El Hadji Bouré Diouf
Depuis l’avènement de la deuxième alternance au Sénégal en 2012, on remarque un changement de la politique publique de sécurité intérieure du pays. En effet, le nouveau paradigme sécuritaire s’appuie sur la pluralité des interventions et leur proximité avec les personnes et les biens à protéger. Pour cela, il a été conceptualisé la « gouvernance sécuritaire de proximité ». Les trois leviers d’opérationnalisation de la « gouvernance sécuritaire de proximité » sont l’Agence d’assistance à la sécurité de proximité (ASP) ; les contrats locaux de sécurité ; les comités départementaux de prévention et de lutte contre la délinquance.
L’ASP fonctionne depuis 2013. Elle a formé et déployé sur le terrain les assistants de sécurité de proximité. L’agence a aussi initié un certain nombre de programmes d’actions visant à prévenir et lutter contre l’insécurité induite par le phénomène délinquant en milieu urbain. Au nombre de ces programmes d’actions, on note les « quartiers sûrs ». La question principale autour de laquelle est structurée notre réflexion est de voir la pertinence de l’approche « quartiers sûrs » en tant que réponse à la problématique de la violence en milieu urbain. Cette approche peut être analysée, d’une part, comme une réponse préventive à la violence et, d’autre part, comme un mécanisme de gestion des cas de violence.
La dimension « prévention de la violence » des « quartiers sûrs »
Au cœur des missions de l’ASP se trouve la vocation à assurer la sécurité de proximité des populations par une approche préventive et inclusive en rapport avec tous les acteurs concernés par la délinquance. La mise en place du « quartier sûr » est précédée par un diagnostic qui identifie les préoccupations du quartier en termes de problèmes d’insécurité. Une convention de service est signée entre l’ASP et le conseil de quartier.
Elle définit les engagements et attentes des différentes parties. Parmi les missions, droits et obligations des assistants à la sécurité de proximité (article 3), on note le fait de « dissuader les auteurs éventuels d’actes de malveillance tels que les dégradations, les vols, les agressions, l’introduction ou consommation publique de produits ou de substances nocives, etc. ».
La surveillance continue au sein des « quartiers sûrs »
Le système de sécurisation est fait à partir du maillage du quartier avec la mise en place du dispositif le plus efficace pour permettre, à tout moment, aux agents d’avoir l’œil sur ce qui se passe dans le quartier. Des guérites sont installées au niveau des intersections des routes de sorte à placer le agents dans des points stratégiques et ainsi avoir des champs de vision optimale. Chaque poste est doté́ de téléphone, d’un registre de main courante où sont consignés les différents rapports. Le quotidien des assistants de l’ASP déployés dans les « quartiers sûrs », pour ce qui est de la dimension préventive, est donc rythmé par la surveillance du matériel de travail, des rondes.
L’agence a aussi initié un certain nombre de programmes d’actions visant à prévenir et lutter contre l’insécurité induite par le phénomène délinquant en milieu urbain
Chaque agent, en fonction du secteur dont il a en charge doit faire preuve de vigilance dans son environnement immédiat, analyser les comportements et suivre des individus suspects. Il doit également surveiller les balcons, refermer les portes des maisons qui ont l’habitude d’être fermées, et interpeler directement des inconnus qui auraient un comportement suspect. On voit bien à travers ces éléments de sécurisation que le dispositif « quartier sûr » tel qu’il est mis en place peut être un élément de dissuasion de la commission d’actes de violence. Il peut même contribuer à les prévenir.
La dimension « endiguement de la violence » des « quartiers sûrs »
Il convient de préciser d’emblée que les agents à la sécurité de proximité ne sont pas assermentés, encore moins outillés pour faire du maintien de l’ordre ou faire la police. C’est la raison pour laquelle, une collaboration est notée entre ces agents et les forces de police et de gendarmerie.
De la culture du « maslaa » pour les cas les moins graves…
L’approche des assistants à la sécurité de proximité va en droite ligne de la culture sénégalaise du « maslaa » (faire preuve de tolérance) dans le règlement des différends. En effet, 78% des cas de violence sont réglés par le mécanisme de l’entente à l’amiable, selon les résultats de la recherche « Jeunes et stratégies de résilience à la violence et la criminalité en Afrique de l’Ouest ».
Il convient de préciser d’emblée que les agents à la sécurité de proximité ne sont pas assermentés, encore moins outillés pour faire du maintien de l’ordre ou faire la police
Un responsable ASP sur le terrain affirme : « […] nous, dans notre quartier, tout ce qui se passe les gars viennent m’appeler. Même à la moindre dispute, ils disent « il y a un agent qui est là, appelez-le ». Et moi, je leur dis aux jeunes lors de mes interventions : « ces bagarres n’ont pas d’utilité́. Si j’appelle la Police, ils viennent vous cueillir, pour quelle raison ? On essaie d’en discuter pour qu’ils reviennent à de meilleurs sentiments ».
A L’application d’une politique de tolérance zéro contre les agresseurs
Une politique de tolérance zéro à l’égard des agresseurs arrêtés (conduit systématiquement à la Police) est un des éléments d’explication fournis quant à la réduction des agressions. Il en va aussi de la crédibilité et de l’utilité des assistants à la sécurité de proximité. C’est ainsi que dans des cas très graves comme la détention de drogue, il y a un signalement systématique à la Police.
Il apparaît que les « quartiers sûrs » restent un système de sécurisation innovant reposant sur un partenariat avec les populations. Il s’agit de partir de l’idée selon laquelle seules les populations sont en mesure d’aiguillonner effectivement et efficacement les services de sécurité. Elles doivent donc être impliquées dans la gestion de leur propre sécurité et dans la prévention de la violence et la dénonciation des délinquants.
Cette analyse ne consistait pas à faire une évaluation de ce nouveau dispositif. En effet, l’évaluation d’impact demande des moyens et du temps. Au niveau de l’Agence d’assistance à la sécurité de proximité par contre, une évaluation de la première génération des « quartiers sûrs » est en cours de préparation. Cette bonne volonté des acteurs impliqués dans la mise en place des « quartiers sûrs » ne doit cependant pas nous éloigner de la nécessité d’être extrêmement vigilant et encadrer le processus pour éviter le risque de délation, c’est-à-dire les dénonciations arbitraires et calomnieuses. Le contrôle des agents sur le terrain doit aussi être renforcé.
Il apparaît que les « quartiers sûrs » restent un système de sécurisation innovant reposant sur un partenariat avec les populations
L’esprit des « quartiers sûrs » reste cependant pertinent d’autant plus que les résultats de la recherche « Jeunes et stratégies de résilience à la violence et la criminalité en Afrique de l’Ouest » montrent la nécessité de développer une approche transversale (multisectorielle) de la sécurité. Ce genre de dispositif permet aussi d’expliquer qu’une grande ville comme Dakar soit plus résiliente comparée aux villes secondaires et aux autres petites villes et que les jeunes qui y résident ont plus de chances de sortir de la violence.
Crédit photo : teranganews.sn
El Hadji Bouré Diouf est doctorant en Science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Il est spécialisé́ en analyse des politiques publiques de sécurité intérieure. Il est rattaché au laboratoire Carrefour d’études et de recherches-action pour le développement et la démocratie (CERADD). Il est aussi assistant de recherche au niveau du réseau Afrobaromètre au Sénégal.