Groupe d’études et de recherches Genre et Sociétés de l’université Gaston Berger de Saint-Louis
Septembre 2015
Lien vers le document original
La prévention comme alternative aux périls de sécurité et de justice
Au Sénégal, à l’image de la plupart des pays, la problématique des violences basées sur le genre (VBG), a été confinée dans la sphère domestique, où l’État et les pouvoirs n’interviennent que s’il y a « troubles à l’ordre public ». Une évolution positive est à noter cependant dans la mesure où les VBG sont désormais depuis 2012, posées et considérées comme un problème de société.
Cependant, malgré ces efforts consentis ces dernières années en termes de lutte pour l’éradication des VBG, les femmes subissent encore les actes de violence de natures et de formes diverses et de façons systématiques et récurrentes.
Aussi peu de connaissances sont disponibles pour le cas du Sénégal sur les stratégies de recours des victimes pour correction et réparation en dépit de l’activisme soutenue des associations et mouvements de femmes à trouver des solutions durables aux VBG.
Les conséquences de la violence sont très lourdes sur le plan humain, social, sanitaire et économique, tant pour les femmes qui la subissent que pour l’ensemble de la société.
Les VBG concernent essentiellement les femmes et résultent de l’asymétrie des rapports de pouvoir selon le genre, l’appartenance de classe, la résidence urbaine ou rurale. Dès lors toute lutte contre les VBG doit se baser sur une approche préventive utilisant les médias et les technologies de l’information et de la communication afin de les rendre public, avec la mise en place d’un système de veille, d’alerte et de suivi par les TIC dans une perspective de reddition des comptes des pouvoirs publics.
Constat
Le taux de prévalence des violences basées sur le genre dans les ménages sénégalais est de 55,3%. La répartition se présente comme suit :
Diourbel
|
72,3% | Thiès | 53,8% |
Fatick
|
67,5% | Kaffrine | 53% |
Ziguinchor
|
66% | Saint Louis | 41,1% |
Tambacounda
|
60,8% | Louga | 38% |
Kédougou
|
55% | Matam | 36,3%
|
Sédhiou
|
60% | Dakar | 52,5% |
Kolda
|
54% | Kaolack | 54% |
Les principaux auteurs sont des hommes soit 55% de la population étudiée.
50% des victimes de VBG sont âgées de 20 à 40 ans et 32,7% sont âgées de 40 à 60 ans.
L’espace domestique est un lieu où s’exercent différentes formes de VBG. Les formes de violences fréquemment observées au sein de l’espace domestique sont : verbales (46,5%), physiques (27,6%) et psychologiques (12,5%).
En milieu de formation le taux de prévalence des VBG est de 29,6%. Elles se répartissent comme suit dans les différents établissements :
Universités (42,8%), lycées (41,8%) et instituts privés de formation (15,4%).
L’absence ou la méconnaissance des structures de prise en charge des VBG dans les lieux de formation est notoire : 50,8% des étudiants et 30,08 % des élèves.
Les auteurs des VBG en milieu professionnel entretiennent à plus de 50% des cas des rapports hiérarchiques directs avec leurs victimes et sont dans 89% des cas des hommes
En milieu professionnel, les formes de violences subies sont d’ordre psychologique (35,5%), économique (27,5%), physique (9,7%) et sexuel (6,5%). Aussi, remarque-t-on des cas non classables parmi les modalités prédéfinies (16% chez les femmes) tels que les « altercations », « manque de prise en charge », « langages abusifs » et « humiliations sournoises ». La forme de violence la plus subie dans ce milieu par les femmes est la violence psychologique (50%).
Par ailleurs, 16,7% des femmes sont victimes de violences sexuelles au travail.
Les auteurs des VBG en milieu professionnel entretiennent à plus de 50% des cas des rapports hiérarchiques directes avec leurs victimes et sont dans 89% des cas des hommes.
Les réactions des auteurs présumés sont la menace (12%), le refus (15%), la demande d’excuse (42%), l’aveu (3%), l’évitement (18%) et la promesse de ne plus recommencer (9%).
En effet, le milieu de travail, loin d’être un milieu neutre caractérisé uniquement par des relations professionnelles au Sénégal, est un cadre de transposition et de reproduction de pratiques sociales ancrées qui poussent les hommes à commettre des actes de VBG contre les femmes.
L’accès au monde du travail est une opportunité pour les femmes de s’autonomiser, cette conquête de droits est souvent mal perçue par les collègues de sexe masculin qui traduisent cette frustration par des actes de violences souvent morale mais parfois physiques.
Gestion et prise en charge des violences basées sur le genre
Une analyse de la fréquence des types de VBG traitées par les institutions montre que ce sont les violences physiques et sexuelles qui sont les plus traitées, alors que les violences sociales le sont rarement. Cette situation résulte de la difficulté aussi bien pour les victimes que pour les institutions chargées d’établir les documents attestant des actes de violences de pouvoir le faire pour les autres catégories de violences qui n’ont pas une manifestation physique à priori.
Les observations et les entretiens réalisés auprès de certains acteurs institutionnels et l’analyse des documents, des rapports d’activités font ressortir trois types d’approches : la prévention (70,3%), la prise en charge (5,1%) et l’accompagnement et le suivi (24,6%).
Un croisement entre type d’institution et dispositifs de prise en charge permet de dégager trois constats:
Premièrement la gendarmerie et les ONG mettent plus en avant la prévention, respectivement (15,7%) et (12%). Autrement dit les arrestations de la police ou de la gendarmerie, en cas de violence, sont considérées comme une logique préventive par les représentants de ces structures.
Deuxièmement les tribunaux départementaux et les associations œuvrent plus dans le suivi et l’accompagnement respectivement à (20,7%) et (10,3%).
Troisièmement la prise en charge n’a été évoquée que par très peu d’institutions. Seul 5,1% des institutions enquêtées dans le cadre de cette étude travaillent dans la prise en charge des victimes. Le manque de moyens des institutions est la principale explication de ce fait. En effet, seul 8,3% des institutions peuvent fournir une assistance financière aux victimes de VBG.
Devant une telle situation, le rappel, par les institutions des engagements étatiques, au regard des droits humains et des instruments juridiques nationaux peut être une stratégie pour mettre les pouvoirs publics ainsi que la justice devant leurs responsabilités pour lutter davantage contre les VBG.
Quels enseignements ?
A quelques différences, les rôles et statuts des femmes les placent souvent dans des postures discriminantes et défavorables. Comme pour résumer la persistance des pratiques et des pesanteurs socioculturelles dans la production des VBG, un des leaders dans la lutte contre les violences faites aux femmes souligne :
« Le pilier de la violence, ce sont les inégalités sociales de genre, les stéréotypes de genre, les croyances sexistes et plus ou moins l’interprétation tendancielle de la religion. »
Les auteurs de VBG dans les ménages sont souvent impunis. Les violences physiques (27,6%) et sexuelles (2,4%) constituent les formes les plus pernicieuses du fait de leur impact sur l’intégrité des individus et des conséquences liées à la santé.
Dans les ménages, une victime sur cinq (20%) s’est résignée face aux VBG subies et se résout au silence. Face à la stigmatisation sociale, de nombreuses victimes de VBG préfèrent souffrir en silence que de les dénoncer.
Face aux VBG dans les milieux professionnels, 61% des victimes se résignent et 9% arrêtent le travail
54% des victimes accordent leur confiance aux associations locales et 90% d’entre elles estiment que leurs moyens de prévention sont efficaces.
L’ancrage social de ces structures et leurs capacités à exercer un contrôle social sur les membres de la communauté justifie leurs capacités à développer des stratégies de prévention adaptées et la confiance que leur accordent les acteurs à la base.
Face aux VBG dans les milieux professionnels, 61% des victimes se résignent et 9% arrêtent le travail. L’impunité des VBG dans les entreprises pousse les victimes à recourir faiblement aux instances internes de protection des travailleurs.
Quelles conclusions ?
Le milieu domestique est un cadre de production des violences basées sur le genre. Les VBG concernent principalement les femmes et cela dans tous les milieux. Il existe trois (3) niveaux de prise en charge : domestique, institutionnel et communautaire. La résilience face aux VBG est importante au niveau communautaire.
Le plus grand défi aujourd’hui dans la prévention des VBG et dans les réponses aux VBG est de « briser le silence
Selon le Comité national de lutte contre les VBG, la gestion de l’information au sein des ménages, semble être un obstacle pour la prise en charge des victimes d’où la pertinence d’une approche préventive des VBG.
Ainsi, le plus grand défi aujourd’hui dans la prévention des VBG et dans les réponses aux VBG est de « briser le silence ».
C’est souvent l’absence de structure formelle de prise en charge des VBG ou leur méconnaissance au niveau des communautés qui favorise pareils comportements. Face aux limites des mécanismes formels de prise en charge des VBG, les communautés développent des modalités informelles endogènes pour y faire face ce sont : la médiation sociale: (32,1%), le mutisme: (19,6%), la pression sur l’auteur (14%) et plainte (2,4%).
La médiation sociale, l’assistance (psychologique et médicale) et le dénigrement de l’auteur sont les moyens endogènes les plus utilisés pour la prise en charge des VBG.
1 Commentaire. En écrire un nouveau
J’apprécie la qualité et la clairvoyance dans le traitement de ce texte. Ce pendant, les pouvoirs publics doivent davantage augmenter les moyens de lutte contre ces VBG, même dans l’échelon le plus bas.