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Rapport Alternatif Sur l’Afrique (RASA)
Le Rapport Alternatif Sur l’Afrique (RASA) est une initiative d’institutions africaines et internationales qui a pour objectif de contribuer à la consolidation des transformations à l’œuvre dans les sociétés et institutions africaines vers l’autonomie et la souveraineté. Il vise le renversement idéologique et épistémologique des analyses sur le continent, l’approfondissement et la diversification des enjeux et domaines adressés, et des indicateurs de mesure des progrès et de la souveraineté des africains.
Date de publication: Décembre 2020
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Site de l’organisation : RASA-AFRICA
Les efforts déployés par les sociétés africaines semblent toujours insuffisants pour faire de l’Afrique un véritable leader à l’ère de la mondialisation. Et si la question de la souveraineté monétaire de certains pays du continent est souvent soulignée dans les débats, elle n’est cependant pas le seul aspect sur lequel l’Afrique peine à prendre son envol. Aussi bien qu’aux plans économique, politique, technologique que social, la forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur se ressent. Au sein des populations africaines, c’est un mal-être intérieur qui se fait de plus en plus ressentir, comme en témoignent les différentes manifestations observées dans plusieurs pays.
WATHI a choisi ce document parce qu’il présente la situation et les évolutions souhaitables de l’Afrique en exposant les conflits entre la souveraineté d’une part, et l’impérialisme et l’hégémonie extérieurs d’autre part, puis entre la souveraineté et ses dimensions nationale et populaire. Les questions de souverainetés monétaire, culturelle, technologique, politique y sont particulièrement abordées, tout en soulignant les enjeux et perspectives d’une transition post-capitaliste africaine.
Les différentes constatations sur la question souveraine des Etats africains ont conduit les auteurs du document à faire les propositions suivantes :
- Du point de vue du conflit entre souveraineté avec l’impérialisme et l’hégémonie extérieurs, l’exercice de la souveraineté africaine n’est possible que par une stratégie de déconnexion vis-à-vis du système capitaliste mondialisé.
- Sur le plan économique, les pays africains devraient se focaliser sur le développement de l’industrie textile accompagnée par un protectionnisme éducateur. Ils devraient aussi trouver les moyens de tirer un meilleur profit de leurs ressources naturelles en réinventant les stratégies de valorisation locale.
- En culture, sur la base des savoirs endogènes, des artéfacts, des mentifacts et des sociofacts, en amont, doivent être exploités de façon judicieuse et à des fins d’applications potentiellement vertueuses pour l’artisanat, l’agriculture, la santé, la pharmacopée, l’architecture et les usages de la biologie. Il faudrait aussi culturaliser le panafricanisme en acte ce qui apporterait un indispensable écot à l’enracinement des souverainetés.
- Face à la révolution numérique, une gestion autonome des noms nationaux de domaine de premier niveau est nécessaire pour promouvoir l’adressage de serveurs web ou de messagerie au profit de leurs noms et non de ceux des noms de premier niveau générique. Il faut rompre avec l’utilisation de logiciels propriétaires en mettant en place de politiques publiques qui rendent obligatoire l’utilisation des logiciels libres dans le secteur public et parapublic, notamment dans le secteur éducatif. Il faut aussi investir dans la création des centres de données et prendre en charge la question préoccupante de la sécurité informatique.
- Sur le plan politique, la mise en place d’un État fédéral politiquement centralisé et dirigé sur une base collégiale garantira la souveraineté interne. Il importe de construire un large front progressiste, adossé à un projet de société alternatif de transformation radicale de l’ordre capitaliste et néocolonial.
Les extraits suivants proviennent des pages : 32-35 ; 40-41 ; 43-45 ; 66-70; 72 ; 74-76 ; 87-92 ; 109 ; 113-115.
Souverainetés des sociétés africaines : quel cadre d’analyse ?
- Covid-19 et souveraineté : les ruptures économiques souhaitables
La pandémie mondiale du Covid-19, encore très active, a affecté différemment tous les pays, aussi bien dans le domaine sanitaire comme économique, mais suscite partout des visions profondément contrastées sur les politiques à mener lorsque ses aspects sanitaires auront été maitrisés. Au Nord comme au Sud, notamment en Afrique, s’affrontent les gagnants et les perdants du système capitaliste mondialisé. Les gagnants veulent rattraper très vite les pertes de production et de profits, et pour cela continuer de négocier des accords bilatéraux de libre-échange puisque l’OMC est en panne. Ils ont tendance à oublier que c’est la mondialisation néolibérale qui, en les ayant poussés à abandonner à la Chine et à l’Inde, plus compétitifs, la production de médicaments et équipements sanitaires, a largement aggravé la pandémie en Occident. En faisant peu de cas que ce système néolibéral continuera à générer des inégalités sociales internes et internationales (Nord-Sud) et à détruire l’environnement planétaire. Il est affligeant de constater que l’Union africaine elle-même ne voit son salut que dans une croissance extravertie accrue, tellement son développement en a été dépendant jusqu’à présent. Fort heureusement, de profonds mouvements sociaux restent en veille, dénonçant la collusion des gouvernements africains avec le système dominant et affirmant : « Nous ne pouvons pas revenir à la normale. Nous devons envisager un monde différent, une Afrique différente, afin que ce moment puisse marquer un tournant pour notre région et le monde » (Déclaration des sociétés civiles africaines). Après une analyse des impacts sanitaires et économiques de la pandémie en Afrique, la section identifie l’affrontement des deux stratégies à l’œuvre et détaille les quatre piliers nécessaires pour refonder ses politiques agricoles sur la souveraineté alimentaire.
- L’impact économique de la première vague du Covid-19
L’impact économique est bien plus désastreux en Afrique subsaharienne que dans les pays occidentaux du fait de l’effondrement des prix des matières premières, à commencer par le pétrole, lié à l’effondrement de la demande des pays occidentaux en récession et à la paralysie des transports internationaux et intérieurs. Le Fonds monétaire international anticipe une baisse de -1,6 % du PIB de l’ASS en 2020 (après +3,1 % en 2019), dont une baisse de -3,4 % au Nigeria après +2,1 % en 2019, et de -5,8 % en Afrique du Sud après +0,2 % en 2019, les deux premières économies du continent, mais la baisse anticipée par la Banque mondiale pour l’ASS irait de -2,1 % à -5,1 %. Comme le souligne Boulaye Bagayoko, secrétaire permanent du CADTM Afrique, la dette extérieure de l’Afrique est de 365 milliards de dollars (Md$), dont 35 % de dette publique multilatérale, 32 % de dette publique bilatérale, 20 % à la Chine et 13 % à d’autres créanciers privés. Ce n’est pas le moratoire consenti par le G20 jusque fin décembre 2020 du paiement des 12 Md$ du service de la dette publique bilatérale de l’ASS – les pays du Maghreb n’en bénéficieront pas, pas plus que l’Afrique du Sud car elle est membre du G20 alors qu’elle est de très loin le pays africain au service de la dette le plus lourd, de 11,9 Md$ en 2018, dont 10,5 Md$ à des créanciers privés –, et non son annulation, qui changera grand-chose puisque le service de la dette multilatérale de 8 Md$ et de la dette privée de 12 Md$ ne sont pas concernés par des moratoires. Si le remboursement des 12 M$ du service de la dette publique bilatérale pour 2020 sera étalé sur 3 ans, s’y ajouteront les intérêts de retard.
La pandémie a accéléré les fuites de capitaux des pays en développement de 90 Md$ de début février à mi-avril, dont d’Afrique, alors que les investissements directs étrangers (IDE) ont beaucoup faibli
Le FMI ajoute que la pandémie a accéléré les fuites de capitaux des pays en développement de 90 Md$ de début février à mi-avril, dont d’Afrique, alors que les investissements directs étrangers (IDE) ont beaucoup faibli. Inversement, les transferts de fonds des Africains émigrés vers l’Afrique Subsaharienne, confinés et/ ou ayant perdu leur emploi dans les pays occidentaux, auraient baissé de -23 %, de 48 Md$ en 2019 à 37 Md$ en 2020, alors que ces fonds sont traditionnellement plus importants que l’aide publique au développement des pays occidentaux. Ces transferts ont représenté 5,7 % du PIB au Nigeria en 2019, 9,1 % au Togo et 9,9 % au Sénégal.
Le Covid-19 a aggravé les pénuries alimentaires car les mesures de confinement et l’éloignement physique ont entravé le stockage, la transformation et le transport des produits. Les ménages à faible revenu ont été les plus touchés par les restrictions de circulation, en raison de la perte de revenus et de l’impossibilité d’accéder aux marchés locaux. Ainsi de nombreux pays de la CEDEAO ont fermé leurs frontières avec leurs voisins, par exemple entre le Libéria et la Guinée, et le Sénégal a même interdit les transports entre la Casamance et le reste du pays, si bien que les avocats, les ananas et les mangues pourrissent faute d’acheteurs, entraînant l’effondrement des prix dans les zones d’exportation et leur hausse dans ceux qui ne peuvent plus s’y approvisionner.
Ces difficultés d’approvisionnement alimentaire se doublent de difficultés d’exportation des produits tropicaux, par exemple du cacao et des noix de cajou en Afrique de l’Ouest, ce qui entraîne la chute des prix et des recettes budgétaires, notamment en Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée-Bissau et Sénégal. Si certains États d’Afrique de l’Ouest, dont le Sénégal, le Nigeria et la Côte d’Ivoire, ont pris quelques mesures de distribution alimentaire aux plus démunis, cela s’est fait à un niveau très insuffisant. En Afrique comme en Occident, deux orientations opposées pour l’après-pandémie s’affrontent. Les gouvernements en place, l’Union africaine (UA), les pays occidentaux, les multinationales et les institutions internationales à leur service veulent reprendre très vite la croissance extravertie antérieure, tandis qu’à l’inverse la société civile dont l’initiative RASA veut refonder radicalement le paradigme dominant. Enfin, avec l’apparition des premiers vaccins contre le virus, deux phénomènes attirent notre attention en montrant la fracture entre pays industrialisés et pays africains. Le premier est un marché mondial à deux vitesses. Les prix des vaccins sont plus élevés en Afrique du Sud, pays d’Afrique subsaharienne le plus touché par la pandémie, que dans les pays occidentaux. Le second phénomène est l’accaparement sans partage par les pays occidentaux des premiers vaccins arrivés sur le marché. Ces pratiques d’une iniquité et d’un égoïsme sans nom jurent avec les discours empathiques et solidaires de mars 2020, début de la pandémie à coronavirus. Ce qu’il faut retenir de ce double phénomène, c’est ce que si le vaccin est un bien commun proclamé par les puissances occidentales, il ne l’est pas pour tous !
- Échanges commerciaux et investissements directs étrangers : indicateurs pertinents du modèle de développement non souverain
Le continent ne profite pas de sa croissance économique confisquée par les firmes transnationales souvent illégalement, ou dans la légalité avec la complicité des élites politiques. Le rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement sur le développement (CNUCED) de l’Afrique 2020, intitulé « Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique », qualifie le continent de « créancier net du monde ». Les conséquences économiques de ces flux constituent un enjeu de taille pour le développement des pays africains dont les perspectives de développement durable, reposant essentiellement sur la réalisation d’investissements massifs, sont compromises. En effet, l’exportation de produits de base comme l’or, le diamant et le platine est responsable de près de la moitié du chiffre total perdu chaque année, soit 89 milliards $US (50 145 milliards FCFA) de flux financiers illicites par an.
Le continent ne profite pas de sa croissance économique confisquée par les firmes transnationales souvent illégalement, ou dans la légalité avec la complicité des élites politiques »
Les entreprises sous-déclarent la valeur des exportations, pour minorer leurs paiements d’impôts et de redevances. La sous-estimation de la valeur réelle d’une marchandise prive les pays africains de devises et de recettes fiscales. Les auteurs du rapport ont fait valoir qu’en dépit de sa dépendance à l’aide, l’Afrique est de fait un exportateur net de capitaux en raison de l’évasion fiscale et des sommes colossales cachées dans des paradis fiscaux. Les fonds perdus auraient pu être utilisés pour fournir des services sociaux tels que la dotation en personnel des hôpitaux qui ont été mis à rude épreuve par la pandémie de Coronavirus. Ces constats devraient amener les pays à introduire des réglementations strictes sur les entreprises multinationales et sur des pratiques telles que le rapatriement des bénéfices. Ainsi, la part de l’Afrique dans les échanges commerciaux mondiaux s’amenuise de plus en plus dans les dernières années et représente actuellement moins de 3%, et ne capte que 5 % du stock total entrant des IDE dans le monde. Selon la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement, les flux mondiaux d’IDE ont poursuivi leur recul en 2018, chutant de 13 % pour s’établir à 1 300 milliards de dollars. Cette troisième année consécutive de déclin tient principalement aux réformes fiscales engagées fin 2017 par les États-Unis, qui ont entrainé, au cours des deux premiers trimestres de 2018, un rapatriement massif par les entreprises multinationales américaines de leurs bénéfices accumulés à l’étranger. Les flux d’IDE à destination des pays développés sont tombés à leur niveau le plus bas depuis 2004, enregistrant un repli de 27 %. L’Europe voit ses flux entrants diminuer de 50 % pour s’établir à moins de 200 milliards de dollars, là où les États-Unis amortissent la chute à 9 %, soit 252 milliards de dollars.
Souveraineté économique : une Afrique dépendante mais en résistance
- La souveraineté, un objectif poursuivi depuis les mouvements de libération nationale
Comme le souligne Nkrumah, l’essence du néocolonialisme est que l’État qui y est soumis est, en théorie, indépendant et possède tous les attributs extérieurs de la souveraineté internationale. La vérité est que le système économique de l’Afrique et sa politique continuent d’être dirigés de l’extérieur, par l’intermédiaire d’institutions clés comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM), l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Forum économique mondial, entre autres. Il convient de noter qu’en grande partie, la politique et les orientations économiques de l’Afrique continuent d’être déterminées par des puissances extérieures, un certain nombre de ses politiques économiques étant prescrites par ces institutions qui ont également leur déclinaison africaine. Ces politiques comprennent, entre autres, les PAS (politiques de stabilisation du FMI et ajustement structurel de la BM), les partenariats public-privé (PPP) et le commerce numérique tel que régi par l’OMC.
Il existe des preuves documentées selon lesquelles les Programmes d’ajustement structurel avaient lamentablement échoué en Afrique
Ces prescriptions n’ont pas fonctionné et ne fonctionneront pas pour la quête d’une économie souveraine dans ses structures et ses moteurs. Par exemple, il existe des preuves documentées selon lesquelles les PAS avaient lamentablement échoué en Afrique, ne parvenant pas à réaliser une croissance économique inclusive. Dans certains cas, ils se sont soldés par l’augmentation des déficits internes (budget de l’État) et externes (solde extérieur) et un renforcement des inégalités et des vulnérabilités.
Indéniablement, la persistance de la dépendance vis-à-vis des produits de base en Afrique n’est pas seulement le résultat d’un manque d’efforts de la part des gouvernements pour remédier à la situation, mais le fait que les approches alternatives et endogènes de développement n’ont, jusqu’à présent, pas réussi à résoudre ses problèmes structurels. Les PAS ont affaibli la capacité des États africains à concevoir et à appliquer des politiques publiques appropriées ayant comme visée de modifier la structure de leurs économies et d’accélérer la réalisation des objectifs de développement social.
La même analyse peut être faite concernant les PPP, imposés par la Banque mondiale et largement adoptés en Afrique, et qui ont entraîné des difficultés budgétaires, une escalade des coûts des biens et services, des risques financiers biaisés du côté gouvernemental dans de nombreux pays africains.
L’orientation de la politique économique de l’Afrique a conduit à une érosion de sa souveraineté économique
Par conséquent, l’orientation de la politique économique de l’Afrique a conduit à une érosion de sa souveraineté économique. En effet, les accords sur des questions de politique économique comme le commerce, la fiscalité et la finance, l’investissement et la dette sont traités par les institutions susmentionnées. La rupture préconisée ici est ce que Thomas Sankara a qualifié de reconquête intelligemment gérée de l’Afrique.
En Afrique, avant et après l’indépendance immédiate, les politiques et stratégies de développement ont été inspirées par des politiques libérales élaborées en dehors du continent auxquelles tentent de s’opposer des alternatives intérieures. Six décennies après l’indépendance politique, la région africaine est plus que jamais dépendante du monde extérieur sur le plan économique en ce qui concerne la main-d’œuvre qualifiée, les ressources entrepreneuriales, les biens d’équipement et les services, et même la nourriture.
Ce qui est encore plus fondamental, c’est le fait qu’à bien des égards, l’Afrique est beaucoup plus dépendante du monde extérieur pour ses idées sur la signification opérationnelle du développement socioéconomique et sur la manière dont il devrait être réalisé. Le consensus de Washington, qui prône la libéralisation, la privatisation et la déréglementation, a introduit l’idéologie néolibérale, portée par les institutions de Bretton Woods. Depuis le début des années 1980, cette idéologie s’est accaparée de la réflexion sur le développement qui imprègne toutes les politiques et actions sociales en Afrique et dans le Sud. Il en a résulté une diminution du rôle de l’État, une large libéralisation des économies et l’ascension du secteur privé dans le discours sur le développement. En Afrique, cela s’est traduit par une désindustrialisation du fait de l’ouverture massive des économies, qui a conduit à l’importation de produits bon marché sur le marché local, et le retrait de l’État du marché qui a encore conduit à creuser les inégalités de revenus.
En général, l’idéologie néolibérale a été désastreuse et a conduit à une augmentation des niveaux de pauvreté en Afrique. Une première étape de libération du libéralisme est de sortir de l’économisme absolue et de considérer l’Afrique comme une mise en lumière des opportunités de réinvention du monde sur des bases qui rétablissent des valeurs humaines, empathiques et conviviales. Le RASA postule que « le développement dans sa dimension économique ne saurait s’amorcer sans insister sur l’importante articulation à trouver avec le capital relationnel, qui est une des focales par lesquelles nous devons penser l’informel dans les dynamiques productives africaines et l’urgente nécessité d’augmenter la production et la diffusion des savoirs intrinsèques à l’Afrique.
En avançant une telle thèse, l’on plaide pour la construction de nouveaux paradigmes, la valorisation des savoirs endogènes, l’élaboration d’un nouvel appareillage méthodologique et la rupture avec la linéarité qui enferme le continent dans un même carcan conceptuel et idéologique à savoir le libéralisme économique. Par conséquent, la « nouvelle » science économique doit avoir comme mission de produire une pensée systématique avec ces propres concepts et modèles théoriques qui donneront une valeur académique et scientifique à ces pratiques autres que celles que leur réserve actuellement la littérature ».
- La coopération Chine-Afrique : entre promesses et réalités, où en sont les économies africaines ?
L’Afrique est la cible des nouvelles économies émergentes dont les appétits sont de plus en plus aiguisés par les gisements miniers, pétroliers et gaziers. La coopération avec l’occident n’a finalement pas donné les résultats escomptés et continue de confiner l’Afrique dans un rôle de réservoir de matières premières et de déversoir de produits finis. L’arrivée de la Chine peut-elle changer la donne ? Quand on sait que les importations africaines de la Chine sont constituées à 70 % d’énergie et que ses exportations de produits manufacturés vers l’Afrique se révèlent de plus en plus néfastes à la perspective de l’industrialisation du continent. Cette configuration de coopération ne risque-telle pas de maintenir l’Afrique dans des termes d’échanges détériorés ? L’Afrique est-elle condamnée à rester dans un rôle de réservoir de matières premières et de débouchés pour l’hégémonie industrielle chinoise ? En tout état de cause, la prise de conscience de ces risques multiples gagne de plus en plus de terrain chez certains leaders et intellectuels africains, ainsi que dans une grande partie des masses populaires.
La grogne monte sur les stagnations liées à la dépendance monétaire et l’insignifiance du commerce intra africain. Cette prise de conscience a insufflé les nouvelles velléités d’intégration au travers de la ZLECA et du nouvel agenda d’autonomie monétaire, impulsé par les discussions sur la sortie de la zone franc des pays de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). Toutefois, les alternatives de coopération proposées par la Chine, quelque défavorables qu’elles puissent paraître, sont une base de renforcement du pouvoir de renégociation des liens de coopération avec l’Occident. L’Afrique dispose dorénavant d’atouts importants pour amorcer ces alternatives. Ses richesses humaines, foncières et naturelles ainsi que la diversité des options de coopération qu’elles ouvrent, combinées avec une prise de conscience de plus en plus perceptible chez les élites et les masses populaires, offrent un cadre approprié devant permettre de remodeler positivement ses liens avec ses partenaires commerciaux et notamment la Chine. L’hypothèse de départ est qu’il ne peut y avoir de partenariat ou de coopération entre pays sans accepter des concessions sur leur souveraineté, surtout avec les dynamiques actuelles d’intégration régionale et sous régionale. De même qu’il faut reconnaître que tout partenariat (ou coopération) entre États souverains repose sur la volonté mutuelle de tirer un avantage net. Un partenariat suscite, en effet, un coût d’opportunité que ses avantages doivent plus que combler, c’est pourquoi, il convient de parler d’avantages nets. Dans le même temps, il est impossible pour un État ou un groupe d’États de conclure un partenariat sans risques. Quelle que soit la bonne volonté qui sous-tend un accord de coopération entre États, les réalités du Commerce international sont telles qu’une des parties peut se retrouver sans avantages significatifs.
La Chine n’a pas raté la vague de l’émergence économique dont la première phase a concerné ses voisins : Singapour, Corée du Sud, Taïwan, Malaisie, etc. qui ont suivi le Japon comme dans un mouvement de « vol d’oies sauvages » dans les années 1960 et 1970. Dès la fin des années 1990, la Chine commence à enregistrer les retombées d’une stratégie économique féconde, instaurée suivant les préceptes du socialisme de marché orchestrée par Deng Xiao Ping à partir de 1979. Le changement de politique d’appel des investissements directs étrangers décidée par Deng Xiaoping en 1992 a provoqué une accélération immédiate de la croissance des investissements directs étrangers. Puissance exportatrice majeure, la Chine aspirait naturellement à entrer à l’OMC. Devenir membre de l’organisation chargée de promouvoir un désarmement douanier ordonné lui ouvrait plus grands les marchés du monde riche, notamment celui des États-Unis. En contrepartie, elle devait obéir à une injonction de réciprocité et abaisser à son tour ses tarifs aux frontières, afin d’être plus perméable aux produits des autres. Pékin y voyait l’aboutissement des réformes entreprises par Deng Xiaoping à la fin des années 1970. L’Oie géante a continué son envol dans les années 2000 avec des taux de croissance économique à deux chiffres (14 % de croissance industrielle en 2009) qui lui ont permis de dégager des excédents de réserves de change, principale source d’emprunts à court terme pour plusieurs pays développés dont les ÉtatsUnis. Ces mêmes excédents, combinés à une expertise locale « pointue » dans le domaine technologique et du génie civil, constituent le socle à partir duquel la Chine développe sa coopération avec les États africains.
La Chine est en passe de réussir son insertion dans la coopération en Afrique, en suivant de manière révolutionnaire les pas du Japon et des occidentaux. La plus que cinquantenaire coopération inféconde des africains avec l’Occident argumente en faveur des alternatives offertes par la Chine. Au Sénégal, malgré leurs 40 % d’apports dans les Investissements Directs Étrangers (IDE) et leurs 20 % de parts dans les créations de valeur ajoutée dans le pays, la France qui est le premier partenaire étranger n’impacte pas de manière perceptible l’économie. Cette situation est similaire dans tous les pays de la zone franc CFA.
L’aide chinoise ne se positionne pas dans la poursuite de l’application des conditionnalités de démocratie et de bonne gouvernance qui encadraient l’aide publique au développement
La nouveauté dans la coopération Chine/Afrique peut être résumée dans le slogan « win-win » (gagnant-gagnant) qui, même s’il ne s’est pas encore réellement traduit au niveau empirique, est un argument qui incite les Africains à tenter l’alternative. L’aide chinoise n’est pas accompagnée des reproches paternalistes et infantilisants comme on les a connus naguère avec les « partenaires au développement ». Elle ne se positionne pas dans la poursuite de l’application des conditionnalités de démocratie et de bonne gouvernance qui encadraient l’aide publique au développement. Le renouveau est déjà palpable sur la limpidité des objectifs des Chinois et les retombées en termes d’échanges. La Chine entend peaufiner ses voies commerciales et sécuriser son approvisionnement en pétrole qui provient à plus de 30 % des pays africains. Dans cette perspective, il existe une stratégie globale chinoise dépendante de la puissance publique mais également une multiplicité d’actions « du bas » qui dépendent des acteurs privés mais sont favorisées par l’État.
La coopération avec la Chine et les autres nouveaux venus comme la Turquie, posent de plus en plus le même problème de faiblesse des États africains vis-à-vis des détenteurs de capitaux et d’obstacles à l’industrialisation de l’Afrique. Le Maroc a élargi son système bancaire un peu partout en Afrique subsaharienne, où son secteur privé s’appuie sur ce confortable réseau financier pour accaparer une bonne partie des marchés publics au détriment des entreprises locales. Au Sénégal, les marocains ont gagné pas mal de marchés publics dont celui de la citée de l’émergence en 2014, et ses investisseurs ont récupéré une bonne partie de la filière avicole (production de 500 000 poussins par semaine par l’entreprise Zallar installée à Sandiara (région de Thiès)). Mais en tant que pays voisin, le Maroc pourrait-il servir de modèle aux autres pays africains ? Qu’en sera-t-il de son hypothétique adhésion à la Communauté Économique États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ? Au sud du Sénégal, les filières de l’anacarde sont largement exploitées par des américains et des indiens. La Turquie accompagne son secteur privé de fonds suffisants leur permettant d’être à la fois présents sur les marchés publics (finition puis exploitation du nouvel aéroport de Diass) et sur les IDE. Elle a exprimé son vœu de porter ses exportations vers le Sénégal de 4 millions d’Euro en 2017 à plus de 400 millions d’euros à l’horizon 2021. La coopération chinoise en Afrique porte les mêmes germes du syndrome des incidences mitigées connues jusqu’à maintenant avec les pays occidentaux. Une radioscopie plus précise des échanges de la Chine avec l’Afrique montre que 70 % des importations chinoises proviennent de quatre pays seulement (Angola, Afrique du Sud, Soudan et Congo Brazzaville). Les exportations africaines en destination de la Chine sont composées à 70 % de pétrole et à 15 % de minéraux, tandis que la Chine exporte vers l’Afrique pour 90 % de produits manufacturés, dont des textiles, chaussures, appareils électroniques, bicyclettes, motocyclettes, équipements divers, etc.
Les exportations africaines en destination de la Chine sont composées à 70 % de pétrole et à 15 % de minéraux, tandis que la Chine exporte vers l’Afrique pour 90 % de produits manufacturés
Dès lors, la structure des échanges et des investissements chinois, dirigés essentiellement vers les secteurs minier et pétrolier et la géographie de l’aide de la Chine, concentrée dans quelques pays exportateurs de matières premières et de pétrole, confirment l’appétence de l’empire du milieu pour les ressources naturelles africaines. Ce constat contribue à accréditer l’idée que la Chine est venue en Afrique pour siphonner ses ressources naturelles, au mépris de sa stabilité, comme le laisse également penser le soutien de Pékin au Soudan et au Zimbabwe, notamment avec des ventes d’armes au gouvernement soudanais en pleine crise du Darfour et la livraison d’avions de chasse au Zimbabwe.
- Souveraineté monétaire : un levier indépassable
La pandémie à coronavirus a mis en évidence l’importance de la souveraineté monétaire. Alors que les pays du Nord ont tout de suite procédé à des politiques monétaires et budgétaires expansives afin d’atténuer les effets récessifs prononcés de ce choc imprévu, les pays du Sud ont pour la plupart eu moins de marge de manœuvre. Devant des recettes fiscales et d’exportation déclinantes, ils se sont retournés vers le Fonds Monétaire International (FMI) pour des prêts d’urgence et sollicité des annulations voire des moratoires sur leur dette souveraine extérieure. Cette pandémie survient à un moment où la question de la souveraineté monétaire est d’une actualité brûlante au vu des enjeux des débats sur l’opportunité de l’abandon du franc CFA et son remplacement par l’ECO.
Sur un plan théorique, la plupart des recherches montrent que si les bénéfices d’une monnaie unique sont potentiellement importants entre les pays ouest africains (en particulier en termes de commerce régional et de performance macroéconomique), les coûts n’en demeurent pas moins importants. En effet, les analyses montrent que la divergence des chocs est si importante entre les économies ouest africaines que les coûts d’une union monétaire au niveau de la CEDEAO risqueraient d’être plus importants que les bénéfices attendus. En particulier, le fait que les pays de l’UEMOA soient importateurs nets de pétrole, alors que le Nigeria, véritable géant économique de la zone, soit plutôt exportateur net de pétrole, rend a priori difficile la mise en place d’une politique monétaire commune à l’espace CEDEAO, dans la mesure où les pays de l’UEMOA et le Nigeria ne sont presque jamais dans la même phase du cycle économique lors de la survenance d’un choc d’offre (par exemple la hausse ou la baisse du prix du pétrole). Une politique monétaire commune à des pays en opposition de phase dans le cycle économique ne peut être optimale et induirait tôt ou tard la tentation pour certains pays de récupérer leur souveraineté monétaire afin de faire face aux défis spécifiques de leurs économies respectives.
Sur la base des critères qui fondent l’optimalité d’une zone monétaire, il ne fait guère de doute que l’UEMOA n’en est pas une. En effet, les études empiriques montrent qu’il n’y a pas eu d’augmentation du caractère symétrique des chocs (faible corrélation des chocs liés aux termes de l’échange). Ceci s’explique notamment par la forte spécialisation des pays dans la production et surtout l’exportation de quelques matières premières, ce qui exclut une complémentarité entre eux. En outre, il existe une forte hétérogénéité des structures économiques dans une zone où trois types d’économie coexistent : des économies sahéliennes fortement dépendantes des aléas climatiques (Burkina, Mali, Niger), des économies relativement industrialisées et à forte dominance des activités de services (Côte d’Ivoire, Sénégal) et enfin des économies côtières dont la dynamique est clairement tirée par le commerce d’import-export (Bénin, Togo). Pour ce qui concerne le critère relatif à la mobilité de la main d’œuvre, cette dernière est restée très faible en dépit de l’existence du Traité de l’UEMOA qui prévoit dans son article 4, la libre circulation et le droit d’établissement des personnes exerçant une activité indépendante ou salariée. Les mouvements migratoires semblent être plus liés aux déterminants historiques et culturels qu’aux ajustements économiques. De plus, les difficultés qu’a connues la Côte d’Ivoire à la fin des années 2000, pays le plus important de l’Union sur le plan économique, n’ont pas facilité les migrations de travailleurs en direction de ce pays, dans un contexte de regain nationaliste illustré par les controverses autour de la notion « d’ivoirité ».
Enfin, la faible flexibilité des prix relatifs dans des économies structurellement oligopolistiques, le bas niveau du taux d’épargne couplé à la faible profondeur du marché financier régional, réduisant les transferts intra -communautaires au plan microéconomique et la faiblesse des fonds structurels empêchant la mise en place de politiques d’envergure macroéconomique et sectorielle de convergence des pôles régionaux, ont entretenu l’immobilisme du point de vue de la transformation de l’UEMOA en une zone monétaire optimale. De plus, le commerce intra régional est resté faible, du fait notamment de la structure extravertie des économies (priorité à l’exportation vers les pays du Nord de matières premières agricoles et non agricoles), de l’étroitesse des marchés, des coûts de transport élevés, de la faible productivité du capital et de nombreuses entraves tarifaires et non tarifaires aux échanges.
Dans ce contexte, pourquoi la CEDEAO, qui pour une grande part, réplique les configurations économiques structurelles de l’UEMOA, réussirait à devenir une zone monétaire optimale, là où l’UEMOA a échoué ?
La dimension culturelle : enraciner les souverainetés pour culturaliser le panafricanisme économique
- Les PAS ou l’échec des modèles « aculturels » de développement
Les décennies 1980 et 1990, considérées catastrophiques pour l’Afrique du point de vue de ses performances économiques et sociales, coïncident avec la fin de la domination du keynésianisme en Occident, supplantée par un renouveau agressif d’une forme extrême de libéralisme désignée « néolibéralisme » par le sociologue Pierre Bourdieu. En poussant toujours plus loin la logique du moins d’État, l’influence de l’école de Chicago et de l’économiste Milton Friedman, soutenu par les leaders politiques très engagés que furent le président américain Ronald Reagan et le premier ministre britannique Margaret Thatcher, le « néolibéralisme » explique en grande partie les politiques économiques menées dans les pays en développement après les Trente Glorieuses (1945-1975). Les PAS ont imposé une régulation ultralibérale et aculturelle (occidentalocentrée) des économies africaines avec des résultats déprimants dont le coût social n’est probablement pas encore soldé. Les effets néfastes des baisses de dépenses publiques dans les secteurs sociaux tels que la santé, l’éducation et la formation des élites africaines ont été analysés et documentés par nombre d’universitaires africains.
- Les coûts économiques de l’aliénation culturelle
Résultat de l’axiomatique économique du 19ème siècle privilégiant un aspect mathématisé du langage économique d’une part, et du discours eurocentrique originel de la discipline d’autre part, la culture, non européenne singulièrement, a été marginalisée ou neutralisée par l’école néoclassique. Cette omission originaire, poursuivie par la majeure partie des économistes africains, par colonialité épistémique ou par académisme, a exposé les sciences économiques à des apories persistantes. Le recours aux valeurs, aux traditions, à la culture, aux institutions dans lesquelles s’« encastrent » l’économique a été nécessaire pour rendre compte de la grande variété des capitalismes en pleine affirmation (Europe du Nord, Asie). Ainsi le confucianisme a-t-il pu jouer comme un équivalent fonctionnel du protestantisme dans la perspective wébérienne du capitalisme. De même en Europe, les valeurs scandinaves sont-elles mises en contraste avec le modèle méditerranéen très distinct au sud de l’Europe. L’approche d’une diversité des capitalismes implique donc nécessairement l’objectivation des facteurs culturels agissant dans les économies.
L’expérience probante du développement économique rapide d’un certain nombre de pays d’Asie du sud-est ayant mis à profit leur histoire, leur contexte géopolitique, leurs référents culturels (religions, traditions matérielles, langues…), et l’édification de leurs sociétés politiques, a permis d’affiner l’identification des caractères idiosyncrasiques des capitalismes. L’analyse de la réussite des firmes japonaises dans les années 1980 -toyotisme-, a montré l’incidence significative des valeurs de la société nipponne et une dimension tacite des avantages concurrentiels des firmes comme facteurs explicatifs d’une conquête industrielle extraordinaire. Les apories du caractère aculturel des modèles libéraux de développement en arrière-plan des PAS, ont réduit la capacité inhérente à ces modèles, à comprendre les ressorts internes de la dynamique des économies locales africaines. Ces élaborations théoriques et politiques ont oblitéré le potentiel culturel de lutte contre la pauvreté, de transformation dont des sociétés plus profondément décolonisées en structures économiques et en savoirs (Asie), ont su bénéficier. Le surgissement de l’économie dite informelle, la faible corrélation entre une croissance tirée par les produits de base et une réduction significative de la pauvreté par ailleurs multidimensionnelle, trouvent une partie de leur explication dans la méconnaissance des métiers et savoir-faire endogènes. Comparativement la Chine ou l’Inde avant de devenir des puissances industrielles globales, réalisaient au début des années 1980 autour d’un cinquième de leurs exportations en produits artisanaux intensifs en métiers traditionnels.
Les coûts infinis d’une certaine aliénation culturelle s’approximent en partie à travers la valeur sur les marchés occidentaux des œuvres d’art africaines souvent pillées, comme le «Ngil» fang gabonais vendu en 2006 à 5,9 millions d’euros, ainsi qu’une statue de « chasseur Tshokwe » d’Angola vendue à 3,7 millions d’euros et une statue « deble » Senoufo de Côte d’Ivoire vendue aux enchères à 2,9 millions d’euros. En 1990 c’est une statue de la « Reine Bangwa » pillée par les Allemands qui avait battu un record de vente à 2,7 millions d’euros. Malgré une évocation dans l’agenda 2063 de l’Union Africaine, ces ressources échappent aux budgets des États africains dont la réaction en termes de politiques de restitution à ce jour paraît encore, globalement, en deçà des enjeux.
Souveraineté numérique : quels enjeux pour l’Afrique ?
- La souveraineté numérique, une question posée en Afrique dès les débuts de l’Internet
En Afrique, la problématique de la souveraineté numérique s’est posée dès l‘arrivée d’Internet notamment la question de la gestion des noms de domaine de premier niveau nationaux, plus connus sous l’appellation anglaise de Country Code Top Level Domains ou ccTLD. En effet, l’application de la règle du « premier arrivé, premier servi » par l’Internet Assigned Numbers Authority (IANA), autorité en charge de la gestion de l’adressage sur Internet, eut pour conséquence, dans un certain nombre de pays africains, que le nom de domaine national soit déclaré par des personnes, physiques ou morales, étrangères au pays concerné. Dès lors, elles devinrent, de facto, propriétaires de ces noms de domaines et furent par conséquent les seules habilitées à les attribuer et à les commercialiser. Dans certains pays d’Afrique francophone, la création de structures nationales de gestion du ccTLD fut encouragée par l’Office de la recherche scientifique et technique outremer (ORSTOM) dans le cadre du déploiement de son Réseau intertropical d’ordinateurs (RIO). C’est ainsi que dès 1993, des enseignants de l’École nationale supérieure universitaire de technologie (ENSUT) mirent sur pieds le NIC Sénégal, structure en charge de la gestion du nom de domaine « .sn ». Par contre, des pays d’Afrique centrale comme le Burundi, le Congo, la RDC et le Rwanda, dont les ccTLD avaient été déclarés au milieu des années 1990 par la société Interpoint SARL, n’ont pu recouvrer leur souveraineté en matière de gestion de leur nom de domaine qu’après de longues et difficiles batailles.
- La sécurité informatique et la sécurité nationale en question
En Afrique, la question de la sécurité informatique, entendue au sens large, a toujours été traitée en parent pauvre. Les réseaux et systèmes informatiques de l’État comme des entreprises sont généralement mal sécurisés, voire pas sécurisés. Ainsi, les responsables et agents de l’État, notamment ceux travaillant dans les ministères de souveraineté, ont rarement à leur disposition des systèmes de messagerie sécurisés. Même lorsqu’il existe des systèmes de messagerie institutionnelle, la grande majorité des agents publics, et ce quel que soit leur niveau de responsabilité, utilise le plus fréquemment des services de messagerie gratuits fournis par des firmes étrangères (Google, Yahoo, Outlook, Facebook, WhatsApp, etc.) dans le cadre de leurs activités professionnelles. Du côté des applications informatiques, qu’il s’agisse des individus, des entreprises, des associations ou même des administrations publiques, le piratage des logiciels est une pratique largement répandue pour éviter de s’acquitter des frais de licence liés à l’utilisation des logiciels propriétaires. Or, une étude menée par le fabricant d’anti-virus AVG a montré que plus de 90 % des jeux piratés ou crackés étaient infectés par des logiciels malveillants présentant un danger pour le fonctionnement de l’ordinateur et/ou l’intégrité des données stockées. Cependant, en matière de sécurité, l’aspect le plus inquiétant reste la vulnérabilité des systèmes informatiques qui font régulièrement l’objet d’intrusions d’origine interne comme externe. Compte tenu de la sensibilité de la question, nombre de ces attaques ne sont pas rendues publiques, sont traitées de manière confidentielle en relation avec les services de sécurité ou sont carrément tues pour ne pas porter atteinte à la crédibilité des structures piratées. Toujours est-il que la lecture de la presse quotidienne met en évidence le caractère récurrent des délits liés à la cybercriminalité avec la prolifération des « brouteurs » et autres « Yahoo boys ». Pire, au fil des années nous avons assisté à une mutation de la menace qui est passée de la cyberescroquerie ciblant principalement les personnes physiques et reposant essentiellement sur l’arnaque aux sentiments, le chantage à la vidéo, les faux visas, les fausses offres d’emploi et de bourses d’études, le piratage de la messagerie électronique, etc. à une cyberescroquerie visant les personnes morales, qu’elles soient publiques ou privées, avec l’utilisation de ransomware, le vol massif de données à caractère personnel et/ou professionnel ainsi que l’intrusion dans les systèmes informatiques des entreprises privées afin de leur subtiliser de grosses sommes d’argent . L’importance croissante de ce phénomène impacte négativement la confiance numérique et plus particulièrement le développement de l’économie numérique.
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