Auteur : Pierre-Jean Loiret
Site de publication : Cairn Info
Type de publication : Article
Date de publication : 2014
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Introduction et méthodologie
L’Université virtuelle africaine (UVA) est officiellement présentée dans la partie anglophone de l’Afrique en février 1997, à Addis-Ababa (Ethiopie) et en avril de la même année à Dakar (Sénégal) pour la partie francophone. À l’époque, l’ensemble du projet a été conçu et est géré depuis la division UVA de la Banque mondiale à Washington. L’Université virtuelle africaine est le projet le plus ambitieux mis en œuvre en Afrique sub-saharienne en matière de formation à distance utilisant les nouvelles technologies. Il vise à la fois l’Afrique sub-saharienne anglophone et francophone. Son objectif affiché est de « combler les lacunes existant en Afrique sub-saharienne dans le domaine du savoir (et) permettre de créer la masse critique de cadres nécessaire au décollage économique ».
Concept et contexte de l’UVA
Une critique sans concession de l’Université africaine
La remise en cause du système éducatif africain amène une conclusion qui prend la forme d’une sentence définitive : « La qualité de l’enseignement et des programmes de cours ne sont donc pas au niveau requis pour pouvoir former les cadres compétents dont l’Afrique a besoin »
La seule alternative présentée est la création de l’UVA qui sera « la première tentative d’utiliser, sur une grande échelle, la puissance des technologies de l’information modernes afin d’augmenter l’accès aux ressources éducatives qui sont désespérément nécessaires en Afrique sub-saharienne. L’UVA offrira des diplômes en sciences, technologie et dans le domaine médical ; des formations non certifiantes et des séminaires, des programmes de formation continue et les services d’une bibliothèque électronique » (Banque Mondiale-Infodev, 1996, p. 2). Nous le verrons, en 10 ans l’UVA n’a jamais proposé que trois diplômes (deux australiens et un canadien francophone en informatique) et aucun cours en médecine n’a vu le jour.
La conclusion de ce qui ressemble beaucoup à un réquisitoire contre la situation de l’université africaine n’est en aucun cas la consolidation de cette dernière, l’augmentation de ses moyens et de ses capacités, la nécessité de pouvoir former et faire travailler de nouveaux enseignants et chercheurs. Le renforcement des universités traditionnelles, la modernisation de leurs laboratoires, des dotations pour leurs bibliothèques, ne sont jamais considérées comme solutions de sortie de crise.
L’influence des politiques de la Banque mondiale
L’UVA naît à la fin des années 1990 quand les Etats occidentaux se désengagent du continent africain et confient à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international principalement, le soin de mettre en œuvre une politique destinée à intégrer l’Afrique dans un processus de globalisation de l’économie.
Dans le même temps, l’explosion démographique de l’Afrique sub-saharienne provoque une augmentation considérable des effectifs à l’université. Des indépendances au milieu des années 1990, le nombre d’étudiants du supérieur est multiplié par 20.
L’UVA entend faire la preuve que : « le recours à l’autofinancement est un principe essentiel et que, là où les étudiants payent pour leur éducation, ils prennent les choses au sérieux […] l’éducation est un investissement rentable et, à ce titre, chaque individu devrait être prêt à payer pour son éducation » (Banque mondiale-ULB, 1997, § 10, 26). Cette conception américaine de l’éducation, ce souhait d’un nouveau modèle d’organisation, se retrouve dans la critique du modèle européen sur lequel l’université africaine s’est construite.
Les politiques d’ajustement structurel qui consistent à laisser faire le marché et à baisser les budgets sociaux « non productifs » comme l’éducation laissent les universités exsangues. En témoigne ce discours d’une ministre Gambienne de l’Education à la tribune de l’ONU en 2002 : « Les gouvernements africains ont été obligés de se dépouiller de leur enseignement supérieur. Pour obtenir une aide de la Banque mondiale, les pays africains devaient détourner les ressources de l’enseignement supérieur vers l’éducation de base […] Certains de nos meilleurs établissements ont été quasiment détruits à cause de mauvaises politiques imposées par des partenaires qui sont d’abord venus vers nous en disant qu’ils allaient nous aider. Tout ce que nous avons reçu d’eux était un baiser de la mort ».
Une start up comme une autre
Ce qui distinguera l’UVA des établissements d’enseignement supérieur existants, sera son organisation matérielle et financière, sa philosophie, sa gamme de produits et de services et sa stratégie de commercialisation et de distribution. Mais ce qui lui confèrera fondamentalement son caractère unique et constituera son atout essentiel sera sa capacité à s’adapter aux demandes du marché.
A son lancement, elle entendait faire la preuve que son seul modèle économique devait reposer sur le « recouvrement des coûts », mais n’a jamais réussi à s’autofinancer et dépend toujours de fonds publics malgré la preuve contraire qu’elle était censée administrer. Les trois ans de phase initiale devaient permettre à la structure de couvrir l’ensemble de ses frais. L’échec de ces prévisions est sans doute la raison essentielle du départ de fondateur du projet de la direction de l’UVA.
Dans son texte fondateur l’UVA reconnaissait qu’elle rencontrerait des problèmes. D’abord, le manque d’enseignants qualifiés. Deuxième problème par avance diagnostiqué : « la question de l’homologation de cette université virtuelle constitue un problème complexe ».
Evolution chronologique
1997-1999
La Banque Mondiale approuve, en janvier 1997, six dons de 200 000 US$ chacun pour permettre aux six premiers pays anglophones (Ethiopie, Ghana, Kenya, Ouganda, Tanzanie, Zimbabwe) participant à la phase pilote de se doter de l’infrastructure technique requise pour diffuser le programme dans chaque institution sélectionnée. Les autres implantations de l’UVA, notamment les sites francophones (Bénin, Burundi, Mauritanie, Niger, Sénégal), ne recevront pas cet argent, ce qui explique la très grande dissemblance d’équipement entre les différents centres à leur lancement.
Les premiers cours diffusés dans la partie anglophone le seront sur le campus de l’Université de Kenyatta (Nairobi, Kenya) en juillet 1997. Une salle de classe type de l’UVA accueille de 25 à 30 étudiants. Ces derniers regardent les cours retransmis en direct des Universités du Nord sur vidéo-projecteur dans les meilleurs cas, sinon sur un écran de télévision.
Si on en croit la Banque mondiale, 9 000 étudiants se sont inscrits aux programmes de l’UVA durant la phase test de 1997 à 1999. Rapportés aux plus de 13 millions de dollars investis dans les deux premières années, la participation financière annoncée des 9 000 étudiants inscrits durant cette phase, d’après l’UVA, ne pèsent pas lourd dans l’équilibre financier que le projet était censé assurer.
2000-2003
De 1999 à 2002, le nombre de centres passe de 19 à 34 (dans 17 pays) et le total d’étudiants inscrits de 9 000 à 23 ou 24 000 en juin 2001, d’après les chiffres les plus souvent communiqués par l’UVA et la Banque mondiale. Ce nombre de 23 ou 24 000 « inscrits » ou « ayant suivi les cours » restera celui officiellement cité jusqu’à la fin 2004 dans tous les textes de la Banque mondiale et de l’UVA. Il est repris, sans analyse ni remise en question, par la quasi-totalité des observateurs, universitaires comme journalistes ou bailleurs de fonds. En 2008, ces chiffres ont disparu du site de l’UVA qui n’en cite plus aucun.
En 2000, la Banque mondiale décide de donner une vitrine plus africaine à l’UVA et d’en transférer une partie des services au Kenya, à Nairobi.Cependant, l’influence de la Banque reste intacte, notamment au Conseil d’administration de l’UVA.
La conférence de presse de Nairobi en 2002 a également pour objectif d’annoncer la nomination à la direction générale de l’UVA d’une figure emblématique de la réussite africaine : Cheick Modibo Diarra, « l’astronaute malien de la NASA » ou le « navigateur interplanétaire »comme les journalistes l’avait alors surnommé. Il est aujourd’hui président directeur général de Microsoft Afrique. Si on en juge aux résultats, Diarra donne un véritable coup de fouet à l’institution. En quelques mois, même s’il bénéficie du travail et des contacts de ses prédécesseurs, il va réussir là où l’UVA avait précédemment échoué : proposer de véritables diplômes. Il finalise d’abord des accords avec la CurtinUniversity et la Royal Melbourne University en Australie dans le cadre du plan « Virtual Colombo » de la coopération australienne.
2003-2005
En 2004, l’UVA se décide à abandonner son principe de diffusion vidéo-satellitaire de cours pour proposer ses contenus pédagogiques par l’intermédiaire d’Internet. Sept ans après sa création, l’UVA découvre Internet. Le diplôme en informatique de l’Université Laval va pouvoir être proposé en Afrique francophone. A part au Burundi, les résultats des examens du premier semestre sont très mauvais dans tous les centres : moins d’une quinzaine de reçus entre le Bénin, la Mauritanie et le Niger ; neuf sur quarante-quatre, soit à peine 20 %, à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.
2005-2007
La Banque africaine de développement (BAD) annonce, en novembre 2004, qu’elle accorde un don de 7,66 millions de dollars à l’UVA.
Le don de la BAD va permettre de financer quatre types d’activités :
- la création de 10 nouveaux centres de l’UVA en Afrique de l’Est et Australe, au sein des institutions universitaires partenaires du « secteur public »,
- l’élaboration d’un programme de « 52 modules » à l’intention des enseignants du secondaire pour les former à l’usage et l’intégration des TIC dans l’enseignement,
- l’intégration de la problématique hommes-femmes dans les activités de l’UVA,
- le soutien à la gestion du projet.
En juillet 2006, la Royal Melbourne University qui délivrait l’un des deux diplômes australiens de l’UVA (en informatique) annonce l’arrêt de son programme et dénonce des arriérés de paiement de l’UVA pour un montant de 1,6 millions de dollars. En février 2007, le site Internet de l’Université virtuelle africaine disparaît du cyber espace et n’affiche plus qu’une page « en construction ». Ce n’est qu’en janvier 2008 qu’une nouvelle version du site est mise en ligne. A la réouverture du site de l’UVA en 2008, seul le diplôme de l’Université Laval reste mentionné en plus de quelques modules certifiant en journalisme, informatique et langue. Les diplômes australiens ont disparu.
Analyse critique
L’UVA, des budgets considérables mal employés
L’UVA a failli dans son modèle économique, dans son ambition de proposer des diplômes, dans son objectif de former une « masse critique » d’étudiants et de cadres, dans son modèle technologique initial lui aussi rapidement abandonné. Le transfert technologique vers les établissements africains n’a jamais eu lieu. L’UVA a abandonné son principe de vidéo-diffusion qui n’a été repris par aucune université.
La Banque mondiale, dans une fiche de synthèse présentant l’état du projet en 2004, détaille le budget de l’institution pour cette année là. Ce budget se monte à 9,5 US M$, dont 2 US M$ de dons de la Banque ; le solde provenant des contributions d’autres partenaires. Dans cette fiche, la Banque annonce la fin de son soutien financier au projet pour 2004. La Banque africaine de développement (BAD), prendra la suite pour près de 8 US M$ en novembre de la même année.
La continuation d’un soutien, continuation d’une influence
Que se passerait-t-il si l’UVA disparaissait du jour au lendemain d’Afrique francophone ? Vraisemblablement rien. Quelques dizaines d’ordinateurs se verraient rapidement affectés à un autre usage. Quelques dizaines de jeunes étudiants inscrits au diplôme de l’Université Laval trouveraient à s’inscrire dans une université traditionnelle ou se retourneraient vers d’autres programmes d’enseignement à distance proposés en Afrique. Combien de formations à distance créées en Afrique par des établissements africains avec l’aide de l’UVA ? Aucune.
Apparemment, l’UVA continuera d’exister tant que la Banque mondiale estimera son activité utile à la poursuite de ses propres objectifs. Depuis les débuts de l’UVA, le « retour sur investissement » de la Banque se mesure en termes d’image, de maîtrises d’objectifs politiques et non dans le but de bénéfices financiers ou d’un véritable souci quantitatif en termes de nombre d’étudiants diplômés ou désormais d’enseignants formés.
Ce que nous avons mis en évidence sur l’UVA est peu connu des décideurs, des acteurs impliqués dans des projets d’enseignement à distance et même des chercheurs. En effet il existe en quelque sorte, encore aujourd’hui, un mythe UVA. En Afrique, l’université virtuelle africaine a fortement contribué à la mobilisation et à la participation d’acteurs politiques et institutionnels sur l’EAD. Elle a permis une dissémination des concepts, même si le modèle de développement qu’elle avait choisi n’était pas adapté au terrain auquel il était destiné.
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