas habiter n’importe où. Si vous occuper une zone de cuvette, lorsqu’il pleut, l’eau va inévitablement vous trouver au niveau de la cuvette et vous êtes envahis par les eaux. Ce qui fait qu’il y a ensuite des aménagements à faire. Si vous avez les moyens, il faut rambler, créer des infrastructures de drainage des eaux pour créer une voie de déviation pour les eaux lorsqu’il pleut. Si vous ne le faites pas, l’eau va suivre sa voie naturelle même si vous y habitez.
En Afrique de l’Ouest, nous avons les mêmes maux et les mêmes mauvaises pratiques c’est à dire des problèmes de planification urbaine et d’aménagement de l’espace
C’est une question très simple et à simplifier : évitons d’occuper des espaces de façon irrégulière, des zones non aménagées et des zones de vallée qui, par définition, sont des zones de réceptacle de pluie. Comme nos pays n’ont pas les moyens d’investir dans des infrastructures de drainage des eaux de pluie, alors la meilleure solution est d’éviter d’habiter les zones inondables.
- La réalité est que les populations habitent et continuent d’habiter ces zones malgré les risques. Que faut-il faire dans cette situation ?
C’est un problème de gouvernance foncière. Selon notre code de construction, vous ne devez normalement pas avoir un permis de construire pour ces zones. Selon le code de l’urbanisme, vous ne pouvez pas habiter ces zones non plus. On retrouve la même interdiction dans le code de l’environnement et dans le code de l’hygiène. Mais dans nos pays, il y a un problème de gouvernance. Nous avons un cadre législatif et réglementaire que nous ne respectons pas et les gens font ce qu’ils veulent.
Normalement, avant de construire une maison, vous devez recevoir une autorisation de construction. L’autorisation de construction sert à vérifier que vous habitez régulièrement la zone et que c’est une zone habitable. Aucun maçon ne devrait construire une maison sans que le propriétaire du terrain lui fournisse un certain nombre de papiers délivrés par le service de l’urbanisme. Mais dans la réalité, les gens construisent sans ces papiers et l’État est là à baisser les bras.
De temps en temps, lorsque le problème prend des dimensions très compliquées, on rase des maisons, on déplace les populations pour les installer sur d’autres sites. Ce n’est pas la bonne solution. La bonne solution c’est la prévention, c’est à dire veiller à ce que tout le dispositif législatif soit respecté. Mais si on est dans un pays où on ne peut pas appliquer nos propres textes, cela ouvre la porte aux excès.
D’ailleurs certaines personnes jouent de cette situation avec malice. Elles vont habiter les zones inondables d’abord parce que c’est gratuit, ensuite si demain l’État décide de les déplacer, il se retrouve obligé de leur trouver un nouveau gîte. Ces personnes sont récompensées simplement pour avoir eu l’audace d’habiter des terrains qu’ils ne devaient pas occuper. C’est un problème de gouvernance et c’est une affaire générale dans les pays africains où il n’y a pas de suivi de l’application des textes législatifs et réglementaires en vigueur.
La solution durable aux sinistres causés par les inondations est de déplacer les populations qui sont dans les zones inondables. Si vous faites le cumul sur dix ans de ce que l’État dépense pour apporter des réponses aux inondations, c’est beaucoup d’argent.
- Pourquoi pensez-vous que les inondations pourraient participer à la protection du milieu naturel et au développement économique de nos pays ?
L’histoire montre que le Nil est à l’origine de l’émancipation de l’Égypte ancienne. Le Tigre et l’Euphrate sont à l’origine de l’émancipation de la Mésopotamie. En Égypte, c’est le Nil qui a inondé un certain nombre de plaines alluviales et qui a permis l’émergence de l’agriculture dans ces zones. Cette agriculture, à travers ces tracés, a été à l’origine de la géométrie en Égypte.
Aucun maçon ne devrait construire une maison sans que le propriétaire du terrain lui fournisse un certain nombre de papiers délivrés par le service de l’urbanisme. Mais dans la réalité, les gens construisent sans ces papiers et l’État est là à baisser les bras
Aucune civilisation ne peut se développer sans l’eau. L’eau est source de civilisation. Allez dans n’importe quel milieu, dès qu’il manque de l’eau, c’est la catastrophe. Sur le plan religieux, il faut de l’eau pour purifier le corps. Sur le plan agricole, il faut de l’eau pour mener des actions. Sur le plan hygiénique, l’eau est nécessaire, etc. Les cours d’eau qui mouillent le continent et qui inondent un certain nombre de zones permettent d’enrichir la terre et de créer les conditions pour produire un certain nombre d’éléments agricoles, économiques pour la promotion et l’émancipation des populations qui habitent autour.
Par ailleurs, les inondations sont de l’eau en surface. Cette eau traverse ensuite plusieurs strates géologiques avant d’alimenter les nappes souterraines que l’on fore pour recueillir l’eau. Ce qu’on appelle forages sont alimentés par l’eau de surface qui a traversé le sol pour alimenter les nappes souterraines. Les inondations sont une clé pour emmagasiner de l’eau sous terre et favoriser la construction de forages qui, à leur tour, alimenteront la communauté humaine et la communauté écosystémique.
En Asie, les inondations permettent d’alimenter en eau les terres où est cultivé le riz mais ces inondations permettent aussi de redistribuer des matières organiques qui sont des fertilisants pour les sols et sont à l’origine des hauts rendements de riz au point où la Chine, qui est beaucoup plus peuplée que n’importe quel pays d’Afrique de l’Ouest, arrive à régler son autosuffisance en riz et à nourrir plusieurs autres pays durant toute l’année.
C’est pour dire les bienfaits de l’inondation sous cette perception. Par contre quand vous êtes vulnérables aux inondations, c’est l’effet contraire. Elles peuvent vous tuer, détruire vos biens, vous donner des maladies, détruire le cadre de vie et menacer l’écosystème.
- En quoi c’est une priorité de mettre en œuvre des solutions pour mieux gérer ce phénomène ?
C’est une priorité parce que lorsque les inondations conduisent à des catastrophes, le cadre de vie est dégradé, il y a une croissance de toutes les maladies liées à l’eau (diarrhée, dermatose, etc.), vous avez la pollution olfactive et tout cela joue sur la qualité et l’espérance de vie des populations car elles sont exposées aux morbidités et à la mortalité. Le paludisme devient épidémique et endémique. Par conséquent, le rendement des populations est réduit. Pour ces raisons, la bonne gestion des inondations doit être une priorité parmi les priorités.
- Les inondations sont-elles liées au changement climatique ou à la variabilité du climat ?
Il y a des inondations liées au changement climatique mais pour l’instant nous ne les vivons pas de façon très visible en Afrique de l’Ouest. Il y a des prévisions selon lesquelles les glaciers qui se trouvent au Nord vont fondre avec la chaleur et il vont contribuer à relever le niveau de la mer. Puisque dans certaines zones du monde les personnes habitent en dessous du niveau de la mer, elles seront exposées à l’avancement de la mer sur le continent.
Au point où la Chine, qui est beaucoup plus peuplée que n’importe quel pays d’Afrique de l’Ouest, arrive à régler son autosuffisance en riz et à nourrir plusieurs autres pays durant toute l’année
Le terme changement climatique est galvaudé par tout le monde. Il faut savoir donner un contenu à ce concept. Aujourd’hui, puisque nous sommes dans des pays dont la majorité de la population est analphabète en français, les gouvernements se réfugient derrière ce concept lorsqu’ils ne respectent pas leurs devoirs vis à vis des populations. Ils encouragent une attitude fataliste en faisant croire que c’est le changement climatique qui causent certaines pertes. Ils utilisent à tort le terme « catastrophe naturelle » pour prétendre que certains dégâts ne sont pas de leur ressort, c’est une volonté divine, c’est plus fort qu’eux, etc.
Tout cela pour amener les gens à adhérer au déficit d’engagement de nos États, à leur faillite de s’acquitter de leurs obligations notamment sur le plan environnemental et l’obligation d’assurer la sécurité des biens et des personnes dans une République normale. Ils utilisent les termes tels que changement climatique ou catastrophe naturelle, en fait tout ce qui peut renvoyer à l’immanence et à la transcendance divine, pour donner l’impression qu’ils ont fait tout ce qu’ils avaient à faire mais que, face à la volonté divine, aucune action ne peut faire face. Ils développent une culture fondée sur la fatalité et qui, malheureusement, persiste dans la conscience collective de bon nombre de citoyens.
- Quelles sont les autres incompréhensions du changement climatique dans les pays ouest-africains ?
Le changement climatique est une réalité mais dans nos pays, le terme est présent dans les discours et absent dans nos comportements. Au Sénégal, nous enchaînons des politiques sur le littoral en construisant des hôtels, des industries, des routes etc. Ce n’est pas pertinent. Au moment où on dit que la menace viendra du littoral, nous sommes en train de construire des infrastructures de grande taille sur la corniche. Qu’adviendra-t-il de nous si elles disparaissent ?
Lorsque les inondations conduisent à des catastrophes, le cadre de vie est dégradé, il y a une croissance de toutes les maladies liées à l’eau (diarrhée, dermatose, etc.), vous avez la pollution olfactive et tout cela joue sur la qualité et l’espérance de vie des populations
Si nous étions cohérents avec nous-mêmes, conscients du changement climatique et compte tenu que nous sommes un pays pauvre, ce n’est plus le moment de concentrer notre économie sur la côte mais plutôt à l’intérieur du continent. Ce n’est pas normal de dire qu’il y a un risque et pourtant se déplacer vers ce risque. Finalement, on fait du changement climatique une littérature orale mais dans nos actions de tous les jours, rien est fait pour montrer que nous avons compris les conséquences de ce phénomène et avoir de nouveaux comportements. Nous signons des engagements au niveau international pour ne pas les mettre en œuvre.
Crédit photo : Afrik21
Abdou Sané Gnanthio est un géographe-environnementaliste. Il est le président de l’Association africaine pour la promotion de la réduction des risques de catastrophes. Actuel conseiller départemental de Ziguinchor, Abdou Sané a aussi été député de l’Assemblée nationale du Sénégal.
1 Commentaire. En écrire un nouveau
Analyses très pertinentes et enrichissantes. Ils me semble que la source de nos problèmes de gouvernance est à rechercher dans notre conception de la politique, la gestion de la cité. Tant que les postures politiciennes demeureront, consistant à duper les masses populaires avec la complicité de certaines classes maraboutiques, et autres communautés sangsues, tant que l’école et l’éducation ne seront pas comprises comme de véritables leviers de développement, ces difficultés orneront le quotidien des africains et l’émergence restera un slogan politicien…
Malheureusement