Auteur : Alexandre Kateb
Organisation affiliée : Fondation Robert-Schuman
Type de publication : Article
Date de publication : 15 février 2021
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L’Afrique face à la pandémie
A. Indicateurs épidémiologiques et sociodémographiques
Si l’on en croit les statistiques officielles, le continent africain a été relativement épargné par la pandémie de Covid-19 en comparaison avec l’Europe, l’Amérique et l’Asie. Les facteurs explicatifs de la faible incidence du coronavirus en Afrique ne sont pas complètement élucidés. Selon l’OMS, le continent africain aurait bénéficié de certains facteurs structurels tels que la faible connectivité internationale de la plupart des pays africains, si l’on excepte certains ” hubs ” régionaux comme Johannesburg, Casablanca, Addis-Abeba et Nairobi. Incidemment, ce sont les pays africains les plus ” connectés ” du continent comme le Maroc et l’Afrique du Sud qui présentent les taux de prévalence les plus élevés de Covid-19, ce qui pourrait accréditer cette explication.
En outre, sur le plan démographique, la population du continent africain est, dans l’ensemble, beaucoup plus jeune que celle des autres continents, même s’il existe des divergences marquées d’un pays à l’autre. La densité moyenne de population est également plus faible en Afrique qu’en Europe, en Asie ou en Amérique. La faible prévalence de Covid-19 en Afrique pourrait être liée à des caractéristiques socio-culturelles. Ainsi, il existe très peu de maisons de retraite en Afrique et, dans la plupart des pays africains, les personnes âgées sont directement prises en charge par leurs descendants en vertu de coutumes et de traditions fortement ancrées. Certains pays africains auraient également bénéficié de l’expérience acquise dans la lutte contre l’épidémie d’Ebola qui s’était déclenchée en Sierra Leone, en Guinée Equatoriale et au Libéria en 2013-2014, puis en République Démocratique du Congo (RDC) en 2018. Ces pays et leurs voisins avaient alors développé des protocoles de gestion de crise comprenant, à la fois, un volet sanitaire, avec une réorganisation des infrastructures sanitaires pour faire face à la crise, et un volet préventif, à travers le déploiement d’un arsenal de tests, de mesures de traçage et d’isolement des patients atteints du virus, couplé à des mesures prophylactiques (utilisation de gel hydro-alcoolique et d’équipements de protection) et à des restrictions sur la mobilité nationale et internationale. L’Ouganda et le Rwanda ont ainsi fermé leurs frontières avant même la détection du premier cas de Covid-19 sur leur territoire.
Les réponses des Etats africains face à la pandémie
Les restrictions sanitaires et les mesures de distanciation sociale
La plupart des pays africains ont mis en place des restrictions sur la mobilité et des mesures de distanciation sociale pour lutter contre la pandémie. Le degré de sévérité des restrictions, ou Stringency Index, varie selon les pays tout comme l’efficacité réelle de ces politiques. Certains pays africains ont mis en place des politiques très restrictives et obtenu des réductions très significatives de la “mobilité sociale”. Lorsqu’elles ont été appliquées par toute la population, ces mesures ont permis de réduire la vitesse de circulation du virus et d’atténuer la surcharge créée par la pandémie sur des infrastructures qui auraient rapidement été saturées en l’absence de telles restrictions.
L’impact économique et social de la pandémie et les mesures prises pour y remédier
Si l’impact sanitaire de la pandémie a été moindre en Afrique par rapport à d’autres régions du monde, son impact politique, économique et social sur les économies et les populations africaines est considérable. L’impact économique résulte à la fois des mesures restrictives prises au niveau local pour contenir la propagation du virus, de la chute temporaire de la demande mondiale de matières premières (pétrole, minerais, produits agricoles), de biens manufacturés et de services (tourisme, transport aérien) et, enfin, de l’impact de la pandémie sur les échanges intra-africains.
Selon les projections du FMI d’octobre 2020, les Etats africains devraient connaître des taux de croissance négatifs en 2020 et ne retrouver leur PIB d’avant crise qu’en 2022, voire en 2023. Plus précisément, selon le FMI, l’activité devrait se contracter de 3% en Afrique subsaharienne en 2020. Pour 2021, la croissance africaine devrait se redresser à 3,1%. Le FMI note ainsi que ” l’Afrique subsaharienne fait face à une crise sanitaire et économique sans précédent qui, en l’espace de quelques mois seulement, a mis en péril des années de progrès durement acquis sur la voie du développement et bouleversé l’existence et les moyens de subsistance de millions de personnes “. En Afrique du Sud par exemple, plus de 2,2 millions d’emplois ont été perdus au second trimestre 2020, soit 14% de l’ensemble des emplois existants. De plus, selon la Banque mondiale, les envois de fonds des travailleurs migrants vers l’Afrique subsaharienne devraient reculer de 9% et de 6% respectivement en 2020 et en 2021, aggravant l’insécurité alimentaire et la pauvreté dans les pays les plus dépendants de ces transferts.
Plus généralement, le FMI souligne que ” les perspectives de la région seront fonction de la disponibilité de financements supplémentaires et de réformes nationales porteuses de transformations qui permettront de renforcer la résilience (accroissement des recettes, passage au numérique, amélioration de la transparence et de la gouvernance), d’accélérer la croissance à moyen terme, de créer des débouchés pour une vague de nouveaux arrivants sur le marché du travail et d’avancer vers les objectifs de développement durable. ” La situation n’est guère plus enviable pour les pays d’Afrique du Nord, que ce soit pour les exportateurs de pétrole comme l’Algérie et la Libye, confrontés à une chute brutale du cours de l’or noir au premier semestre 2020, ou pour les pays exportateurs de biens manufacturés et de services tels que le Maroc, la Tunisie et l’Egypte qui ont pâti de la chute de la demande régionale (Union européenne, Turquie, Pays du Golfe) pour ces biens et services.
La réponse sud-africaine
En Afrique du Sud, où plus de deux millions d’emplois ont été perdus au second trimestre 2020, le gouvernement de Cyril Ramaphosa a dévoilé un plan de soutien de 500 milliards de rands, soit 30 milliards $, représentant 10% du PIB. Ce plan a étendu à six millions de personnes supplémentaires le dispositif préexistant d’aide alimentaire et de transferts monétaires ciblés, qui concernait déjà onze millions de Sud-Africains. Il consacre une enveloppe de 6 milliards $ pour soutenir des investissements dans les infrastructures sur les dix prochaines années. Enfin, il prévoit de financer la création de 800 000 emplois, dont une partie significative consiste en emplois publics. Pour financer son programme, le gouvernement a fait appel au FMI en sollicitant un prêt de 4,3 milliards $, qui lui a été accordé en juillet 2020.
À court terme, cette politique de relance keynésienne relativement classique conjuguant transferts sociaux, infrastructures et emplois publics grève significativement les finances publiques, avec un déficit budgétaire atteignant 10% du PIB en 2020, et qui pourrait rester à un niveau élevé dans les années à venir. Avant même le déclenchement de la pandémie de Covid-19, l’économie sud-africaine souffrait d’un essoufflement de la croissance, sur fonds d’austérité budgétaire, de blocages politiques et de ” blackout ” à répétition dus à un sous-investissement dans la production d’électricité. Si la croissance du PIB ne converge pas vers la cible gouvernementale de 3% par an, la dette publique pourrait dépasser 100% du PIB à l’horizon 2023-2024.
L’innovation frugale et la digitalisation face à la pandémie
Le concept d’innovation frugale a été développé par Navi Radjou. Il consiste à répondre de la manière la plus simple et la plus efficace à un besoin. L’Afrique offre un cadre particulièrement propice à l’innovation frugale. Face à la pandémie de Covid-19, les entrepreneurs africains ont fait preuve d’un sens de l’agilité et de l’innovation remarquable. Selon un rapport publié par la BEI en juillet 2020, plus d’une centaine de solutions innovantes ont été créées et mises en œuvre par les Etats africains pour faire face à la pandémie. Comme le note la BEI, ” certaines sont très simples du point de vue technologique, tandis que d’autres sont véritablement novatrices. Toutes constituent des exemples inventifs de contribution à la lutte contre la pandémie. “. Les industriels ont été mis à contribution.
Au Maroc, “l’industrie a mobilisé ses capacités, en se réorientant vers la production de masques de protection, de gel hydro-alcoolique ou encore d’équipements médicaux incluant combinaisons, casaques, charlottes, sur-chaussures en un court laps de temps. “. Après avoir satisfait la demande locale, les industriels marocains ont exporté leur surplus vers l’Europe et d’autres pays africains. Le Maroc a également lancé la fabrication d’un respirateur artificiel ” Made in Morocco “, en utilisant les capacités de production disponibles dans le secteur aéronautique et en mobilisant les compétences présentes localement et au sein de la diaspora marocaine.
Le partenariat Europe-Afrique à l’épreuve de la pandémie
L’ambition d’une nouvelle stratégie globale avec l’Afrique
Le mandat de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne (2014-2019) peut être qualifié rétrospectivement de ” reset doctrinal ” pour les relations euro-africaines, hissées au rang de partenariat stratégique ” entre égaux “. Le sommet d’Abidjan de novembre 2017 a consacré ce tournant en mettant l’accent sur la jeunesse, les investissements et la création d’emplois dans des filières porteuses comme le numérique. La nouvelle Commission présidée par Ursula von der Leyen a repris à son compte ces orientations, en y ajoutant d’autres dimensions comme la lutte contre le changement climatique, la prévention des conflits armés et les questions migratoires.
Le 9 mars 2020, la Commission a publié un document intitulé ” Vers une stratégie globale avec l’Afrique “. On peut y lire que ” l’année 2020 sera une année charnière en ce qui concerne la réalisation de notre ambition, à savoir l’édification d’un partenariat encore plus fort. ” La Commission y note aussi que ” le potentiel de l’Afrique suscite un intérêt accru de la part de nombreux acteurs sur la scène mondiale “. Il s’agit d’une référence à peine voilée à la place incontournable de la Chine en Afrique, mais aussi aux ambitions africaines des Etats-Unis, de la Russie, de la Turquie et des pays du Golfe. Prenant acte de cette nouvelle donne, la Commission propose de redéfinir la stratégie de l’Union avec l’Afrique sur la base de cinq partenariats thématiques :
- Transition verte et l’accès à l’énergie
- Transformation numérique
- Croissance et des emplois durables
- Paix et gouvernance
- Migration et mobilité.
L’intégration transcontinentale sous l’angle du commerce
Dans ce document, l’Union européenne se dit prête à apporter ” un soutien politique, technique et financier à l’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine (pour lequel l’aide européenne est déjà passée de 12,5 millions € en 2014-2017 à 60 millions € au cours de la période 2018-2020), qui représente une priorité absolue “. Et, un peu plus loin, que ” la coopération dans le domaine des couloirs stratégiques qui facilitent les échanges commerciaux et les investissements à l’intérieur du continent africain et entre l’Afrique et l’Europe, et améliorent la connectivité entre les deux continents dans une optique de durabilité, d’efficacité et de sécurité, sera également renforcée par la perspective à long terme de créer une zone de libre-échange globale regroupant les deux continents.”.
Le sommet d’Abidjan de novembre 2017 a consacré ce tournant en mettant l’accent sur la jeunesse, les investissements et la création d’emplois dans des filières porteuses comme le numérique. La nouvelle Commission présidée par Ursula von der Leyen a repris à son compte ces orientations, en y ajoutant d’autres dimensions comme la lutte contre le changement climatique, la prévention des conflits armés et les questions migratoires
On peut saluer cette volonté de renforcer la connectivité entre les deux continents – une recommandation formulée dans l’étude parue en juillet 2019. On peut néanmoins regretter une vision de l’intégration dominée par le commerce, comme le montre l’insistance de la Commission sur la création d’une zone de libre-échange entre les deux continents.
Un agenda bouleversé par la pandémie
Une réponse d’urgence centrée sur la lutte contre la pandémie
Le 8 avril 2020, l’Union européenne a lancé des mesures d’urgence sous la bannière ” Team Europe “, afin de soutenir ses partenaires dans leur lutte contre la pandémie. Au 1er novembre 2020, le montant total des engagements annoncés par ” Team Europe ” se chiffrait à 38,5 milliards €, dont 50 % avaient déjà été décaissés. L’accent a été mis sur les besoins humanitaires, le renforcement des systèmes de santé et la gestion des conséquences socio-économiques de la crise (26,63 milliards €).
À concurrence avec la fondation Bill & Melinda Gates, l’Union européenne est le plus grand bailleur de l’initiative GAVI COVAX, codirigée par l’Alliance mondiale pour les vaccins (Gavi) et l’OMS, dont objectif est d’assurer un accès juste et équitable aux vaccins contre la Covid-19 à l’échelle mondiale[8]. Une dotation de 2 milliards $ doit permettre de financer un milliard de doses de vaccin Covid-19 pour les pays à revenu faible et intermédiaire. Selon la GAVI, au moins 5 milliards de dollars supplémentaires sont nécessaires en 2021. Hormis la sécurisation de l’approvisionnement, il faut faire face au défi logistique lié à la distribution des vaccins dans des pays à population majoritairement rurale. Les vaccins de Pfizer/BioNTech et de Moderna nécessitent par exemple la garantie d’une chaîne du froid rigoureuse jusqu’au ” dernier kilomètre “. L’Union européenne doit néanmoins faire face à la ” concurrence ” de la Chine, de l’Inde et de la Russie qui ont proposé aux pays africains leurs propres vaccins anti-Covid, sans passer par le mécanisme GAVI COVAX.
Une refonte a minima du Partenariat UE-ACP (Post-Cotonou)
Les négociations entre l’Union et les pays ACP – incluant l’Afrique, les pays des Caraïbes et du Pacifique – sur un nouveau partenariat ” post-Cotonou” ont abouti le 4 décembre 2020. Néanmoins, les changements sont minimes. Le nouvel accord est en effet constitué d’un “socle commun” qui précise les domaines stratégiques prioritaires au sein desquels les deux parties ont l’intention de collaborer : droits de l’Homme, démocratie et gouvernance ; paix et sécurité ; développement humain et social ; viabilité environnementale et changement climatique ; croissance et développement économiques durables et inclusifs ; migration et mobilité. Le nouvel accord associe à ce socle commun trois protocoles régionaux (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Selon le communiqué de presse de la Commission, ” une gouvernance spécifique propre aux protocoles régionaux sera appliquée pour gérer et piloter les relations avec l’Union européenne et les différentes régions concernées, notamment par l’intermédiaire de commissions parlementaires conjointes”. Sur le plan financier, l’intégration du Fonds européen pour le développement (FED), à travers l’instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI), dans le cadre budgétaire pluriannuel 2021-2027, avait déjà consacré cette régionalisation. Hormis ce changement de gouvernance, la véritable concession arrachée par l’Union à l’occasion de cet accord concerne l’obligation de réadmission des migrants illégaux dans leur pays d’origine.
L’accord de partenariat UE-ACP reste le cadre juridique qui structure les relations de l’Union européenne avec l’Afrique subsaharienne. Dans ce cadre, les questions liées au développement sont traitées via l’IVCDVI et le Fonds européen pour le développement durable (FEDD+). Les relations commerciales sont définies à travers des accords de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne et les différentes sous-régions africaines. Les pays d’Afrique du Nord sont traités à part dans le cadre des accords d’association réservés aux pays du voisinage. L’alliance Afrique-Europe pour un investissement et des emplois durables et la communication intitulée “Vers une stratégie globale avec l’Afrique” sont des stratégies politiques et économiques, sujettes à modification. L’accent mis sur le partenariat entre continents se heurte ainsi à un héritage institutionnel et juridique complexe et à un enchevêtrement de priorités thématiques et géographiques dont l’Europe peine à s’affranchir.
Les négociations entre l’Union et les pays ACP – incluant l’Afrique, les pays des Caraïbes et du Pacifique – sur un nouveau partenariat ” post-Cotonou” ont abouti le 4 décembre 2020. Néanmoins, les changements sont minimes. Le nouvel accord est en effet constitué d’un “socle commun” qui précise les domaines stratégiques prioritaires au sein desquels les deux parties ont l’intention de collaborer : droits de l’Homme, démocratie et gouvernance ; paix et sécurité ; développement humain et social ; viabilité environnementale et changement climatique ; croissance et développement économiques durables et inclusifs ; migration et mobilité
Propositions pour une relance du partenariat euro-africain
Des priorités claires et des projets mobilisateurs
Une gouvernance refondée
Dans une tribune publiée le 4 décembre 2020, Carlos Lopes, Haut-Représentant de l’Union Africaine pour le partenariat avec l’Europe insiste sur la nécessité de traduire dans les faits le ” partenariat entre égaux “. Selon lui, ” les deux parties doivent abandonner l’approche fragmentaire et déséquilibrée du passé et travailler à la création d’un mécanisme de gouvernance conjointe efficace. “. Pour abonder dans ce sens, on pourrait imaginer la mise en place d’une commission euro-africaine permanente. L’Union européenne devrait en outre s’appuyer davantage sur les institutions de l’Union africaine – à l’instar de l’Agence africaine pour le développement et du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs – et faire référence à l’Agenda politique de cette dernière (” Agenda 2063 “). De son côté, si l’Union africaine veut être considérée comme l’égale de l’Union européenne, elle doit gagner en autonomie et ne plus dépendre des subventions accordées par les bailleurs internationaux.
Un partenariat fondé sur les besoins réels des Africains
Afin d’accroître la résilience des États africains face aux crises, il est nécessaire de mettre à niveau les systèmes de santé et d’étendre les dispositifs de protection sociale. Au cours des trente dernières années, dominées par le ” Consensus de Washington “, les questions de protection sociale sont devenues le parent pauvre des politiques d’aide publique. Or, de nombreuses études montrent qu’un système de protection sociale universelle constitue le socle fondamental d’un développement inclusif. L’Union européenne, qui possède une expérience inégalée dans ce domaine, pourrait la mettre à disposition de ses partenaires africains. Cet effort est particulièrement nécessaire pour résorber le poids de l’économie informelle et pour accroître la productivité des travailleurs africains. Au Maroc, le Roi a ainsi appelé, dans son Discours du Trône du 29 juillet 2020, à la mise en place d’une couverture sociale universelle à l’horizon 2025, intégrant l’assurance-maladie obligatoire, les allocations familiales, l’assurance-chômage et les pensions de retraite.
La pandémie de Covid-19 a servi de catalyseur et d’accélérateur aux mutations à l’œuvre au sein de l’économie mondiale. L’Union européenne doit aller au-delà des déclarations d’intention, en proposant aux Africains de grands projets mobilisateurs : un plan Marshall pour les infrastructures, une alliance agricole, une alliance industrielle et technologique et enfin, une alliance numérique. Nous avons présenté nos propositions pour accroître significativement la connectivité intra-africaine et euro-africaine, afin d’arrimer plus solidement les deux continents l’un à l’autre, conformément aux vœux formulés par Robert Schuman il y a plusieurs décennies. Nous avons également développé l’idée d’une alliance industrielle euro-africaine, sur la base d’un cumul des règles d’origine qui permet de mettre le commerce au service de la co-production industrielle. Enfin, à l’aune de cette crise, la numérisation est apparue non plus comme un “nice have” de pays riche mais comme un “must have”, destiné à assurer la résilience et l’agilité des systèmes de production et d’échange locaux, nationaux et continentaux.
L’adaptation au changement climatique
La question du changement climatique doit évidemment figurer parmi les priorités du partenariat. Les dimensions économiques, sociales et environnementales du développement sont en effet inextricablement liées, comme le montrent les conflits entre les agriculteurs sédentaires et les éleveurs semi-sédentaires, conflits exacerbés par les sécheresses et autres phénomènes climatiques extrêmes. Le secteur agricole, dont dépendent directement ou indirectement plus de deux-tiers des Africains, est particulièrement exposé à ces phénomènes, qui accélèrent les migrations et fournissent un terreau fertile aux mouvements terroristes, à l’instar de Boko Haram au Nigéria. Dans ce domaine, l’Europe devrait aller au-delà des déclarations d’intention. Elle pourrait encourager la création de filières agro-industrielles euro-africaines allant de l’amont agricole à l’aval industriel – en y intégrant les cultures vivrières, longtemps négligées dans la doctrine néolibérale du développement. Cela permettrait de fixer les populations locales et de mettre en cohérence les politiques migratoires avec les politiques d’aide au développement.
Au cours des trente dernières années, dominées par le ” Consensus de Washington “, les questions de protection sociale sont devenues le parent pauvre des politiques d’aide publique. Or, de nombreuses études montrent qu’un système de protection sociale universelle constitue le socle fondamental d’un développement inclusif. L’Union européenne, qui possède une expérience inégalée dans ce domaine, pourrait la mettre à disposition de ses partenaires africains
Des financements adaptés
La restructuration de la dette africaine
La récession économique provoquée par la pandémie de Covid-19 va accentuer la charge de la dette pesant sur certains États africains. Face à la pandémie, les États du G20 ont décidé dès avril 2020 d’accorder un moratoire sur le service de la dette publique, dû au titre de 2020, par les États à faible revenu dont la majorité se trouve en Afrique. Le moratoire a permis à quarante-six pays à faible revenu de bénéficier de reports de paiements pour un montant total de 5,3 milliards $ (sur près de 30 milliards d’intérêts dus en 2020). Un accord signé en novembre 2020 a exigé d’impliquer les créanciers privés dans toute restructuration à venir de la dette des pays pauvres, selon le principe de la “comparabilité de traitement”. Ainsi, le débiteur souhaitant obtenir une restructuration de sa dette publique devra exiger le même traitement de la part de ses créanciers privés. ” En outre, le FMI serait “le pivot” du système, puisque les pays demandant à bénéficier d’une restructuration de leur dette devront se conformer à un programme d’ajustement pour assurer la soutenabilité de leur dette. De facto, ces conditions limitent la portée de l’initiative. Plusieurs pays ont préféré ne pas y recourir afin d’éviter toute stigmatisation par les marchés financiers.
Il faut aussi tenir compte de la stratégie de certains pays créditeurs comme la Chine. En effet, selon un rapport de la Banque mondiale, la Chine détient près des deux-tiers de la dette bilatérale des pays à faible revenu. Or, Pékin a toujours préféré une conversion de la dette en investissements à une annulation pure et simple de cette dernière. À la décharge de la Chine, la question de la restructuration- voire de l’annulation – de la dette africaine est complexe. Près de 70% de la dette extérieure africaine est détenue, à parité, par des institutions multilatérales et par des créanciers privés.
Les pays européens pourraient prendre une initiative unilatérale en convertissant en investissements dédiés à la transition verte ou la transition numérique une partie de la dette publique africaine. Des montages de ce type ont déjà été utilisés, à petite échelle, par des pays comme les Seychelles. En avril 2020, un groupe d’intellectuels et de dirigeants africains avait proposé la création d’une caisse d’apurement de la dette africaine qui échangerait les anciennes créances dues aux investisseurs privés par des titres obligataires garantis par les Etats du G20 – sur le modèle des ” Brady Bonds “. Dans tous les cas, il faudra éviter l’aléa moral qui résulterait d’un traitement indifférencié entre Etats dispendieux et Etats vertueux.
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